Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2005-2045(EI)

ENTRE :

YVES LAPOINTE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 28 octobre 2005, à Matane (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Alain Poirier

 

Avocat de l'intimé :

Me Jean Lavigne

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 19e jour de décembre 2005.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2005CCI752

Date : 20051219

Dossier : 2005-2045(EI)

 

ENTRE :

YVES LAPOINTE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     Il s’agit d’un appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») rendue le 29 avril 2005 et informant l’appelant que l’emploi qu’il avait occupé du 17 mai au 23 juillet 2004 auprès du Festival d’Art In-Discipliné Région de l’Est (FAIRE) n’était pas assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Selon le Ministre, l’appelant n’exerçait pas un emploi en vertu d’un contrat de louage de services.

 

[2]     FAIRE est un organisme sans but lucratif qui a été constitué en société le 23 juin 2003 dans le but de permettre des échanges entre artistes du Bas St‑Laurent et d’organiser des évènements culturels. Au moment de sa constitution, le conseil d’administration comptait trois personnes, soit l’appelant à titre de président, Diane Dupuis à titre de vice-présidente et Céline Boucher à titre de secrétaire. Un premier festival d’une durée de 4 jours a été organisé pendant la première année d’existence de FAIRE, mais ce n’est qu’en 2004 que cet organisme semble avoir connu son vrai départ.

 

[3]     La première assemblée générale de formation de FAIRE a eu lieu le 3 juin 2004. Mesdames Boucher et Dupuis n’étaient pas présentes à l’assemblée et on ne sait rien sur leur rôle ou leur participation depuis la constitution jusqu’à cette réunion, sauf que madame Dupuis s’est occupée de la comptabilité jusqu’au 19 août 2003. L’appelant reconnaît que leur participation après cette date a été faible.

 

[4]     Selon le procès-verbal de l’assemblée générale annuelle du 3 juin 2004, l’appelant a été ré-élu président et un conseil d’administration composé de 7 personnes a été élu. Les règlements généraux de la société ont aussi été adoptés parmi lesquels on trouve un article prévoyant que seul le conseil d’administration a le pouvoir de choisir les employés et de définir leurs responsabilités et un autre disposant que les membres du conseil d’administration sont des bénévoles et ne sont pas rémunérés pour leurs services. Cependant, les frais, notamment les frais de voyage et de représentation, encourus dans le cadre de leurs fonctions peuvent être remboursés. Selon les règlements, un administrateur peut, exceptionnellement, par résolution majoritaire du conseil d’administration, être rémunéré pour ses services et demeurer administrateur pendant cette période.

 

[5]     On peut lire dans le procès-verbal d’une réunion du conseil d’administration tenue le 5 août 2004 que le conseil d’administration avait tenu une réunion spéciale le 21 juillet 2004. Le procès-verbal de cette réunion spéciale n’a pas été déposé en preuve, mais c’est à cette occasion que l’appelant aurait soumis sa démission à titre de président et de directeur artistique/coordonnateur du Festival 2004. Le conseil d’administration, à sa réunion du 5 août, a jugé conforme le compte-rendu de la réunion spéciale du 21 juillet et a chargé le président par intérim, M. Noël Grondin, de demander à l’appelant de soumettre une lettre de démission officielle. Toujours lors de la réunion du 5 août, il a été question des lacunes dans l’organisation du Festival et des problèmes causés par son président. Le procès-verbal fait la lumière sur la position du conseil à l’égard de l’appelant et du fait que ce dernier se soit accordé une rémunération sans résolution du conseil d’administration. L’article 4 du procès-verbal résume la position du conseil d’administration en ces termes :

 

4.      Position du conseil d’administration à l’égard de monsieur Yves Lapointe

 

Après discussions sur la légitimité ou non, pour monsieur Yves Lapointe d’être encore administrateur malgré qu’ait démissionné de son poste de président et de directeur artistique/coordonateur, Noël Grondin lit au conseil d’administration, les articles de nos règlements généraux concernant précisément ce point.

 

Article 8.4          Remboursement des dépenses

 

Les membres du conseil d’administration sont des bénévoles et ne sont pas rémunérés pour leurs services. Les frais encourus par leur fonction (voyages, représentation) peuvent cependant leur être remboursés. Exceptionnellement, un administrateur peut, par résolution majoritaire du conseil d’administration, être rémunéré pour ses services et demeuré administrateur pendant cette période.

 

Monsieur Lapointe s’étant accordé une rémunération sans résolution aucune du conseil d’administration, il est donc automatiquement exclu du conseil d’administration.

 

Article 3.4          Suspension et expulsion

 

Le conseil d’administration peut, par résolution, suspendre pour une période déterminée ou expulser tout membre actif qui enfreint sans justification les règlements.

 

Après discussions, il est résolu à l’unanimité d’expulser monsieur Yves Lapointe comme membre de la Corporation du Festival d’art in-discipliné de la région de l’Est et par conséquent, comme administrateur.

 

Monsieur Grondin fait part d’un brouillon de lettre qu’il entend expédier à monsieur Lapointe, suite à cette décision du conseil d’administration.

 

Madame Nadia Pelletier propose que cette lettre soit bonifiée et rendue publique. Elle est secondée par monsieur Firmin Gallant.

 

Madame Estelle Dallaire-Cloutier, secondée par madame Denise Lapointe, propose que cette lettre soit d’abord soumise à un avocat, quitte à ce qu’il la prenne en charge.

 

Cette dernière option est finalement adoptée. Monsieur Grondin et madame Lapointe rencontrerons un avocat dès la semaine prochaine.

 

[6]     Sous la rubrique « Varia », le procès-verbal indique que l’appelant recevra un avis de cessation d’emploi pour des semaines de 40 heures s’il fournit ce que l’on a appelé « son papier maladie ».

 

[7]     Le 6 août 2004, le président par intérim faisait parvenir une lettre à l’appelant lui expliquant que le conseil d’administration attendait toujours le document provenant du médecin et que l’appelant avait promis de fournir le 22 juillet précédent. L’appelant a été sommé de remettre ce document au plus tard le 9 août 2004, sinon la mention « départ volontaire » serait ajoutée à son avis de cessation d’emploi.

 

[8]     Deux autres lettres furent envoyées à l’appelant par le président par intérim, soit le 10 et le 19 août 2004. Dans la première, l’appelant était prié de fournir des explications au conseil d’administration afin de faire la lumière sur son emploi. Il était signalé dans la lettre que le conseil d’administration n’avait en main aucune résolution ou autorisation permettant à l’appelant de percevoir de l’argent de la société à titre d’employé et qu’il n’existait aucun contrat écrit entre eux. Des questions étaient également soulevées concernant certaines irrégularités visant la tenue du festival de 2004. Dans la deuxième lettre, on informait l’appelant que le conseil d’administration avait procédé à son expulsion du conseil d’administration au motif qu’il avait enfreint le règlement 8.4 reproduit ci-haut puisque le conseil d’administration n’a jamais autorisé l’appelant à occuper le poste de président et d’employé de la société et qu’il n’y avait aucun contrat, entente ou autre document autorisant l’appelant à recevoir des sommes d’argent à titre d’employé de FAIRE.

 

[9]     Lors d’une assemblée ordinaire en date du 24 août 2004, le conseil d’administration a adopté la lettre du 19 août. À cette même réunion, le procès-verbal de la réunion du 5 août 2004 a été adopté avec les modifications suivantes :

 

Au point 4.  Position du conseil d’administration à l’égard de monsieur Yves Lapointe:  il est convenu de transformer le mot rémunération par Honoraires Professionnels.  À ce titre, monsieur Lapointe recevra un T4 et un Relevé 1 en fin d’année, pour les montants bruts qu’il s’est accordé, soit : 380.28 $, pendant 12 semaines, pour un total de: 4 943.64 $.  Ceci exclut les autres montants qu’il s’est accordé au cours de l’hiver pour ses dépenses. Pour la Corporation, ça implique que l’on pourra réclamer (ou réaffecter) les sommes déjà payées comme déduction à la source pour monsieur Lapointe.

 

Le point 10.1. Cessation d’emploi de monsieur Yves Lapointe, devient automatiquement caduque

 

[10]    Un avis public a par la suite été publié dans un journal local. Selon cet avis, les administrateurs, bénévoles et membres fondateurs de FAIRE se dissociaient de l’appelant et rejetaient toute responsabilité concernant les dettes, gestes et paroles de l’appelant.

 

[11]    M. Noël Grondin, élu président par intérim, (j’en déduis qu’il a ainsi été nommé à la réunion de conseil d’administration du 21 juillet 2004 dont le procès-verbal n’a pas été déposé en preuve) a témoigné qu’il fut informé du fait que l’appelant était un employé de FAIRE à la réunion qu’il a présidée le 5 août 2004. Il ne savait rien au sujet de cet emploi. Selon lui, les membres du conseil d’administration étaient censés être des bénévoles. Il a cherché de la documentation pouvant l’éclairer sur cette affaire. Il fut informé des noms des membres provisoires du conseil d’administration. Ces derniers avaient démissionné en 2003, sauf l’appelant. Il a découvert les chèques payés à l’appelant, mais rien qui expliquait la relation entre l’appelant et FAIRE.

 

[12]    N’ayant pas reçu de réponse à ses lettres du 6, 10 et 19 août 2004, le conseil d’administration a pris des mesures à sa réunion du 24 août 2004. Ainsi, l’appelant a été expulsé comme membre de FAIRE et il fut décidé que la cessation d’emploi ne serait pas donnée à l’appelant puisque la rémunération versée serait traitée comme honoraires professionnels et un T-4 lui serait envoyé pour les montants bruts qu’il s’était accordés pendant la période en question.

 

[13]    De son côté, l’appelant a expliqué qu’il était directeur artistique et coordonnateur de FAIRE en tant que bénévole. Il a entrepris des démarches auprès de certains ministères afin de rendre FAIRE admissible à des subventions. Une des conditions pour recevoir une de ces subventions était qu’un employé salarié devait occuper le poste de direction, de coordonnateur des communications et de la recherche de fonds, entre autres. La demande de subvention faisait état d’un tel poste offrant une rémunération à un taux de 15 $ l’heure pour 14 semaines de travail de 35 heures.

 

[14]    Une fois que l’appelant a eu confirmation que FAIRE allait obtenir la subvention, un compte de caisse avec marge de crédit a été ouvert afin de payer le salaire de l’appelant qui s’élevait à 550 $ par semaine et qu’il a perçu à compter du début de mai 2004. Il a pu continuer à recevoir son salaire grâce aux fonds recueillis lors d’un souper bénéfice et sur réception d’une seconde subvention. Il fut payé ainsi jusqu’à ce qu’il donne de sa démission le 21 juillet 2004. Selon l’appelant, ses tâches étaient liées à l’organisation du festival et à tout ce que cela comporte et il a travaillé à la rédaction des règlements généraux de FAIRE et au recrutement de nouveaux membres. L’appelant a affirmé qu’il était supervisé par madame Chantal Bernier. Selon l’appelant, du 3 juin au 21 juillet 2004, il y a eu 5 réunions formelles du conseil d’administration, soit une à tous les 10 jours et des réunions informelles à tous les 3 jours. En ce qui concerne les réunions informelles, il s’agissait de rencontres entre l’appelant et madame Chantal Bernier. Il a ajouté que madame Bernier aurait démissionné à la mi-juin pour devenir responsable de la comptabilité, un poste rémunéré. Il soutient que madame Bernier l’avait autorisé à faire les démarches de subvention.

 

[15]    Le compte de caisse ouvert pour la marge de crédit et le dépôt des subventions était au nom de l’appelant et de son amie Johan Brouillard. Les chèques remis à l’appelant et déposés en preuve portent sa signature et celle de Johan Brouillard, à l’exception de celui du 25 juin 2004 qui est contresigné par madame Chantal Bernier au lieu de Johan Brouillard. Madame Bernier a posé sa signature parce que l’appelant lui a demandé de s’engager. Elle a accepté de la faire jusqu’à ce que l’appelant trouve quelqu’un d’autre. Aucune résolution autorisant quiconque à signer les chèques n’a été prise le 3 juin 2004 sauf, que Chantal Bernier a été nommée secrétaire-trésorière lors de cette réunion et elle n’a commencé à signer des chèques que le 25 juin 2004.

 

[16]    L’appelant a reçu des chèques aux dates et aux montants suivants : selon le relevé de compte, il a reçu un chèque de 380,36 $ le 7 mai 2004, de 368,00 $ le 14 mai 2004, de 380,28 $ le 20 mai 2004 et de 380,28 $ le 25 mai 2004 à titre de salaire semble-t-il. Selon les copies des chèques déposés, il y en a un du 28 mai 2004. Sur ce chèque, on peut y lire l’inscription « cash ». L’appelant ne se souvient pas s’il s’agissait de son salaire. Il a déclaré qu’il y avait de la confusion à l’époque et qu’on attendait la confirmation de son salaire. Il a ajouté qu’il n’y avait rien de défini concernant son poste. Pour ce qui est des chèques du 3 et 7 juin et de deux chèques du 18 juin 2004, ils portent une inscription d’avances et le montant correspond au salaire de l’appelant. L’appelant a expliqué que ces avances de salaire ont été faites avant le souper bénéfice et il a indiqué « avance sur salaire » pour que ce soit déterminé plus tard. Par contre, un chèque daté du 13 juin 2004 indique clairement qu’il s’agit de son salaire pour une semaine et le montant est identique aux deux chèques du 18 juin 2004. On trouve également un chèque en date du 13 juin 2004 payable à l’auberge dont madame Johan Brouillard est propriétaire. Il s’agirait de la location d’un bureau pour le festival.

 

[17]    L’appelant a signé deux déclarations lors de l’enquête menée par des agents du Développement des ressources humaines Canada. Le passage qui, à mon avis, reflète bien la situation se trouve dans la déclaration du 8 septembre 2004 où on peut y lire ceci :

 

Selon moi, j’ai pris une  permission tacite de me prendre un salaire. Je n’ai pas eu de contrat de travail ou d’employé de la part de la Corporation. À mon sens, il était connu des membres de la Corporation et de certains travailleurs qui sont devenus, pour certains, membres du conseil d’administration, que je recevais un salaire. Chantal Bernier, qui s’occupait des états financiers de la Corporation, en tant que secrétaire-trésorière, n’a pas fourni d’états financiers du 1er janvier au 1er juillet 2004, qui aurait fourni la preuve au conseil d’administration que je recevais un salaire.

 

[18]    De son côté, Chantal Bernier a déclaré, dans son témoignage, avoir commencé à travailler bénévolement pour FAIRE à partir de mai 2004. À la demande de l’appelant, elle a préparé bénévolement les états financiers de FAIRE de 2003 à mai 2004. Ces états financiers étaient très sommaires et l’information était fournie par l’appelant. Les états financiers qui furent approuvés à la réunion du 3 juin 2004 se terminaient le 31 décembre 2003. Aujourd’hui, elle déclare que les états financiers auraient été différents si elle avait été mieux informée. Elle ajoute aussi n’avoir joué aucun rôle relativement aux demandes de subventions et qu’aucune résolution n’a été adoptée concernant la demande de subvention du 21 mai 2004 au fond d’aide au développement culturel. Elle a préparé un livre des salaires pour FAIRE, mais n’est pas en mesure de confirmer si les heures de l’appelant qui y sont indiquées correspondent à la réalité.

 

[19]    L’avocat de l’appelant a admis à l’audience qu’aucun contrat d’emploi n’avait été conclu avant le 3 juin 2004, soit avant la tenue de la première assemblée générale annuelle de FAIRE. Il a reconnu que l’appelant n’était pas autorisé à s’embaucher et qu’à toutes fins pratiques, les conditions permettent la conclusion d’un contrat de travail au sens de la Loi, c’est-à-dire un contrat où l’employé est sous la direction ou le contrôle d’un employeur n’étaient pas présentes. Il a soutenu, toutefois, qu’après le 3 juin l’emploi était conforme à la Loi. De son côté, l’avocat de l’intimé a soutenu qu’il n’y avait pas eu de contrat de travail durant toute la période en l’espèce. Puisqu’il n’y a pas eu d’emploi en vertu d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi, l’appelant n’a pas occupé d’emploi assurable.

 

[20]    La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt 9041-6868 Québec Inc. c. Le Ministre du Revenu national, 2005 CAF 334,  a mis la pendule à l’heure en ce qui concerne le concept de contrat de louage de services à l’alinéa 5(1)a) de la Loi lorsque le droit provincial applicable est celui du Québec. Dans un tel cas, c’est le Code Civil du Québec qui détermine les règles applicables à un contrat conclu au Québec. La Cour a également résumé le rôle de la Cour canadienne de l’impôt en ces termes aux paragraphes 8 et 9 :

 

[8]  Il faut garder à l'esprit que le rôle du juge de la Cour canadienne de l'impôt est de vérifier dans les faits si les allégations sur lesquelles s'est appuyé le ministre sont bien fondées et, le cas échéant, si la véritable réalité contractuelle des parties en est une qui peut être qualifiée, en droit, de louage de services. Le litige devant la Cour canadienne de l'impôt n'est pas, à proprement parler, un litige de nature contractuelle opposant l'une à l'autre des parties à un contrat. C'est un litige de nature administrative qui oppose un tiers, en l'occurrence le ministre du Revenu national, à l'une ou l'autre des parties, même si l'une ou l'autre peut en définitive vouloir épouser les vues du ministre.

 

[9]  Le contrat sur lequel le ministre se fonde ou qu'une partie cherche à lui opposer est certes un fait juridique que le ministre ne peut ignorer même s'il ne produit pas d'effet à son égard (art. 1440 C.c.Q.; Baudouin et Jobin, Les Obligations, Éditions Yvon Blais 1998, 5e édition, p. 377). Cela n'empêche en rien le ministre, cependant, d'alléguer que dans les faits le contrat n'est pas tel qu'il parait être, qu'il n'a pas été exécuté selon ses termes ou qu'il ne reflète pas la véritable relation qui s'est établie entre les parties. Il est permis au ministre, et à la Cour canadienne de l'impôt après lui, de rechercher cette relation véritable, ainsi que le prévoient les articles 1425 et 1426 du Code Civil du Québec, dans la nature du contrat, dans les circonstances dans lesquelles il a été conclu, dans l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que dans les usages. Et parmi ces circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu se trouve l'intention légitime déclarée des parties, un facteur important retenu par cette Cour dans un bon nombre d'arrêts (voir Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396, para. 119 et 122; A.G. Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., [2004] A.C.F. no 238, 2004 CAF 54; Le Livreur Plus Inc. c. M.R.N., [2004] A.C.F. no 267, 2004 CAF 68; Poulin c. Canada (M.R.N.), [2003] A.C.F. no 141, 2003 CAF 50; Tremblay c. Canada (M.R.N.), [2004] A.C.F. no 802, 2004 CAF 175.

 

[21]    Les dispositions du Code Civil du Québec qui traitent du contrat en général et celles du contrat de travail et qui sont pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

 

1378.  Le contrat est un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation.

 

[…]

 

1425.  Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426.  On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

[…]

 

1440.  Le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes; il n'en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi.

 

[…]

 

2085.  Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

[22]    Il incombe à l’appelant de démontrer selon la prépondérance des probabilités que les faits sur lesquels le Ministre s’est appuyés en déterminant que l’appelant n’exerçait pas un emploi en vertu d’un contrat de louage de services sont mal fondés. L’appelant a nié de façon systématique les allégations de faits à l’appui de la décision du Ministre, à l’exception des trois premiers que l’on trouve aux sous paragraphes 5 a), b) et c) de la réponse à l’avis d’appel. Cela étant dit, à mon avis, l’appelant n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve à établir qu’il existait, en l’espèce, un contrat de travail au sens de la Loi.

 

[23]    FAIRE, à toutes fins pratiques, n’était pas dirigé par un conseil d’administration de trois membres comme l’exige la Loi et ce, en raison du départ de deux des administrateurs fondateurs, soit Céline Boucher et Diane Dupuis. Aucun procès-verbal de réunion et aucune résolution en bonne et due forme n’ont été adoptés par le conseil d’administration avant sa première assemblée générale annuelle tenue le 3 juin 2004. Il va sans dire qu’il était donc impossible pour FAIRE d’être lié par un contrat de travail à l’appelant avant la tenue de cette assemblée, comme le reconnaît d’ailleurs l’avocat de l’appelant. En outre, le procès-verbal de cette assemblée ne contient aucune mention du fait que l’appelant était au service de FAIRE à titre d’employé. Un nouveau conseil d’administration a été formé avec l’appelant à la présidence et des règlements généraux ont été adoptés après avoir été rédigés en grande partie par l’appelant. On y trouve une clause à l’effet que les membres du conseil d’administration sont des bénévoles et, qu’exceptionnellement, un administrateur peut, par résolution majoritaire du conseil d’administration, être rémunéré pour ses services et demeurer administrateur pendant cette période. Or, le procès-verbal de cette première assemblée générale annuelle ne fait aucune mention d’une telle résolution à l’égard de l’appelant et l’appelant a choisi de ne pas informer le conseil d’administration qu’il était à l’emploi de FAIRE.

 

[24]    Il ne fait aucun doute que l’appelant a rendu des services à FAIRE, sauf que ces services devaient être rendus bénévolement. À mon avis, il n’y a jamais eu, en l’espèce, de contrat de travail entre FAIRE et l’appelant. Il est évident que toutes les modalités du prétendu emploi ont été établies par l’appelant lui-même et que FAIRE n’exerçait pas de contrôle sur l’appelant en sa qualité d’employeur.

 

[25]    L’appelant n’était pas en mesure de se payer un salaire, ni de décider combien et quand il serait payé. Il devait savoir que sa façon de faire soulèverait des doutes car certains chèques qu’il a reçus étaient des avances. En autre, il s’attendait à ce que le conseil d’administration régularise la situation, ce qui n’a jamais été fait. Il faut aussi se demander comment il a pu obtenir des avances de salaire sans autorisation du conseil d’administration. L’appelant était, pendant la période en question, son propre maître. Dans un tel cas, il ne pouvait y avoir de contrat de travail. L’appel est donc rejeté.

 

 

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 19e jour de décembre 2005.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI752

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-2045(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Yves Lapointe et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Matane (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 28 octobre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 19 décembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Alain Poirier

 

Avocat de l'intimé :

Me Jean Lavigne

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                   Nom :                             Me Alain Poirier

 

                   Étude :                            Poirier & Poirier

                                                          Matane (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.