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Dossier : 2005-3611(IT)I

ENTRE :

RAYMOND F. FORTUNE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] ____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 19 octobre 2006 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge G. Sheridan

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

Qamar Sadiq

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

           Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2007.

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


 

 

 

 

Référence : 2007CCI20

Date : 20070118

Dossier : 2005-3611(IT)I

ENTRE :

RAYMOND F. FORTUNE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelant, Raymond Fortune, interjette appel de la nouvelle cotisation que le ministre du Revenu national a établie pour son année d’imposition 2003. Le ministre a refusé la déduction demandée par l’appelant au titre des versements de pension alimentaire pour enfants. Bien qu’il reconnaisse que ces paiements ont été faits, le ministre a décidé qu’ils n’étaient pas déductibles parce qu’ils n’ont pas été versés aux termes d’un « accord écrit », contrairement aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]     Lorsqu’il a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2003 de l’appelant, le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes[1] :

 

a)      pendant toute l’année d’imposition 2003, l’appelant et son épouse, Catherine Fortune, vivaient séparées pour cause d’échec de leur mariage;

 

b)      l’appelant et Catherine Fortune sont les parents de deux (2) enfants, Erin, née en janvier 1987, et Kayla, née en juin 1989;

 

c)      comme il n’a jamais été établi que l’appelant a payé les sommes en cause à Catherine Fortune, le ministre a présumé que ces versements n’avaient pas été faits[2];

 

d)      l’appelant n’était pas tenu de payer les sommes déduites aux termes d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit.

 

[3]     L’alinéa 60b) de la Loi permet la déduction de versements de pension alimentaire pour enfants à la condition qu’il s’agisse d’une « pension alimentaire » au sens de la définition donnée au paragraphe 56.1(4) :

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)         le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b)         le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

 

[4]     L’appelant a l’obligation de réfuter les hypothèses formulées. En ce qui concerne le paragraphe 7d), il admet que les versements de pension alimentaire pour enfants n’ont pas été faits aux termes d’une ordonnance d’un tribunal ou d’un accord écrit en bonne et due forme intervenu entre lui et son épouse. Il avance toutefois que certains autres documents, examinés à la lumière du fait qu’il a réellement effectué les versements déduits, constituent un « accord écrit » au sens de la Loi.

 

[5]     Selon l’appelant, il était inutile d’obtenir une ordonnance de la Cour parce qu’au moment de leur séparation, lui et son épouse avaient réussi à s’entendre sur les modalités de paiement de la pension alimentaire. De même, comme ils avaient réglé la question eux‑mêmes sans obtenir de conseils juridiques, aucun accord écrit en bonne et due forme n’a jamais été rédigé. Cependant, à certain un moment en 1993, il a reçu de son épouse une demande écrite de pension alimentaire pour enfants. Même si ce document n’était plus en sa possession, l’appelant a affirmé dans son témoignage qu’il avait commencé à faire des versements mensuels conformément aux modalités énoncées dans la demande. En 1995, la somme a été portée à 150 $ et c’est ce qu’il payait depuis ce temps. Il a mis en preuve des doubles des chèques annulés[3] pour 2003. Il a en outre produit un double du reçu que lui a remis son épouse pour les versements[4] effectués en 2003 ainsi que les originaux des reçus pour 2000[5] et 2001[6].

 

[6]     L’avocat de l’intimée soutient que l’admission, par l’appelant, du fait qu’il n’existe aucun accord écrit suffit à trancher la question et qu’en outre la Cour devrait tirer une inférence défavorable du défaut de l’appelant d’avoir appelé son épouse à témoigner au sujet de leur accord.

 

[7]     Sur ce dernier point, l’appel a été entendu dans le cadre de la procédure informelle; l’appelant était représenté par son conseiller financier, lequel n’avait aucune formation juridique. Dans ces circonstances et comme je garde en mémoire le témoignage de l’appelant selon lequel ses relations avec son épouse sont plutôt tendues depuis l’échec de leur mariage, je ne suis pas convaincue qu’il y a lieu de tirer une quelconque inférence défavorable à cet égard.

 

[8]     Par contre, j’ai tendance à souscrire à l’argument de l’avocat voulant que la Loi exige la conclusion d’un accord écrit. Les tribunaux judiciaires ont eu amplement l’occasion de se demander en quoi consiste un « accord écrit » au sens de l’alinéa 60b). Bien que je sois sensible à la situation dans laquelle se trouve l’appelant, la jurisprudence ne permet pas d’étayer sa thèse.

 

[9]     Dans la décision Knapp v. M.N.R.[7], les faits sont analogues à ceux dont je suis saisie; en réalité, la preuve présentée par l’appelant dans cette affaire était plus probante qu’en l’espèce en ce qu’il était à tout le moins en mesure de produire un double de l’accord de séparation qui, même s’il n’était pas signé, prévoyait les conditions de l’entente conclue par les conjoints. Malgré cela, le juge en chef adjoint Christie a rejeté l’appel en résumant ainsi la thèse avancée par M. Knapp :

      La thèse de l’appelant à cet égard est résumée essentiellement dans les extraits suivants de son avis d’appel qui a été relu ici ce matin. Après avoir énuméré les reçus dont il est question plus haut, l’appelant s’exprime comme suit :

 

      [TRADUCTION] « Comme ces reçus l’indiquent, j’ai versé à mon ex‑épouse les montants susmentionnés au cours des mois indiqués pendant l’année 1981.

 

      Au cours de l’année 1981, plusieurs mésententes ont eu lieu lors de nos négociations relatives à un accord de séparation. Malgré ces mésententes, nous en sommes venus à un accord en vertu duquel je devais verser à mon épouse une certaine somme d’argent tous les mois.

 

      Ces reçus m’ont été remis afin que je puisse prouver qu’elle avait accepté les montants indiqués et qu’elle avait reçu l’argent.

 

[...]

 

      J’espère que la [Cour] décidera que les chèques en question constituent de ma part un engagement écrit à payer le montant indiqué et que les reçus que mon épouse m’a remis à l’égard des sommes d’argent reçues constituent une acceptation écrite de sa part. »

 

      Il convient également de mentionner la pièce A‑1, qui est un accord de séparation détaillé daté du 11 août 1981 et préparé par le procureur de l’ex‑épouse de l’appelant. Cet accord a été signé par Mme Knapp, mais non par l’appelant, qui refusait certaines conditions[8].

 

[10]    Le juge en chef adjoint Christie arrive ensuite à la conclusion suivante :

      À mon avis, on a beau chercher par tous les moyens à conclure en faveur du demandeur, il est impossible de décider que ces faits constituent une convention écrite ou une convention écrite de séparation (ou les deux). Ils ne répondent pas selon moi, aux exigences de l’alinéa 11(1)1)*. [NOTE EN BAS DE PAGE * : L’alinéa 11(1)1) est devenu l’alinéa 60b).]

 

[11]    Cette décision a été examinée par le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Foley c. Canada[9], où les faits sont également très semblables à ceux en l’espèce :

 

26              La décision dans l’affaire Kapel a été citée et approuvée par le juge en chef adjoint Christie (tel était alors son titre) dans l’affaire Knapp v. M.N.R., 85 D.T.C. 424. Dans cette affaire, il n’y avait rien qui pouvait être appelé un accord écrit signé par l’une ou l’autre des parties. L’appelant a soutenu que les chèques signés par le conjoint et les reçus signés par la conjointe constituaient un accord écrit. Un tel argument était de toute évidence voué à l’échec. Le mot « accord » indique à tout le moins une obligation contraignante.

 

[12]    La raison d’être de l’exigence relative à un « accord écrit » est exposée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hodson v. Canada[10]:

 

[…] les conjoints qui vivent ensemble ne sont pas autorisés à fractionner leur revenu de façon à réduire l’impôt global que le ménage doit payer. L’alinéa 60b) crée une exception à cette règle générale en accordant un certain avantage fiscal aux époux séparés qui répondent à ses conditions. Le législateur a été explicite. Si le législateur avait voulu étendre l’avantage conféré par l’alinéa 60b) aux conjoints séparés qui, comme en l’espèce, n’ont ni ordonnance judiciaire ni accord écrit, il l’aurait dit. On perçoit facilement la raison de ne pas inclure le cas des conjoints séparés où des paiements ont été faits et reçus sur la base d’un accord verbal. Un tel régime relâché et incertain peut très bien donner lieu à des ententes trompeuses et frauduleuses et à des plans d’évasion fiscale. Je m’empresse d’ajouter que, en l’espèce, aucun cas d’entente trompeuse et frauduleuse n’a été allégué. Le ministre convient que, en l’espèce, c’est de bonne foi que l’appelant a versé les pensions alimentaires à sa femme. Néanmoins, ce scénario possible peut se présenter dans d’autres cas, ce qui justifie les restrictions soigneusement formulées dans l’alinéa. Si les mots employés par le législateur créent des difficultés, comme l’a laissé entendre l’appelant, il appartient au législateur et non à la cour de remédier à cette situation. [Note en bas de page 11 ajoutée.]

 

[13]    Il importe de signaler que cet arrêt est antérieur aux modifications apportées en matière de déductibilité des versements de pension alimentaire pour enfants. Comme l’a à juste titre fait remarquer l’avocat de l’intimée pendant le débat, l’exigence relative à un accord écrit a également pour objet de permettre de décider si l’accord avait effet avant les modifications législatives apportées en mai 1997 voulant que, sous réserve de certaines circonstances bien précises, les versements de pension alimentaire pour enfants ne soient plus déductibles. En outre, l’existence d’un accord écrit offre un moyen de décider si un accord antérieur à 1997 a fait l’objet de changements; certaines modifications donneront lieu à une « date d’exécution », ce qui privera les versements de leur caractère déductible antérieur.


 

[14]    Dans la présente affaire, même si on suppose que la demande écrite de son épouse existe, ce fait ainsi que les chèques annulés et les reçus ne sont pas suffisants pour satisfaire à la condition préalable de déductibilité prévue par la Loi et selon laquelle l’appelant doit avoir fait les versements de pension alimentaire pour enfants aux termes d’un « accord écrit »; l’appel doit donc être rejeté.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2007.

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI20

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2005-3611(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Raymond F. Fortune c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 19 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 janvier 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

Qamar Sadiq

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

                                                         

      

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Réponse à l’avis d’appel, paragraphe 7.

 

[2] L’intimée a reconnu à l’audience que l’appelant avait effectué les versements de pension alimentaire pour enfants auprès de son épouse en 2003.

 

[3] Pièce A-4.

 

[4] Pièce A-1.

 

[5] Pièce A-2.

 

[6] Pièce A-3.

 

[7] 85 DTC 424.

[8] Précitée, à la page 425.

 

[9] [2000] A.C.I. no 485, [2000] 4 C.T.C. 2016.

[10] 88 DTC 6001, à la page 6003.

 

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