Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

Dossier : 2002‑3444(EI)

ENTRE :

KHUSHPRIT S. MALOKA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

 

Appel entendu le 28 mai 2003 à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelant :

Inaam Gul Minhas

 

Avocat de l’intimé :

MTony Chambers

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et à l’encontre de la décision du ministre relativement à l’appel présenté devant lui en vertu de l’article 91 de la Loi est modifiée au motif que Thageel Alshammari n’occupait pas un emploi assurable lorsqu’il travaillait pour l’appelant pendant la période allant du 9 septembre 1997 au 18 mai 2001.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2003.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22jour de mars 2004.

 

 

 

 

Louise‑Marie LeBlanc, traductrice

 

 


 

 

 

 

Référence : 2003CCI429

Date : 20030619

Dossier : 2002‑3444(EI)

ENTRE :

KHUSHPRIT S. MALOKA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre, C.C.I.

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle, pendant la période allant du 9 septembre 1997 au 18 mai 2001, Thageel Alshammari (le « travailleur ») occupait un emploi assurable lorsqu’il travaillait pour l’appelant au sens de l’alinéa 6e) du Règlement sur l’assurance‑emploi (le « Règlement sur l’a.‑e. »). Lorsqu’il a pris sa décision, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait établies au paragraphe 4 de la Réponse à l’avis d’appel rédigé en ces termes :  

 

          [traduction]

 

a)         l’appelant exploite un service de taxi et possède un permis pour la région d’Ottawa; (admise)

 

b)         l’appelant conduit un taxi pour Blue Line Co. Limited; (admise)

 

c)         l’appelant versait 436 $ par mois à Blue Line Co. Limited pour ses services de répartition, le droit d’utiliser l’enseigne de Blue Line et d’autres services; (admise)

 

d)         l’appelant était responsable de l’entretien de la voiture et des assurances; (admise)

 

e)         le travailleur était un chauffeur de taxi; (admise)

 

f)          le travailleur versait 300 $ par semaine à l’appelant pour la location du taxi; (admise)

 

g)         le travailleur n’était pas propriétaire de plus de 50 p. 100 du véhicule; (admise)

 

h)         le travailleur n’était pas l’exploitant ou le propriétaire de l’entreprise; (niée)

 

[2]     La preuve montre que l’appelant possédait un véhicule muni d’une enseigne de taxi, d’un compteur et d’une radio équipée d’un lecteur CD. L’appelant paie Blue Line Co. Limited pour ses services de répartition et le droit d’utiliser l’enseigne de Blue Line et pour d’autres services. Pendant la période en litige, il louait le taxi, y compris tous les services de Blue Line, au travailleur qui possédait un permis de conduire de taxi. Blue Line avait fait passer un examen au travailleur afin de savoir s’il pouvait conduire le taxi de l’appelant sous le nom de Blue Line. Si je comprends bien, le travailleur ne pouvait pas laisser quelqu’un d’autre conduire le taxi sans l’approbation de Blue Line et de la compagnie d’assurances.

 

[3]     L’appelant et le travailleur se partageaient le taxi et faisait un quart de 12 heures chaque jour. Pendant leur quart respectif, chacun travaillait pour soi. Chacun chargeait à ses propres clients la taxe sur les produits et services (« TPS ») et effectuait individuellement les versements au gouvernement. Le véhicule était assuré par l’appelant et le travailleur était couvert par la police d’assurance de l’appelant. Toutefois, si le travailleur avait été impliqué dans un accident d’automobile et que la prime d’assurance avait augmenté en conséquence, le travailleur aurait été responsable des frais supplémentaires ainsi que de la franchise. De plus, le travailleur payait pour l’essence, le lavage de la voiture, le nettoyant à pare‑brise et tout autre article lié qu taxi pendant son quart de douze heures. De plus, si le véhicule était endommagé par un client pendant le quart du travailleur, ce dernier était responsable d’obtenir du client fautif la contravention établie par le règlement municipal pertinent et de payer les coûts supplémentaires des réparations effectuées sur la voiture. L’appelant et le travailleur étaient couverts par une convention collective avec Blue Line qui recueillait les cotisations syndicales de l’appelant qui à son tour chargeait au travailleur sa part des cotisations.

 

[4]     Si un client présentait une plainte à Blue Line, cette dernière communiquait directement avec soit l’appelant, soit le travailleur, selon celui qui avait eu un contact direct avec le client. 

 

[5]     En ce qui concerne les quarts de travail, le travailleur et l’appelant avaient pris une entente entre eux sans en informer Blue Line. De plus, chacun d’eux était libre de travailler le nombre d’heures qu’il désirait pendant son quart. Le travailleur ne rendait de compte à personne et recueillait son argent directement des clients. Il pouvait également travailler à n’importe quelle station de taxi de la Ville d’Ottawa ou utiliser le véhicule pour ses affaires personnelles pendant son quart de travail. Le code vestimentaire était établi par un règlement municipal, et chaque chauffeur de taxi était personnellement responsable de s’y conformer.

 

[6]     La question en litige consiste à savoir si, pendant la période pertinente, le travailleur occupait un emploi assurable au sens de l’alinéa 6e) du Règlement sur l’a.‑e. qui est ainsi formulé :

 

           6. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

             [...]

 

e) l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi, d'autobus commercial, d'autobus scolaire ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou publique pour le transport de passagers, si cette personne n'est pas le propriétaire de plus de 50 pour cent du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou l'exploitant de l'entreprise publique;

 

[7]      Il est clair dans la présente affaire que le travailleur n’était pas le propriétaire du véhicule qu’il utilisait pour transporter des passagers. La question en litige est donc de savoir s’il était le propriétaire ou l’exploitant de l’entreprise qui utilisait le véhicule loué de l’appelant pour transporter des passagers.

 

[8]      En appliquant le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Limited c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] A.C.S. no 61 (Q.L.), il est clair à mon avis que le travailleur était le propriétaire de sa propre entreprise. Ce critère est résumé aux paragraphes 47 et 48 de l’arrêt Sagaz qui sont rédigés en ces termes :

 

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant […] [l]a question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches. 

 

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

 

[9]      Même si Blue Line exerçait un certain degré de contrôle sur le travailleur par l’entremise de l’appelant (par exemple, le travailleur devait passer un examen avant qu’on ne lui permette de conduire le taxi de l’appelant sous le nom de Blue Line et que le travailleur ne pouvait pas laisser quelqu’un d’autre conduire le taxi à titre de chauffeur de taxi sans l’approbation de Blue Line), ce contrôle était très limité. Pendant son quart de travail, seul le travailleur était responsable de se conformer aux règlements municipaux pertinents et il pouvait perdre son permis s’il ne le faisait pas. Il prenait des clients quand il le désirait pendant son quart de travail. Il payait des frais de location hebdomadaires à l’appelant pour l’utilisation du taxi et tous les services offerts par Blue Line. Bien qu’il ne payait pas directement d’assurance pour la voiture, il semble évident que cette somme était incluse dans les frais de location, et le travailleur devait payer tous les frais d’assurance supplémentaires liés à un accident survenu pendant son quart de travail.

 

[10]     Tenant compte de l’importance relative de chacun des facteurs auxquels la Cour suprême du Canada faisait référence dans l’arrêt Sagaz, je conclus que le travailleur était engagé dans les affaires pour son propre compte.

 

[11]     Toutefois, dans l’affaire Martin Service Station c. M.N.R., [1977] 2 R.C.S. 996, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si la modification des dispositions de l’ancienne Loi sur l’assurance‑chômage de 1955 (la « Loi sur l’a.‑c. de 1955 »), par lesquelles on autorisait la Commission de l’assurance‑chômage à prendre des règlements visant à inclure, dans l’emploi assurable, le travail indépendant ou l’emploi établi sans contrat de louage de services, dépassait les pouvoirs accordés au Parlement du Canada. La disposition contestée était l’article 64B du Règlement sur l’assurance‑chômage, laquelle a été adoptée en vertu de l’alinéa 26(1)d) de la Loi sur l’a.‑c. de 1955.

 

[12]     L’article 64B) du Règlement était en partie ainsi formulé :

 

64B. (1) Sauf les emplois exceptés, doit être classé parmi les emplois assurables l'emploi de toute personne qui

 

a)    est employée en qualité de conducteur de taxi, d'autobus commercial ou d'autobus d'écoliers ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou un établissement public pour le transport de personnes, et b) n'est pas le propriétaire du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou de l'établissement public qui utilise le véhicule pour le transport des personnes,

 

peu importe que cette personne travaille à son compte ou autrement qu'en vertu d'un contrat de service.

 

[13]     Lorsqu’il a abordé cette question constitutionnelle, le juge Beetz s’est exprimé en ces termes aux pages 1004 et 1005 :

 

[…] Cependant, même en écartant toute intention de se soustraire aux lois, si les conditions qui prévalent sont telles que ceux qui sont embauchés par contrat pour exécuter un travail donné sont réduits au chômage, il est de plus probable que ces mêmes conditions privent de travail ceux qui accomplissent le même genre de tâche, mais à leur compte. C'est principalement dans le but de protéger ces derniers du risque de manquer de travail et d'être contraints à l'inactivité que la portée de la législation a été élargie. Qu'ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d'un contrat de service, les conducteurs de taxi et d'autobus par exemple sont exposes au risque de manquer de travail. À mon avis, c'est là un risque assurable, du moins dans le cadre d'une assurance publique obligatoire qui n'a pas été conçue pour être appliquée selon de rigoureux principes actuariels, pourvu qu'elle respecte en gros la nature d'un système d'assurance, y compris la protection contre le risque et un régime de cotisations.

 

[14]     Se fondant sur l’arrêt Martin Service Station, la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Attorney General) v. Skyline Cabs (1982) Ltd., [1986] F.C.J. No. 335 (Q.L.), a considéré qu’il était maintenant de droit que le terme « emploi » de l’alinéa 12e) (maintenant l’alinéa 6e) du Règlement sur l’a.‑e., adopté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi) du Règlement sur l’assurance‑chômage, adopté en vertu de la Loi sur l’assurance‑chômage de 1971 et qui remplace l’ancien article 64B du Règlement, soit interprété dans le sens large d’une « activité » ou d’une « occupation » plutôt que dans son sens restreint de contrat de louage de services.

 

[15]     Ces commentaires ont amené le juge d’appel Malone à faire les commentaires ainsi formulés dans ses motifs dissidents aux paragraphes 76 et 79 de la décision Yellow Cab Co. c. Canada, [2002] A.C.F. no 1062 (Q.L.) :

 

¶76 […] Comme l'a fait remarquer notre Cour dans l'arrêt Canada (P.G.) c. Skyline Cabs (1986), 70 N.R. 210, ce qui constitue aujourd'hui l'alinéa 6e) a pour objet d'étendre le sens ordinaire du terme « emploi ». L'alinéa 6e), et les autres dispositions de l'article 6 qui présument que certaines professions sont des emplois assurables ont pour objet d'étendre les avantages de l'assurance‑emploi aux personnes qui, selon une analyse plus conventionnelle, ne relèveraient pas de la définition du terme emploi. Pour cette raison, les coiffeuses, les chauffeurs de taxi, les apprentis et les personnes liées à contrat à une agence d'emploi, notamment, exercent des emplois assurables même si d'après une analyse plus traditionnelle des notions d'employé/entrepreneur indépendant, on les qualifierait le plus souvent d'entrepreneurs indépendants. Il convient de noter que les facteurs de common law, savoir ceux énoncés dans l'arrêt Sagaz, précité, sont utilisés dans les situations où une disposition portant présomption comme l'alinéa 6e) n'est pas applicable.

[…]

¶79      Compte tenu de ce contexte, j'estime que l'application des facteurs énoncés dans l'arrêt Sagaz n'est pas appropriée. Une telle application à la définition de « exploitant d'une entreprise » aurait pour effet de neutraliser l'alinéa 6e), de manière à refuser de verser des prestations aux chauffeurs de taxi qui ressemblent à des entrepreneurs indépendants, la situation même que l'alinéa 6e) était destiné à corriger.

 

 

[16]     D’un autre côté, le juge d’appel Sexton, s’exprimant pour la majorité dans la décision Yellow Cab Co., a analysé les commentaires du juge Beetz dans l’arrêt Martin Service Station, précité, de la façon suivante :

 

¶38 Le juge Beetz a indiqué que même des personnes ayant été jugées ne pas être liées par un contrat de louage de services peuvent être réputées exercer un emploi assurable. Toutefois, il faut se rappeler que cette déclaration visait l'argument selon lequel il était ultra vires du Parlement d'adopter une telle loi. Cet arrêt statue qu'il est intra vires du Parlement d'adopter une loi autorisant la Commission, en application de l'alinéa 5(4)c), à assimiler les personnes n'exerçant pas un emploi résultant d'un contrat de louage de services à des personnes exerçant un emploi assurable. C'est ce que fait exactement l'alinéa 6e) du Règlement, assimilant certains chauffeurs de taxi à des personnes exerçant un emploi assurable.

 

¶39 Cela ne veut pas dire, comme le prétend l'intimé, que l'alinéa 6e) [TRADUCTION] « a été édicté pour inclure dans les emplois assurables les services de chauffeurs de taxi exerçant leur activité en tant qu'entrepreneurs indépendants », ni que la Commission a assimilé tous les chauffeurs de taxi à des personnes exerçant un emploi assurable. Au contraire, il exclut expressément l'assimilation des chauffeurs de taxi qui possèdent ou exploitent leur propre entreprise à des personnes exerçant un emploi assurable. [Je souligne.]

 

¶40 Bien qu'il soit vrai que dans l'arrêt Martin la Cour suprême a favorisé une interprétation libérale de la Loi, cet arrêt est d'application limitée en l'espèce parce qu'il traitait de chauffeurs de taxi ordinaires, et non de personnes se trouvant dans la situation des exploitants à contrat ou des propriétaires exploitants et la question de savoir qui était l'exploitant de l'entreprise n'a pas été soulevée dans l'affaire Martin. Cet arrêt statue simplement que l'alinéa 6e) est constitutionnellement valide, bien qu'il puisse s'appliquer à des chauffeurs de taxi n'exerçant pas un emploi résultant d'un contrat de louage de services. Cependant, comme je l'ai mentionné ci‑dessus, cela ne veut pas dire que l'alinéa 6e) transforme en employés les chauffeurs de taxi qui possèdent ou exploitent leur propre entreprise. Au contraire, il exclut expressément de telles personnes. [Je souligne.]

 

¶41 D'après les faits dont nous sommes saisis, Matharu et les exploitants à contrat sont les propriétaires ou les exploitants de l'entreprise. Manifestement, la Commission pouvait, en application de l'alinéa 5(4)c) de la Loi, prendre des règlements assimilant ces personnes à des employés. Toutefois, en application de l'alinéa 6e) du Règlement, il est également manifeste que la Commission a choisi de ne pas agir en ce sens en indiquant que les chauffeurs de taxi qui sont exploitants de l'entreprise ne seront pas assimilés à des personnes exerçant un « emploi assurable ». [Je souligne.]

 

¶42 Dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, le juge Wilson a déclaré, à la page 10, que « [p]uisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale... » Plus tard, dans l'arrêt Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, la majorité de la Cour suprême du Canada a adopté ce point de vue, faisant remarquer, au paragraphe 37, qu'« [i]l ne fait pas de doute que les lois en matière d'assurance‑chômage adoptées en Angleterre, puis au Canada, visaient un objectif social », et ce qui suit, au paragraphe 40 :

 

Au fil des ans, l'objectif premier de la loi originale est demeuré inchangé. Les nombreuses modifications qui y ont été apportées étaient destinées à assouplir les conditions d'admissibilité et à augmenter les prestations et les cotisations afin d'éliminer les injustices. Elles visaient en outre à favoriser la création d'emplois et à coordonner les autres programmes d'aide sociale. Le changement, s'il en est, réside plutôt dans le fait qu'on soit passé de l'objectif principal de protection à l'objectif du marché du travail.

 

¶43 Les arrêts précités montrent clairement que l'intention du Parlement était de protéger les sans‑emploi et que la Loi doit recevoir une interprétation libérale. Toutefois, aucun de ces arrêts ne modifie la conclusion que je viens de tirer. Le fait de conclure que la Loi doit recevoir une interprétation libérale ne peut servir à contredire le sens ordinaire de l'alinéa 6e). [Je souligne.]

 

[17]     Dans la décision Skyline Cabs, précitée, Skyline possédait un agrément de courtier de taxis et louait ses véhicules aux chauffeurs à un taux comprenant l’accès au service de répartition. La Cour d’appel fédérale a conclu que même si les chauffeurs louaient des véhicules de Skyline sans avoir conclu de contrat de louage de services, ils occupaient néanmoins un emploi assurable. Selon le juge MacGuigan, les faits liés à cette affaire permettaient d’établir un degré suffisant de participation de la part de Skyline au transport des passagers par taxi pour être visé par l’ancien alinéa 12e) du Règlement sur l’assurance‑chômage (maintenant l’alinéa 6e) du Règlement sur l’a.‑e.). Les paroles du juge MacGuigan sont ainsi formulées à la page 5 : 

 

          Je suis d'avis que l'ensemble de ces faits établit irréfutablement un degré suffisant de participation de l'intimée au transport de passagers par taxi même s'il n'établit pas nécessairement l'existence d'un contrat de louage de services entre celle-ci et les chauffeurs. Si une participation aussi importante de l'intimée au transport de passagers ne suffisait pas à établir que celle-ci utilise des taxis dans le cadre de son entreprise, il me semble que l'objectif visé par la Loi, c'est‑à‑dire la protection des chauffeurs de taxi contre le « risque de manquer de travail et d'être contraints à l'inactivité », selon les termes employés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Martin, précitée, ne serait pas réalisé.

 

[18]     Il faut souligner que dans la décision Yellow Cab, précitée, le juge d’appel Sexton a minimisé l’importance de la décision dans l’affaire Skyline Cabs puisque selon lui, le juge MacGuigan a mis l’accent sur le facteur de contrôle alors que dans le cadre d’une analyse plus récente dans l’arrêt Sagaz, la Cour suprême du Canada a fourni d’autres facteurs utilisés pour décrire les « exploitants indépendants ». Le juge d’appel Sexton poursuit en ces termes au paragraphe 49 de la décision Yellow Cab : 

 

[…] Comme nous l'avons déjà noté, la question centrale est de savoir « si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » (Sagaz) et la réponse à cette question dépend de la « relation globale des parties » (Wiebe).

 

[19]     De toute façon, dans la décision Skyline Cabs, le juge MacGuigan indiquait que si Skyline avait seulement été propriétaire des voitures munies de l’équipement nécessaire pour être utilisées comme taxi et qui étaient offertes en location aux chauffeurs de taxi autorisés pour un taux de location fixe, il n’aurait pas considéré que les taxis étaient utilisés par Skyline pour le transport de passagers comme l’impose l’ancien alinéa 12e) du Règlement sur l’assurance‑chômage (maintenant l’alinéa 6e) du Règlement sur l’assurance‑emploi). Skyline détenait l’agrément de courtier de taxis, et le taux de location qu’elle chargeait aux chauffeurs comprenait l’accès au service de répartition. Skyline imposait un code vestimentaire à ses chauffeurs. On obligeait les chauffeurs à nettoyer les voitures au moyen d’un système d’avis codé qui pouvait signifier le retrait du service de répartition par radio et même la reprise de possession du véhicule. Skyline exigeait également de ses chauffeurs qu’ils acceptent les paiements effectués par carte de crédit valide ou les bordereaux d’achat à crédit approuvés et payait les chauffeurs après avoir déduit les frais de service.

 

[20]     Dans l’affaire qui nous occupe, à l’exception du service de répartition qui était compris dans le taux de location, on ne trouve aucun des autres faits susmentionnés liés à l’affaire Skyline Cabs, non plus on n’a pas montré qu’ils étaient présents dans la relation actuelle entre l’appelant et le travailleur.

 

[21]     En fait, je conclus que la situation dans la présente affaire est très différente de celle de l’affaire Skyline Cabs ou même de l’affaire Mangat c. Canada, [1997] A.C.I. no 1247 (Q.L), décision confirmée par [2000] A.C.F. no 1464 (C.A.F.) (Q.L.) à laquelle a fait référence l’avocat de l’intimé. Dans la dernière affaire, on a conclu que Mangat exploitait une entreprise, étant propriétaire et s’occupant de l’entretien de taxis, qu’il louait à des chauffeurs à un taux qui comprenait les services de répartition. La principale question soulevée par la Cour d’appel dans cette affaire était de savoir si Mangat, à titre de propriétaire de taxis, embauchait les personnes à titre de chauffeur ou si c’était l’entreprise de répartition qui remplissait ce rôle. Il n’y était pas question de l’assurabilité des chauffeurs de taxi et Mangat n’était pas un chauffeur de taxi.

 

[22]     Dans l’affaire qui nous occupe, je ne conclus pas que l’appelant exploitait une entreprise, étant propriétaire de taxis loués à des chauffeurs pour le transport de passagers. L’appelant ne possède qu’un seul taxi qu’il utilise pour transporter des passagers sous l’enseigne de Blue Line afin de gagner sa vie. Il a pris une entente avec un autre chauffeur de taxi, le travailleur, pour partager le taxi pour une période quotidienne égale. Bien que le travailleur ne soit pas propriétaire du taxi, il le louait et était responsable de tous les risques qui y étaient liés, et il menait sa propre entreprise de transport de passagers pendant son quart de travail. Il n’avait de compte à rendre à personne, Blue Line traitait directement avec le travailleur en cas de problèmes graves survenus pendant son quart de travail. Le travailleur était responsable de tous les risques financiers liés au transport de passagers pendant son quart de travail, et il était lui-même dans une situation où il pouvait tirer un profit ou subir une perte relativement à l’exploitation de son entreprise de taxi.

 

[23]     Comme l’a déclaré le juge d’appel Sexton dans la décision Yellow Cab, précitée, l’alinéa 6e) du Règlement sur l’a.‑e. exclut expressément de la définition d’un emploi assurable les chauffeurs de taxi qui exploitent leur propre entreprise. À mon avis, le travailleur exploitait autant sa propre entreprise de transport de passagers que l’appelant. Je ne crois pas qu’on puisse dire que le travailleur occupait un emploi au sein de l’entreprise de l’appelant seulement parce que l’appelant avait pris la décision de partager le coût d’exploitation de son taxi avec le travailleur. Selon moi, chacun utilisait de façon indépendante le même taxi pour sa propre entreprise de transport de passagers. Par conséquent, je conclus que l’alinéa 6e) du Règlement sur l’a.-e. ne s’applique pas dans l’affaire en l’espèce pour décider si le travailleur occupait un emploi assurable auprès de l’appelant.

 

[24]     Par conséquent, l’appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée parce que le travailleur n’occupait pas un emploi assurable auprès de l’appelant pendant la période allant du 9 septembre 1997 au 18 mai 2001.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19jour de juin 2003.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22jour de mars 2004.

 

 

 

 

 

Louise‑Marie LeBlanc, traductrice

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.