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Dossier : 2004-2966(EI)

ENTRE :

GLEN MCMAHON

FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM D’ÉPREUVES ILLIMITÉES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MARIA MILAGROS RUANO,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 7 mars 2005 à Montréal (Québec)

 

Devant : L’honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

 

 

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle‑même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau‑Brunswick), ce 5e jour de mai 2005.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge Savoie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’octobre 2005.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2005CCI271

Date : 20050505

Dossier : 2004-2966(EI)

ENTRE :

GLEN MCMAHON

FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM D’ÉPREUVES ILLIMITÉES,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MARIA MILAGROS RUANO,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]   Le présent appel a été entendu à Montréal (Québec) le 7 mars 2005.

 

[2]   Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle Maria Milagros Ruano, la travailleuse, occupait un emploi assurable alors qu’elle travaillait pour l’appelant pendant la période en litige, soit du 19 août 2002 au 20 août 2003.

 

[3]   Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé pour rendre sa décision sont les suivantes :

 

          [TRADUCTION]

 

a)         L’appelant a été constitué en société le 24 novembre 1994;  (niée)

 

b)         L’appelant exploitait une entreprise d’arts graphiques sous le nom d’« Épreuves Illimitées »;  (admise)

 

c)         Pendant la période visée, la travailleuse a travaillé pour l’appelant, en tant qu’employée à temps plein, dans le bureau de l’appelant;  (niée)

 

d)         Fonctions de la travailleuse :

 

            - mélanger les couleurs

            - couper les boîtes ou les cartes professionnelles

            - effectuer des livraisons;  (admise)

 

e)         La travailleuse travaillait généralement de 9 h à 17 h, pour un total de 37,5 heures par semaine;  (niée)

 

f)          La travailleuse touchait un salaire de 8,00 $ l’heure;  (niée)

 

g)         L’ensemble du matériel, des outils et des fournitures était fourni à la travailleuse par l’appelant;  (niée)

 

h)         Lorsqu’elle devait utiliser sa voiture, la travailleuse recevait de l’appelant 0,30 $ pour chaque kilomètre parcouru.  (niée)

 

[4]   La preuve révèle que l’appelant exploite une entreprise sous le nom d’« Épreuves Illimitées » depuis le 2 février 1990.

 

[5]   La travailleuse a été engagée par l’appelant en 2002 en tant qu’employée à temps plein. Auparavant, l'appelant avait rejeté la demande d’emploi de la travailleuse parce qu’elle  cherchait un emploi à temps plein. À la place, il voulait l’engager à titre de travailleuse indépendante en vertu d’un contrat. L’appelant conteste l’allégation selon laquelle il a engagé la travailleuse à temps plein. Ils ont conclu un contrat de travail verbal dans lequel il était prévu qu’elle fournirait ses services à l’appelant à temps plein, quotidiennement, de 9 h à 17 h. L’appelant avait besoin d’un adjoint et il a accepté de payer la travailleuse 8,00 $ l’heure. Elle devait être payée selon un taux majoré de moitié si elle faisait des heures supplémentaires.

 

[6]   La travailleuse fournissait ses services au lieu de travail de l’appelant et même si elle avait été engagée en tant qu’employée à temps plein, il y avait des périodes où elle ne pouvait pas travailler parce que l’appelant était absent. La nature du travail à effectuer nécessitait les services de deux personnes, c’est‑à‑dire l’appelant et la travailleuse, en tant que son adjointe. L’appelant a donné la formation nécessaire pour que la travailleuse puisse effectuer son travail. Tous les outils nécessaires pour travailler étaient fournis par l’appelant et la travailleuse recevait une somme correspondant à 0,30 $ par kilomètre parcouru pour l’utilisation de son automobile quand elle présentait une facture. Selon la travailleuse, parfois, l’appelant refusait de lui payer le taux prévu pour le kilométrage parcouru.

 

[7]   L’horaire de travail était établi par l’appelant sur un calendrier, et la travailleuse y indiquait ses heures de travail. La travailleuse a mentionné dans son témoignage que l’appelant était méticuleux en ce qui concerne l’horaire. Il déduisait 20,00 $ de sa paye si elle recevait un appel téléphonique et il l’obligeait à rendre compte de chaque minute de son temps, sans quoi son temps de travail n'était pas payé. Le travail de la travailleuse était surveillé par l’appelant, lequel exigeait parfois qu’elle recommence ce qu’elle avait fait parce qu’il n’approuvait pas son travail. L’appelant a remplacé la travailleuse le 20 août 2003 lorsqu’elle est partie en vacances en Espagne, un voyage qui, selon la travailleuse, avait été autorisé par l’appelant. Toutefois, selon l’appelant, la travailleuse ne l’avait même pas informé qu’elle avait l’intention de faire ce voyage.

 

[8]   L’appelant affirme que la travailleuse établissait son propre horaire de travail et qu’elle pouvait travailler quand elle le voulait. La travailleuse conteste cette affirmation. Elle soutient qu’elle ne pouvait pas travailler seule. La nature même du travail exigeait la participation de deux personnes, et elle aidait l’appelant dans son travail. L’appelant ajoute que la travailleuse s’absentait pour des raisons personnelles et qu’elle occupait un autre emploi pendant les fins de semaine. La travailleuse confirme s'être trouvé un autre emploi en juillet 2003 parce qu’elle voulait survivre. Elle explique que l’appelant n’arrêtait pas de réduire ses heures de travail.

 

[9]   Le témoignage de la travailleuse est corroboré par deux anciens employés de l’appelant. Wendy Boode a indiqué dans son témoignage qu’en tant qu’employée de l’appelant, elle devait être présente de 9 h à 17 h pour exercer des fonctions semblables à celles confiées à la travailleuse. De plus, elle a indiqué qu’elle se rendait souvent au lieu de travail de l’appelant et qu'elle pouvait dire que la travailleuse s’y trouvait 85 % du temps. Elle a ajouté que la travailleuse faisait souvent des livraisons à son lieu de travail pendant qu’elle travaillait pour l’appelant. Elle a dit que même si elle avait été engagée pour travailler à temps plein, elle avait fini par devenir travailleuse indépendante parce que l’appelant l’y avait obligé. Mme Boode a également dit que son horaire de travail variait d’une semaine à l’autre parce que l’appelant la renvoyait souvent à la maison et déduisait ce temps‑là de sa paye. Toutes ces affirmations sont consignées dans une lettre signée par Mme Boode et déposée comme pièce I-1.

 

[10] La Cour a aussi entendu le témoignage de Wendy Demongey, laquelle a refusé l’offre d’emploi à temps plein de l’appelant parce qu’elle voulait offrir ses services à titre de pigiste pour 12,00 $ l’heure. Elle a alors donné le nom de la travailleuse à l’appelant.

 

[11] Il faut souligner que le témoignage indépendant de ces témoins laisse planer un doute sérieux sur la crédibilité de l’appelant. De plus, l’appelant n’a pas réussi à discréditer leurs témoignages lors de son contre‑interrogatoire. L’appelant n’a également pas contre‑interrogé la travailleuse concernant le contenu de sa note datée du 3 décembre 2003, reçue en preuve et déposée comme pièce R-3, dans laquelle elle allègue que l’appelant, en raison de la plainte qu’elle a déposée auprès de la Commission des normes du travail, lui a fait des menaces au téléphone, l’a intimidée et lui a fait du chantage.

 

[12] Le ministre s’est prononcé sur l’assurabilité de l’emploi exercé par la travailleuse en se basant sur l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’Assurance‑emploi (la « Loi »). Voici le libellé de la disposition pertinente :

 

EMPLOI ASSURABLE

 

5.(1)     Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

al'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

[13] Les cours ont établi certains critères à la lumière desquels les circonstances d’une affaire peuvent être examinées pour décider si un emploi est assurable. Dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 3 C.F. 553, la Cour d’appel fédérale a mentionné le critère appliqué par lord Wright dans l’arrêt Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd. [1947] 1 D.L.R. 161, où ce dernier a indiqué, entre autres choses, ce qui suit :

 

[...] Dans les situations plus complexes de l'économie moderne, il faut souvent recourir à des critères plus compliqués.  Il a été jugé plus convenable dans certains cas d'appliquer un critère qui comprendrait les quatre éléments suivants :  (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la possibilité de profit; (4) le risque de perte. [...]

 

CONTRÔLE

 

[14] La travailleuse avait étudié les arts plastiques et elle pouvait faire des modèles, etc., mais elle ne connaissait pas les différentes méthodes utilisées par l’appelant, et c’est la raison pour laquelle il lui a donné une formation. La travailleuse était constamment surveillée par l’appelant qu’il l’avait engagée à titre d’adjointe, et les deux travaillaient ensemble. Autrement dit, elle ne pouvait travailler que lorsque l’appelant était là. Le travail exécuté par la travailleuse était constamment évalué par l’appelant, lequel exigeait parfois qu’elle recommence tout ce qu’elle avait fait parce qu'il n’était pas satisfait de son travail. Selon les feuilles de temps, l’appelant contrôlait l’horaire de travail de la travailleuse à la minute près. L’appelant décidait quand la travailleuse pouvait prendre ses vacances. La travailleuse a été congédiée par l’appelant le 20 août 2003.

 

PROPRIÉTÉ DES OUTILS

 

[15] Tous les outils, dont certains étaient compliqués et servaient dans le cadre de processus utilisés pour laminer et plastifier, étaient fournis par l’appelant.

 

POSSIBILITÉ DE PROFIT ET RISQUE DE PERTE

 

[16] La travailleuse ne pouvait pas travailler les fins de semaine pour l’appelant parce qu’il n’était pas présent sur les lieux de travail. Elle était payée selon un taux majoré de moitié pour les heures supplémentaires. Son salaire variait d'une semaine à l'autre parce que, parfois, l’appelant la renvoyait à la maison et il ne la payait pas pour ce temps‑là. Même s’il était parfois réticent à le faire, la plupart du temps l’appelant rémunérait la travailleuse pour le temps qu’elle consacrait aux courses et aux livraisons, et ce, en lui versant son salaire horaire et une indemnité de 0,30 $ par kilomètre parcouru.

 

INTÉGRATION

 

[17] Le juge Major a expliqué la notion d’intégration dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, et lorsqu’il a renvoyé à l’arrêt Wiebe Door, précité, il a indiqué ce qui suit au paragraphe 40 :

 

     Comme le souligne le juge MacGuigan, le lord juge Denning (plus tard maître des rôles) a appliqué un critère général similaire, appelé « critère d'organisation » ou « critère d'intégration » dans l'arrêt Stevenson Jordan and Harrison, Ltd. c. Macdonald, [1952] 1 The Times L.R. 101 (C.A.), p. 111 :

 

[TRADUCTION]

Un élément semble se retrouver dans tous les cas :  en vertu d'un contrat de louage de services, une personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire.

 

Le juge Major a mentionné ce qui suit au paragraphe 44 :

 

            Selon le juge MacGuigan, c'est le juge Cooke qui a fait la meilleure synthèse du problème dans la décision Market Investigations, Ltd. c. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), p. 737-738 (suivie par le Conseil privé dans l'arrêt Lee Ting Sang c. Chung Chi-Keung, [1990] 2 A.C. 374, lord Griffiths, p. 382) :

 

[TRADUCTION]

            Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci :  « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne à son compte? »  Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise.  Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. [...]

 

[18] Dans le passage reproduit ci‑dessous qu’on retrouve aux paragraphes 47 et 48, il a donné plus de précisions concernant l’analyse du critère servant à déterminer, comme en l’espèce, s’il y a une relation employeur‑employé entre les parties :

 

            Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante.  La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

 

            Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer.  Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

 

[19] L’appelant demande à la Cour d’annuler la décision du ministre, lequel s’est fondé sur l’alinéa 5(1)a) de la Loi pour décider que la travailleuse exerçait un emploi assurable.

 

[20] La Cour a examiné et analysé les faits que le ministre a étudiés ainsi que la preuve orale et documentaire présentée lors du procès en fonction des critères exposés dans la jurisprudence précitée. La Cour est d’avis que la décision du ministre à l’égard de l’assurabilité de l’emploi de la travailleuse est correcte et conforme à la Loi et à la jurisprudence. Par conséquent, l’appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau‑Brunswick), ce 5e jour de mai 2005.

 

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge Savoie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’octobre 2005.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 

 


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2005CCI271

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2004-2966(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Glen McMahon faisant affaire sous le nom d’Épreuves Illimitées et M.R.N. et Maria Milagros Ruano

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 mars 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 mai 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimé :

 

Me Emmanuelle Faulkner

 

Pour l’intervenante :

 

L’intervenante elle-même

 

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Étude :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

       Pour l’intervenante :

 

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