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Dossier : 2002-4777(EI)

ENTRE :

PATRICK MARION,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de René Marion s/n Policam P.R.M. Enr. (2002-4778(EI)) le 22 avril 2003 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable J.F. Somers, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Martin Rondeau

 

Avocate de l'intimé :

Me Julie David

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2003.

 

 

 

«J.F. Somers»

Juge suppléant Somers


 

 

 

Référence : 2003CCI456

Date : 20030708

Dossier : 2002-4777(EI)

ENTRE :

PATRICK MARION,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossier : 2002-4778(EI)

 

RENÉ MARION S/N POLICAM P.R.M. ENR.,

appelant,

et

 

MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Somers

 

[1]     Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Montréal (Québec), le 22 avril 2003.

 

[2]     Les appelants interjettent appel de la décision du ministre du Revenu national (le «Ministre»), selon laquelle l'emploi exercé par Patrick Marion, le travailleur, au cours de la période en cause, soit du 1er juin au 25 octobre 2001, auprès de l'appelant, René Marion s/n Policam P.R.M. Enr., n'était pas assurable parce que cet emploi ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services; il n'était pas un employé de l'appelant.

 

[3]     Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (la «Loi») se lit en partie comme suit :

 

            5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a)    un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[…]

 

[4]     Le fardeau de la preuve incombe aux appelants. Ces derniers se doivent d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

 

[5]     En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes lesquelles ont été admises ou niées :

 

a)         L'appelant et le travailleur ont enregistré une raison sociale le 13 avril 1999; (nié)

 

b)         aux termes de la raison sociale enregistrée, l'appelant et le travailleur sont associés; (nié)

 

c)         ils exploitaient une entreprise de polissage de pièces en aluminium de camion; (nié)

 

d)         ils exploitaient l'entreprise sous la raison sociale «Policam P.R.M.»; (nié)

 

e)         l'appelant est le père du travailleur; (admis)

 

f)          le travailleur oeuvrait comme polisseur; (admis)

 

g)         les tâches du travailleur consistaient à décaper et à polir des pièces de camion; (admis)

 

h)         le travailleur prenait un prélèvement de 540 $ par semaine; (nié)

 

i)          le travailleur prenait un prélèvement hebdomadaire même s'il n'y avait pas de travail; (nié)

 

j)          le travailleur oeuvrait pour sa propre entreprise. (nié)

 

[6]     L'appelant et le travailleur ont enregistré une raison sociale le 13 avril 1999 sous le nom «Policam P.R.M.», tel qu'en fait foi un document de l'Inspecteur général des institutions financières (pièce I-2). Aux termes de cette raison sociale, l'appelant, René Marion, et son fils, le travailleur, sont associés.

 

[7]     L'appelant et le travailleur exploitaient une entreprise de polissage de réservoirs de camions. Le travailleur oeuvrait comme polisseur et ses tâches consistaient à décaper et à polir les pièces de camions.

 

[8]     Selon l'appelant l'équipement de l'entreprise a été acheté par lui-même et non par le travailleur. Bien que le nom du travailleur apparaît sur le certificat de la société, l'appelant le considérait comme un employé.

 

[9]     L'appelant décidait de l'horaire de travail du travailleur et ce dernier se devait de le respecter. Le travailleur oeuvrait à des heures irrégulières, de 30 à 42 heures par semaine, selon la disponibilité des clients de l'entreprise.

 

[10]    L'appelant a déclaré qu'il vérifiait la qualité du travail exécuté par son fils. L'appelant et son épouse avaient l'autorité de signer les chèques aux fournisseurs.

 

[11]    Le travailleur était rémunéré à un taux horaire de 13,50 $; le nombre d'heures travaillées variaient selon les besoins de l'entreprise, donc la rémunération n'était pas fixe.

 

[12]    René Marion reconnaît qu'il y a eu une déclaration de raison sociale enregistrée le 13 avril 1999 et que les deux associés étaient lui-même et son fils Patrick, le travailleur. Il a ajouté que le nom de la raison sociale «P.R.M.» représentait les initiales de leurs deux prénoms et de leur nom de famille.

 

[13]    Lors de son témoignage, René Marion a déclaré qu'il était le patron de l'entreprise, que Patrick était son employé et que ce dernier n'avait pas investi d'argent dans l'entreprise.

 

[14]    En contre-interrogatoire, René Marion a reconnu avoir signé une déclaration statutaire en date du 16 juillet 2001 qui se lit en partie comme suit :

 

...Je lui ai demandé combien ça lui prenait pour arriver. On s'est entendu pour 400 $ net/sem. J'essaie de lui donner peu importe le nombre d'heures de travail fait dans sa semaine. Je ne fais aucune retenue sauf que l'on garde 150 $ pour l'impôt. Il va déclarer son montant à l'impôt et il s'arrangera pour payer l'impôt dû avec l'argent que l'on retient sur ses payes. Le revenu de l'entreprise Policam PRM va juste à moi. J'indique le montant brut et net dans mon rapport d'impôt vous pouvez le voir. Son nom est dans le document d'enregistrement mais c'est tout...

 

[15]    À l'audition de cet appel, René Marion a déclaré que le travailleur recevait le même salaire peu importe le nombre d'heures travaillées. Il a admis qu'il ne faisait aucune déduction à la source et que durant la période en litige le travailleur avait oeuvré à temps plein.

 

[16]    René Marion a admis que l'entreprise était en déficit à partir du mois d'août - les affaires étaient au ralenti - et que le travailleur n'a pas oeuvré après le 25 octobre 2001.

 

[17]    Dans une déclaration d'immatriculation (pièce I-4), René Marion a indiqué qu'il était la personne physique exploitant une entreprise individuelle sous le nom de Policam Enr. dont les principales activités étaient le polissage d'aluminium de camions.

 

[18]    À l'audience, le travailleur a corroboré le témoignage de son père, René Marion. Lors de son témoignage il a déclaré que pendant la période en cause il exploitait l'entreprise avec son père à titre d'associé tel qu'il est indiqué sur le document de l'Inspecteur général des institutions financières (pièce I-2). Il a ajouté qu'il avait, dans le passé, fondé sa propre entreprise mais que celle-ci n'avait pas fonctionné. Il a de plus déclaré qu'il avait accompagné son père lors de la déclaration de radiation de l'entreprise en date du 31 octobre 2001 (pièce I‑3).

 

[19]    Le travailleur a déclaré que lui et son père s'étaient entendus sur le salaire hebdomadaire qu'il recevrait pour son travail dans l'entreprise, soit 540 $.

 

[20]    Il s'agit de décider si une personne peut-être employé de sa propre société. La preuve a démontré que l'appelant et le travailleur avaient signé une déclaration de société dans le but de former l'entreprise Policam P.R.M.

 

[21]    Dans la cause Québec (Ville) c. Cie d'immeubles Allard Ltée, [1996] A.Q. no 1517, la Cour d'appel du Québec, sous la plume du juge Brossard, s'est exprimée en ces termes :

 

...Suite à l'examen du Code civil du Bas-Canada, je me dois, pour ma part et avec égards pour l'opinion contraire, d'indiquer mon désaccord. Je ne crois pas que le Code québécois accorde implicitement la personnalité aux sociétés. Au contraire, tel qu'explicité plus haut, il me semble que ses dispositions confirment plutôt l'absence de personnalité de la société et son incapacité à détenir des biens.

 

[22]    Dans la cause Lasalle c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.I. no 130, la juge Lamarre de cette Cour s'est exprimée ainsi :

 

...Ainsi, une jurisprudence constante a affirmé la règle qu'une dissolution de société, pour être effective vis-à-vis les tiers, doit être constatée par une déclaration dûment enregistrée et signée par tous les membres de la société. On entend par tiers tous ceux qui sont étrangers au contrat de société.

 

[...]

 

            À mon avis, la preuve n'aide pas la prétention des appelants à l'effet qu'ils n'ont pas voulu constituer une société. Compte tenu de l'existence de la déclaration de société, ils avaient le fardeau de démontrer qu'une telle convention de société n'a jamais existé dans les faits. Or, dans la première année d'exploitation de l'entreprise, Marcel Lasalle a indiqué dans sa déclaration de revenus qu'il était un associé dans Marcel & Fils Enrg. Il a déduit 70 % de la perte dans cette année. Il est vrai que les appelants n'ont fait aucune mention dans leurs déclarations de revenus de leur participation dans la société. Toutefois, ils ont reconnu avoir signé de consentement la déclaration (A-1). Ils ont aussi accepté de signer un document dans lequel ils déclarent posséder 25 % des parts dans Marcel & Fils Enrg. Il se peut qu'ils n'aient pas compris les conséquences réelles de la convention de société mais à mon avis ils n'ont pas su démontrer qu'ils n'ont jamais eu l'intention de s'associer avec leur père. De plus, il se peut aussi que le père ait décidé d'opérer seul en affaires avec le consentement de ses fils par la suite. Dans ce cas, ils devaient enregistrer une nouvelle déclaration à cet effet. Ne l'ayant pas fait, ils doivent vivre avec les conséquences de leurs actes. Quant au partage des profits, ils les ont retiré sous forme de salaires. Pour ce qui est de leurs apports dans la société, ces apports ne doivent pas prendre nécessairement la forme de contributions monétaires.

 

            Pour toutes ces raisons, je conclus que les appelants ont travaillé pour une société dont ils étaient les associés au cours des périodes en litige. Or, un associé ne peut en droit être un employé de, ou engagé en vertu d'un contrat de louage de services avec la société dont il est en même temps un associé.

 

[23]    Dans la cause Parent c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 83, le juge Archambault de cette Cour s'est exprimé ainsi :

 

...En d'autres mots, un contrat de travail peut-il exister entre un associé et sa société? Le Code civil du Québec définit un contrat de travail de la façon suivante :

 

ART. 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

...À mon avis, le montant de 500 $ que monsieur Parent recevait constituait une avance non remboursable des bénéfices que pouvait réaliser Société DN.

 

...La société de personnes n'est pas considérée comme possédant une personnalité distincte de celle de ses associés, contrairement aux sociétés par actions. L'entreprise de la société de personnes est celle des associés. Les actifs de la société appartiennent aux associés. C'est donc pour lui-même que monsieur François Parent travaillait. Le travail qu'il a fait n'était donc pas accompli sous la direction ou le contrôle d'une autre personne tel que l'exige l'article 2085 du C.c.Q. Par conséquent, il n'existait pas de contrat de travail entre monsieur Parent et Société DN.

 

[24]    Dans les causes sous étude, l'appelant et le travailleur ont signé une déclaration de société en 1999. Cette société a existé jusqu'au 31 octobre 2001, date de la radiation de celle-ci; donc la société existait pendant la période en cause. Bien que René Marion a déclaré qu'il était le patron et que Patrick était son employé, la société existait vis-à-vis les tiers.

 

[25]    La jurisprudence a établi que les associés ne peuvent avoir une identité distincte de leur société. Patrick Marion, le travailleur, étant associé de la société pour laquelle il oeuvrait, ne peut être employé de sa propre entreprise.

 

[26]    Pour ces motifs, les appels sont rejetés et la décision du Ministre est confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2003.

 

 

 

 

« J.F. Somers »

Juge suppléant Somers

 

Jurisprudence consultée

 

L'Espérance (Conrad l'Espérance et Fils Enr.) c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2001] A.C.I. no 115;

Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553;

Marchand c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.I. no 781;

Brady-Charette c. M.R.N., [1990] A.C.I. No 1106;

Carpentier c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.I. no 502;

Martin c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.I. no 334.

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI456

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4777(EI) et 2002-4778(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Patrick Marion et M.R.N.

René Marion s/n Policam P.R.M. Enr. et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 22 avril 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable J.F. Somers,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 8 juillet 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour les appelants :

Me Martin Rondeau

 

Pour l'intimé :

Me Julie David

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour les appelants :

 

Nom :

Me Martin Rondeau

 

Étude :

Pouliot & Rondeau

Joliette (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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