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Dossier : 2001-3747(EI)

ENTRE :

LISE MOREAU,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

_______________________________________________________________

 

Appel entendu le 7 mai 2003, à Percé (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Marie-Josée Leblanc

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

_______________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance emploi est admis et la décision rendue par le Ministre, relativement à l'appel interjeté devant lui en vertu de l'article 91 de cette Loi, est modifiée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2003.

 

 

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI339

Date : 20030606

Dossier : 2001-3747(EI)

ENTRE :

 

LISE MOREAU,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Alain Tardif, C.C.I.

 

[1]     Il s'agit de l'appel d'une détermination de la décision rendue par le ministre du Revenu national (le « Ministre ») en date du 11 avril 2001. Aux termes de cette détermination, le travail exécuté par l'appelante pour le compte et bénéfice de la compagnie 9061-1542 Québec Inc., au cours de la période du 21 mai au 23 septembre 2000, devait être exclu des emplois assurables.

 

[2]     Pour rendre et justifier sa décision, l'intimé a pris pour acquis les faits suivants :

 

a)         Le payeur, constitué en société le 17 avril 1998, exploitait le  « Motel du Rivage » comportant 20 chambres, un bar et un logement attenant au bar.

 

b)         Monsieur Nobert Deschênes, conjoint de fait de l'appelante, était l'unique actionnaire du payeur.

 

c)         Monsieur Deschênes et l'appelante résidaient dans le logement attenant au bar du motel.

 

d)         Durant la période en litige, l'appelante s'occupait des achats, louait les chambres du motel, répondait au téléphone, faisant l'inventaire du bar, s'occupait des dépôts et faisait le ménage.

 

e)         Durant la période en litige, l'appelante prétend qu'elle travaillait 60 heures par semaine, principalement du lundi au  vendredi mais également les samedis et dimanches.

 

f)          Durant la période en litige, l'appelante recevait une rémunération fixe de 480 $ brut par semaine, soit 8 $ de l'heure.

 

g)         L'appelante rendait des services au payeur avant et après la période en litige et ce, sans rémunération.

 

h)         De janvier à septembre 2000, les revenus du payeur étaient de :

 

Janvier

Février

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

Août

Septembre

41 466 $

42 206 $

46 813 $

41 784 $

38 382 $

39 735 $

48 831 $

42 587 $

48 535 $

 

i)          La période d'emploi de l'appelante ne correspond pas avec la période d'activités de l'entreprise du payeur ni avec la période réellement travaillée par l'appelante.

 

[3]     Les paragraphes a), b), c), e), f) et h) ont été admis alors que les autres ont été niés.

 

[4]     L'intimé soutient que le travail exécuté par l'appelante au cours de la période en litige n'était pas assurable en s'appuyant principalement sur l'article 5(2)i) de la Loi sur l'assurance emploi (la « Loi »). Cet article de la Loi prévoit que le travail exécuté par une personne qui a un lien de dépendance avec celui qui l'embauche, à titre de payeur, doit être exclu des emplois assurables à moins qu'à la suite de l'exercice de la discrétion que le législateur lui a confié, le responsable du dossier en arrive à la conclusion que le travail a été exécuté de façon similaire à ce qu'il aurait été, si exécuté par une personne sans lien de dépendance avec son employeur.

 

[5]     Le présent dossier en est justement un où l'intimé, à la suite de l'exercice de sa discrétion, a conclu que le travail exécuté par l'appelante lors de la période en litige, devait être exclu des emplois assurables pour le motif que les exigences et les modalités d'emploi n'étaient pas à peu près semblables à celles qu'auraient conclu des personnes sans lien de dépendance.

 

[6]     L'agent responsable du dossier a affirmé avoir communiqué avec l'appelante, son conjoint, le payeur, et le comptable aux fins de vérifier si les faits et circonstances entourant l'exécution du travail avaient été modifiés depuis ceux à l'origine d'une décision de cette Cour, qualifiant le travail non assurable.

 

[7]     Monsieur Létourneau, témoin de l'intimé, a indiqué avoir constaté un seul petit changement, à savoir que l'appelante complétait depuis, une feuille de temps. Il a obtenu du comptable un relevé décrivant le chiffre d'affaires pour la période allant de janvier à septembre 2000.

 

[8]     À la face même du relevé, il appert que le chiffre d'affaires de l'entreprise ne justifiait aucunement l'embauche de l'appelante puisque les revenus ne démontraient aucune hausse significative durant la période en litige.

 

[9]     Des suites de la mise à pied de l'appelante, encore là, les revenus de l'entreprise ne démontraient aucune baisse des revenus pouvant justifier ou expliquer la fin de son travail.

 

[10]    À partir de ces deux constats, l'agent des appels a tiré les conclusions que le travail exécuté par l'appelante devait être exclu des emplois assurables, en ce qu'il ne rencontrait pas les exigences, conditions et modalités d'un contrat de travail accompli par un tiers dans des circonstances similaires.

 

[11]    L'appelante a décrit sa charge de travail, qui s'est avérée conforme à celle prise pour acquis, et est reproduite à l'Avis d'appel. Elle a insisté sur le fait que son travail était exclusivement lié aux opérations du motel et qu'elle n'était pas impliquée ou associée aux opérations du bar.

 

[12]    Son conjoint, le payeur, a de son côté confirmé le témoignage de l'appelante et expliqué qu'au cours des ans, il avait beaucoup investi dans le développement du bar, dont la capacité était passée de quelques places à une centaine.

 

[13]    Il a affirmé que la stabilité du chiffre d'affaires de l'entreprise s'expliquait simplement par sa double vocation. Durant la saison estivale où l'appelante travaillait, l'accent était mis sur la location des chambres du motel. Durant la balance de l'année, les opérations du bar prenaient la relève.

 

[14]    Il a d'ailleurs mentionné qu'il s'agissait d'activités incompatibles puisque l'achalandage du bar préjudiciait à la bonne marche de la location des chambres à cause du bruit et du va-et-vient omniprésent et ce, très tard la nuit puisque le bar fermait à trois heures du matin.

 

[15]    Le travail au bar était confié à des serveuses, l'appelante n'ayant pas les qualifications et surtout l'âge, aux dires du payeur, pour ce genre de travail.

 

[16]    Le Tribunal ayant soulevé que l'enquête effectuée avait été très superficielle et possiblement incomplète, l'intimé a répliqué que le fardeau de la preuve reposait sur les épaules de l'appelante et du payeur et ce, dès l'étape de l'enquête devant conduire à la détermination à l'origine du présent appel.

 

[17]    Certes, tout employeur ou salarié se doit de répondre aux questions, de fournir les informations et d'acquiescer à toute demande de renseignements lors de l'étude de son dossier.

 

[18]    Je ne crois cependant pas qu'ils doivent de leur propre initiative faire le travail du responsable du dossier. L'analyste doit assumer le leadership du traitement d'un dossier et doit, dans l'exercice de sa responsabilité tenter d'obtenir la totalité des renseignements disponibles et pertinents; le législateur lui a confié l'obligation de faire une analyse complète de tous les faits pour justifier une détermination découlant de sa discrétion. Il ne s'agit pas d'une simple démarche intuitive.

 

[19]    La détermination de l'assurabilité d'un travail est une question difficile qui nécessite la prise en considération de multiples éléments. De ce fait, il m'apparaît essentiel que le responsable d'un dossier fasse le nécessaire pour faire ressortir la totalité des faits pertinents pour la prise d'une décision raisonnable et légale.

 

 

 

[20]    Il ne s'agit pas de chercher quelques éléments pour confirmer une décision essentiellement intuitive. Le responsable a le devoir de procéder à une analyse sérieuse et complète des faits auprès de toutes les personnes pouvant détenir l'information pertinente.

 

[21]    De façon générale, les personnes visées par une décision relative à l'assurabilité d'un travail ne sont pas en mesure de connaître toutes les conditions et exigences pertinentes. Il peut cependant arriver qu'elles refusent de collaborer, manifestent une mauvaise foi, cachent délibérément certains faits et/ou déforment la vérité auxquels cas elles doivent en assumer les conséquences.

 

[22]    En l'espèce, l'appelante a témoigné d'une manière crédible et sans reproche. Elle a expliqué sa description de tâches et admis avoir, à l'occasion, rendu quelques services sans rémunération, notamment en répondant au téléphone lorsqu'elle était présente sur les lieux. Selon elle, il s'agissait d'actions marginales et très occasionnelles.

 

[23]    Le payeur, de son côté, a confirmé le témoignage de l'appelante et expliqué d'une manière fort raisonnable pourquoi le travail exécuté par l'appelante n'avait pas de signification importante sur le chiffre d'affaires de l'entreprise, somme toute, comparable, que l'appelante soit ou non au travail.

 

[24]    Les services de l'appelante étaient requis dans le cadre des opérations du motel, dont le chiffre d'affaires régressait considérablement après la saison estivale; le travail de l'appelante n'était alors plus requis, une fois la saison estivale terminée, les activités au niveau du bar assuraient la relève du chiffre d'affaires; l'appelante n'y travaillait pas.

 

[25]    La seule faiblesse de la preuve soumise par l'appelante se situe au niveau de son admission d'avoir, à l'occasion, exécuté sans rémunération certains petits travaux dont répondre au téléphone lorsqu'elle était dans la pièce où était situé l'appareil.

 

[26]    Le fait de collaborer à l'occasion à l'entreprise de son conjoint sans être rémunérée, ne disqualifie pas automatiquement l'assurabilité d'un travail. Pour qu'il en soit ainsi, la preuve doit démontrer que la personne exécutait de façon répétitive et continue, sensiblement le même travail, tant au niveau de la quantité que de la qualité, que celui pour lequel elle avait été rémunérée pour une certaine période.

 

[27]    En l'espèce, la preuve n'a rien fait ressortir de tel; la preuve a plutôt mis en lumière que l'appelante avait agi d'une manière raisonnable, eu égard aux circonstances de temps et de lieu.

 

[28]    D'ailleurs la question du travail bénévole ou non rémunéré, exécuté dans le cadre des périodes où une rémunération est versée au travailleur, a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Théberge c. Canada (ministre du Revenu national (M.R.N.)), [2002] A.C.F. no 464, (Q.L.). Je me permets de reproduire l'extrait suivant :

 

7.         Le juge s'est donc employé à examiner la preuve faite devant lui et il a conclu que l'emploi devait être exclu. Je suis d'avis, avec égards, qu'il y a matière à intervention. Le juge, en effet, a erré, en ne se penchant ni sur les allégations du Ministre ni sur les facteurs que mentionne l'alinéa 3(2)c), soit la rétribution versée, les modalités d'emploi et la nature, la durée et l'importance du travail accompli. Il a erré, aussi, en se penchant à peu près exclusivement sur la nature, la durée et l'importance du travail accompli en dehors des périodes d'emploi en litige.

 

 

...

 

 

18.       De plus, et contrairement à l'opinion du juge qui leur a accordé une importance déterminante, les travaux reliés à l'érablière et à la coupe du bois étaient minimes et, bien sûr, limités à de très courtes périodes de temps.

 

 

19.       Ce que fait un prestataire en dehors de la période pendant laquelle il exerce un emploi que le ministre reconnaît être un emploi assurable peut être pertinent aux fins, par exemple, de vérifier son état de chômage, de calculer le montant de ses prestations ou d'établir sa période de chômage. Aux fins, toutefois, de l'application de l'exclusion prévue à l'alinéa 3(2)c) de la Loi, ce que fait le prestataire en dehors de sa période d'emploi sera de peu de pertinence lorsqu'il n'est pas allégué, comme en l'espèce, que le salaire versé pendant la période d'emploi tenait compte du travail accompli en dehors de cette période, que le demandeur avait inclus dans les heures consacrées à son emploi assurable des heures de travail qu'il avait effectuées en dehors de la période ou encore que du travail accompli en dehors de sa période d'emploi avait été inclus dans le travail accompli pendant sa période d'emploi. Il me paraît aller de soi, ce que confirme la preuve, que dans le cas d'entreprises familiales consacrées à du travail saisonnier, le peu de travail qu'il reste à faire en dehors de la période active est généralement fait, sans rémunération, par les membres de la famille.  Exclure un emploi saisonnier, dans une entreprise familiale agricole, au motif que la traite des vaches continue à l'année, c'est à toutes fins utiles priver d'assurance-chômage les membres de la famille qui se qualifient en travaillant pendant la période active et c'est ignorer les deux caractéristiques principales d'une telle entreprise, soit son caractère familial et son caractère saisonnier.

 

 

20.       Un prestataire n'a pas à demeurer complètement inactif pendant qu'il reçoit des prestations. Aux termes de l'article 10 de la Loi, des prestations sont payables pour chaque « semaine de chômage » comprise dans la période de prestations et une « semaine de chômage » est une semaine pendant laquelle il n'effectue pas une semaine entière de travail. ...

 

 

21.       Revenant au cas sous étude, le fait que le demandeur ait travaillé sans rémunération de dix à quinze heures chaque semaine en dehors de la saison active et pendant qu'il recevait des prestations indique peut-être qu'il n'aurait point effectué ce travail non rémunéré s'il n'avait pas été le fils de son employeur. Ce n'est toutefois pas là le travail qui nous intéresse et le juge a erré en en tenant compte en l'absence de toute indication que l'emploi assurable en litige était sujet à des modalités spéciales attribuables à la prestation de services en dehors de la période d'emploi.

 

 

[29]    Ce Tribunal ne peut ignorer cette décision bien que non unanime.

 

[30]    Il ne peut intervenir et se substituer à l'intimé pour refaire l'analyse du dossier à moins qu'une prépondérance de la preuve n'ait établi que l'intimé a exercé sa discrétion d'une manière non judicieuse, arbitraire et/ou déraisonnable.

 

[31]    En l'espèce, la prépondérance de la preuve a établi que le responsable du dossier de l'appelante a fait une analyse succincte et sommaire au point d'en écarter des éléments hautement pertinents.

 

[32]    Prenant pour acquis qu'une décision de cette Cour avait déjà statué sur la non-assurabilité du travail de l'appelante pour le compte du même payeur, il a limité son enquête et conclu rapidement qu'il n'y avait eu aucun changement majeur, si ce n'est que l'appelante complétait maintenant une feuille de temps.

 

[33]    Il n'a aucunement cherché à comprendre ou fait le nécessaire pour avoir des explications sur le pourquoi de la stabilité du chiffre d'affaires. Une simple question aurait pourtant permis d'apprendre que des travaux importants avaient été exécutés pour agrandir le bar de manière à générer des revenus de plus en plus importants. Il n'en a rien fait. Il a préféré s'en remettre aux faits recueillis lors de l'enquête précédente, pour une toute autre période.

 

[34]    Le législateur a prévu une discrétion en prenant pour acquis que cette discrétion s'exercerait d'une manière judicieuse et que chaque dossier ferait l'objet d'une analyse approfondie et sérieuse en cherchant à obtenir toutes les informations nécessaires pour être en mesure de tirer des conclusions justifiées.

 

[35]    Dans le présent dossier, une importance démesurée a été attribuée à un jugement de cette Cour qui concernait une toute autre période, et ce qui est plus grave alors que les faits étaient fort différents. Le fait de prendre en considération ce jugement n'était pas en soi répréhensible, mais sous‑entendait une enquête plus élaborée de tous les faits relatifs à la période en litige concernée par le présent appel. Il ne suffisait certainement pas de poser quelques questions, comme l'a fait le vérificateur.

 

[36]    Conformément à la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale, je conclus, dans un premier temps, que les agents de l'intimé n'ont pas exercé leur discrétion d'une manière raisonnable. La preuve a établi que cette discrétion avait été exercée d'une manière incomplète, arbitraire et tendancieuse.

 

[37]    Cela étant, je conclus que l'appelante a relevé le fardeau de la preuve qui lui incombait en démontrant avoir exécuté un travail adéquatement rémunéré, rencontrant les exigences pour être qualifié de véritable contrat de louage de services. L'appelante a effectivement exécuté un travail selon des modalités comparables ou similaires à celles qui auraient été prévalues si le même travail avait dû être confié à une tierce personne.

 

[38]    Pour ces motifs, l'appel est accueilli en ce que le travail exécuté par l'appelante lors de la période du 21 mai au 23 septembre 2000, constituait un véritable contrat de louage de services et par voie de conséquence, un travail assurable.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2003.

 

 

 

« Alain Tardif »

J.C.C.I


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI339

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-3747(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Lise Moreau et le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Percé (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE

le 7 mai 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :

le 6 juin 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

Me Marie-Josée Leblanc

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Marie-Josée Leblanc, avocate

 

Ville :

Grande‑Rivière (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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