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Dossier: 2002‑1522(EI)

ENTRE :

MERIT TRANSPORT INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Merit Transport Inc. 2002‑1523(CPP) le 24 février 2003 à Edmonton (Alberta),

 

Devant : L’honorable juge suppléant M. H. Porter

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelante :

Randy Jones

 

Avocate de l’intimé :

Me Dawn Taylor

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 30e jour de juin 2003.

 

 

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de janvier 2004.

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 

 

 

 

 

 

Dossier: 2002‑1523(CPP)

ENTRE :

MERIT TRANSPORT INC.,

appelante,

Et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Merit Transport Inc. 2002‑1522(EI) le 24 février 2003 à Edmonton (Alberta),

 

Devant : L’honorable juge suppléant M. H. Porter

 

Comparutions

 

Représentant de l’appelante :

Randy Jones

 

Avocate de l’intimé :

Mme Dawn Taylor

_____________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

 

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 30e jour de juin 2003.

 

 

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 

 

 

 

 


 

 

Référence: 2003CCI415

Date: 20030630  

Dossiers: 2002‑1522(EI)

2002‑1523(CPP)

ENTRE :

MERIT TRANSPORT INC.,

appelante,

                                                           et    

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

 

[1]     Les présents appels ont été entendus sur preuve commune sur consentement des parties à Edmonton, en Alberta, le 24 février 2003.

 

[2]     L’appelante a interjeté appel à l’encontre des décisions qu’a rendues le ministre du Revenu national (ci‑après appelé le « ministre ») datées du 17 janvier 2002 selon lesquelles l’emploi qu’exerçait Lavern Langerud (le « travailleur ») auprès de l’appelante, pendant la période du 5 au 14 avril 2001, était un emploi assurable et ouvrant droit à pension aux termes de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi sur l’a.‑e. ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») respectivement pour le motif suivant :

 

[traduction]

 

[...] Lavern Langerud était engagé en vertu d’un contrat de louage de services et, par conséquent, il était un employé.

 

On a indiqué que ces décisions avaient été rendues en vertu du paragraphe 27.2(3) du RPC et du paragraphe 93(3) de la Loi sur l’a.‑e. respectivement et qu’elles étaient fondées sur le paragraphe 6(1) du RPC et sur l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’a.‑e.

 

[3]     Les faits établis révèlent que l’appelante, pendant la période en question, exploitait une entreprise de transport de marchandises à partir de High River, en Alberta, vers divers emplacements aux É.‑U., et à partir des É.‑U. vers divers emplacements au Canada. Le travailleur a été engagé pour conduire l’un de ses camions, conformément à une entente verbale. Le ministre a conclu que le travailleur avait accompli ce travail en tant qu’employé engagé en vertu d’un contrat de louage de services. Pour sa part, l’appelante soutient que le travailleur était un entrepreneur indépendant engagé en vertu d’un contrat d’entreprise. Voilà donc la question en litige que la présente Cour est appelée à trancher.  

 

Le droit

Contrat de louage de services et contrat d’entreprise

 

[4]     Les propos qu’a tenus le juge MacGuigan de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025) servent depuis longtemps de fondement lorsqu’il s’agit de déterminer la façon dont doit procéder la Cour pour décider si des modalités de travail particulières constituent un contrat de louage de services donnant lieu, par conséquent, à une relation employeur‑employé ou un contrat d’entreprise donnant lieu, par conséquent, à une relation d’entrepreneur indépendant. Par la suite, dans d’autres décisions, la Cour s’est étendue davantage sur le sujet et a expliqué plus en détail le raisonnement suivi dans cette affaire, notamment dans l’arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F. n° A‑531‑87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099), Charbonneau c. Canada (M.R.N.), [1996] A.C.F. n° 1337, et Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, C.A.F. n° A‑376‑98, 11 mai 1999 ((1999) 249 N.R. 1), qui tous ont fourni, aux cours de premières instances, des lignes directrices utiles lorsqu’il s’agit de rendre une décision dans des affaires semblables.

 

[5]     La Cour suprême du Canada a de nouveau examiné la question dans l’affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] A.C.S. no 61 ([2001] SCC 59, 274 N.R. 366). La question en litige dans cette décision a été analysée dans le contexte de la responsabilité du fait d’autrui. Cependant, la Cour a reconnu que les mêmes critères s’appliquaient dans de nombreuses autres circonstances, notamment en matière de dispositions législatives sur l’emploi. Le juge Major, parlant au nom de la Cour, a approuvé l’approche qu’a adoptée le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door (précité), lorsque ce dernier a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères sur lesquels on doit s’appuyer pour rendre une telle décision, critères qui sont énoncés par lord Wright dans l’affaire City of Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161 aux pages 169 et 170. Le juge MacGuigan a conclu à la page 560 (DTC : à la page 5028) ceci :

 

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à « examiner l’ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties ». Quand il s’est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l’affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d’interpréter l’ensemble de la transaction.

 

À la page 562 (DTC : à la page 5029), il a déclaré :

 

 

[...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l’ont interprétée, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu’il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci‑dessus « l’ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations », et ce, même si je reconnais l’utilité des quatre critères subordonnés. (Non souligné dans l’original)

 

À la page 563 (DTC : à la page 5030), il a poursuivi :

 

 

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles. […]

 

 

Il a aussi observé :

 

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l’obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, […]

 

[6]     Le juge MacGuigan a aussi dit ce qui suit :

 

C’est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

 

[traduction] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États‑Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui‑ci : « La personne qui s’est engagée à accomplir ces tâches les accomplit‑elle en tant que personne dans les affaires à son compte ». Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s’agit d’un contrat d’entreprise. Si la réponse est négative, alors il s’agit d’un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n’a été dressée, peut‑être n’est‑il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l’importance relative qu’il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il faudra toujours tenir compte du contrôle même s’il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses aides, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu’à quel point il peut tirer profit d’une gestion saine dans l’accomplissement de sa tâche. L’utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s’engage à rendre le service le fait dans le cadre d’une affaire déjà établie; mais ce facteur n’est pas déterminant. Une personne qui s’engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n’a pas conclu de contrat dans le cadre d’une entreprise qu’elle dirige actuellement.

 

[7]     Dans l’affaire Kinsmen Flying Fins Inc., susmentionnée, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit :

 

 

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l’entreprise de la requérante. C’est maintenant l’approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle‑ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l’ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

 

[8]     Essentiellement, les critères qu’a mentionnés la Cour peuvent se résumer ainsi :

 

a) le degré ou l’absence de contrôle de la part du prétendu employeur;

          b) la propriété des instruments de travail;

          c) les chances de bénéfice;

          d) les risques de perte.

 

En outre, la Cour doit considérer la question de l’intégration, le cas échéant, du travail du prétendu employé dans l’entreprise du prétendu employeur.

 

[9]     Dans l’arrêt Sagaz (précité), le juge Major a affirmé ceci :

 

[…] le contrôle n’est toutefois pas le seul facteur à considérer pour décider si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. [...]

 

[10]    Il a traité également du caractère inadéquat que revêt le critère relatif au « degré de contrôle » en approuvant de nouveau les propos du juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door (précité). Ainsi : 

 

[] Ce critère a le grave inconvénient de paraître assujetti aux termes exacts du contrat définissant les modalités du travail : si le contrat contient des instructions et des stipulations détaillées, comme c’est chose courante dans les contrats passés avec un entrepreneur indépendant, le contrôle ainsi exercé peut être encore plus rigoureux que s’il résultait d’instructions données au cours du travail, comme c’est l’habitude dans les contrats avec un préposé, mais une application littérale du critère pourrait laisser croire qu’en fait, le contrôle exercé est moins strict. En outre, le critère s’est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.

 

[11]    Puis il a ajouté :

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l’arrêt Stevenson Jordan, précité, qu’il peut être impossible d’établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [traduction] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d’apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l’opinion du juge MacGuigan lorsqu’il affirme ‑‑ en citant Atiyah, op. cit., p. 38, dans l’arrêt Wiebe Door, p. 563 ‑‑ qu’il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

[traduction] [N]ous doutons fortement qu’il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d’identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d’étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s’appliquent pas dans tous les cas et n’ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n’est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[12]    Je m’appuie également sur les propos du juge d’appel Décary dans l’affaire Charbonneau (précitée) lorsque, parlant au nom de la Cour d’appel fédérale, il a déclaré :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d’une formule magique. Ce sont des points de repère qu’il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l’objectif ultime de l’exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu’il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l’existence d’un véritable contrat, c’est s’il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu’il s’agisse d’un contrat de travail [...] ou s’il n’y a pas [...] un degré d’autonomie tel qu’il s'agisse d’un contrat d’entreprise ou de service [...] En d’autres termes, il ne faut pas, et l’image est particulièrement appropriée en l’espèce, examiner les arbres de si près qu’on perde de vue la forêt. Les parties doivent s’effacer devant le tout. [...] (Non souligné dans l’original.)

 

[13]    Je fais également référence aux propos du juge d’appel Létourneau dans l’affaire Vulcain Alarme (précitée), lorsqu’il a déclaré :

 

[...] Ces critères jurisprudentiels sont importants mais, faut‑il le rappeler, ils ne sauraient compromettre le but ultime de l’exercice, soit d’établir globalement la relation entre les parties [...] Cet exercice consiste à déterminer s’il existe entre les parties un lien de subordination tel qu’il faille conclure à l’existence d’un contrat de travail au sens de l’article 2085 du Code civil du Québec ou s’il n’existe pas plutôt entre celles‑ci ce degré d’autonomie qui caractérise le contrat d’entreprise ou de service [...]

 

[14]    Je suis d’autant plus conscient que conséquemment aux décisions qu’a récemment rendues la Cour d’appel fédérale dans les affaires Wolf c. Canada, [2002] A.C.F. n° 375 et Precision Gutters Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] A.C.F. n° 771, il semble que l’on permette dorénavant un degré de latitude considérable lorsqu’il s’agit d’intervenir en matière de jurisprudence afin de permettre aux experts‑conseils d’être engagés de manière à ce qu’ils ne soient pas réputés être des employés, comme cela aurait pu être le cas auparavant. Je tiens particulièrement compte des propos du juge Décary dans la décision Wolf (précitée) lorsqu’il a déclaré :

 

De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l’embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n’est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l’on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d’emploi, le peu d’égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité. (Non souligné dans l’original.)

 

[15]    Il semble donc à la présente Cour que le pendule ait repris son mouvement de balancier de manière à permettre aux parties de diriger leurs affaires plus facilement relativement aux emplois d’expert‑conseil et de manière à ce qu’elles soient en mesure de se ranger elles‑mêmes dans la catégorie des entrepreneurs autonomes plutôt que dans la catégorie des employés engagés en vertu d’un contrat de louage de services, et ce, sans qu’interviennent la Cour et le ministre.

 

[16]    En conclusion, il n’existe aucune formule établie. Tous ces facteurs doivent être pris en compte et comme l’a indiqué le juge Major dans l’arrêt Sagaz (précité), le poids que l’on accordera à chacun de ces facteurs dépendra des circonstances et des faits particuliers de l’affaire en cause. De nombreux critères peuvent être tout à fait neutres et s’appliquer à ces deux situations. Dans pareil cas, on doit sérieusement tenir compte de l’intention des parties, tâche qui relève de la responsabilité du juge de première instance. 

 

Les faits

 

[17]    On a indiqué, dans les réponses aux avis d’appel signées en son nom, que le ministre s’était appuyé sur les hypothèses de fait suivantes (j’ai indiqué entre parenthèses celles qu’a admises ou niées l’appelante) :

         

          [traduction]

 

a)         l’appelante exploite une entreprise de transport de marchandises à partir de High Prairie, en Alberta, vers divers emplacements aux É.‑U. et à partir des É.‑U. vers divers emplacements au Canada; (niée, elle a fourni à l’entreprise Excel Transportation Inc. des camions et des chauffeurs (associés à l’entreprise de l’appelante)

 

b)         Randy Jones et Nancy Jones détiennent à parts égales les actions avec droit de vote de l’appelante; (admise)

 

c)         pendant la période en cause, l’appelante a conclu un contrat avec Excel Transportation Inc. (l’entreprise « Excel ») en vertu duquel l’appelante acceptait de fournir des services de camionnage à l’entreprise Excel, y compris des chauffeurs et l’équipement nécessaire au transport de marchandises; (admise, sous réserve que cette allégation soit précisée)

 

d)         l’appelante a engagé le travailleur pour conduire l’un de ses camions; (admise)

 

e)         le travailleur exécutait ses tâches, conformément à une entente verbale conclue avec l’appelante; (admise)

 

f)          en aucun temps le travailleur n’a conclu un contrat écrit avec l’appelante; (admise)

 

g)         pendant la période en question, le travailleur transportait des marchandises à partir de High Prairie, en Alberta, vers Fort Mill, en Caroline du Sud, puis se rendait jusqu’à Newport, au Tennessee, pour ramasser des marchandises qu’il transportait ensuite jusqu’à Calgary, en Alberta; (admise, sauf qu’il s’agissait de High River et non de High Prairie)

 

h)         l’appelante rémunérait le travailleur au taux de 0,33 $ le mille; (admise)

 

i)          le taux de rémunération que percevait le travailleur avait été établi par l’appelante; (niée, les deux parties ont négocié le taux de rémunération)

 

j)          l’appelante rémunérait le travailleur toutes les semaines par chèque; (niée, l’appelante rémunérait le travailleur une semaine après avoir perçu les coûts liés au service auprès de l’entreprise Excel)

 

k)         l’appelante exigeait que le travailleur lui soumette son journal de bord s’il voulait percevoir son salaire; (niée)

 

l)          le travailleur était tenu de respecter les politiques et les procédures de l’appelante et celles du client de l’appelante; (admise)

 

m)        l’appelante transmettait au travailleur des directives concernant la cueillette et la livraison des marchandises; (niée, c’est l’entreprise Excel qui transmettait ces directives)

 

n)         le travailleur n’exerçait aucun contrôle sur les chargements à transporter qu’on lui assignait; (niée)

 

o)         le travailleur n’était pas libre de refuser un trajet; (niée)

 

p)         l’appelante déterminait le parcours que devait suivre le travailleur; (niée)

 

q)         le travailleur était tenu de rendre compte à l’appelante tous les jours; (niée)

 

r)          l’appelante exigeait que le travailleur fournisse personnellement ses services; (niée)

 

s)         le travailleur n’avait aucun aide; (admise)

 

t)          si le travailleur n’était pas disponible pour effectuer un trajet, l’appelante était responsable de lui trouver un remplaçant; (admise)

 

u)         le travailleur ne pouvait fournir, ni n’a fourni de services à d’autres entreprises pendant qu’il travaillait pour le compte de l’appelante; (niée)

 

v)         le camion que conduisait le travailleur était fourni par l’appelante; (admise)

 

w)        en aucun temps une entente de location n’a été conclue entre l’appelante et le travailleur concernant l’utilisation du camion que conduisait ce dernier; (admise)

 

x)         l’appelante couvrait tous les frais d’exploitation relatifs au camion que conduisait le travailleur, y compris, entre autres choses, les coûts liés au permis, à l’assurance, à l’essence, au nettoyage, au changement d’huile, à l’entretien et aux réparations; (admise)

 

y)         l’appelante fournissait au travailleur une carte de crédit pour l’achat d’essence; (admise, cependant il s’agissait d’une carte de débit et non d’une carte de crédit)

 

z)         l’appelante fournissait au travailleur un téléphone cellulaire sans aucuns frais; (niée)

 

aa)       l’entreprise Excel payait l’appelante pour les services de camionnage que cette dernière lui fournissait; (admise)

 

bb)       le travailleur ne facturait, à l’appelante, aucune taxe sur les produits et services afférente au service qu’il lui fournissait. (admise)

 

[18]     Randolph W. Jones, détenteur de la moitié des actions de l’appelante et directeur de l’exploitation de l’entreprise, a témoigné au nom de l’appelante. Quant au travailleur, il a témoigné au nom de l’intimé.

 

[19]     M. Jones a déposé en preuve le contrat qu’ont conclu l’appelante et Excel Transportation Inc., la compagnie de transport. Conformément au contrat en question, l’appelante avait convenu de fournir la remorque ainsi que [traduction] « des chauffeurs et toute autre main‑d’œuvre nécessaire [] ». En vertu du contrat, l’entreprise Excel avait [traduction] « possession, garde et contrôle exclusif » de la remorque. L’appelante assumait la responsabilité de former les employés, ainsi que [traduction] « d’engager les chauffeurs, d’établir les taux de rémunération, les heures et les conditions de travail, de régler les griefs, ainsi que de superviser, de former, de discipliner et de mettre à pied tous les chauffeurs, les aides et les autres travailleurs ». Les chauffeurs étaient soit propriétaires de l’entreprise de l’appelante, soit des employés des propriétaires de l’appelante, et cette dernière devait garantir qu’ils étaient suffisamment qualifiés pour conduire le véhicule qui leur était assigné.

 

[20]     M. Jones a expliqué comment, à l’origine, il était devenu lui‑même un chauffeur contractuel et comment il avait finalement démarré sa propre entreprise qu’il avait constituée en personne morale en 1992. En 1999, il a obtenu le contrat avec l’entreprise Excel et a fait l’acquisition de deux autres camions. Il les louait à Excel. Il devait également fournir des chauffeurs qualifiés. Quant à l’entreprise Excel, elle fournissait les remorques et pouvait mettre à pied les chauffeurs. Ces derniers se présentaient au service de répartition des chargements que fournissait l’entreprise Excel et acceptaient les chargements qui leur étaient assignés. Ils pouvaient refuser un chargement, mais il leur était interdit d’utiliser le camion et de travailler pour le compte d’une autre entreprise. Ils s’organisaient pour obtenir les meilleurs trajets possibles. Certains d’entre eux étaient rémunérés selon un pourcentage des recettes que générait le trajet, tandis que d’autres l’étaient au millage. Le travailleur a négocié le taux de rémunération de 0,33 $ le mille. C’est aussi le taux que lui avait proposé M. Jones. Ainsi, si au lieu de 20 heures, il prenait 30 heures de route pour se rendre en Caroline du Sud, sa journée de travail n’était pas aussi rentable que ce qu’elle aurait dû être.

 

[21]     Après avoir entendu que M. Jones se cherchait un chauffeur, le travailleur a approché M. Jones pour obtenir du travail. Il a, par la suite, accepté un trajet à destination de la Caroline du Sud. Il voulait conduire un autre camion qui n’était pas disponible. M. Jones lui a donc promis qu’il conduirait le camion en question lors du prochain trajet. Cependant, il semble qu’une discussion concernant l’endroit où le camion serait éventuellement déposé après le retour ait dégénéré en une altercation entre les deux hommes. M. Jones a prélevé de façon arbitraire la somme de 300 $ du paiement qu’il devait verser au travailleur, et ce dernier a résilié le contrat.

 

[22]     M. Jones a indiqué que le travailleur pouvait engager quelqu’un d’autre pour le remplacer. Cependant, j’ai cru comprendre que cette personne aurait été considérée comme un remplaçant que l’entreprise Excel devait approuver et que l’appelante devait rémunérer, ce qui est tout à fait différent de la situation où le travailleur se trouve lui‑même un remplaçant et le rémunère de sa poche.

 

[23]     Manifestement, selon la preuve, l’appelante assumait tous les frais courants ainsi que les dépenses liées aux réparations et à l’entretien des véhicules. À cet égard, le travailleur n’avait aucune obligation. Cependant, il transportait avec lui son propre petit jeu d’outils à main.

 

[24]     En ce qui concerne le point k), le travailleur devait soumettre ses reçus de factures de chargement pour être payé. Il devait également tenir à jour un journal de bord en vue de satisfaire les exigences de l’entreprise Excel. 

 

[25]     En ce qui concerne les points m) à p) inclusivement, l’appelante a refusé que l’entreprise Excel exerce un contrôle quotidien sur le camion qu’elle louait. Quant au travailleur, il pouvait, dans une certaine mesure, agir à sa discrétion pour refuser des trajets qu’on lui assignait, mais selon ce que j’ai pu comprendre, s’il n’utilisait pas constamment le camion, il n’aurait pas conservé son emploi très longtemps. Il était également tenu de rendre compte à Excel tous les jours, ce qu’il faisait la plupart du temps à l’aide du système satellite dont était doté le camion. À mon avis, il ne pouvait pas se trouver lui‑même un remplaçant et, par conséquent, il devait fournir ses services personnellement (voir le point r)).

 

[26]     En ce qui concerne le point z), j’admets que l’appelante ne fournissait aucun téléphone cellulaire au travailleur.   

 

[27]     Il ne fait aucun doute que le chauffeur se considérait lui‑même comme un employé de l’appelante, bien qu’il soit possible que M. Jones lui ait mentionné qu’il serait responsable de prélever lui‑même les déductions obligatoires.  

 

[28]     Ce sont là les faits saillants, tels que je les constate.

 

Appréciation de la preuve au regard du droit

 

[29]     Titre : Il est important de bien comprendre que, même si les parties choisissent de donner un titre à leur relation, si la véritable nature et l’essence de l’arrangement ne correspondent pas au titre qu’elles lui ont donné, c’est l’essence de cet arrangement dont doit tenir compte la Cour. Ce principe juridique n’a pas changé (voir Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] A.C.S. 30). Cela étant dit, il est également juste d’affirmer que, lorsque les parties choisissent vraiment une méthode particulière d’établir leur relation de travail, ce n’est pas au ministre ou à la présente Cour de faire abstraction de ce choix. On doit faire preuve de retenue quant à la méthode qu’ont choisie les parties et si, selon la preuve dans son ensemble, il n’y a aucune raison de déroger au titre qu’ont donné les parties à leur relation, alors ce titre devrait rester intact. Les décisions Wolf et Precision Gutters (précitées) appuient cette observation.

 

[30]     Degré de contrôle : Cet aspect du critère, selon son application traditionnelle, tend constamment à démontrer que ce n’est pas tant le contrôle réel exercé qui importe à la Cour, mais plutôt le droit d’exercer ce contrôle. Plus une personne est professionnelle et compétente ou plus elle possède de l’expérience dans son domaine, moins il est nécessaire d’exercer un contrôle réel quelconque, ce qui rend difficile l’application de ce critère. En fait, comme le juge Major l’a mentionné dans l’arrêt Sagaz (précité), il se peut que le contrôle exercé soit moindre dans le cas d’un employé professionnel et compétent que dans le cas d’un entrepreneur indépendant. Il s’agit néanmoins d’un autre facteur qui fait pencher la balance. 

 

[31]     Il est clair que l’on assignait au travailleur un camion en particulier qu’il devait conduire pour le compte de l’entreprise. C’est aussi cette dernière qui lui transmettait les directives concernant le chargement qu’il devait transporter. Cependant, le contrat conclu entre l’entreprise Excel et l’appelante stipulait que le travailleur travaillait sous le contrôle de l’appelante. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’appelante pouvait lui transmettre des directives quant à la façon de se rendre ou à l’endroit où il devait se rendre avec le camion à une date en particulier ou quant à savoir s’il allait conduire le camion. Les véhicules constituaient une pièce coûteuse de l’équipement, et l’appelante a tout simplement refusé d’en céder le contrôle. C’est l’appelante qui décidait quelles étaient les réparations à effectuer, à quel moment elles le seraient et comment elles seraient effectuées. À mon avis, cet aspect du critère, tend à démontrer qu’il s’agissait d’un employé engagé en vertu d’un contrat de louage de services.  

 

[32]     Instruments de travail et équipement : Le travailleur ne possédait que très peu d’instruments de travail. Manifestement, le véhicule tracteur constituait la principale pièce de l’équipement. Elle était en fait indispensable. Cet aspect du critère tend également à démontrer qu’il s’agissait non pas d’un entrepreneur indépendant, mais d’un employé. À mon avis, les instruments de travail n’avaient que très peu d’importance, si l’on tient compte de l’ensemble des faits. Il ne s’agissait pas d’outils du même ordre que ceux dont il est fait mention dans la décision Precision Gutters (précitée).

 

[33]     Chances de bénéfice et risques de perte : Le travailleur n’a fait aucun investissement. En organisant ses trajets pour qu’ils soient les plus rentables possible, il les effectuait dans un temps moindre que ce dont il disposait, ce qui comporte un élément de bénéfice qui lui était possible de générer (comme dans l’affaire Precision Gutters (précitée)). Cependant, il ne prévoyait pas de subir de perte. En fait, il n’existait aucune chance réelle de réaliser un bénéfice ni aucun risque réel de subir une perte au sens entrepreneurial. Il pouvait plus ou moins tirer des bénéfices, mais il n’avait investi aucune somme qu’il était susceptible de perdre si les choses tournaient mal. En bout de ligne, ce facteur tend également à démontrer qu’il s’agissait d’un employé engagé en vertu d’un contrat de louage de services.  

 

[34]     L’intégration : À cet égard, je le répète, il s’agit, de l’avis des tribunaux, du critère le plus difficile à appliquer. La question que l’on doit fréquemment se poser est la suivante : « à qui appartient l’entreprise? ». Manifestement, pour répondre à cette question, on doit examiner la situation du point de vue du travailleur et non du payeur puisque du point de vue de ce dernier, il s’agit toujours de son entreprise. On doit poser cette question dans un contexte qui permet de déterminer si une seule entreprise ou deux entreprises distinctes sont exploitées. En d’autres termes, la personne qui s’est engagée à fournir ces services, les fournit‑elle en tant que personne exploitant une entreprise à son propre compte? Si l’on répond à cette question par l’affirmative, alors il s’agit d’un contrat d’entreprise. Par contre, si la réponse est négative, alors il s’agit d’un contrat de louage de services.  

 

[35]     Le travailleur n’a rien fait qui aurait pu démontrer qu’il exploitait une entreprise à son compte. Il se considérait lui‑même comme un employé. Son emploi ne comportait aucun élément entrepreneurial. Il ne facturait pas ses services à l’appelante ni ne percevait ses propres paiements

 

[36]     Lorsque je prends en considération les propos du juge Major dans l’arrêt Sagaz (précité) selon lesquels la question centrale à poser consiste à savoir si la personne engagée pour fournir des services les fournit en tant qu’entrepreneur qui travaille à son propre compte, et notamment lorsque j’examine les faits énoncés précédemment, je suis tout à fait convaincu qu’une seule entreprise était exploitée, à savoir celle de l’appelante. Rien n’indique que le travailleur exploitait une entreprise à son compte. Il est vrai qu’il exerçait un contrôle sur la quantité de travail qui lui était assignée ainsi que sur la façon d’accomplir ce travail. Toutefois, tous les autres faits tendent à démontrer qu’il travaillait pour le compte de l’appelante et qu’il faisait partie intégrante de son entreprise. À mon avis, il n’y avait qu’une seule entreprise, et les services que fournissait le travailleur en faisaient totalement partie intégrante. Pour changer ce fait il ne suffisait pas de lui indiquer qu’il serait rémunéré en vertu d’un contrat et qu’aucune déduction obligatoire ne serait prélevée sur sa paye.

 

Conclusion

 

[37]     Lorsque j’examine la forêt dans son ensemble et non seulement chaque arbre qui la compose, je suis tout à fait convaincu, selon la preuve, que le travailleur était un employé en vertu d’un contrat de louage de services. À mon avis, l’affaire en l’instance se distingue considérablement de la décision Wolf (précitée). Bien que les principes énoncés dans cette affaire puissent maintenant inciter de nombreux experts‑conseils à se faire engager en tant qu’entrepreneurs autonomes plutôt qu’en tant qu’employés, l’affaire en l’espèce m’a néanmoins donné l’impression générale que le travailleur en cause était en réalité un employé.

 

 

[38]     Par conséquent, les décisions du ministre sont confirmées et les appels sont rejetés.

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 30e jour de juin 2003.

 

 

 

 

 

 

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de janvier 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 


 

 

 

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