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Dossier : 2004-4765(GST)I

ENTRE :

GISÈLE BOUCHER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 26 et 27 septembre 2005, à Sherbrooke (Québec)

et le 5 décembre 2005, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Richard Généreux

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis porte le numéro 4-17-5065 et est daté du 29 novembre 2004 pour la période du 1er juillet 1997 au 31 décembre 2000, est accueilli en partie. La pénalité sera calculée à nouveau en tenant compte des motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Montréal (Québec), ce 11e jour d’avril 2006.

 

 

 

Juge Angers

 

 


 

 

 

Référence : 2006CCI189

Date : 20060411

Dossier : 2004-4765(GST)I

ENTRE :

GISÈLE BOUCHER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     À la suite d’une vérification par un représentant du ministère du Revenu du Québec (le « ministère »), l’appelante a fait l’objet d’un avis de cotisation en date du 11 mars 2003, portant le numéro 2-17-5106, pour la période du 1er  juillet 1997 au 31 décembre 2000. La cotisation rajuste, en application de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »), la taxe nette de 21 008,25 $, les intérêts de 4 439,75 $ et les pénalités de 7 102,03 $. Après l’opposition de l’appelante, un nouvel avis de cotisation portant le numéro 4‑17‑5065 et daté du 29 novembre 2004 fut émis pour la même période pour tenir compte de la révision du revenu d’entreprise non déclaré de l’appelante pour l’année d’imposition 1997. La cotisation est maintenant de 20 311,54 $, avec des intérêts de 4 240,05 $ et des pénalités de 6 644,25 $. Il s’agit donc d’un appel de cette dernière cotisation.

 

[2]     Les revenus non déclarés sur lesquels l’intimée fonde sa cotisation ont été établis par le vérificateur par la méthode des dépôts. Les revenus révisés et non déclarés pour l’année d’imposition 1997 sont de 42 117 $, alors que les revenus non déclarés pour l’année d’imposition 1998 sont de 185 521 $ et ceux pour 1999 sont de 70 736 $. De plus, en 1998, des dépenses de 4 544 $ ont été refusées à l’appelante pour un montant au motif qu’il s’agissait de dépenses personnelles. C’est l’ensemble de ces revenus non déclarés qui a été considéré comme des fournitures taxables donnant lieu à de la taxe sur les produits et services (TPS) non remise de 20 311,54 $, plus intérêts et pénalités.

 

[3]     L’appelante et son conjoint ont exploité une entreprise appelée « Bar Le Griffon » (le « bar ») jusqu’au décès de ce dernier en 1993. Elle a continué à l’exploiter seule jusqu’au 11 février 1998, date à laquelle elle a vendu le bar à la société 9056-4428 Québec inc. (la « société »). L’actionnaire unique de cette société est madame Diane Leclair, qui est l’épouse de Guy Boucher, le fils de l’appelante. L’entreprise loue un local au rez-de-chaussée d’un immeuble qui appartient à l’appelante; il est contigu à son propre logement. Il n’y a qu’une porte qui sépare les deux locaux. Il y a quatre logements à l’étage supérieur. Le fils de l’appelante, Guy, a occupé un logement avec son épouse après le décès du conjoint de l’appelante et, en 1995, ils ont habité avec l’appelante. Durant la période en litige, le fils exploitait un garage où il réparait des autos. Selon la preuve, l’appelante a continué à participer activement à la gestion du bar après sa vente. Elle s’est toujours occupée des dépôts au motif que sa bru travaillait le jour et que son fils partageait son temps entre le bar et le garage.

 

[4]     Le ministère a effectué une vérification de la société, ainsi que d’une société mettant en cause son actionnaire unique, Diane Leclair, et son conjoint, Guy Boucher. La vérification de la société portait sur l’exploitation du bar en question. Pour obtenir de l’information au sujet des comptes en banque, le vérificateur Sylvain Genest s’est rendu à la Caisse populaire de Richmond et a été informé que Guy Boucher avait des procurations pour deux comptes en banque de l’appelante. Cela a amené le vérificateur à vérifier les revenus de l’appelante et il a découvert que cette dernière avait déclaré une perte de 14 000 $ en 1998 relativement à l’exploitation du bar. Sachant qu’elle avait vendu le bar en février 1998, il a décidé de faire une vérification de l’appelante.

 

[5]     Les deux comptes en banque au nom de l’appelante pour lesquels son fils avait des procurations sont les folios numéros 8352 et 13399. Après avoir pris connaissance de l’historique des opérations effectuées dans ces comptes et après avoir obtenu des documents du comptable de l’appelante, le vérificateur a déterminé qu’il devait utiliser la méthode des dépôts. Cette décision était nécessaire parce qu’il était difficile de tenir compte de ce qui avait été vendu et des opérations faites au bar, à cause du nombre des opérations, dont plusieurs gros dépôts, et parce que le comptable n’était pas au courant de l’existence du folio 13399.

 

[6]     La vérification a débuté en mars 2001. Le résultat de l’analyse par la méthode des dépôts est le suivant :

 

 

[7]     Ce tableau est le résultat de l’addition de chacun des dépôts aux folios 8359 et 13399 de l’appelante. Ces dépôts étaient compilés mensuellement pour chacune des années de la période en litige et comprenaient des opérations DSL (dépôt sans livret) pour lesquelles il n’y avait pas de dépôt. On constate ce détail à l’annexe 3 de l’analyse. De ces montants, le vérificateur a déduit les revenus déclarés de l’appelante, autant à l’égard du bar que des logements, selon ses déclarations de revenus, de même que la TPS et la taxe de vente du Québec (TVQ) perçues sur le revenu brut déclaré, et d’autres montants que l’on trouve à l’annexe 1. Le résultat de ces calculs est l’écart que l’on trouve sous la rubrique « revenus non déclarés » à l’annexe 1. Toujours selon l’annexe 1, certains virements dans les deux comptes ont également été considérés et retirés des dépôts.

 

[8]     Le vérificateur a été incapable d’identifier ou de rattacher les DSL à quoi que ce soit, à l’exception du fait qu’ils apparaissaient aux microfiches de la Caisse populaire. Selon le vérificateur, il s’agirait de chèques qui ont été encaissés à la caisse puis qui ont été rencaissés par l’appelante. Aucune explication ni pièce justificative ne lui ont été fournies par le comptable de l’appelante pour expliquer cet état de choses, sauf les chèques qui apparaissent à la pièce A-1, onglet 6. Ceux à l’onglet 5 ne lui ont pas été fournis.

 

[9]     Le vérificateur a examiné les bordereaux de dépôt, les recettes et les débours pour la période où le bar a été exploité, mais il a dû compléter ces renseignements avec les microfiches de la caisse, puisque les informations étaient incomplètes. Il explique également à l’annexe 2 certains crédits de taxe sur les intrants qu’il a refusés. Selon l’information obtenue du comptable de l’appelante, l’appelante utilisait la comptabilité de caisse et il n’y avait aucune écriture de régularisation en fin d’année. Le vérificateur reconnaît qu’il a additionné, dans les dépôts du compte 8359, des sommes qui pouvaient comprendre des revenus de machines vidéo dus à la Société des loteries vidéo du Québec. Il ne les a pas enlevés des dépôts puisqu’il n’avait aucune pièce justificative pour ces montants.

 

[10]    Le vérificateur a été incapable de dire d’où proviennent les écarts indiqués par sa vérification. Il s’agit de revenus qui sont passés par les comptes et qui semblent avoir plusieurs natures mais qu’il ne peut identifier. Il a pris en considération le folio 13399 parce que l’appelante faisait les dépôts et signait des chèques tirés sur le compte malgré le fait que son fils Guy détenait une procuration. En fait, il a attribué ce compte à l’appelante, étant donné que son fils Guy détenait d’autres comptes à la même caisse.

 

[11]    Au stade de l’opposition, le dossier a été confié à M. Luc Veillette. Ce dernier a constaté quelques erreurs en faveur de l’appelante, mais il a décidé de ne pas faire de corrections afin de ne pas la pénaliser davantage. On aurait calculé en double le revenu déclaré du bar, soit 21 935 $, et on aurait omis de soustraire un versement de supplément de revenu garanti à l’appelante. Le résultat net est d’accorder à l’appelante un bénéfice de 14 346 $ qui aurait dû être ajouté à ses revenus non déclarés. Cette erreur s’est produite parce que l’appelante n’avait pas initialement déclaré ce supplément dans sa déclaration de revenus pour 1997.

 

[12]    En contre-interrogatoire, on a fait mention d’une somme de 16 000 $, qui est la somme versée à l’appelante lors de la vente du bar et qui aurait dû réduire le revenu non déclaré d’autant, de même qu’une somme de 24 964 $ qui représente le Loto-Québec. Selon l’agent Veillette, ces deux montants n’ont pas été soustraits du revenu déclaré, car il n’y avait pas de preuve que la somme de 16 000 $ avait effectivement été déposée dans le compte de l’appelante. Aucune pièce justificative n’a été présentée pour confirmer le montant. Le contre-interrogatoire a également soulevé la question du traitement des dépôts identifiés comme étant des DSL qui, selon l’appelante, devaient être soustraits des revenus totaux calculés selon la méthode des dépôts. Un DSL signifie un dépôt sans livret. Certains de ces dépôts ont été soustraits des revenus non déclarés pour les années 1998, 1999 et 2000, selon la première page de l’analyse reproduite ci-dessus et qui apparaît également à l’onglet 2 de la pièce I-2. Par contre, le nombre des dépôts DSL dits non déposés est beaucoup plus élevé et on les trouve à l’annexe 3 de la même pièce. Ils ont été reconstitués à partir des microfiches de la caisse par le vérificateur et ils sont considérés dans les revenus non déclarés.

 

[13]    La question des DSL se présente en raison du fait que l’appelante avait l’habitude de se rendre à la caisse pour échanger des chèques endossés par les clients du bar pour de l’argent. Cet argent n’était pas déposé mais une écriture comptable indiquant qu’un chèque avait fait l’objet d’une opération dans le compte sans qu’il y ait effectivement de dépôt apparaissait dans les microfiches de la Caisse.

 

[14]    En fait, deux témoins sont venus relater la façon de faire de l’appelante au sujet de cette question d’échange de chèques. M. Paul Desmarais est venu témoigner qu’il lui est arrivé 5 ou 6 fois d’aller voir l’appelante au bar pour échanger des chèques. Cela lui permettait d’avoir son argent plus vite, car ça lui évitait d’attendre 3 ou 4 jours. Le chèque le plus élevé était de 125 $. En contre-interrogatoire, M. Desmarais a déclaré que cette opération se faisait à l’arrière du bar et que l’appelante prenait l’argent de son porte-monnaie. Il ajoute qu’il reprenait son chèque 4 à 5 jours plus tard et qu’il lui remettait l’argent qu’elle lui avait avancé. De son côté, M. Sylvain Dubé a expliqué qu’il remettait son chèque endossé à l’appelante et qu’elle se rendait à la caisse pour l’échanger. Elle lui remettait l’argent à son retour. Il ne consommait pas nécessairement lors de ces opérations. Une série de chèques semblables, dont celui de monsieur Dubé, a été déposée en preuve par l’appelante. On y trouve au dos la mention : « pour dépôt seulement au compte de Gisèle Boucher folio 8352 ». Parmi les chèques, certains ont cette mention et d’autres non. Ils sont tous de l’année 1997.

 

[15]    Diane Leclair et Guy Boucher ont également fait l’objet de cotisations. Les cotisations à l’endroit de la société et de Guy Boucher portaient sur la TPS. Dans son rapport de vérification, M. Sylvain Genest a écrit qu’en 1998, Guy Boucher a déclaré dans une demande de crédit qu’il était le propriétaire du bar en question et ce, depuis trois ans. Dans ce rapport, il écrit également que ce bar appartenait à l’appelante jusqu’au 11 février 1998, date où il fut vendu à une société dont les actions appartiennent en totalité à Diane Leclair. Il ajoute que, selon le vérificateur qui a effectué une vérification de l’appelante pour une période se terminant en juin 1997, monsieur Guy Boucher participe beaucoup à l’exploitation du bar. Il ajoute que ce serait même lui qui prendrait des décisions relatives aux activités, qu’il a des procurations pour les comptes en banque de sa mère, et ainsi de suite. Monsieur Boucher a été inscrit aux fins de la Loi rétroactivement à 1994 et la vérification effectuée portait sur la période du 1er  janvier 1994 au 31 décembre 2000. M. Guy Boucher a fait l’objet d’une cotisation en vertu de la Loi pour des revenus non déclarés durant cette période-là relativement à l’exploitation du bar.

 

[16]    Selon les registres, l’appelante n’était plus inscrite à titre de mandataire en vertu de la Loi depuis le 11 février 1998. Il faut aussi signaler que lors de la vérification, il n’y avait aucun écart entre les registres comptables en fonction de la TPS et de la TVQ déclarée. Ce sont les revenus non déclarés qui ont fait l’objet de la cotisation. Par contre, dans les revenus déclarés mensuellement, il était impossible d’identifier ce qui avait été vendu.

 

[17]    Le témoignage de M. Genest, et en particulier le contre-interrogatoire, a principalement porté sur certains dépôts en espèces que l’appelante aurait faits durant les années visées par la cotisation et qui ne proviendraient pas de l’exploitation du bar. Les dépôts en question ont été identifiés dans un tableau préparé par Claude Bérard, comptable, pour expliquer la composition des dépôts de 166 537 $ faits en 1998 et de 88 982 $ faits en 1999. Je reproduis ci-après ce tableau (pièce A-1, onglet 4) puisqu’il devient pertinent dans l’appréciation des témoignages des témoins de l’appelante. L’année 2000 n’y paraît pas puisque le résultat de l’analyse par la méthode des dépôts n’a pas produit d’écart.

 

1 — 1997

 

Photocopies de chèques fournies à Revenu Québec totalisant un montant de 48 786,08 $ concernant les DSL non déposés qui faisaient partie des dépôts totaux de 378 753,10 $.

 

Ces DSL non déposés se rapportaient à des chèques émis à des personnes qui étaient pour la plupart des clients et clientes du bar Le Griffon. Madame Boucher accommodait ces gens en allant encaisser lesdits chèques à la Caisse populaire située en face du bar. Plusieurs de ces personnes procédaient ainsi parce qu’elles n’avaient pas de compte bancaire. Ainsi donc, ces chèques n’étaient pas négociés à même l’encaisse du bar.

 

Les DSL non déposés ne constituent pas des revenus non déclarés et, par conséquent, la nouvelle cotisation pour l’année 1997 devrait être entièrement annulée.

 

2 – 1998

 

Les dépôts au montant de 166 537 $ s’expliquent de la façon suivante :

 

 

Þ        Ventes du bar Le Griffon opéré par Mme Boucher

            jusqu’au 18 février 1998

     $

 

21 935

 

Þ        Revenus de location

 

24 950

 

Þ        Produit de la vente d’équipement lors de la cession             du bar à Guy Boucher le 18 février 1998

 

16 000

 

Þ        Dépôts effectués par Guy Boucher pour couvrir les             paiements devant être faits à Loto Québec pour la             période du 19 février 1998       au 30 juin 1998. Le             permis pour l’opération des machines vidéo-poker             fut transféré par Loto Québec à la société de Guy            Boucher le 30 juin 1998.

 

 

 

 

 

 

29 964

 

 

Þ        Chèques de clients et clientes négociés par             Mme Boucher directement à la Caisse populaire

 

20 553

 

 

Þ        Dépôts directs des chèques de versements des             suppléments fédéraux de pension de vieillesse

 

 

7 589

 

Þ        Autres dépôts en argent concernant la   compensation versée à sa mère, par Guy Boucher       du fait qu’elle l’a hébergé durant toute     l’année (1 000 x 12 mois)

 

 

 

12 000

 

Þ        Autres dépôts en argent comptant effectués par             Mme Boucher

 

 

38 546

 

 

 

166 537

 

Les autres dépôts en argent comptant au montant de 38 546 $ ont été effectués à même des argents que Mme Boucher gardait chez elle suite à la fermeture en 1993 de deux coffrets de sûreté alors détenus à la Caisse populaire de Warwick et de Richmond.

 

Il est bon de noter que ces autres dépôts ont été effectués en très grande majorité en coupures de 50 $ et 100 $.

 

Les argents liquides que Mme Boucher gardait chez elle à la fin de 1996 s’élevaient à environ 80 000 $ et provenaient des sources suivantes :

 

 

Þ        La moitié du solde bancaire détenu par son mari             Gaétan Boucher à la Caisse populaire de Warwick             (Gaétan Boucher est décédé en 1993)

     $

 

15 162

 

Þ        Argent liquide reçu lors du décès de son mari en             1993

 

 

 

25 000

 

Þ        Argent liquide reçu lors du décès de      Aurelle             Boucher en 1994

 

Þ        Produit de l’assurance perçu de La Métropolitaine             le 12 octobre 1993 suite au décès de son mari

 

 

 

20 000

 

 

19 107

 

 

 

79 269

 

3 - 1999

 

Les dépôts au montant de 88 982 $ s’expliquent de la façon suivante :

 

 

 

Þ        Revenus de location

     $

 

24 120

 

Þ        Chèques de clients et clientes du bar Le Griffon             négociés par Mme Boucher directement à la Caisse             populaire

 

 

 

9 963

 

Þ        Dépôts directs des chèques de versements des             suppléments fédéraux de pension de vieillesse

 

Þ        Compensation versée à sa mère par Guy Boucher             pour son hébergement

 

Þ        Autres dépôts en argent effectués par Mme Boucher

 

 

4 884

 

 

12 000

 

38 015

 

 

 

88 982

 

[18]    M. Marc Rochon est venu témoigner qu’en février 1998, l’appelante s’est vue remettre un chèque de 25 065,83 $ à titre de bénéficiaire d’une police d’assurance-vie. Ce montant n’apparaît toutefois pas dans la liste des dépôts reproduite ci-dessus.

 

[19]    L’appelante a fait témoigner M. Normand Houle, qui est son comptable pour ses impôts personnels depuis 1997. Il se souvient d’avoir fait l’état des résultats du bar avant la constitution de la société et la vente à cette dernière. Son témoignage a principalement porté sur son analyse des opérations bancaires dans les comptes 8352 et 13359 de l’appelante durant les années 1997, 1998 et 1999, et particulièrement sur des erreurs dans l’inscription de dépôts qui nécessitent qu’ils soient débités. Les erreurs sont identifiées par la mention CCT dans les relevés de la caisse. Il a donc comparé les relevés bancaires avec les bordereaux de dépôt pour s’assurer de ce qu’il avance. Il a également conclu que, selon son analyse, le compte 13399 ne comprenait que des opérations mettant en cause Guy Boucher, même s’il reconnaît que l’appelante faisait tous les dépôts et que le compte est à son nom. Je reproduis ci-après le résultat de son analyse :

 

 

[20]    M. Claude Bérard, en plus de faire une analyse par la méthode des dépôts, tel que reproduit ci-dessus, a aussi procédé à une analyse selon l’avoir net. Il a jugé cet exercice nécessaire en raison des difficultés que présentait la méthode des dépôts, particulièrement en raison des DSL, et des difficultés à identifier la provenance des fonds justifiant des dépôts de 38 546 $ en 1998 et de 38 015 $ en 1999 faits par madame Boucher. Selon le témoin, il s’agit de dépôts en espèce faits en coupures de 50 $ et de 100 $. Il ajoute qu’il est plus logique de procéder par la méthode de l’avoir net en raison du fait que la méthode utilisée lors de la vérification de la société, de Guy Boucher et de sa conjointe est celle de l’avoir net et aussi du fait que l’appelante, son fils et le bar partageaient les mêmes comptes. Son témoignage a par contre révélé qu’il n’était pas plus précis d’établir l’origine des fonds par la méthode de l’avoir net que par celle des dépôts et que toute opération en espèces durant l’année n’allait pas apparaître dans les calculs.

 

[21]    Le bilan d’ouverture pour faire le calcul de l’écart par la méthode de l’avoir net indique un montant de 80 000 $ à titre de fonds en caisse en 1996. Cette somme serait composée d’argent obtenu de l’assurance-vie du conjoint de l’appelante, soit 19 107 $ obtenus le 12 octobre 1993, d’un montant de 30 323 $ qui apparaît dans un compte du conjoint de l’appelante au 31 décembre 1992 et d’une somme d’environ 25 000 $ en espèces dans un coffret de sûreté. Cette information fut transmise à M. Bérard par l’appelante avec des pièces justificatives, à l’exception du montant contenu dans le coffret de sûreté. Il déclare qu’il ne lui était pas nécessaire de faire son analyse par la méthode des dépôts pour compléter ses calculs de l’écart selon l’avoir net.

 

[22]    Dans son calcul par la méthode des dépôts, il accepte que le total des dépôts calculé par le vérificateur est exact, sauf qu’il faut soustraire les dépôts sans livret puisqu’il s’agit toujours de chèques échangés et non déposés. Il a d’ailleurs fait l’exercice pour 1997 en vérifiant les chèques non déposés et en les produisant. Il s’est fié au montant établi par le vérificateur pour les années 1998 et 1999.

 

[23]    L’appelante, dans son témoignage, nous dit qu’elle s’est toujours occupée de déposer les recettes du bar, même après qu’elle a vendu ses intérêts. Sa bru était occupée le jour, alors que son fils partageait son temps entre le bar et son garage. En fait, étant donné qu’il vivait « familialement », pour utiliser son expression, les caisses et des enveloppes d’argent étaient gardées chez elle. Il lui arrivait même de prendre de l’argent à l’occasion si elle en avait besoin, mais elle devait le remettre. Elle reconnaît que les recettes du bar étaient déposées dans le compte 8352 et que ce compte servait autant aux fins du bar qu’à ses fins personnelles. Elle déclare qu’elle a effectivement continué à déposer dans le compte 8352 les recettes de la machine de vidéo poker après la vente du bar en février 1998 et ce, jusqu’à ce que le permis soit transféré à la société. Loto-Québec était autorisée à retirer du compte 8352 le montant qui lui était dû chaque semaine.

 

[24]    L’appelante raconte qu’elle échangeait  des chèques pour les clients ou encore pour ses locataires en se servant de la caisse du bar ou d’enveloppes d’argent qu’elle conservait, ou encore qu’elle se rendait à la Caisse populaire pour les échanger contre de l’argent sans faire de dépôt. Ce sont ces opérations qui, selon tous les témoins, étaient les DSL. Lorsqu’elle allait à la Caisse populaire, l’appelante recevait une compensation variant de 5 à 10 $.

 

[25]    L’appelante témoigne que le comptable utilisait les bordereaux de dépôt du compte 8359 pour préparer ses états des résultats. Dans ce compte, elle déposait ses loyers, ses pensions et parfois de l’argent liquide qu’elle avait chez elle ou qui se trouvait dans son coffret de sûreté. Interrogée au sujet de l’origine des fonds dans son coffret de sûreté, elle mentionne une somme de 30 323 $ que son mari avait dans un compte à la caisse à son décès, une somme de 25 000 $ que ce dernier détenait aussi dans un coffret de sûreté et une somme de 19 107 $ qui représente l’encaissement d’un chèque d’assurance et dont le montant a été mis dans son coffret de sûreté. Il s’agit là, en fait, des fonds en caisse de 80 000 $ que le témoin Bérard a utilisés comme point de départ pour ses calculs sur l’écart par la méthode de l’avoir net. L’appelante ajoute qu’elle avait aussi de 10 000 $ à 15 000 $ dans un autre coffret de sûreté et également de 7 000 $ à 8 000 $ en argent liquide qu’elle gardait à la maison. Elle a cependant ajouté qu’elle a donné à son fils Guy la moitié des montants de 30 323 $, de 25 000 $ et de 19 107 $ après le décès de son mari et que tout cet argent était dans le coffret de sûreté, puisque le coffret était à son nom et à celui de son fils.

 

[26]    Elle explique avoir échangé le chèque de 19 107 $ pour de l’argent liquide et elle explique sa volonté de conserver cet argent liquide par le fait qu’elle ne voulait payer de l’impôt sur ces sommes. L’appelante explique par contre qu’à l’occasion, elle déposait dans le compte 8359 de l’argent qui provenait du coffret de sûreté. Elle ne peut toutefois rien préciser sur les montants de ces dépôts ou dire si l’argent provenait du coffret ou du montant de 7 000 $ à 8 000 $ qu’elle gardait chez elle en tout temps dans une enveloppe.

 

[27]    Interrogée au sujet des dépôts de 38 546 $ en 1998 et de 38 015 $ en 1999 identifiés dans le tableau du comptable Claude Bérard, l’appelante dit qu’elle croit que ces montants viennent de l’héritage. Elle en prenait pour payer ses dépenses et celles de ses fils. Interrogé également au sujet de la vente du bar, elle dit avoir reçu 16 000 $ en argent liquide. Elle ne peut dire si la somme a été déposée, ou si une partie a été déposée ou si la somme au complet s’est retrouvée dans le coffret de sûreté.

 

[28]    L’appelante déclare qu’après la vente du bar, ses seuls revenus provenaient des loyers, de sa pension et de 1 000 $ par mois que son fils Guy lui remettait pour sa pension et celle de sa conjointe, pour son logement et pour le garage qu’il utilisait pour son entreprise de réparation de voitures. Elle ne sait pas si ce montant de 1 000 $ a été déclaré dans ses revenus. En 1999, son fils Guy lui a remis la somme de 38 311,40 $ pour l’aider à payer une hypothèque, somme que le vérificateur de l’intimée a soustrait des dépôts tel qu’indiqué dans son tableau pour cette année.

 

[29]    Quant au compte 13399, l’appelante témoigne que cet argent appartient à son fils Guy et que son seul rôle était de faire des dépôts. Elle a reconnu toutefois avoir signé des chèques tirés sur ce compte pour payer des sommes dues par elle et par son fils Guy au ministère du Revenu du Québec en 1998 pour un montant total de 63 349,43 $ (pièce I-1). Elle gère le compte pour son fils parce que ce dernier n’aime pas aller à la banque et qu’il est souvent à l’extérieur. Elle reconnaît en contre-interrogatoire que son fils effectuait la vente d’automobiles et de motocyclettes et que plusieurs de ses autos étaient immatriculées en son nom. Elle ne sait pas pourquoi il en était ainsi.

 

[30]    L’appelante reconnaît également qu’elle avait déjà fait l’objet d’une vérification et d’une cotisation pour des revenus non déclarés et pour de la TPS non payée de 12 497 68 $ pour la période du 1er octobre 1993 au 30 juin 1997.

 

[31]    Diane Leclair a témoigné que sa société a payé 17 000 $ à l’appelante pour l’achat du bar et que cette somme a été versée en mensualités de 1 000 $. Elle ne peut pas expliquer pourquoi la société a été constituée et pourquoi elle n’a pas discuté avec son conjoint pour savoir s’il souhaitait devenir actionnaire ou administrateur. Elle témoigne même qu’elle n’avait pas besoin de lui. Elle confirme, tout comme son conjoint, que les recettes des machines de vidéo poker à être versées à Loto-Québec ont été déposées dans le compte de l’appelante pendant encore six mois, soit le temps de transférer les permis et la méthode de remise directe à Loto-Québec.

 

[32]    De son côté, Guy Boucher témoigne que ses revenus pour les années 1997, 1998 et 1999 proviennent de son salaire du bar, soit de 600 $ à 800 $ par semaine, et de son entreprise d’achat, de réparation et de revente d’autos. De plus, il reconnaît qu’il a reçu de l’argent en héritage et que cet argent est conservé dans un coffret de sûreté avec celui de sa mère. Il ne conserve aucun registre pouvant permettre de déterminer la part de chacun et seule l’appelante s’occupait du coffret. Il dit avoir reçu de son père et d’autres personnes la moitié de l’argent, soit le montant de 80 000 $ que l’on trouve dans les calculs selon l’avoir net du comptable Bérard. Son frère Denis n’a rien eu parce qu’il a un problème de drogue. En contre-interrogatoire, il déclare que le partage entre sa mère et lui s’est fait en 1993. Tout cela a été mis dans le coffret de sûreté qui a été fermé le 15 septembre 1999. Il dit à un certain moment qu’il n’y avait plus d’argent liquide dans le coffret et, à un autre moment, que l’argent liquide a été placé ailleurs, sans rien préciser. Il semble que son grand-père et son père aient toujours payé en argent liquide, ayant jusqu'à 20 000 $ à la maison.

 

[33]    Le témoin Guy Boucher témoigne qu’il paie un loyer de 1 000 $ par mois pour sa pension et celle de sa conjointe et pour la location du garage. Il paie cette somme en argent liquide; il n’a pas d’explication pour cette façon de faire et ne sait pas ce que sa mère faisait avec cet argent.

 

[34]    Le compte 13399 servait à propres opérations, et sa mère s’occupait des dépôts et des retraits selon ses besoins. L’argent déposé dans ce compte venait de la vente des automobiles qu’il achetait et réparait, de son argent liquide dans le coffret de sûreté ou gardé chez sa nièce et de l’argent dit « loose » qu’il avait. Il reconnaît, en 1995 ou 1996, avoir payé 45 582 $ en argent liquide pour une voiture de marque Corvette et avoir versé 20 000 $ en espèces pour l’achat d’une maison. Il dit que cet argent provenait de la vente de véhicules et de l’argent laissé par ses parents.

 

[35]    Guy Boucher a fait l’objet d’une cotisation pour une période de 6 ans en vertu de la Loi. La documentation indique qu’il s’agirait principalement d’une cotisation fondée sur le non-paiement de la TPS pour la vente d’automobiles. Pour certaines années, les ventes étaient de l’ordre de 17 500 $, de 104 000 $ et de 184 000 $.

 

[36]    L’appelante a soulevé plusieurs arguments, qui peuvent se résumer en quatre points principaux :

 

          a)       La cotisation en litige a-t-elle été établie après la période normale de cotisation au sens du paragraphe 298(1) de la Loi?

          b)      Est-ce que la méthode utilisée par l’intimée pour établir la cotisation est une méthode fiable compte tenu des circonstances?

          c)       L’appelante a-t-elle satisfait à son fardeau de la preuve?

          d)      L’appelante a-t-elle, dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé dans une déclaration, une demande, un formulaire, et ainsi de suite, au sens de l’article 285 de la Loi?

 

[37]    De son côté, l’intimée identifie les mêmes points en litige, en soutenant que le sous-ministre pouvait établir une cotisation à l’égard de l’appelante en tout temps conformément aux dispositions de l’article 298(4) de la Loi, que la méthode des dépôts est une méthode de rechange acceptable en l’espèce et que les pénalités étaient justifiées.

 

[38]    Les points en litige identifiés ci-dessus ont fait l’objet de longs arguments de part et d’autre sur les questions de la crédibilité, de la méthode utilisée pour les vérifications de l’appelante et des autres parties, des sommes à soustraire des dépôts, de la double imposition des revenus du bar, de la tenue des livres comptables, et j’en passe. Il faut cependant reconnaître que les difficultés que présente cet appel reposent principalement sur le fait que, durant la période en litige, il est très difficile de distinguer la nature des opérations qui apparaissent dans les deux comptes en banque identifiés, à savoir si elles sont de nature personnelle ou commerciale; pire encore, il est difficile de savoir à qui appartient réellement cet argent. Il faut faire la distinction en prenant en considération le fait que l’appelante a vendu le bar en février 1998. Un autre facteur qui, à mon avis, pose des difficultés est le fait que la tenue des comptes du bar est déficiente au point où les états financiers eux-mêmes sont préparés en fonction des dépôts et qu’il est impossible de vérifier quoi que ce soit, sans oublier les innombrables opérations en argent liquide que font l’appelante et son fils sous prétexte que toutes les questions d’argent sont réglées « familialement ». Il va sans dire que, peu importe la méthode de vérification utilisée, il sera impossible d’y faire son compte.

 

[39]    Cela étant dit, nous nous retrouvons dans ce dossier avec trois tableaux de vérification fondés sur la méthode des dépôts et un tableau fondé sur la méthode de l’écart selon l’avoir net. Il est évident que ni l’un ni l’autre reflète le portrait financier réel de la contribuable et de ses obligations en tant que mandataire en vertu de la Loi. Il s’agit donc de reconstruire un bilan financier aussi près que possible de la réalité tout en se souvenant qu’un tel exercice est loin d’être parfait. L’avocat de l’appelante a soutenu que la méthode la plus fiable en l’espèce était celle de l’écart selon l’avoir net, étant donné principalement que l’intimée avait procédé de cette façon avec la société, avec Guy Boucher, le fils de l’appelante et avec sa conjointe. De cette façon, il y a cohérence dans la méthode utilisée, d’autant plus qu’il soutient qu’il y a imposition en double en l’espèce puisque le ministère a établi des cotisations pour la société, pour Guy Boucher et pour l’appelante en vertu de la Loi et ce, pour la même période et en fonction des revenus tirés de l’exploitation du bar. Il soutient également que la méthode des dépôts est peu fiable en l’espèce étant donné qu’elle ne prend pas en considération le fait que l’appelante avait encaissé un grand nombre de chèques sans faire de dépôts, alors que la méthode utilisée les lui attribuerait.

 

[40]    À mon avis, dans un commerce du genre de celui qu’exploite l’appelante, il me paraît, à première vue, tout à fait logique de procéder de cette façon. Il s’agit en l’espèce d’activités commerciales dont les fournitures sont toutes taxables et qui sont donc toutes traitées de façon semblable à l’exception des revenus attribuables à Loto-Québec. En l’espèce, les prétendus DSL sont des dépôts sans livret qui ne sont pas réellement des dépôts. Ils ont tous été identifiés, tout comme on a réussi à identifier la portion des revenus attribuable à Loto-Québec après la vente de l’entreprise en février 1998 et les revenus personnels de l’appelante. De plus, le comptable de l’appelante se fiait aux dépôts pour préparer les états financiers, puisqu’il n’y avait rien dans l’entreprise qui permettait de faire une comptabilité quelconque en fonction des fournitures. Cette méthode des dépôts pourrait par contre être à l’avantage de certains contribuables ou mandataires qui ne déposent pas tous les revenus tirés de leur entreprise, notamment ceux qui utilisent avec de l’argent liquide et qui voudraient contourner leurs obligations fiscales. Le même problème existe dans le cas des autres méthodes. Pour ce qui est des chèques encaissés à même les fonds de l’entreprise et déposés par la suite, cette façon de faire n’a aucun effet sur les dépôts, puisque le chèque remplace l’argent liquide.

 

[41]    Cela étant dit, et à la lumière de l’ensemble de la preuve de l’intimée et des témoignages des deux comptables de l’appelante au sujet de leur calcul par la méthode des dépôts, j’en conclus qu’il s’agit en l’espèce de la méthode la plus fiable. Qu’il me suffise de mentionner, au sujet de la méthode du calcul de l’écart selon l’avoir net utilisée par le comptable Claude Bérard, qu’elle est défectueuse au départ lorsqu’il déclare que l’appelante a en sa possession une somme de 80 000 $. Cette somme était constituée d’un héritage et du produit d’une police d’assurance-vie de même que de l’argent contenu dans un coffret de sûreté. Il faut se rappeler que l’appelante a témoigné qu’elle avait donné la moitié de cet argent à son fils Guy. De plus, cette méthode ne prend pas en considération toutes les opérations en argent liquide faites au cours des années par l’appelante et les échanges d’argent entre l’appelante et son fils.

 

[42]    J’accepte donc comme point de départ les revenus non déclarés établis par le vérificateur de l’intimée pour chacune des années constituant la période en litige, tout comme les montants qui ont été enlevés des dépôts. Les revenus non déclarés sont de 42 117 $ en 1997, 185 520 $ en 1998, de 70 735,55 $ en 1999 et aucun en 2000.

 

[43]    Je suis conscient du fait que le total des revenus non déclarés auquel en est arrivé le vérificateur comprend les deux comptes en banque. À la lumière toutefois des montants enlevés des dépôts, cela a des conséquences très minimes sur le résultat. En 1998, le vérificateur a soustrait le montant des virements et de la vente d’une Corvette, qui équivalaient aux dépôts en provenance du compte 13399, soit le compte de Guy Boucher mais qui était établi au nom de l’appelante. En 1999, le dépôt supplémentaire en provenance du compte 13399 n’est que de 6 000 $.

 

[44]    En fonction de la preuve présentée par l’appelante, est-il possible de soustraire d’autres sommes des revenus non déclarés? Le premier point qui fut lourdement contesté est celui voulant que le vérificateur ait inclus, dans les dépôts, des montants des DSL non déposés. Selon l’avocat de l’appelante, ce montant représente la somme de tous les chèques encaissés par l’appelante directement à la Caisse populaire et dont les montants étaient remis aux clients. Selon la preuve, il s’agit d’une habitude de l’appelante durant la période en litige dans le but d’aider certains clients qui n’avaient pas de compte en banque. Les microfiches de la Caisse identifient ces transactions et on y constate qu’il n’y a effectivement pas eu de dépôt. Le témoignage de l’appelante et du comptable Bérard et le fait qu’il ait été possible d’isoler ces opérations suffisent pour me permettre de conclure que ces montants devraient être soustraits des revenus non déclarés. Étant donné que le vérificateur a témoigné les avoir pris en considération dans ses calculs et qu’ils ont été ajoutés aux dépôts, le total des DSL non déposés pour l’année 1997 est de 48 786 $, somme qu’il faut donc soustraire du montant de 42 117 $ non déclaré, de sorte qu’en 1997, il n’y aurait aucun revenu non déclaré.

 

[45]    En 1998, la situation n’est pas tout à fait semblable. Même si on soustrait le total des DSL non déposés, soit 36 831 $, des revenus non déclarés, soit 185 520 $, il reste un solde de 148 689 $. Selon le rapport du vérificateur, des montants déjà importants ont été enlevés des dépôts. De plus, les revenus déclarés de l’appelante, soit 48 527 $, et les revenus du bar pour les deux premiers mois d’exploitation avant la vente à la société soit 21 935 $, de même que la TPS et la TVQ sur cette somme, ont été soustraits des dépôts. Vu que les seuls revenus de l’appelante sont ses revenus de location et sa pension de la sécurité de la vieillesse, il est difficile de justifier l’origine de l’argent ayant pu constituer une telle somme déposée alors que l’appelante n’a exploité son entreprise que pendant 2 mois à peine. Il en va de même pour l’année 1999.

 

[46]    Selon les témoignages de l’appelante et de Diane Leclerc, des revenus tirés des machines de vidéo poker ont continué d’être déposés dans le compte de l’appelante pour une période d’environ 6 mois en attendant que le transfert du permis soit fait et parce que Loto-Québec détenait l’autorisation de retirer automatiquement du compte 8352 les sommes qui lui était dues. Certains bordereaux de dépôt font mention du fait qu’il s’agit de dépôts pour Loto-Québec et la somme de tous les dépôts identifiés de cette façon est de 24 964 $. À mon avis, même si la période de transition me semble longue, la situation me paraît plausible. J’accorderais donc que soit soustraite des revenus non déclarés pour 1998 la somme additionnelle de 24 964 $.

 

[47]    L’appelante soutient qu’elle a aussi déposé chaque mois la somme de 1 000  $ que lui remettait en argent liquide son fils Guy à titre de compensation parce qu’elle l’hébergeait, de même que son épouse, ainsi que pour la location du garage qu’occupait son fils. Les témoignages entendus me permettent de conclure que l’appelante n’a pas déclaré ce revenu dans ses déclarations, même si une partie de cette somme était pour la location du garage à son fils. Vu que l’appelante gardait chez elle des enveloppes d’argent liquide, il est difficile de croire qu’elle aurait déposé cette somme tous les mois et qu’elle ne s’en serait pas plutôt servi pour ses besoins quotidiens. Je ne suis donc pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que ce revenu de 1 000 $ par mois ait été effectivement déposé en 1998 et en 1999 comme elle le prétend.

 

[48]    Le comptable Claude Bérard explique, tout comme l’appelante, que les sommes déposées dans le compte 8359 proviennent de l’argent liquide qu’elle gardait chez elle ou dans son coffret de sûreté, puisqu’elle a reçu des sommes considérables en héritage et pour de l’assurance à la suite du décès de son conjoint et d’autres personnes. Le comptable a calculé que le total était de 79 269  $. J’ai déjà mentionné que selon l’appelante et son fils, ces sommes ont été partagées en parts égales. Il faudrait aussi qu’elles aient été déposées au complet durant l’année 1998. Tout d’abord, il n’y a rien dans la preuve qui m’indique que l’appelante ait changé ses habitudes dans sa façon de garder son argent liquide, et deuxièmement, l’appelante ne pouvait certainement pas avoir besoin de déposer cet argent pour vivre puisque encore là, la preuve nous a démontré, par les calculs de l’écart selon l’avoir net du témoin Claude Bérard, que l’appelante avait un train de vie très sobre. Ses dépenses personnelles ont été estimées à environ 30 000 $ par année. Il n’y a rien, à mon avis, qui puisse justifier le dépôt de sommes aussi considérables, particulièrement en 1998, en assumant évidemment que le bar a effectivement été vendu en février de cette année et que les revenus de l’appelante après cette date ne sont constitués que des loyers et de sa pension.

 

[49]    La situation en 1999 est à peu près semblable, sauf que le montant d’argent déposé par l’appelante a diminué presque de la moitié. Il est cependant toujours difficile de comprendre qu’il puisse y avoir tant d’argent déposé vu les revenus possibles de l’appelante. Selon le tableau du vérificateur, 88 982 $ ont été déposés dans son compte, alors que ses revenus déclarés sont de 24 982 $. Si je soustrais les DSL non déposés de 19 094 $ pour 1999, il reste des dépôts de 51 641 $ pour lesquels il y a peu d’explications. Selon M. Bérard, il s’agirait toujours d’un dépôt d’argent que l’appelante garde chez elle ou dans son coffret de sûreté. Toujours vu son train de vie, il est difficile de croire qu’elle aurait déposé cet argent pour boucler ses fins de mois, sans oublier qu’il semble y avoir une source inépuisable d’argent à déposer sans explication plausible sur sa provenance. En conclusion, les revenus non déclarés pour l’année 1998 sont de 123 725 $, et ceux de 1999 sont de 51 641 $.

 

[50]    Est-il possible que les sommes déposées par l’appelante en 1998 et 1999 soient une partie des revenus du bar, et ce, malgré le fait qu’elle ait vendu son entreprise à la société? Les états financiers, les déclarations de revenus de l’appelante et la constitution de la société font foi de l’existence d’une opération de vente visant les activités du bar. Toutefois, il y a des éléments de preuve qui, à mon avis, mettent en péril la légitimité d’une telle opération. La toile de fond que je retiens dans mon appréciation de la preuve se résume ainsi :

 

          a)       la tenue des comptes et la comptabilité maison du bar ne permettent pas de comptabiliser les ventes, de sorte que les états financiers sont préparés selon les dépôts. Ayant déjà fait l’objet d’une vérification lors des années antérieures, l’appelante aurait dû bien savoir qu’il fallait corriger ces lacunes;

          b)      il s’agit d’un commerce où beaucoup d’opérations se font en argent liquide, de sorte qu’il est facile de ne pas laisser de trace;

          c)       l’appelante garde chez elle dans des enveloppes des sommes d’argent considérables qui sont composées de son argent personnel et des recettes du bar;

          d)      l’appelante a un compte en banque dans lequel elle mélange et gère son argent personnel et celui provenant du bar;

          e)       l’appelante a un autre compte en banque dans lequel elle fait des dépôts et des retraits, mais il s’agit d’argent appartenant à son fils. On y trouve des dépôts de grosses sommes d’argent, toujours en liquide, et des chèques signés par l’appelante y sont tirés, dont certains pour rembourser une dette du fils et de l’appelante à Revenu Québec;

          f)       le fils de l’appelante exploite un garage où il achète, répare et vend des automobiles, dont la plupart sont enregistrées au nom de l’appelante. On y trouve une Corvette, des motos et d’autres voitures que la preuve a indiquées;

          g)       la seule explication apportée par l’appelante et son fils Guy pour expliquer l’existence du compte 13399 est que son fils n’aime pas aller à la caisse et que sa mère s’est toujours occupée de ça pour lui;

          h)       l’appelante avoue avoir, lors du décès de son conjoint Gaétan Boucher, retiré et converti en argent liquide la somme qui était déposée dans son compte en banque, soit 30 323 $, et l’avoir conservée dans un coffret de sûreté sous prétexte de la protéger des impôts à payer et, pour les mêmes raisons, a jugé bon de faire la même chose avec le chèque de 19 107 $ de l’assurance-vie lors du décès de son conjoint et de 25 065 $ lors du décès de son ami Ronald Pearson;

          i)        il est étrange aussi de constater que l’appelante ait décidé de partager l’assurance et l’héritage de son mari avec son fils Guy en parts égales alors qu’il n’y avait aucune obligation juridique d’agir ainsi;

          j)        Guy Boucher déclare que sa façon de faire avec les comptes en banque, soit d’avoir un compte au nom de sa mère pour son usage à lui et de donner de l’argent liquide de main en main, est dû au fait qu’ils font tout « familialement »;

          k)       Diane Leclair est la seule actionnaire et administratrice de la société qui s’est portée acquéreur du bar en février 1998. Elle ne peut expliquer de qui vient l’idée de constituer une société, sauf qu’elle dit que, de cette façon, on peut se protéger. Elle ajoute : « J’étais pas pour le laisser à son nom; je l’ai mis à un numéro de compagnie. » Elle déclare avoir pensé à ça toute seule, elle n’a mentionné personne et elle a dit à son conjoint, Guy, qu’elle allait le nommer gérant et qu’il était content. Elle n’a pas discuté avec lui pour qu’il soit actionnaire ou administrateur et elle ajoute qu’elle n’avait pas besoin de lui. Elle pense avoir payé 17 000 $ pour l’achat des éléments d’actif à raison d’un chèque de 1 000 $ par mois pendant 17 mois; elle ajoute qu’elle n’a aucune idée et qu’elle n’est pas certaine;

          l)        selon l’appelante, le prix de vente était de 16 000 $;

          m)      aucun contrat d’achat ou de vente n’a été déposé en preuve;

          n)       Diane Leclair occupait un travail à temps complet comme couturière;

          o)      j’ai peine à croire que dans une opération sans lien de dépendance lors de la vente d’une entreprise, il faut six mois pour transférer un permis provenant de Loto-Québec;

          p)      selon le rapport du vérificateur lors de la vérification de Guy Boucher, Guy Boucher a déclaré, dans une demande de crédit en 1998, qu’il était le « proprio » du bar Le Griffon depuis trois ans. Il réfère à l’achat du bar par la société de son épouse et le rapport indique que Guy Boucher participe beaucoup à l’exploitation du bar. Je trouve étrange que madame Leclair nous dise que son conjoint était content lorsqu’elle a dit qu’elle allait le nommer gérant;

          q)      selon Guy Boucher, le fait de conserver des sommes d’argent liquide dans des coffrets de sûreté ou à la maison est une pratique de son père et même de son grand-père. Pourtant, lors du décès de son père, ce dernier avait un compte en banque avec un solde de près de 30 000 $.

 

[51]    À mon avis, il y a ici suffisamment d’éléments dans les témoignages de l’appelante, de son fils et de sa conjointe pour mettre en doute le bien-fondé de leur façon de gérer leurs affaires. Ces circonstances font en sorte qu’il est tout à fait normal de pencher en faveur d’une conclusion voulant que cet état de choses résulte d’un but délibéré de se soustraire à leurs obligations fiscales. À mon avis, le transfert des éléments d’actif du bar à la société n’a absolument rien changé dans la gestion. L’appelante et son fils ont continué à l’exploiter. L’appelante a continué à échanger des chèques, à faire les dépôts et donc à être présente. Son fils, à mon avis, a simplement continué à s’occuper du bar et il n’a certainement pas été nommé gérant par sa conjointe.

 

[52]    À mon avis, ce transfert à la société s’est fait progressivement et l’appelante a continué de déposer dans son compte en banque une partie des recettes du bar et ce, même après cette prétendue vente. Un coup d’œil aux bordereaux de dépôt nous permet de constater que les dépôts étaient faits de façon régulière et comprenaient des coupures de 5, 10, 20, 50 et 100 dollars. Certains chèques, où le nom du payeur est indiqué, ne pouvaient pas tous provenir de ses locataires, puisque les noms des payeurs n’étaient pas les mêmes dans les dépôts mensuels subséquents. Les dépôts, à mon avis, sont compatibles avec l’exploitation d’un bar, de sorte que la vente à la société n’a servi qu’à créer une entité juridique sans distinction réelle entre l’appelante, son fils et la société, sauf pour un partage progressif des recettes. La société n’est, en pratique, que devenue un membre supplémentaire de la famille.

 

[53]    Cette distribution familiale des recettes du bar durant la période en litige fait en sorte que l’appelante était tenue de produire une déclaration au ministre en vertu du paragraphe 238(2) de la Loi. Même si la société, Guy Boucher et son épouse ont fait l’objet d’une cotisation pour des revenus supplémentaires liés au bar, ce sont, à mon avis, les conséquences et le prix à payer pour vouloir mélanger tous ses avoirs.

 

[54]    À mon avis, l’intimée a établi selon la prépondérance des probabilités que l’appelante a continué d’exploiter une entreprise commerciale, soit de faire des fournitures taxables, de sorte qu’il s’agit d’activités commerciales telles que définies dans la Loi. Le fait de cesser de faire des déclarations sachant qu’on reçoit toujours une partie du revenu d’une entreprise constitue, à mon avis, une présentation erronée des faits par omission volontaire permettant au ministre d’établir une cotisation à tout moment selon le paragraphe 298(4) de la Loi. Il en va de même en ce qui concerne la pénalité prévue à l’article 285 de la Loi. Je ne peux passer sous silence que l’appelante a déjà fait l’objet d’une vérification antérieure. De plus, les registres comptables tenus par cette dernière étaient propices à se soustraire aux obligations fiscales qui s’imposent. Les montants d’argent liquide en sa possession en tout temps, de même que le méli-mélo des comptes en banque, étaient propices à ne pas laisser de trace de ses opérations commerciales ou de celles de son fils. Il s’agit d’une femme d’affaires d’expérience qui, à mon avis, était consciente des avantages de fonctionner de cette façon. Le sous-ministre était donc bien fondé d’imposer la pénalité prescrite à l’article 285.

 

[55]    Pour ces raisons, l’appel est accueilli en partie. La cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les revenus non déclarés pour l’année 1997 sont nuls, ceux de 1998 sont de 123 725 $, ceux de 1999 sont de 51 641 $ et ceux de 2000 sont nuls.

 

 

Signé à Montréal (Québec), ce 11e jour d’avril 2006.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2006CCI189

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-4765(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Gisèle Boucher et Sa Majesté La Reine

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :                Sherbrooke (Québec) et Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               les 26, 27 septembre et le 5 décembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       l'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 11 avril 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Richard Généreux

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                   Nom :                             Me Richard Généreux

 

                   Étude :                            Généreux Côté, Avocats

                                                          Drummondville (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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