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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2002‑2752(EI)

ENTRE :

TAIGA AIR SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

 

Appel entendu le 20 octobre 2003 à Winnipeg (Manitoba)

 

Devant : L’honorable juge L. M. Little

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelante :

Tony Ursini

 

Avocat de l’intimé :

Julien Bédard, stagiaire en droit

____________________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli, sans frais, et la décision du ministre du Revenu national est annulée selon les motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 14jour de novembre 2003.

 

 

 

« L. M. Little »

Juge Little

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2004.

 

 

 

 

Louise-Marie Leblanc, traductrice


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Dossier : 2002‑2751(CPP)

ENTRE :

TAIGA AIR SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 20 octobre 2003 à Winnipeg (Manitoba)

 

Devant : L’honorable juge L. M. Little

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelante :

Tony Ursini

 

Avocat de l’intimé :

Julien Bédard, stagiaire en droit

____________________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli, sans frais, et la décision du ministre du Revenu national est annulée selon les motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 14jour de novembre 2003.

 

 

 

« L. M. Little »

Juge Little

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2004.

 

 

 

 

Louise-Marie Leblanc, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2003CCI757

Date : 20031114

Dossiers : 2002‑2752(EI)

2002‑2751(CPP)

ENTRE :

TAIGA AIR SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

FAITS

 

[1]     L’appelante a été incorporée selon les lois de la province du Manitoba en 1991. M. Tony Ursini détient toutes les actions de l’appelante.

 

[2]     L’appelante exploite un service de location d’hélicoptère dans l’ensemble de la province du Manitoba et dans d’autres parties du Canada. L’appelante possède présentement deux hélicoptères. M. Ursini pilote fréquemment les hélicoptères de l’appelante. Cette dernière utilise également les services d’autres pilotes d’hélicoptère au besoin.

 

[3]     M. Alan G. Hahn (le « travailleur »), est devenu pilote d’hélicoptère il y a environ 29 ans. Le travailleur était un employé de Midwest Helicopters Ltd. pendant environ 25 ans.

 

[4]     Le travailleur fournissait des services de pilote d’hélicoptère à l’appelante pendant les périodes suivantes :

 

 

          1.       du 27 décembre 2000 au 5 janvier 2001                   10 jours;

 

(note : aux fins du Régime de pensions du Canada, la période est du 1er au 5 janvier 2001);

 

2.       du 16 octobre au 15 novembre 2001                       31 jours.

 

Les périodes susmentionnées sont appelées ci‑après les « périodes en litige ».

 

(Note : le travailleur est devenu un employé de l’appelante en mars 2002.)

 

[5]     Pendant les périodes en litige susmentionnées, le travailleur pilotait un des hélicoptères de l’appelante dans le nord du Manitoba.

 

[6]     Pendant l’année 2001, le travailleur offrait également ses services de pilote à la Canadian Helicopters Ltd. Il a travaillé un peu plus de 130 jours au cours de l’année 2001.

 

[7]     L’appelante soutient que le travailleur lui fournissait ses services de pilote à titre d’entrepreneur indépendant pendant les périodes en litige. Le travailleur reconnaît qu’il était entrepreneur indépendant lorsqu’il pilotait un hélicoptère dont l’appelante était propriétaire.

 

[8]     L’appelante et le travailleur n’ont payé aucune contribution en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi ni du Régime de pensions du Canada pour les services fournis par le travailleur à l’appelante.

 

[9]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a déterminé que le travailleur occupait un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi pendant les périodes en litige mentionnées ci-dessus.

 

[10]    Le ministre a également déterminé que le travailleur occupait un emploi ouvrant droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada pendant les périodes en litige mentionnées ci-dessus.

 

 

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]    (1) Le travailleur occupait-il un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi lorsqu’il travaillait pour l’appelante pendant les périodes en litige?

 

          (2) Le travailleur occupait-il un emploi ouvrant droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada lorsqu’il travaillait pour l’appelante pendant les périodes en litige?

 

ANALYSE

 

[12]    La Loi sur l’assurance‑emploi est ainsi rédigé :

 

5. (1)    Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a)      l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière.

 

[...]

 

                (2)    N’est pas un emploi assurable :

 

            a) l’emploi occasionnel à des fins autres que celles de l’activité professionnelle ou de l’entreprise de l’employeur;

 

[13]    Le Régime de pensions du Canada est ainsi rédigé :

 

            6. (1) Ouvrent droit à pension les emplois suivants :

 

            a) l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté;

 

            [...]

 

            (2) Sont exceptés les emplois suivants :

 

b) l'emploi d'une nature fortuite, qui n'est pas lié à l'objet du commerce ou de l'entreprise de l'employeur;

 

[14]    Les deux questions en litige liées au présent appel seront examinées séparément : premièrement, s’il y avait un contrat de louage de services, et deuxièmement, s’il s’agissait d’un « emploi occasionnel » ou de nature fortuite et, par conséquent, d’un emploi excepté.

 

Y avait‑il un contrat de louage de services entre l’appelante et le travailleur?

 

[15]    La première question en litige à trancher vise à savoir si le travailleur travaillait « aux termes d’un contrat de louage de services […] exprès ou tacite ». L’emploi du travailleur sera considéré « assurable » et « ouvrant droit à pension » seulement si ce dernier travaillait aux termes d’un contrat de louage de services.  

 

[16]    Les tribunaux ont très souvent examiné ce qui constitue un « contrat de louage de services » voulant ainsi établir la distinction avec un « contrat d’entreprise ». En d’autres termes, le tribunal doit déterminer si le travailleur était un employé de l’appelante ou un entrepreneur indépendant.

 

[17]    Il faut examiner ce que les tribunaux ont défini comme un contrat de louage de services. Les tribunaux ont établi un critère axé sur l’ensemble de la relation entre les parties dont l’analyse est centrée sur quatre composantes :

 

– le degré de contrôle et de supervision;

– la propriété des instruments de travail;

– la chance de profit;

– le risque de perte.

 

[18]    La Cour d’appel fédérale a établi ce critère dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[1] qui a été accepté et examiné dans des affaires subséquentes. La Cour suprême du Canada a récemment eu l’occasion d’examiner de nouveau la question dans l’arrêt 671122 Ontario Limited c. Sagaz Industries Canada Inc.[2]. Parlant au nom de la Cour, le juge Major a déclaré ceci :

 

   Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui‑même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches[3].

 

[19]    Par conséquent, le juge Major, considérait que la principale question à déterminer était de savoir « si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » ou si elle les fournit en tant qu’employé.

 

[20] À plusieurs occasions dans le passé, la Cour d’appel fédérale a insisté sur la nécessité d’adopter une approche globale pour examiner les quatre critères :

 

[…] nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l’entreprise de la requérante. C’est maintenant l’approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle‑ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l’ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger[4].

 

Le juge Major a indiqué de façon semblable ce qui suit dans l’arrêt Sagaz :

 

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire[5].

 

[21]    Avant d’appliquer les faits liés à l’affaire en l’espèce aux principes établis ci‑dessus, il faudrait souligner que la décision du ministre voulant que le travailleur travaillait aux termes d’un contrat de louage de services est soumise à un examen indépendant mené par la Cour canadienne de l’impôt[6]. Il n’est pas nécessaire de déférer la décision au ministre.

 

[22]    Comme nous l’avons déjà indiqué ci‑dessus, le critère établi dans l’arrêt Wiebe Door peut être divisé en quatre composantes :

 

Contrôle

 

[23]    Le juge MacGuigan a indiqué ce qui suit dans l’arrêt Wiebe Door :

 

En common law, le critère traditionnel qui confirme l'existence d'une relation employeur‑employé est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a défini dans Regina v. Walker (1858), 27 L.J.M.C. 207, […] 208 :

 

[traduction] À mon sens, la différence entre une relation commettant‑préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante :--un mandant a le droit d'indiquer au mandataire ce qu'il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite[7].

 

[24]    En d’autres termes, le principal aspect du « contrôle » consiste en la capacité de l’employeur à contrôler la manière dont l’employé effectue son travail, donc l’accent n’est pas sur le contrôle qu’exerce véritablement l’employeur sur l’employé. Le pouvoir d’établir les heures de travail, de définir les services à fournir et de décider des tâches qui doivent être accomplies au cours d’une journée donnée constitue des exemples de cette capacité[8].

 

[25]    Selon le témoignage rendu par le président de l’appelante et celui du travailleur, un pilote d’hélicoptère possède une grande autonomie lorsqu’il est sur le terrain. Le pilote coordonne le projet selon les conditions climatiques et de transport. Par conséquent, les heures sur le terrain sont assez irrégulières. Un facteur important à souligner est qu’il n’est pas inhabituel pour les pilotes de n’avoir aucune communication avec l’appelante pendant plusieurs journées ou semaines à la fois. Dans de telles circonstances, comment pourrait‑on dire que l’appelante avait le droit de contrôler la manière dont le travail était accompli? L’appelante ne pourrait pas établir les heures de travail du travailleur ou les tâches à accomplir et le moment de le faire. Dans ces circonstances, il semble que l’appelante ne pouvait pas exercer de contrôle sur le travailleur.

 

[26]    Les faits liés à l’appel en l’espèce illustrent les limites du critère de contrôle. Comment établi‑t‑on la distinction entre un entrepreneur indépendant et un employé ayant de l’ancienneté et à qui l’on a accordé une grande latitude pour accomplir son travail[9]? Dans quelle mesure un employeur perd-il sa capacité de contrôle sur un travailleur tout en conservant le droit de le faire? L’affectation d’un travail ne suffit pas. Comme on l’a établi dans la décision Wolf, où le consultant savait ce qu’on attendait de lui, il était libre de le faire et : «  [l]e fait qu'une affectation lui ait été donnée n'établissait pas de lien de subordination »[10]. De façon semblable, les limites du critère de contrôle ont été reconnues par le juge Major dans l’arrêt Sagaz :

 

Ce critère a le grave inconvénient de paraître assujetti aux termes exacts du contrat définissant les modalités du travail : si le contrat contient des instructions et des stipulations détaillées, comme c'est chose courante dans les contrats passés avec un entrepreneur indépendant, le contrôle ainsi exercé peut être encore plus rigoureux que s'il résultait d'instructions données au cours du travail, comme c'est l'habitude dans les contrats avec un préposé, mais une application littérale du critère pourrait laisser croire qu'en fait, le contrôle exercé est moins strict. En outre, le critère s'est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger[11].

 

[27]    J’ai conclu que le critère de contrôle a une importance limitée dans la présente situation.

 

Propriété des instruments de travail

 

[28]    Dans l’affaire en l’espèce, les deux parties s’entendent sur le fait que l’appelante fournissait les hélicoptères à ses pilotes. L’appelante était également responsable de l’entretien et de la vérification des appareils. Ce fait n’est peut‑être pas au désavantage de l’appelante parce qu’il n’est pas raisonnable pour le travailleur d’être propriétaire d’un hélicoptère[12]. Toutefois, dans d’autres décisions, on a soutenu que, lorsque le présumé employeur était propriétaire d’un important élément d’équipement, cela indiquait une relation d’employeur‑employé[13]. Par conséquent, l’importance du fait que l’appelante fournit l’hélicoptère n’est pas claire relativement à l’ensemble de la décision.

 

[29]    Il faut souligner que le travailleur payait le reste de son équipement, par exemple, son casque, sa combinaison de vol et ses vêtements de saison.

 

Chance de profit

 

[30]    Dans une relation employeur‑employé, c’est sur l’employeur que repose le fardeau du profit ou de la perte; l’employé ne court aucun risque financier puisqu’il reçoit le même salaire peu importe la situation financière de l’employeur[14].

 

[31]    Dans l’affaire qui nous occupe, on a conclu que le travailleur recevrait une rémunération journalière. L’appelante prétend que le travailleur a établi son prix alors que, selon le ministre, le travailleur recevait 250 $ par jour, le même montant que l’appelante versait à chaque pilote. Dans la décision Precision Gutters, on trouve le commentaire suivant :

 

[…] Selon moi, la capacité de négocier les modalités d'un contrat suppose une chance de bénéfice et un risque de perte de la même manière que permettre à une personne d'accepter ou de refuser du travail suppose une chance de bénéfice et un risque de perte[15].

 

La preuve a montré que le travailleur et l’appelante ont négocié le taux quotidien pour les périodes en litige.

 

[32]    Un important facteur à souligner, dans la présente situation, est la possibilité du travailleur de refuser les offres faites par l’appelante. Ainsi, le travailleur était en mesure de chercher d’autres offres plus intéressantes faites par d’autres exploitants de services de frètement par hélicoptère[16].

 

[33]    Il faut aussi souligner que le travailleur avait une grande possibilité d’agir à sa guise quant à la manière d’accomplir son travail. En d’autres termes, plus il travaillait fort, meilleures étaient ses chances d’accepter plus de travail pour des périodes plus longues et de gagner plus d’argent. Cependant, ce point est en quelque sorte limité par les mesures législatives qui établissent le nombre d’heures de vol permis, mais la possibilité existe quand même. Dans la décision Precision Gutters, par exemple, la Cour a indiqué que : « [l]es poseurs ne se sont pas vus imposer un délai fixe pour l'exécution du contrat et ainsi, une exécution efficace pouvait engendrer plus de bénéfices »[17].

 

Risque de perte

 

[34]    En ce qui concerne le risque de perte, le ministre prétend que le travailleur n’avait pas à payer ses dépenses personnelles ou ses frais de subsistance. L’appelante remboursait au travailleur ces dépenses et ensuite, selon l’appelante, facturait le client pour cette somme. Toutefois, il faut souligner que le travailleur n’était pas couvert par l’assurance responsabilité de l’appelante. Il s’agit d’un point important parce que, si l’hélicoptère était tombé, le travailleur aurait pu être  personnellement responsable financièrement. De plus, l’appelante n’offrait aucune sécurité d’emploi au travailleur, il ne travaillait que d’un contrat à l’autre[18].

 

[35]    On doit également souligner que, dans la décision Wolf, le juge d’appel Desjardins a donné un sens plus large à la notion de risque qui, selon lui, va au‑delà du risque financier :

 

En contrepartie d'une hausse de salaire, l'appelant en l'espèce prenait tous les risques de l'activité à laquelle il se livrait. Il ne pouvait pas souscrire à un régime d'assurance‑maladie ni à un régime de retraite de Canadair. Il n'avait pas de sécurité d'emploi, aucune protection syndicale, ne pouvait pas suivre de cours et n'avait pas de chance d'avancement. C'était à lui d'assumer les profits et les facteurs de risque[19].

 

Intégration

 

[36]    Il s’agit d’un critère difficile à appliquer et sa valeur est discutable[20]. Néanmoins, dans la décision Canada c. Rousselle et al., le juge Hugessen a fait le commentaire qui suit en ce qui concerne le critère de l’intégration :

 

[25]      Le juge n'a pas mentionné comme tel le facteur « intégration ». Evidement à la lumière de la jurisprudence citée ci‑dessus, il n'était pas indispensable qu'il en parle. Toutefois, s'il l'avait considéré, il est évident que, vu du point de vue des employés, ceux-ci n'étaient intégrés d'aucune façon dans l'entreprise de l'employeur.

 

[26]      Leurs allées et venues, leurs heures et même leurs semaines de travail n'étaient d'aucune manière intégrées ni coordonnées avec les opérations de la compagnie qui les payait. Leur travail bien que fait pour l'entreprise de la compagnie n'en faisait pas une partie intégrante mais y était pûrement [sic] accessoire[21].

 

En d’autres termes, la question est la suivante :

 

[Traduction] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui‑ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit‑elle en tant que personne dans les affaires à son compte »[22].

 

[37]    Dans l’affaire en l’espèce, le travailleur n’offrait ses services à l’appelante que 41 jours par année environ. Je ne crois pas que l’on puisse dire que le travailleur faisait « partie intégrante » de l’entreprise de l’appelante pendant les périodes en litige.

 

Intention contractuelle

 

[38]    Dans la décision Wolf, le juge d’appel Nöel a fait les commentaires suivants en ce qui concerne le rôle de l’intention contractuelle relativement à la classification d’un employé :

 

Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n'est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l'autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté[23].

 

[39]    Dans l’affaire en l’espèce, le travailleur et le président de l’appelante ont témoigné que, selon eux, le travailleur était un entrepreneur indépendant.

 

Si le travailleur était un employé, son travail était‑il un emploi exclu?

 

[40]    L’appelante soutient que, si le travailleur était un employé, il n’occupait pas un emploi assurable parce qu’il s’agissait d’un emploi exclu, précisément un emploi occasionnel.

 

[41]    Il faut deux conditions distinctes pour qu’un emploi soit considéré occasionnel. On a expliqué ces conditions de la façon suivante :

[…] on n'a aucune peine à conclure que l'emploi occasionnel, au sens de la disposition, ne peut être que celui qui n'a aucune peine à conclure que l'emploi occasionnel, au sens de la disposition, ne peut être que celui qui n'a aucun caractère de continuité, ou de régularité ou de retour périodique, et qu'un emploi pourra être occasionnel même si les services rendus sont liés au métier de l'employé (ce n'est pas de l'occupation dont il est question) comme il pourra ne pas être occasionnel même s'il ne se rattache pas à l'activité professionnelle ou de l'entreprise de l'employeur […] (les deux conditions sont autonomes l’une par rapport à l’autre)[24].

 

[42]    Bien que la durée de l’emploi constitue un facteur visant à déterminer s’il s’agit d’un emploi occasionnel, selon moi, les facteurs de la prévisibilité et de la fiabilité constituent des facteurs beaucoup plus importants[25]. La Cour, dans la décision Roussy, a expliqué que l’emploi occasionnel constituait un emploi « éphémère » ou « passager » c.‑à‑d. imprévisible et peu sûr[26]. La Cour s’est interrogée à savoir s’il était impossible de déterminer le caractère régulier de l’emploi. En se fondant sur les faits de l’affaire Roussy, la Cour a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un emploi occasionnel parce que, même s’il n’avait travaillé que 38 jours, l’employé travaillait sous la direction du représentant de l’employeur cinq jours par semaine, entre 8 et 9 heures par jour à un taux horaire de 8 $. Le travail consistait à construire la structure d’une maison. Par conséquent, son travail était déterminé et précis »[27].

 

[43]    De plus, le caractère occasionnel d’un emploi dépend de la relation contractuelle entre les deux parties. Cette relation est déterminée en examinant tous les faits. Dans la décision Bélanger, la Cour décrit la relation ainsi :

 

Il est question de l'emploi et un emploi résulte d'une relation contractuelle entre deux parties : rien n'autorise à penser que la nature d'un emploi devra se déterminer par rapport à l'une des deux parties seulement, l'employeur ou l'employé. C'est le sens que les deux contractants attribuent à leur relation contractuelle qui fera de l'emploi quelque chose de stable, susceptible de demeurer ou à tout le moins de se répéter à intervalles réguliers et sur quoi l'employé peut compter, ou au contraire quelque chose d'éphémère, de passager, d'occasionnel seulement. Or, ce ne peut être qu'en considérant l'ensemble des circonstances qui ont entouré l'établissement, la continuation et la terminaison de la relation contractuelle qu'on pourra juger du sens que les parties attribuaient à leur relation. Des constantes existent peut-être. Je pense ainsi qu'en cas de malentendu entre les parties au sujet du caractère de leur relation, c'est l'impression de l'employé qui doit prévaloir, pourvu qu'elle soit […] fondée sur des éléments objectifs, car alors il comptait vraiment sur l'emploi et mérite, en ce sens, la protection que le système veut assurer. Il est certain aussi que l'élément objectif le plus révélateur se trouvera du côté de l'employeur et de ses besoins actuels et futurs; car c'est lui qui a fait naître l'emploi et lui seul qui pouvait le définir. Mais par delà ces quelques constantes, tout est fonction d'appréciation des circonstances et de conclusions tirées de la preuve. L'exercice peut être à l'occasion fort embarrassant mais il s'impose dans tous les cas et je ne connais pas de formule qui soit de nature à le simplifier[28].

 

[44]    Dans l’affaire en l’espèce, le travailleur était pilote d’hélicoptère pour l’appelante et travaillait 41 jours répartis en trois différentes périodes pendant l’année. Deux de ces périodes sont en cause. La question en litige consiste à savoir si la période de travail du travailleur pour l’appelante était éphémère ou passagère. Le temps passé auprès de l’employeur était très irrégulier. Par exemple, la première période d’emploi était de décembre à janvier, et sa deuxième période de travail ne s’est pas déroulée avant les mois d’octobre à novembre. De plus, étant donné que le travailleur offrait régulièrement ses services à un autre employeur pendant l’année, il aurait donc été disponible pour travailler pour l’appelante lorsqu’il ne travaillait pas pour l’autre employeur. Par conséquent, il semble que, dans cette situation, il n’y ait aucun moyen de déterminer le caractère régulier de l’emploi. De plus, comme nous l’avons déjà indiqué, le travailleur et l’appelante considéraient qu’il s’agissait d’un emploi occasionnel étant donné que l’appelante n’avait effectué aucune retenue sur le salaire du travailleur et que ce dernier avait déclaré qu’il se considérait comme un entrepreneur indépendant. 

 

Conclusion

 

[45]    Je conclus que le travailleur n’était pas un employé de l’appelante pendant les périodes en litige. Il s’agit là, comme dans bien des cas, d’une décision limite. Selon la prépondérance des probabilités et selon moi, ce qui fait pencher la balance est que le travailleur fournissait ses services à l’appelante pendant une durée très courte, lorsqu’il était disponible et, par conséquent, il semble que les deux parties avaient compris que le travailleur était un entrepreneur indépendant. Cela semble correspondre aux décisions récentes de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Precision Gutters et Wolf où l’on a adopté une approche plus libérale permettant aux parties de définir leur propre relation. 

 

[46]    Les appels sont accueillis sans frais.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14jour de novembre 2003.

 

 

« L. M. Little »

Juge Little

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2004.

 

 

 

 

Louise-Marie Leblanc, traductrice



[1] [1986] 3 C.F. 553 (70 N.R. 214, [1986] 2 C.T.C. 200, 87 DTC 5025) (C.A.F.).

[2] [2001] 2 R.C.S. 983 (204 D.L.R. (4th) 542).

[3] Sagaz, précité.

[4] Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.N.R., C.A.F., nA‑531‑87, 15 janvier 1988 ([1998] 2 C.T.C. 2377; 88 DTC 6099), à la page 6100.

[5] Sagaz, au paragraphe 48.

[6] M.R.N. c. Jencan, [1998] 1 C.F. 187 ((1997) 215 N.R. 352, 2 Admin L.R. (2d) 152) (C.A.F.), au paragraphe 24. Cité et approuvé dans la décision Candor Enterprises Ltd. c. Canada (M.R.N.), [2000] A.C.F. n2110 ((2000), 264 N.R. 149) (C.A.F.).

[7] Wiebe Door, à la page 5027, citée à la DTC.

[8] Voir Caron c. M.R.N., C.A.F., nA‑450‑86, 26 mars 1987 ((1987), 78 N.R. 13).

[9] Voir Caron c. M.R.N., précité.

[10] Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, C.A.F. 96, (C.A.F.), au paragraphe 77.

[11] Au paragraphe 38 de l’arrêt Sagaz, où l’on cite les pages 558 et 559 de l’arrêt Wiebe Door.

[12] Precision Gutters Ltd. c. Canada (M.R.N.) 2002 CAF 207 (291 N.R. 161) (C.A.F.), au paragraphe 25 : « Il a été jugé que si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu'il était raisonnable que ceux‑ci lui appartiennent, ce critère permet de conclure que la personne est un entrepreneur indépendant même si l'employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l'entreprise en cause. Voir Bradford c. M.N.R., 88 D.T.C. 1661; Campbell c. M.N.R., 87 D.T.C. 47; Big Pond Publishing c. M.N.R., [1998] T.C.J. No. 935. »

[13] Jusenchuck v. Canada (M.N.R.), [2003] T.C.J. No. 469 (C.C.I.), au paragraphe 15; Merit Transport Inc. v. Canada (M.N.R.), [2003] T.C.J.  No. 383 (C.C.I.), au paragraphe 32, et Hamblin (c.o.b. Mike's Towing) v. Canada (M.N.R.), [2003] T.C.J. No. 324 (C.C.I.), au paragraphe 40.

[14] Wolf v. Canada, précitée, au paragraphe 86.

[15] Precision Gutters, au paragraphe 27.

[16] Regal Auctions v. Canada (M.N.R.), [2003] T.C.J. No. 347 (C.C.I.) et Uranium City Hospital v. Canada (M.N.R.), [2003] T.C.J. No. 380.

[17] Precision Gutters, au paragraphe 27. Voir aussi Insurers Advisory Organization Inc. v. Canada (M.N.R.), [2003] T.C.J. No. 414 (C.C.I.), au paragraphe 53.

[18] Precision Gutters, au paragraphe 27.

[19] Wolf, au paragraphe 87.

[20] Precision Gutters, au paragraphe 19.

[21] C.A.F., nos A‑1243‑88, A‑1244‑88, A‑1246‑88, 31 octobre 1990 ((1990) 124 N.R. 339) C.A.F. à la page 347.

[22] Le juge MacGuigan cite et approuve les commentaires du juge Cooke dans la décision Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, à la page 737.

[23] Wolf, au paragraphe 122, le juge d’appel Décary accorde plus de déférence aux parties étant donné les tendances commerciales modernes, aux paragraphes 199 et 120. Le juge d’appel Desjardins a indiqué, aux paragraphes 69‑72, que le contrat doit refléter la véritable relation entre les parties si l’on doit y accorder une quelconque importance.

[24] Bélanger c. Canada, [1987] 3 C.F. 220 (C.A.F.), au paragraphe 3.

[25] Roussy c. M.R.N., C.A.F., no A-123-91, 8 octobre 1992 ((1992) 148 N.R. 74).

[26] Idem, au paragraphe 7.

[27] Idem, au paragraphe 9.

[28] Bélanger, au paragraphe 5.

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