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Dossier : 2005-2887(IT)G

ENTRE :

KURT ZAENKER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 18 et 19 juin 2007, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Terry S. Gill

Avocate de l’intimée :

Me Linda L. Bell

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est accueilli avec dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelant a le droit de déduire une perte autre qu’une perte en capital de 1 754 068 $ subie à la disposition de la propriété de Hambourg (Allemagne), et que toute autre perte autre qu’une perte en capital inutilisée subie en 1997 peut faire l’objet d’un report prospectif sur l’année 1998.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d’août 2007.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de septembre 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

Référence : 2007CCI440

Date : 20070802

Dossier : 2005-2887(IT)G

ENTRE :

KURT ZAENKER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     M. Kurt Zaenker appelle des nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 1997 et 1998. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus dans le revenu de M. Zaenker les intérêts que ses investissements en Allemagne lui avaient rapportés ces années‑là. M. Zaenker a soutenu qu’il avait subi des pertes d’entreprise à l’égard de deux créances qui se s’étaient révélées irrécouvrables, ainsi qu’à l’égard de la disposition d’une propriété qu’il avait à Hambourg (Allemagne) en 1997 (la « propriété de Hambourg »). Le ministre a refusé de déduire les pertes d’entreprise demandées.

 

Faits

 

[2]     M. Zaenker a grandi en Allemagne. Il s’intéressait au domaine de l’immobilier depuis qu’il était jeune. Malgré les protestations de son père, qui disait qu’il devrait devenir chef pâtissier et travailler dans l’entreprise familiale, M. Zaenker a abandonné cette voie pour se consacrer au domaine qui l’intéressait, l’immobilier. À la fin des années 60, en Allemagne, il a obtenu son premier permis de courtage en immeubles. Pendant plusieurs années, il a exercé les fonctions de courtier en immeubles en ayant recours à la publicité et au bouche‑à‑oreille pour attirer la clientèle. Il a dit qu’il avait commencé à faire de l’argent dès le début.

 

[3]     Après avoir été courtier pendant sept ou huit ans, il a compris que, s'il voulait faire de l'argent, c'était comme propriétaire de biens immobiliers qu'il y arriverait et non pas comme courtier. Il a donc adopté d’autres stratégies immobilières au milieu des années 70 et a commencé à acheter et à vendre des propriétés. Il s’est bâti une réputation d’acheteur de vieilles propriétés peu coûteuses qu’il revendait après les avoir requinquées, pour utiliser une expression courante (achat et revente quasi simultanés). Les propriétés, qui étaient principalement résidentielles, étaient surtout situées de Hambourg (Allemagne). À l’occasion, M. Zaenker prenait le temps de rénover la propriété. Il a donné comme exemple une propriété dont le prix affiché était de 700 000 DM. Il avait fait l’acquisition de la propriété pour 500 000 DM, il avait pris plusieurs années pour la remettre en état et il l’avait vendue pour 9 000 000 DM. Par ailleurs, il a donné comme exemple une bâtisse décrépite qu’il avait acquise pour 30 000 DM. Il avait fait peindre la bâtisse et il l’avait vendue quelques jours plus tard pour 90 000 DM.

 

[4]     M. Zaenker se posait la question de savoir si la propriété serait plus facile à vendre avec ou sans locataires, et, s’il croyait qu’il serait plus facile de vendre la propriété sans locataires, il essayait de leur verser une indemnité pour qu’ils partent volontairement, quoiqu’il n’y parvenait pas toujours. M. Zaenker trouvait des acheteurs en annonçant les propriétés dans les journaux de Hambourg. On le connaissait aussi de réputation. Il finançait normalement les propriétés en les grevant d’une hypothèque. Il a indiqué qu’en Allemagne, un emprunteur avec une bonne cote de crédit comme la sienne pouvait obtenir une hypothèque d’un montant plus élevé que le prix de la propriété. Il a soutenu qu’il utilisait cette stratégie pour trouver des acheteurs qui pouvaient se contenter d’un faible versement initial ou bien qui n’avaient pas besoin d’en faire du tout pour acheter ses propriétés. Il disposait d’une marge de crédit de 6 000 000 DM à la Hamburg Savings Bank.

 

[5]     Entre 1975 et 1995, année où M. Zaenker a déménagé au Canada, l’appelant a estimé qu’il avait acheté et vendu environ 140 propriétés à son nom. Il est clair qu’il croyait qu’il était doué pour faire de l’argent en vendant des biens immobiliers.

 

[6]     Entre le 31 décembre 1994 et août 1995, moment où M. Zaenker a déménagé au Canada, celui‑ci a vendu au moins six propriétés. Il s’agissait de maisons en rangée ou d’immeubles d’appartements qu’il avait eus en sa possession pendant dix ans dans certains cas. Les sommes touchées lors la vente de ces propriétés ont servi à réduire une hypothèque sur une certaine propriété qu’il avait à Hambourg, c’est‑à‑dire la propriété qui, selon ce que M. Zaenker a fait valoir, avait donné lieu à une perte d’entreprise de 1 754 068 $CAN en 1997. La propriété de Hambourg était la seule propriété allemande que M. Zaenker avait encore en sa possession lorsqu’il a immigré au Canada en août 1995.

 

[7]     L’achat de la propriété de Hambourg a été négocié par M. Zaenker à la fin de l’année 1993. Le prix d’achat était de 8 500 000 DM, lequel était financé en grande partie au moyen d’une hypothèque de 8 000 000 DM. M. Zaenker a pris possession de la propriété au début de l’année 1994. Il a décrit la propriété comme étant une [traduction] « belle propriété » très bien située. Le rez‑de‑chaussée abritait un lieu de rencontre pour aînés, un café et un marchand d’équipement audio‑vidéo. Au premier étage, on trouvait un cabinet de dentiste ainsi qu’un grand bureau divisé en de nombreux petits espaces. Les trois autres étages comportaient des appartements. M. Zaenker a mentionné dans son témoignage que, comme il en avait l’habitude, il a essayé de vendre cette [traduction] « pièce de collection », comme il l’a appelée, peu de temps après en avoir fait l’acquisition. Toutefois, comme le revenu de location couvrait les dépenses, il n’était pas pressé de vendre la propriété. La situation a changé lorsque le locataire principal du premier étage a fait faillite. M. Zaenker s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas réaliser de profits en louant l’espace, même s’il rénovait les locaux. Il a vendu la propriété en 1997 à un cabinet de conseillers fiscaux pour le même prix qu’il avait payé pour en faire l’acquisition, soit 8 500 000 DM. En remboursant le solde du capital de l’hypothèque au moment de la vente, il a dû payer une pénalité pour remboursement anticipé de 377 989 DM à la Hamburg Savings Bank. La pénalité a été confirmée par la banque dans la correspondance datée du 13 mars 1997.

 

[8]     Les parties conviennent qu’au moment où M. Zaenker a déménagé au Canada en août 1995, 1 DM valait 0,97950 $ et qu’en février 1997, au moment de la vente de la propriété de Hambourg, 1 DM valait 0,80912 $. M. Zaenker a calculé que le produit de la vente était de 8 500 000 DM, moins la pénalité pour remboursement anticipé de 377 989 DM, ce qui donnait un montant net de 8 122 011 DM et donc un produit de disposition de 6 571 681 $ si on convertissait le montant au taux de 0,80912 $. M. Zaenker a soustrait le produit de disposition de la valeur de la propriété en 1995, qui était de 8 500 000 DM, soit 8 325 750 $ selon un taux de 0,97950 $, ce qui a donné lieu à une perte de 1 754 068 $CAN.

 

Faits relatifs aux créances

 

[9]     M. Zaenker soutient avoir consenti de 25 à 30 prêts pendant qu’il effectuait ses transactions immobilières en Allemagne entre 1975 et 1995. Il ne faisait pas de publicité pour ses activités relatives au prêt d’argent. Les gens savaient qu’il était un homme riche. Il consentait des prêts en fonction de biens donnés en garantie, qui, selon lui, devaient être des biens immobiliers, ou bien il prêtait des montants moins importants en contrepartie d’une reconnaissance de dette. Certains prêts (trois ou quatre) étaient ce qu’il a appelé du financement provisoire accordé dans le cadre de transactions immobilières. Il était rare qu’il eût besoin de prendre des mesures pour réaliser la garantie.

 

Prêt consenti à M. Groth

 

[10]    En 1994, M. Wilhelm Groth, un étranger, est entré en relation avec M. Zaenker parce qu’il voulait emprunter de l’argent en donnant pour garantie une hypothèque qu’il détenait sur une certaine belle propriété. M. Zaenker a examiné le titre de la propriété qu’il croyait être donnée en garantie. De nombreuses charges grevaient la propriété, et M. Groth voulait les lever. M. Groth voulait également apporter des améliorations à la propriété. M. Zaenker était d’avis que la propriété valait approximativement 1 000 000 DM.

 

[11]    M. Zaenker croyait que M. Groth était un homme travailleur et il lui a prêté 500 000 DM en plusieurs versements entre le 17 mai 1994 et décembre 1995. En juillet 1995, M. Zaenker a obtenu de M. Groth un contrat de prêt attestant qu’un prêt de 500 000 DM lui avait été consenti et indiquant qu’une charge grevant la propriété avait été inscrite au nom de M. Zaenker. Il s’est avéré que la charge qui avait été inscrite au nom de M. Zaenker grevait une propriété différente, qui avait peu ou pas de valeur. La propriété sur laquelle M. Zaenker croyait avoir une garantie n’appartenait pas à M. Groth mais à d’autres membres de la famille. M. Groth a effectué quelques versements d’intérêt sur le prêt. Par la suite, il a réduit les versements de moitié, puis il a complètement cessé de faire des versements. À ce moment‑là, M. Zaenker vivait au Canada et il ne recevait plus de versements de M. Groth. Il a fait des démarches en vue de saisir la propriété en 1997, mais il s’est rendu compte que la propriété ne valait pas grand chose. M. Groth a avisé M. Zaenker qu’il n’avait rien. La saisie, qui s’est conclue en 1998, n’a pas rapporté suffisamment pour couvrir les coûts de M. Zaenker.

 

Prêt consenti à M. et Mme Puteick

 

[12]    En décembre 1994, M. Zaenker a prêté 100 000 DM à M. et Mme Puteick à un taux d’intérêt de 3 % pour une durée de 18 mois. M. Zaenker connaissait les Puteick parce qu’ils étaient ses voisins dans la petite collectivité où il avait une résidence secondaire. M. Zaenker n’avait pas pris de garantie, étant donné qu’il croyait que M. Puteick [traduction] « n’avait rien à se reprocher ». Pendant une brève période de temps, Mme Puteick a fourni des services d’entretien ménager au lieu de payer les intérêts. M. Puteick est décédé par suite d’une maladie en 1996. En mai 1999, Mme Puteick a fourni une reconnaissance de dette écrite à M. Zaenker. Il a racheté l’hypothèque sur la propriété des Puteick à la Postal Bank afin d’être en mesure d’effectuer la saisie de la propriété hypothéquée, ce qu’il a fait. Il a alors permis à la famille Puteick de rester dans la maison. Il n’a rien recouvré de la somme de 100 000 DM qui lui était due.

 

Déménagement au Canada

 

[13]    M. Zaenker a immigré au Canada en août 1995. Il a effectué quelques voyages au Canada avant cela pour chercher une propriété qui lui convenait et il a choisi d’acheter une propriété en Nouvelle‑Écosse. Il a procédé à l’acquisition de 75 ou 80 propriétés en Nouvelle‑Écosse, qui étaient toutes des terrains vacants sauf une. En 1996, il a déménagé à Kamloops (Colombie‑Britannique), où il a fait l’acquisition d’une propriété afin de l’aménager. En fin de compte, il n’a pas aménagé la propriété et il l’a vendue en tant que terrain vacant. Il a acheté quelques autres biens à usage commercial à Kamloops en 1997, de même qu’un parc de stationnement. Après une dure lutte contre le cancer pendant les années 1997 et 1998, il a recommencé ses transactions immobilières avec l’achat de quelques habitations unifamiliales en 2000.

 

Points en litige

 

[14]    Les questions en litige sont les suivantes :

 

(i)      Les pertes subies à l’égard des prêts consentis à M. Groth et à M. et Mme Puteick sont‑elles déductibles en 1997 et en 1998, respectivement, en application de l’alinéa 20(1)p) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)?

 

(ii)      La disposition de la propriété de Hambourg a‑t‑elle entraîné une perte autre qu’une perte en capital en 1997? Si oui, quel était le montant de la perte?

 

(iii)     Si l’appelant a subi des pertes autres que des pertes en capital en 1997, peut‑il reporter prospectivement les pertes inutilisées afin de les déduire du revenu pour 1998?

 

Analyse

 

[15]    L’alinéa 20(1)p) de la Loi est rédigé ainsi :

 

20(1)    Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[..]

p) le total des montants suivants :

(i)         les créances du contribuable qu'il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l'année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure,

(ii)        les montants représentant chacun la partie du coût amorti, pour le contribuable à la fin de l'année, d'un prêt ou d'un titre de crédit (sauf un bien évalué à la valeur du marché, au sens du paragraphe 142.2(1)) que le contribuable a établie, au cours de l'année, comme étant devenue irrécouvrable, lequel prêt ou titre, selon le cas :

(A)       si le contribuable est un assureur ou si son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent, a été consenti ou acquis dans le cours normal des activités de son entreprise d'assurance ou de prêt d'argent,

(B)       si le contribuable est une institution financière au sens du paragraphe 142.2(1) au cours de l'année, compte parmi ses titres de créance déterminés au sens de ce paragraphe;

 

[16]    Comme le juge Teskey l’a souligné dans Whitland Construction Co. v. Canada[1], pour que l’alinéa 20(1)p) s’applique, il faut que quatre conditions soient remplies :

 

(i)      il doit y avoir un prêt;

 

(ii)      le prêt doit avoir été consenti dans le cours normal des affaires du contribuable;

 

(iii)            le prêt doit avoir été consenti par un contribuable dont l'entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l'argent;

 

(iv)            le contribuable doit avoir établi que le prêt est devenu irrécouvrable au cours de l'année.

 

Le juge en chef Bowman a précisé davantage la troisième condition dans la décision Loman Warehousing Ltd. c. Canada[2]. Il a formulé les commentaires suivants à cet égard :

 

25        L'expression « son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent » nécessite que l'on détermine exactement ce qu'est l'« activité d'entreprise habituelle » du contribuable. En l'espèce, l'activité d'entreprise habituelle de l'appelante est l'entreposage et non le prêt d'argent à d'autres compagnies du groupe. Il faut donner un sens au terme « habituelle ». Il suppose que l'entreprise de prêt d'argent est l'une des sources de revenu de la compagnie dans le cours ordinaire de ses activités commerciales. Il suppose également que le prêt d'argent peut être caractérisé comme une entreprise. Je conviens que la participation à l'ACP, aux termes duquel une compagnie du groupe, selon qu'elle a un solde positif ou un solde négatif un jour donné, peut prêter ou emprunter des fonds, est un élément accessoire de son entreprise. Par son argument, l'appelante assimile l'expression « son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent » aux termes « son activité d'entreprise consiste de façon accessoire à prêter de l'argent ». Je ne crois pas que ces deux expressions englobent la même notion.

 

[17]    M. Zaenker a bel et bien consenti des prêts à M. Groth et à M. et Mme Puteick. Toutefois, pour ce qui est du prêt consenti à M. et Mme Puteick, je suis d’avis que M. Zaenker n’a pas consenti le prêt dans le cours normal des activités de son entreprise. M. Zaenker aidait des voisins. C’était évident si on considère sa relation préexistante avec la famille Puteick, le faible taux d’intérêt qui était lié au prêt, le fait qu’il avait accepté que des services d’entretien ménager soient fournis au lieu de paiements d’intérêts, l’absence de garantie, la sympathie qu’il éprouvait pour la famille en raison de la maladie et du décès de M. Puteick, sympathie qui l’avait empêché d’exiger que les paiements soient faits et, finalement, son acquisition de la propriété des Puteick afin de leur permettre de rester dans la propriété. Il s’agissait d’une affaire personnelle, pas d’une affaire commerciale. Il ne s’agissait pas d’un prêt consenti dans le cours normal des activités de l’entreprise de l’appelant.

 

[18]    En ce qui concerne le prêt consenti à M. Groth, je conclus qu’il a été consenti dans le cours normal des activités de l’entreprise de l’appelant, même si le fait que les documents présentés à l’appui aient été établis bien après la période où les premiers versements ont été effectués sur le prêt à M. Zaenker a jeté un doute là‑dessus. Il n’en demeure pas moins que M. Groth était un étranger, que M. Zaenker avait en fin de compte grevé la propriété d’une charge (même s’il s’agissait de la mauvaise propriété) et que des intérêts avaient été imputés selon les taux d’intérêt du marché.

 

[19]    La question la plus pertinente est celle de savoir si la troisième condition a été remplie. L’activité d’entreprise habituelle de M. Zaenker consistait‑elle en tout ou en partie à prêter de l’argent? M. Zaenker œuvrait dans le domaine de l’immobilier – il achetait et vendait des propriétés. Tous les prêts qu’il consentait étaient habituellement liés à des biens immobiliers. M. Zaenker n’a présenté que peu d’éléments de preuve concernant les quelque 25 prêts qu’il avait indiqué avoir consentis sur une période de 20 ans. Il n’annonçait pas qu’il prêtait de l’argent. S’il a pu consentir des prêts, c’était parce qu’il avait des relations dans le monde de l’immobilier ou simplement parce que les gens savaient qu’il était un homme riche.

 

[20]    Je crois que les commentaires que le juge en chef Bowman a formulés dans la décision Loman s’appliquent en l’espèce. Les prêts qui n’étaient pas consentis à titre personnel (comme l’a été, selon moi, le prêt consenti aux Puteick) étaient accessoires à l’activité d’entreprise habituelle de M. Zaenker, soit les transactions immobilières. Son activité d’entreprise habituelle ne consistait pas en tout ou en partie à prêter de l’argent.

 

[21]    Mon opinion que l’entreprise habituelle de M. Zaenker ne consistait pas en tout ou en partie à prêter de l’argent est renforcée par l’absence d’éléments de preuve concernant les autres prêts qu’il avait consentis au cours des 25 années antérieures. Comme j’ai conclu que l’un des deux prêts dont j’ai été saisi était clairement un prêt consenti à titre personnel, je ne suis pas prêt à accepter, sans aucun autre élément de preuve, que les quelque 20 autres prêts étaient tous de nature commerciale. Le fait qu’un petit nombre de prêts ont été consentis au cours d’une longue période de temps, l’absence d’éléments de preuve et mon interprétation des circonstances relatives aux prêts m’amènent à conclure que le prêt d’argent ne faisait pas partie de l’activité d’entreprise habituelle de M. Zaenker.

 

Propriété de Hambourg

 

[22]    M. Zaenker achetait et vendait des biens immobiliers. Parmi les propriétés qu’il possédait, il en louait certaines et d’autres non avant de les vendre. Il ne considérait pas que les activités de son entreprise étaient réparties entre l’achat et la revente quasi simultanés de propriétés et la location de propriétés.

 

[23]    Plusieurs critères ont été élaborés dans la jurisprudence au fil des ans pour traiter de la distinction qu’il convient d’établir entre le revenu et le capital :

 

       la nature du bien qui est vendu;

       la durée de la possession;

       la fréquence et le nombre d’opérations;

       les améliorations apportées au bien ou se rapportant à celui‑ci;

       les circonstances qui ont entraîné la vente du bien;

       le motif ou l’intention du contribuable au moment de l’acquisition du bien.

Ce dernier critère est considéré comme un élément clé lorsqu’il s’agit de trancher cette question.

 

Nature du bien qui est vendu

 

[24]    La propriété de Hambourg était un bien immobilier en partie résidentiel et en partie commercial. Cela n’est pas sans similitude avec les autres propriétés que M. Zaenker avait en sa possession. Ce n’est pas tant la nature de la propriété, soit son caractère immobilier, qui pose problème que la raison pour laquelle la propriété était détenue. Je m’appuie sur les propos tenus par M. Zaenker et selon lesquels son intuition lui permettait de déterminer s’il était plus facile de vendre une propriété avec ou sans locataires. Cela m’a donné l’impression que la location était accessoire à la détention des propriétés en tant que biens immobiliers figurant à l’inventaire.

 

[25]    L’intimée a fait observer que la propriété de Hambourg était différente des propriétés qui étaient détenues en vue d’être revendues, lesquelles étaient principalement résidentielles, et qu’elle ressemblait davantage aux biens de location que M. Zaenker avait vendus avant d’immigrer. La thèse de l’intimée était que M. Zaenker avait deux entreprises : la première consistait à acheter et à vendre des habitations unifamiliales, et la seconde à tirer un revenu de la location de biens de location. Je ne crois pas que la preuve tend à étayer cette thèse. M. Zaenker a mentionné qu’il avait principalement fait l’acquisition de propriétés résidentielles, mais il n’a jamais assimilé ces propriétés à des habitations unifamiliales. Les immeubles d’appartements sont aussi des propriétés résidentielles. Je n’accepte pas l’idée que l’entreprise de M. Zaenker peut être divisée en fonction de la nature des propriétés. Les faits sont que certaines propriétés, quelle que fût leur nature, étaient louées pendant des périodes de temps plus ou moins longues et que d’autres n’étaient pas louées du tout. Peu d’éléments de preuve ont été présentés concernant la nature des quelque 140 propriétés que M. Zaenker avait vendues pendant ces 20 années. La propriété de Hambourg était en partie résidentielle et en partie commerciale, quoique trois des cinq étages de la propriété étaient de nature résidentielle. Je ne tire aucune conclusion de cela.

 

[26]    L’intimée a mentionné que les six propriétés vendues en 1994 étaient des biens de location. Outre l’affirmation que certaines des propriétés avaient peut‑être été détenues pendant dix ans, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve détaillés concernant ces propriétés pour conclure qu’elles ne figuraient pas à l’inventaire de M. Zaenker. Certes, si j’accepte l’explication que M. Zaenker a fournie concernant sa façon de procéder, tous les biens immobiliers figuraient à son inventaire; il n’était pas possible d’établir une distinction entre les propriétés en fonction de leur nature.

 

[27]    Tout cela pour dire que lorsque la nature de la propriété est en partie commerciale et en partie résidentielle, cela n’oblige pas à tout coup à conclure que la propriété est une immobilisation ou qu’elle est un bien figurant à l’inventaire. Je dois tenir compte des autres critères.

 

Durée de la possession

 

[28]    La période de temps n’a rien de magique. Bien sûr, si une propriété est détenue pendant 20 ans, cela tend à indiquer qu’il s’agit d’une immobilisation, alors que si une propriété est vendue quelques mois après son achat, cela tend à indiquer qu’il s’agit d’un bien figurant à l’inventaire. Ce critère ne peut toutefois pas être considéré isolément. Une période de détention de trois ans, prise isolément, n’est tout simplement pas un facteur déterminant. Il faut tenir compte du fait que M. Zaenker avait depuis longtemps comme pratique d’acheter et de vendre des propriétés; qu’il était courtier en immeubles; qu’il réussissait souvent à revendre des propriétés à profit et à obtenir l’hypothèque la plus élevée qu’il pouvait pour les propriétés. La durée de la possession, compte tenu de tous ces autres critères, n’est pas un facteur déterminant dans un sens ou dans l’autre.

 

Fréquence d’opérations similaires

 

[29]    M. Zaenker a acheté et vendu 140 propriétés sur une période de 20 ans, ce qui lui a permis de devenir riche. Cela va clairement dans le sens d’une conclusion selon laquelle la propriété de Hambourg était une autre propriété qui faisait partie de l’ensemble de biens immeubles figurant dans son inventaire. C’était ce que M. Zaenker faisait. Comme il l’a dit, son intuition en affaires lui permettait de réaliser des profits à partir de biens immobiliers. La propriété de Hambourg semble avoir été la seule propriété à l’égard de laquelle il a subi une perte.

 

Améliorations apportées au bien

 

[30]    Certains éléments de preuve indiquent que M. Zaenker avait dépensé environ 200 000 DM pour rénover les escaliers de la propriété. Lorsqu’il a perdu son principal locataire commercial, il a cru que les coûts qu’il allait devoir supporter pour rénover davantage la propriété ne justifiaient pas le maintien de la propriété en sa possession.

 

Circonstances qui ont entraîné la vente du bien

 

[31]    M. Zaenker a décidé que le moment était venu de vendre la propriété lorsque le locataire commercial a fait faillite, même si, dans son témoignage, il a indiqué qu’il avait voulu vendre la propriété immédiatement après en avoir fait l’acquisition, mais qu’il n’était pas pressé de le faire, étant donné que le revenu de location couvrait les dépenses. Lorsque la situation a changé, il a cru qu’il pouvait atténuer ses pertes en vendant la propriété pour le prix qu’il l’avait payée, soit 8 500 000 DM, et c’est ce qu’il a fait. Une personne qui exploite une entreprise de location de biens aurait probablement fait plus d’efforts pour trouver de nouveaux locataires.

 

Intention au moment de l’acquisition du bien

 

[32]    Selon M. Zaenker, au moment de l’acquisition de la propriété, il avait l’intention de la revendre à profit. Il a témoigné qu’il avait fait savoir à ce moment‑là que la propriété était à vendre. Il a indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire la propriété sur une liste de propriétés à vendre, comme c’est le cas au Canada. Ses relations et sa réputation lui suffisaient pour chercher des acheteurs potentiels. Il a confirmé qu’il avait essayé de vendre la propriété en 1994 avant de quitter le pays, mais qu’il n’était pas pressé de le faire, étant donné que les rentrées d’argent étaient bonnes. Lorsqu’elles ont diminué, il a vendu la propriété. J’ajoute foi au témoignage de M. Zaenker à cet égard. Je suis convaincu que son activité d’entreprise était la revente à profit de propriétés, et que la propriété de Hambourg était simplement une de ces propriétés, et qu’en fait, il s’agissait de la seule propriété avec laquelle il n’avait pas réussi à faire des profits.

 

[33]    L’intimée allègue que la durée de la possession (trois ans), ainsi que la nature de la propriété et le fait que la vente découle d’un changement de circonstances contredisent l’intention déclarée de M. Zaenker et tendent à indiquer que M. Zaenker avait plutôt l’intention de détenir la propriété à long terme à titre d’immobilisation. Je suis d’avis que le fait qu’il achetait et vendait des propriétés, le fait que les ventes portaient sur des propriétés semblables, et le fait que M. Zaenker a vendu la propriété au lieu de chercher un nouveau locataire appuient tous l’intention déclarée de M. Zaenker depuis le début. J’ai trouvé que M. Zaenker était une personne extrêmement franche qui se passionne pour l’immobilier et qui tire clairement une certaine fierté de sa capacité d’évaluer la probabilité de revendre une propriété à profit. Même s’il y a des critères qui se contredisent, en fin de compte, je suis influencé par le témoignage de M. Zaenker selon lequel la propriété de Hambourg avait été acquise en tant que bien figurant à l’inventaire et sa disposition avait entraîné une perte au titre de revenu.

 

[34]    Il est établi que le montant de la perte est (si on se fonde sur le paragraphe 128.1(1) de la Loi) la somme de 8 500 000 DM, soit la valeur de la propriété lors de l’arrivée de M. Zaenker au Canada, au taux de change en vigueur à ce moment‑là, moins le produit de disposition de 8 122 011 DM selon le taux de change en vigueur en 1997. Cela donne lieu à une perte de 1 754 068 $CAN. Cette perte reflète la perte réelle subie en raison de la pénalité pour remboursement anticipé. Elle reflète également une importante perte de change. Cette dernière est une perte au titre de revenu étant donné que sa nature découle de la nature de la disposition sous‑jacente.

 

[35]    Les parties ont abordé la question de l’intention secondaire et ont fait référence à l’arrêt Regal Heights Ltd. c. M.R.N.[3]. Il n’est pas nécessaire d’examiner la doctrine relative à l’intention secondaire, étant donné que je suis convaincu que l’intention première de M. Zaenker était de revendre à profit la propriété de Hambourg. Si j’avais dû avoir recours au principe tiré de Regal Heights, je n’aurais eu aucune difficulté à conclure que, même si l’intention première de M. Zaenker avait été de tirer un revenu de la location de la propriété, il avait la ferme intention de tirer profit de la disposition de cette [traduction] « belle » propriété de grande valeur au moment opportun.

 

[36]    Avant de conclure, je traiterai brièvement du fait que les parties ont invoqué comme argument la conduite de M. Zaenker lorsqu’il avait immigré au Canada. Les deux parties ont laissé entendre que la conduite de M. Zaenker après son arrivée appuyait leur position respective. L’intimée a allégué que les transactions immobilières canadiennes de M. Zaenker étaient fondamentalement différentes de ses transactions allemandes, étant donné qu’au Canada, il avait acheté des propriétés, principalement des terrains vacants, à titre d’investissement à plus long terme, alors qu’en Allemagne, il avait acheté et vendu des habitations unifamiliales. Indépendamment de mon opinion divergente quant à la preuve concernant la nature des propriétés vendues en Allemagne, je ne vois pas en quoi les transactions immobilières subséquentes de M. Zaenker ont une incidence négative sur la question de savoir si la propriété de Hambourg a un caractère de revenu ou un caractère de capital. L’avocat de l’appelant soutient qu’un des principaux éléments qui militent en faveur son client consiste dans les achats spéculatifs subséquents de biens immobiliers canadiens. Je conviens que les actions de M. Zaenker appuient la conclusion selon laquelle il faisait des transactions immobilières, mais il s’agit d’une activité subséquente à laquelle je n’accorde que très peu de poids.

 

[37]    L’appel est accueilli, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que M. Zaenker a le droit de déduire une perte autre qu’une perte en capital de 1 754 068 $ subie à la disposition de la propriété de Hambourg, et que toute autre perte autre qu’une perte en capital inutilisée subie en 1997 peut faire l’objet d’un report prospectif sur l’année 1998. L’appelant a droit à ses dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d’août 2007.

 

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de septembre 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI440

 

NO DU DOSSIER :                            2005-2887(IT)G

 

INTITULÉ :                                       KURT ZAENKER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 18 et 19 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 août 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Terry S. Gill

Avocate de l’intimée :

Me Linda L. Bell

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Terry S. Gill

 

                          Cabinet :                  Thorsteinssons

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           [1999] 1 C.T.C. 2172.

 

[2]           [1999] A.C.I. no 341.

 

[3]           [1960]  R.C.S. 902.

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