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Dossiers : 2004-159(EI)

2004-160(CPP)

 

 

ENTRE :

SHERMAN HINES PHOTOGRAPHIC LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JANINE LEVY,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus à Halifax (Nouvelle‑Écosse), les 28 juillet 2004

et 24 février 2005.

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Me Catherine McIntyre

Avocat de l’intervenante :

Me Rick Hartlen le 28 juillet 2004 seulement

Pour l’intervenante :

L’intervenante, agissant pour son propre compte le 24 février 2005

____________________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi et à l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont accueillis; la décision rendue par le ministre du Revenu national par suite de l’appel interjeté devant lui en vertu de l’article 92 de la Loi ainsi que la décision rendue par le ministre à la suite de la demande qui lui avait été présentée en vertu de l’article 27.1 du Régime sont annulées, compte tenu du fait que Janine Levy n’exerçait pas auprès de l’appelante un emploi assurable ou ouvrant droit à pension pendant la période allant du 1er janvier au 1er novembre 2001 au sens des alinéas 5(1)a) de la Loi et 6(1)a) du Régime.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juin 2005.

 

 

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’avril 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


 

 

 

 

Référence : 2005CCI370

Date : 20050607

Dossiers : 2004-159(EI)

2004-160(CPP)

ENTRE :

SHERMAN HINES PHOTOGRAPHIC LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JANINE LEVY,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Il s’agit d’une affaire fondée sur la Loi sur l’assurance‑emploi et sur le Régime de pensions du Canada, dans laquelle la question en litige se rapporte à la nature de la relation de travail existant entre l’appelante, Sherman Hines Photographic Ltd. (appartenant à M. Sherman Hines), et l’intervenante, Mme Janine Levy. En pareil cas, il n’est pas inhabituel d’entendre des témoignages passionnés dépeignant la relation d’une façon ou de l’autre. Malheureusement, la présente affaire opposait M. Hines à Mme Levy, qui ont sorti leurs griffes d’une façon fort désagréable[1].

 

[2]     De toute évidence, une relation entre M. Hines et Mme Levy qui était peut‑être au départ positive a finalement suscité de la hargne et donné lieu à des accusations. Les événements se sont effacés de leur mémoire et ce sont principalement, sinon entièrement, les aspects négatifs de la relation qui sont restés. Pour arriver à connaître la vérité, il faut gratter le vernis d’hostilité. Ce faisant, je conclus que, bien qu’il y ait plusieurs descriptions contraires de certains faits, un grand nombre de ces faits ne sont pas pertinents en ce qui concerne les facteurs qu’il faut prendre en considération lorsqu’il s’agit de faire une distinction entre l’employé et l’entrepreneur indépendant. De fait, un grand nombre de faits qui sont au cœur de la distinction ne sont pas en litige. J’ai trouvé que M. Hines et Mme Levy ont tous deux parfois témoigné de façon vague et que c’était la colère plutôt que la raison qui les poussait à agir ainsi. Leur mémoire ne les a pas bien servis. Le stress que cela leur a causé est manifeste. S’ils pouvaient prendre du recul devant la situation et se rendre compte jusqu’à quel point leur comportement leur est mutuellement nuisible, ils feraient la seule chose sensée qu’il y a à faire et ils enterreraient immédiatement la hache de guerre et poursuivraient chacun son chemin. Toutefois, j’ai peu d’espoir qu’ils soient capables de le faire.

 

Les faits

 

[3]     Au mois de mars 2001, M. Hines s’est inscrit à une agence locale appelée « Employer Job Bank Listing » afin de chercher, pour le compte de l’appelante, une adjointe qui travaillerait à temps partiel (de quatre à huit heures par jour) pour son entreprise de photographie, au salaire horaire de 10 $. Dans l’offre d’emploi, M. Hines a indiqué que le candidat devait posséder des connaissances en informatique et être capable de taper à la machine et de répondre au téléphone. L’agence locale a consulté ses dossiers et a proposé Mme Levy comme candidate possible. M. Hines a demandé à l’agence de communiquer avec Mme Levy qui s’est immédiatement présentée au bureau pour le rencontrer. Après avoir examiné ses compétences, M. Hines a immédiatement embauché Mme Levy. Mme Levy a témoigné avoir été embauchée pour organiser (trier, coller et expédier) les timbres de collection de M. Hines, et pour accomplir certains travaux de secrétariat, notamment pour s’occuper des comptes débiteurs et des comptes créditeurs. M. Hines a témoigné avoir informé Mme Levy qu’elle était embauchée afin de mettre à jour ses dossiers en matière de TPS (la taxe sur les produits et services). Étant donné que Mme Levy a commencé à s’occuper des timbres et qu’elle n’a commencé à s’occuper de la TPS que quelque temps plus tard, je retiens le témoignage de Mme Levy sur cet aspect de l’entente initiale, mais je crois également M. Hines lorsqu’il dit que l’on préparait Mme Levy à exercer les fonctions d’adjointe de direction. Cela s’est passé presque immédiatement, étant donné qu’à la fin du mois de mars, l’adjointe de direction de M. Hines était partie et que Mme Levy devait la remplacer.

 

[4]     M. Hines a témoigné que Mme Levy avait le choix d’être une employée ou une entrepreneure indépendante et qu’elle a décidé d’agir comme entrepreneure indépendante. M. Hines a informé Mme Levy qu’elle devrait effectuer ses propres retenues à la source. Mme Levy reconnaît qu’il a été question des retenues à la source, mais elle a cru que cela voulait dire que, dans l’exercice de son emploi auprès de M. Hines, elle s’occuperait des retenues à la source effectuées sur le salaire des employés. Étant donné qu’elle n’a pas effectué ces retenues pour l’appelante, mais qu’elle a retiré le montant brut, il m’est difficile de retenir la version que Mme Levy a donnée au sujet de cette entente.

 

[5]     M. Hines a fixé le niveau de rémunération en garantissant à Mme Levy que le taux de rémunération passerait à 15 $ l’heure lorsqu’elle assumerait les tâches d’adjointe de direction. Mme Levy a commencé à travailler le jour même de l’entrevue. À la fin de la journée, M. Hines lui a demandé de rester plus longtemps. Dès le premier jour, M. Hines a demandé à Mme Levy de travailler à plein temps, Mme Levy a commencé dès le début à apporter du travail chez elle. Il avait initialement été convenu que le travail accompli à domicile ne serait rémunéré qu’au taux de 7 $ l’heure, mais Mme Levy a par la suite négocié un taux horaire de 10 $. Une différence importante dans leur description du travail effectué à domicile, ou du temps supplémentaire en général, est que Mme Levy a maintenu que ce travail était fait à la demande de M. Hines, ce que M. Hines nie, en affirmant que Mme Levy cherchait constamment à apporter plus de travail chez elle parce qu’elle avait besoin de cet argent. Comme c’est le cas pour de nombreux aspects des témoignages de M. Hines et de Mme Levy, la vérité se situe quelque part entre les deux. Je crois que Mme Levy était initialement dépassée par la situation et qu’elle répondait de fait aux besoins de M. Hines. Toutefois, je conclus également que Mme Levy a pris l’habitude d’effectuer de longues heures de travail sans toujours obtenir la permission de M. Hines. Cela est devenu une habitude.

 

[6]     Au mois d’avril, Mme Levy effectuait le travail de l’ancienne adjointe de direction. Il a initialement fallu que M. Hines montre à Mme Levy comment effectuer ce que cette dernière a appelé du travail de direction, par exemple, le travail lié aux comptes débiteurs, aux comptes créditeurs et aux bordereaux de réception. Mme Levy a affirmé que M. Hines se montrait autoritaire, en ce sens qu’il se tenait derrière elle pour dicter les lettres et qu’il vérifiait son travail. Mme Levy travaillait souvent tard le soir. Au début, elle ne s’occupait pas des questions liées à la TPS.

 

[7]     Au mois de juillet, Mme Levy s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas effectuer constamment du temps supplémentaire. Selon les factures qu’elle a soumises à M. Hines, Mme Levy avait travaillé tous les jours au mois de juillet, notamment de trois à cinq heures par jour pendant la fin de semaine et jusqu’à 14,5 heures par jour pendant la semaine. Son taux horaire était passé de 12 à 15 $. Mme Levy a témoigné qu’au mois d’août, elle avait commencé à chercher un nouvel emploi. Il est intéressant de noter que pendant les six premières semaines, Mme Levy établissait une feuille de travail horaire, mais que, par la suite, elle a soumis des factures indiquant la date et le nombre d’heures travaillées, avec une brève description du travail et le taux de rémunération. Ces documents montrent que ce n’est que le 18 septembre 2001 que Mme Levy a eu un jour de congé, et ce, parce qu’elle avait été hospitalisée pour subir une opération. C’est à peu près à ce moment‑là que Mme Levy a commencé à mettre de l’ordre dans les dossiers relatifs à la TPS. Selon Mme Levy, c’était un gâchis. Mme Levy a suivi un cours de comptabilité pour connaître le programme « Simple Comptable » aux fins de la TPS.

 

[8]     Le témoignage de Mme Levy diffère de celui de M. Hines pour ce qui est du travail associé à la TPS; en effet, M. Hines maintient que Mme Levy avait au départ été embauchée pour s’occuper de la TPS. À vrai dire, le moment où ce travail a été accompli n’a rien à avoir avec la nature de la relation Toutefois, il importe de noter qu’étant donné la quantité de travail en cause, les longues heures continues et le fait qu’elle venait d’être opérée, Mme Levy a conclu qu’elle avait besoin d’aide. Elle a commencé à chercher quelqu’un, sous un nom commercial qu’elle avait créé. M. Hines était alors en Mongolie. Mme Hines a proposé à Mme Levy de parler à l’une de ses amies, Sue Rubbarth. Mme Levy a embauché Mme Rubbarth, qui travaillait chez Mme Levy. Mme Levy était prête à payer Mme Rubbarth de sa poche, mais Mme Hines a laissé entendre qu’elle devrait être payée par l’appelante.

 

[9]     Mme Levy a affirmé que son travail l’obligeait à passer énormément de temps à aller au bureau de poste, à la banque et chez les fournisseurs et à en revenir. M. Hines lui a dit que les frais d’essence pourraient être remboursés à l’aide de la petite caisse, mais étant donné qu’il arrivait qu’il n’y ait pas de petite caisse, Mme Levy soumettait parfois un reçu.

 

[10]    Quant au matériel, Mme Levy utilisait son propre ordinateur lorsqu’elle travaillait à domicile, mais elle avait apporté chez elle l’une des imprimantes de M. Hines. Au bureau de M. Hines, Mme Levy utilisait le matériel de M. Hines. M. Hines se chargeait des fournitures ou Mme Levy les obtenait pour le compte de l’appelante.

 

[11]    Les parties se sont en fin de compte quittées au mois de novembre; Mme Levy a soutenu qu’elle avait démissionné, mais M. Hines a de son côté soutenu qu’il avait congédié Mme Levy. Encore une fois, cela n’a rien à voir avec la nature de la relation. Toutefois, Mme Levy a en fait signé deux lettres, lesquelles disent toutes deux qu’elle cesse d’effectuer du travail contractuel pour Sherman Hines Photographic Ltd.

 

Analyse

 

[12]    Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[2], le juge Major a fait un historique détaillé de l’évolution du critère établi en common law à l’égard de la question de l’employé et de l’entrepreneur indépendant; le juge a conclu ce qui suit :

 

47        Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le Juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[13]    L’avant‑dernière question à trancher est celle de savoir si Mme Levy travaillait à son compte. Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de la relation dans son ensemble, en examinant, dans ce cas‑ci, les facteurs suivants :

 

(i)      le contrôle;

(ii)      la propriété des instruments de travail;

(iii)     la capacité d’embaucher des employés;

(iv)     le degré de responsabilité quant aux mises de fonds et à la gestion;

(v)     le degré de risque financier;

(vi)     les chances de bénéfice.

 

[14]    Si, après un tel examen, il est encore impossible de déterminer quelle était vraiment la relation, je me fonderai sur l’approche préconisée dans l’arrêt Wolf c. Canada[3], où le juge Noël a affirmé qu’il convient de tenir compte de l’intention des parties, à savoir quel était le marché conclu, pour connaître la nature véritable de la relation.

 

(i)      Le contrôle

 

[15]    M. Hines a soutenu que c’était l’appât du gain qui attirait Mme Levy; de son côté, Mme Levy a affirmé qu’elle était à la merci des exigences déraisonnables de M. Hines. Ces deux éléments étaient peut‑être présents, mais ils ne sont pas concluants au point de faire pencher la balance d’un côté plutôt que de l’autre.

 

[16]    J’examinerai quatre éléments du contrôle : la détermination de la rémunération; les heures effectuées; la capacité de travailler ailleurs; le degré de supervision.

 

[17]    M. Hines a au départ fixé le taux de rémunération de Mme Levy et il lui a garanti qu’il le porterait à 15 $ l’heure au bout de trois mois si elle était alors devenue adjointe de direction. Mme Levy est de fait devenue adjointe de direction et la rémunération a été dûment majorée. Cela donne à penser que l’appelante exerçait un contrôle et qu’il y avait peu de possibilité de négociation. Pourtant, deux aspects de l’affaire nous empêchent de conclure à l’existence d’un emploi. En premier lieu, une fois que Mme Levy s’est rendu compte qu’elle travaillerait à domicile, elle a négocié un taux majoré pour le travail effectué chez elle, de 7 à 10 $. Il ressort de l’examen des factures qu’elle a établies que Mme Levy a également pu augmenter sa rémunération, de sorte que toutes les heures étaient rémunérées au taux de 15 $, et ce, peu importe que le travail soit accompli à domicile ou non. Mme Levy semble avoir pu négocier avec succès. Je note un autre fait : le nombre énorme d’heures de travail n’étaient pas rémunérées à un taux différent, ce qui m’amène à conclure que, même si Mme Levy a réussi à obtenir un certain taux indépendamment de l’endroit où le travail était accompli, elle n’avait pas droit, contrairement à ce qui est le cas pour un employé, à une rémunération additionnelle pour le temps supplémentaire. Je conclus que le contrôle de la rémunération est un facteur neutre.

 

[18]    Les heures de travail effectuées par Mme Levy sortaient de fait de l’ordinaire. Mme Levy affirme que c’était M. Hines qui l’exigeait; de son côté, M. Hines affirme que Mme Levy a elle‑même pris l’initiative d’effectuer ces heures parce qu’elle avait besoin de cet argent. Comme j’en ai ci‑dessus fait mention, je conclus que les deux explications sont dans une certaine mesure valables, mais qu’aucune n’est tout à fait exacte. Je crois que M. Hines était un homme exigeant, et ce, en quelque qualité que ce soit. Je conclus que M. Hines a de fait demandé à Mme Levy d’accomplir certaines tâches, dont certaines prenaient plus de temps à exécuter que d’autres. Toutefois, je ne crois pas que M. Hines ait demandé à Mme Levy d’effectuer toutes ces heures additionnelles. Selon moi, la situation était la suivante : Mme Levy s’est rendu compte dès le début qu’il y avait beaucoup de travail qu’elle pouvait faire et, même si M. Hines a initialement fait certaines demandes, je conclus qu’avec le temps, Mme Levy a simplement entrepris de faire autant de travail que possible, d’autant plus que pendant le tiers du temps où ils ont travaillé ensemble, M. Hines était absent. Je n’attribue pas tant les actions de Mme Levy à l’appât du gain qu’à la diligence, mais je conclus, somme toute, que c’était Mme Levy plutôt que M. Hines qui exerçait un contrôle sur ces heures.

 

[19]    Mme Levy pouvait‑elle travailler ailleurs? Au point de vue contractuel, elle le pouvait, mais en pratique, elle estimait avoir plus de travail à faire que le nombre d’heures disponibles, de sorte qu’il n’était pas réaliste de s’attendre à ce qu’elle travaille pour d’autres.

 

[20]    Quant au degré de supervision, je considère que la preuve dépeint M. Hines comme un homme exigeant, mais qui connaissait ses limites dans les affaires, en particulier pour ce qui est de la tenue de livres et de la TPS. Lorsque Mme Levy a commencé à travailler, M. Hines lui a montré comment exécuter les différents aspects du travail. Par la suite, Mme Levy n’avait pas constamment besoin d’être supervisée. Quant au travail associé à la TPS, je conclus que l’on a dans une large mesure laissé Mme Levy à elle‑même.

 

[21]    Deux éléments donnent à penser que M. Hines n’exerçait pas un contrôle aussi étroit que Mme Levy le soutient. En premier lieu, M. Hines était souvent absent pour affaires. Mme Levy était alors chargée de diriger le bureau. Mme Levy a témoigné qu’à ces moments‑là, c’était Mme Hines qui exerçait un contrôle sur son travail. Je dispose de peu d’éléments de preuve à l’appui de cette prétention. En second lieu, Mme Levy effectuait un grand nombre d’heures en dehors de la journée normale de travail, qui allait de 9 à 17 h, tant au bureau que chez elle. Or, personne n’a laissé entendre que M. Hines surveillait Mme Levy lorsqu’elle travaillait en dehors des heures régulières de bureau.

 

[22]    Comme le juge Major l’a dit dans l’arrêt Sagaz, le contrôle est toujours un facteur important. Certains éléments sont présents, quant au contrôle exercé par M. Hines; pourtant, il y a également des éléments indiquant que Mme Levy bénéficiait d’une certaine indépendance. Cela est plutôt juste et même si je tends à conclure à l’existence d’un contrôle insuffisant pour justifier un emploi, je dois tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit le reste de la relation de travail.

 

(ii)      La propriété des instruments de travail

 

[23]    La plupart des instruments de travail et des fournitures étaient à la charge de l’appelante, qui est même allée jusqu’à remettre à Mme Levy une imprimante pour qu’elle l’utilise chez elle. Cependant, Mme Levy se servait de son propre ordinateur lorsqu’elle travaillait à domicile. D’un autre côté, je tiens également compte du fait que l’appelante payait les frais d’essence de Mme Levy. Somme toute, ces facteurs militent en faveur de l’existence d’un emploi.

 

(iii)     Le recrutement d’employés

 

[24]    Mme Levy a demandé de l’aide. Elle l’a fait en cherchant à embaucher quelqu’un qui serait rémunéré à l’aide de sa propre rémunération. Elle a créé un nom commercial, étant donné que l’agence de placement avec laquelle elle traitait l’exigeait. M. Hines était absent à ce moment‑là. Mme Hines a recommandé une amie, que Mme Levy a embauchée. Mme Hines a laissé entendre que c’est l’appelante qui devait payer pour les services de la travailleuse, comme elle l’a en fin de compte fait. Les actions de Mme Levy à cet égard sont celles d’une personne qui travaille à son compte. Même si l’adjointe a en fin de compte été rémunérée par l’appelante, les circonstances entourant le recrutement et, à coup sûr, la façon dont Mme Levy concevait ce qu’elle pouvait faire sur le plan contractuel indiquent l’existence d’une relation avec un entrepreneur indépendant.

 

(iv)     Le degré de responsabilité quant aux mises de fonds et à la gestion

 

[25]    Les circonstances sont telles qu’il ne s’agit pas d’une considération majeure, mais j’ai quelques points à signaler. Premièrement, quel investissement Mme Levy a‑t‑elle fait? Elle a avant tout investi énormément de temps. Or, selon moi, un investissement va plus loin que celui qui résulte du sentiment normal de fidélité envers l’employeur. En outre, Mme Levy a assuré sa propre formation en suivant un cours portant sur une application sur ordinateur aux fins de la TPS. Ces éléments indiquent que Mme Levy travaillait à son compte.

 

(v)     Le degré de risque financier

 

[26]    Mme Levy assumait un certain risque, mais ce risque était faible. Ainsi, elle utilisait son propre véhicule pour s’acquitter des diverses obligations de l’entreprise comme les opérations bancaires. Personne n’a laissé entendre que l’appelante avait souscrit à une assurance pour le compte de Mme Levy. Mme Levy croyait en outre qu’elle devait payer de sa poche l’aide qui lui était fournie, mais en fin de compte, en ce qui concerne la seule personne qu’elle a embauchée, elle n’a pas supporté ce coût. En général, il n’y avait pas le degré de risque financier que l’on associerait à celui qu’assume l’entrepreneur indépendant.

 

(vi)     Les chances de bénéfice

 

[27]    Il s’agit d’une question plus épineuse. Le fait que Mme Levy pouvait effectuer de longues heures, plus nombreuses que ce à quoi l’on s’attendrait normalement dans une relation employeur-employé, indique‑t‑il qu’il s’agit d’une personne travaillant à son compte qui cherche à maximiser son revenu? Un grand nombre d’employés ont la possibilité d’effectuer du temps supplémentaire. Pareil travail sera souvent rémunéré à un taux majoré, et il arrivera souvent, pour cette raison, que l’employeur exerce une supervision étroite. Un travailleur contractuel, rémunéré à l’heure, augmente son revenu en convainquant le payeur qu’il faut un plus grand nombre d’heures pour mener le travail à bonne fin. De telles heures ne sont normalement pas rémunérées à un taux différent du taux contractuel. Le travailleur contractuel rémunéré à l’heure a‑t‑il plus de possibilités que l’employé rémunéré à l’heure d’augmenter son revenu? Oui, si le travailleur contractuel exerce un contrôle sur ses heures. Je reviens donc au point de départ, soit à la question du contrôle. Je conclus que Mme Levy pouvait effectuer un nombre illimité d’heures pour maximiser ses bénéfices. Pourtant, je conclus également, compte tenu de l’ambivalence dont M. Hines a fait preuve au sujet d’une forme d’entente par rapport à l’autre, que Mme Levy aurait probablement pu effectuer le même nombre d’heures à titre d’employé. Ce facteur est neutre.

 

[28]    Cette analyse ne m’a pas amené à tirer une conclusion claire. Je conclus donc qu’il convient en l’espèce de se fonder sur la démarche susmentionnée que le juge Noël a préconisée, c’est‑à‑dire l’examen de l’intention des parties.

 

[29]    Lors de l’instruction, Mme Levy a maintenu qu’elle croyait être une employée. Toutefois, elle ne peut pas expliquer l’incohérence entre cette conviction et le fait qu’aucun montant n’était retenu sur ses chèques. Mme Levy affirme également que, lorsque M. Hines l’avait embauchée, il avait été question de retenues à la source et qu’elle croyait que M. Hines voulait dire qu’elle s’occuperait des retenues à la source pour son compte et pour les autres dans l’exécution de ses tâches au sein de l’entreprise, et non qu’elle serait personnellement responsable des retenues à la source à effectuer sur sa rémunération. Je ne trouve pas cette explication crédible, puisque Mme Levy se serait immédiatement rendu compte, après avoir reçu son tout premier chèque, qu’elle touchait un montant brut et non un montant net. Personne n’effectuait les retenues à la source. J’ajouterai que Mme Levy croyait pouvoir embaucher ses propres employés et travailler ailleurs si le temps le permettait; je conclus que M. Hines et elle voulaient tous deux conclure une entente d’entrepreneur indépendant et qu’ils s’étaient de fait entendus à ce sujet. C’est également ce qui ressort de l’avis de départ que Mme Levy a remis à M. Hines. Il n’était pas question de la cessation d’un emploi, mais de la cessation du travail contractuel.

 

[30]    Certains facteurs militent en faveur de l’existence d’un emploi, mais ils ne sont pas suffisants pour faire pencher la balance dans ce sens, compte tenu en particulier de l’entente conclue entre les parties.

 

[31]    J’accueille l’appel de l’appelante et je renvoie l’affaire au ministre, compte tenu du fait que Mme Levy n’exerçait pas un emploi assurable ou ouvrant droit à pension. Je tiens à faire clairement savoir à M. Hines que c’est avec justesse que j’arrive à cette conclusion et qu’il ne doit pas pour autant supposer que je retiens sa version des faits plutôt que celle de Mme Levy.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juin 2005.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’avril 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


 

RÉFÉRENCE :

2005CCI370

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2004-159(EI), 2004‑160(EI)

 

INTITULÉ :

Sherman Hines Photographic Ltd. c.

le ministre du Revenu national et Janine Levy

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 28 juillet 2004 et 24 février 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 juin 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Me Catherine McIntyre

Avocat de l’intervenante :

Me Rick Hartlen le 28 juillet 2004 seulement

Pour l’intervenante :

L’intervenante agissant pour son propre compte le 24 février 2005

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

 

Nom :

S/O

 

Cabinet :

S/O

Pour l’intervenante :

      Nom :

      Cabinet :

Pour l’intimé :

 

 

Rick Hartlen

Alexander MacKenzie Proudfoot

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Les adversaires ont manifesté de la rancœur et une malveillance sans retenue.

[2]           [2001] 2 R.C.S. 983.

[3]           [2002] 4 C.F. 396.

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