Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2003-3999(IT)G

ENTRE :

TEMBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Cascades Inc. (2004‑1916(IT)G) et  Provigo Inc. (2003‑4340(IT)G)

le 28 mai 2007, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocates de l'intimée :

Me Marie Bélanger

Me Natalie Goulard

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est rejeté, avec frais, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juillet 2007.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


 

 

 

 

Dossier : 2004-1916(IT)G

ENTRE :

CASCADES INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Tembec Inc. (2003‑3999(IT)G) et  Provigo Inc. (2003‑4340(IT)G)

le 28 mai 2007, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocates de l'intimée :

Me Marie Bélanger

Me Natalie Goulard

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est rejeté, avec frais, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juillet 2007.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


 

 

 

 

Dossier : 2003-4340(IT)G

ENTRE :

PROVIGO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Cascades Inc. (2004‑1916(IT)G) et  Tembec Inc. (2003‑3999(IT)G)

le 28 mai 2007, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocates de l'intimée :

Me Marie Bélanger

Me Natalie Goulard

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1998 est rejeté, avec frais, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juillet 2007.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx

 


 

 

 

 

Référence : 2007CCI395

Date : 20070711

Dossiers : 2003-3999(IT)G

2004-1916(IT)G

2003-4340(IT)G

 

ENTRE :

TEMBEC INC.

CASCADES INC.

PROVIGO INC.,

appelantes,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre Proulx

 

[1]     Dans chacun de ces appels, des ententes sur les faits ont été produites avant l’audience. Les faits ne sont pas tout à fait identiques mais la question de droit l’est. Elle concerne l’interprétation du sous‑alinéa 20(1)f)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Les années d’imposition en cause sont 1997 pour Tembec Inc. et Cascades Inc. et 1998 pour Provigo Inc.

 

[2]     L’alinéa 20(1)f) de la Loi se lisait comme suit à l’époque en litige :

 

20(1)    Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. -- Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

...

f)          Rabais sur émission de certains titres -- une somme payée au cours de l'année en acquittement du principal de quelque obligation, effet, billet, hypothèque ou titre semblable émis par le contribuable après le 18 juin 1971 et sur lequel un intérêt a été déclaré payable, dans la mesure où la somme ainsi payée ne dépasse pas :

(i)         chaque fois que le titre a été émis pour une somme non inférieure aux 97 % de son principal et que le rendement du titre, exprimé en pourcentage annuel de la somme pour laquelle il a été émis (pourcentage annuel qui doit, si les conditions d'émission du titre ou les dispositions d'une convention y afférente donnaient à leur détenteur le droit d'exiger le paiement du principal du titre ou de la somme restant à rembourser sur ce principal avant l'échéance de ce titre, être calculé sur la base du rendement qui permet d'obtenir le pourcentage annuel le plus élevé possible soit à l'échéance du titre, soit sous réserve de l'exercice de tout droit de ce genre) ne dépasse pas les 4/3 de l'intérêt déclaré payable sur le titre, exprimé en pourcentage annuel :

(A) du principal du titre, si aucune somme n'est payable sur le principal avant l'échéance du titre,

(B) de la somme restant à rembourser sur le principal du titre, dans les autres cas,

 

l'excédent du moins élevé du principal du titre et du total des sommes payées au cours de l'année ou d'une année antérieure en acquittement du principal de ce titre sur la somme pour laquelle le titre a été émis,

 

(ii)        dans les autres cas, les ¾ du moins élevé de la somme ainsi payée et de l'excédent du moins élevé du principal du titre et du total des sommes payées au cours de l'année ou d'une année d'imposition antérieure en acquittement du principal du titre sur la somme pour laquelle le titre a été émis;

 

[3]     Une modification a été apportée au sous‑alinéa 20(1)f)(ii) en 2001. Elle consiste à remplacer le passage « les ¾ » par « la moitié », de façon à refléter la modification du taux d’inclusion des gains en capital, qui passe de ¾ à ½.

 

[4]     La définition de « principal » au paragraphe 248(1) de la Loi se lit ainsi :

 

S’agissant du principal d’une obligation donnée, la somme maximale ou la somme globale maximale, selon le cas, payable, d’après les conditions de l’obligation ou de toute convention y afférente, au titre de l’obligation, par celui qui l’a émise, autrement qu’au titre des intérêts ou d’une prime que verserait l’émetteur s’il exerçait son droit de racheter l’obligation avant l’échéance de celle‑ci.

 

[5]     Dans ces affaires, il y a deux questions en litige. La première est de savoir si le montant du principal peut fluctuer de l’année de l’émission du titre à l’année de son remboursement. La deuxième question en litige est la détermination de la somme maximale payée en acquittement du principal dans des circonstances où le remboursement est fait en actions. Le montant payé est-il le prix des actions convenu entre les parties dans l’acte de fiducie ou est-il la juste valeur marchande (« JVM ») des actions au moment de leur émission en acquittement des titres?

 

[6]     Comme les ententes sur les faits sont assez longues, je reproduis celle de l’appelante Tembec Inc. :

 

1.         L’Appelante est une société qui a été constituée en 1972 en vertu de la Partie I de la Loi sur les compagnies (ci-après « LCQ ») et qui a été continuée en vertu de la Partie IA de la LCQ en 1983. L’exercice financier de l’Appelante se termine le  30 septembre de chaque année.

 

2.         L’Appelante œuvre principalement dans le domaine des pâtes et papiers.

 

3.         Le capital-actions autorisé de l’Appelante comprend, entre autres, un nombre illimité d’actions de catégorie A.

 

4.         L’année d’imposition en litige de l’Appelante s’est terminée le 30 septembre 1997.

 

LES DÉBENTURES

 

a)         L’émission

 

5.         Au cours de 1993 et aux termes d’un acte de fiducie en date du 28 juillet 1993, l’Appelante a procédé à l’émission de 70 000 000 $ de débentures subordonnées (les « Débentures ») convertibles et non garanties échéant le 1er août 2003. Les Débentures ont été émises par coupure de 1 000 $.

 

Prospectus simplifié du 15 juillet 1993 – onglet 1

Trust Indenture du 28 juillet 1993 – onglet 2

 

6.         Les débentures ont été émises sans escompte initial d’émission.

 

7.         Le produit net de l’émission a servi en partie à refinancer les opérations de l’Appelante et en partie fut versé à son fonds de roulement.

 

b)         Les intérêts

 

8.         Les Débentures portaient intérêts à 7.5% l’an payable les 1er février et 1er août de chaque année. Les intérêts sur les Débentures étaient déductibles en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi.

 

c)         Le privilège de conversion

 

9.         Les Débentures étaient convertibles au gré du détenteur, en actions de catégorie « A » de l’Appelante, à tout moment avant la fermeture des bureaux le dernier jour ouvrable qui précédait le  1er août 2003 ou, si elles étaient appelées pour remboursement par anticipation, le dernier jour ouvrable précédent le remboursement.

 

10.       Le prix de conversion était de 10 $ par action de catégorie « A » soit 100 actions par tranche de  1 000 $ de Débentures.

 

d)         Remboursement par anticipation

 

11.       L’Appelante pouvait rembourser les Débentures par anticipation en tout temps à compter du 1er août 1996 à un prix égal au capital de la Débenture (1 000 $) plus les intérêts courus.  Cependant, pour que la transaction puisse avoir lieu, le cours moyen pondéré des actions de catégorie « A » de l’Appelante sur les Bourses de Montréal et Toronto dans les 20 jours de bourse consécutifs se terminant cinq jours de bourse avant la date ou l’avis de remboursement était donné ne devait pas être inférieur aux cours suivants :

 

i.       si remboursé par anticipation dans les 12 mois se terminant le 1er août

 

1997

  14,00 $

1998

  13,00 $

1999

  12,00 $

2000

  11,50 $

2001

  11,00 $

2002

  10,50 $

2003

  10,00 $

 

12.       À moins d’être en situation de défaut, l’Appelante pouvait également à son gré, sur préavis d’au moins 30 jours et d’au plus 60 jours, choisir de rembourser le principal de la débenture en émettant un certain nombre d’actions de catégorie « A ». Le nombre d’actions de catégorie « A » à émettre était obtenu en divisant 1 000 $ par 95% du cours moyen pondéré auquel l’action de catégorie « A » de l’Appelante se transigeait sur les Bourses de Montréal et Toronto pendant les 20 jours de bourse consécutifs se terminant cinq jours de bourse avant la date fixée pour le remboursements par anticipation. Ce calcul avait pour résultat de remettre au détenteur, des actions d’une valeur approximative de 1 050 $ pour chaque 1 000 $ de Débenture.

 

 

 

e)         Rachat des Débentures pour annulation

 

13.       L’Appelante pouvait acheter les Débentures sur le marché ou par une offre ou un contrat privé à des prix ne dépassant pas 105% de leur capital pour ce qui est des achats effectués jusqu’au 1er août 1997 et, pour les achats effectués par la suite, à des prix ne dépassant pas le montant du capital (1 000 $ par Débenture), majorés dans tous les cas des intérêts courus et impayés et des frais d’acquisition.

 

f)          Paiement à l’échéance

 

14.       À l’échéance, l’Appelante devait payer un montant de 1 000 $ par Débenture plus les intérêts courus et impayés. Toutefois, à moins d’être en situation de défaut, l’Appelante pouvait à son gré, sur préavis d’au moins 30 jours et d’au plus  60 jours, choisir de rembourser le principal de la Débenture en émettant un nombre d’actions de catégorie « A ». Le nombre d’actions était établi de la même manière qu’au paragraphe 12 ci-dessus.

 

LES CONVERSIONS

 

15.       Du 6 au 29 août 1997, suite à un Avis de l’Appelante à l’effet qu’elle rembourserait par anticipation aussitôt que le coût moyen pondéré excéderait 13,00 $, les détenteurs ont converti 64 485 Débentures ayant une valeur nominale de 64 485 000 $ pour 6 448 500 actions de catégorie « A » de l’Appelante.

 

16.       Au moment de la conversion des Débentures, la valeur sur le marché boursier des actions de catégorie « A » de l’Appelante variait entre 13 $ et 14 $ l’action.

 

Cotisations boursières – onglet 3 et 4

 

TRAITEMENT COMPTABLE ET FISCAL

 

17.       Aux fins comptables, l’Appelante a augmenté la valeur de son capital‑actions de 64 485 000 $, soit la valeur nominale des Débentures converties.

 

18.       En juin 2000, l’Appelante a produit une demande de modification de sa déclaration de revenus pour son année d’imposition 1997. La demande portait, entre autre, sur la réclamation d’une déduction de 16 553 987 $ en vertu de l’alinéa 20(1)f). Le montant de 16 553 987 $ représente 75% de la différence entre la valeur sur le marché boursier des 6 448 500 actions de catégorie « A » de l’Appelante (86 556 983 $) et la somme initialement reçue à l’émission des Débentures converties (64 485 000 $).

 

19.       Par son Avis de Détermination d’une perte en date du 15 octobre 2001, l’ARC a refusé la déduction de 16 553 987 $ réclamée par l’Appelante.

 

20.       L’Appelante a dûment et en temps opportun déposé un avis d’opposition à l’encontre de l’Avis de Détermination et l’ARC a ratifié cette détermination par avis en date du 6 août 2003.

 

[7]     Dans le cas de Cascades Inc., l’instrument financier utilisé pour fins d’emprunt auprès des souscripteurs était des débentures convertibles et non garanties, et dans le cas de Provigo Inc., des billets à ordre convertibles et non garantis.

 

[8]     Comme les dispositions qui ont trait au droit de conversion en actions des titres sont importantes, je reproduis également les articles 8 et 9 de l’entente sur les faits dans Cascades Inc. et l’article 12 de l’entente sur les faits dans Provigo Inc. :

 

Cascades Inc.

 

c)         Le privilège de conversion

 

8.         Sous réserve de rajustements dans certains cas, les Débentures étaient convertibles au gré du porteur en actions ordinaires en tout temps avant la fermeture des bureaux le 19 août 1998 au prix de conversion (« prix de conversion initial ») de 6,50 $ par action ordinaire de l’Appelante, soit un taux de 153 846 actions ordinaires par tranche de 1 000 $ du capital des Débentures.

 

9.         Par la suite, les Débentures étaient convertibles au gré du porteur en actions ordinaires au prix de conversion (« prix de conversion ultérieur »), sous réserve de rajustements dans certains cas, de 7,25 $ par action ordinaire, soit un taux de 137 931 actions ordinaires par tranche de 1 000 $ du capital des Débentures.

 

Provigo

 

d)         Le privilège de conversion

 

12.       Les Billets égaient convertibles en actions ordinaires sans valeur nominale de l’Appelante sur la base suivante :

 

(i)         si la date de conversion survenait après le 29 juin 1994 et avant le 29 juin 1999, une action ordinaire pour chaque tranche de 4,93 $, valeur nominale, de ce billet.

 

(ii)        nonobstant ce qui précède, si la date de conversion survenait le 29 juin 1999 ou dans l’éventualité où le Billet faisait l’objet d’un avis de remboursement par anticipation ou dans l’éventualité où le détenteur du Billet était en mesure, selon les termes du Billet, de déclarer dû et exigible le capital du Billet, une action ordinaire pour chaque tranche de 4,475 $, valeur nominale, du Billet.

 

[9]     Voici textuellement la description du droit à la conversion dans l’acte de fiducie relatif à Tembec Inc. :

 

Privilège de conversion

 

Chaque débenture sera convertible au gré du porteur en tout temps, mais au plus tard à la fermeture des bureaux le dernier jour ouvrable précédant la date d’échéance ou à la date fixée pour le remboursement par anticipation, selon la première des deux dates à survenir, en actions de catégorie A, au prix de conversion de 10,00 $ l’action de catégorie A, soit 100 actions de catégorie A par tranche de 1 000 $ de débentures. …

 

...

 

Les actions de catégorie A émises et en circulation sont inscrites à la cote de la Bourse de Montréal et de la Bourse de Toronto. Il n’existe actuellement aucun marché pour la négociation des débentures. Le 14 juillet 1993, le cours de la clôture des actions de catégorie A s’établissait à 8,125 $ à la Bourse de Montréal et 8,00 $ à la Bourse de Toronto. La Bourse de Montréal et la Bourse de Toronto ont conditionnellement accepté d’inscrire à leur cote les débentures et les actions de catégorie A qui seront émises lors de la conversion des débentures. L’inscription à la cote de ces bourses est conditionnelle à ce que la Compagnie remplisse toutes les exigences de ces bourses au plus tard le 15 octobre 1993.

 

[10]    Les titres émis donnaient un droit de conversion en actions de la société emprunteuse, selon les dispositions des actes de fiducie en vertu desquels ils avaient été émis. Le détenteur avait le droit de se faire rembourser le montant versé pour la débenture ou le billet, soit la valeur nominale de cet instrument, ou de convertir l’instrument en actions de la société.

 

[11]    Dans le cas de Tembec Inc., les titres émis en 1993 étaient de l’ordre de 70 000 000 $, dans le cas de Provigo Inc., 20 000 000 $ en 1994, et Cascades Inc., 82 500 000 $ en 1993.

 

[12]    En 1997, les détenteurs des titres de Tembec Inc., (c’est la société qui a été prise en exemple lors des plaidoiries), ont converti 64 485 débentures ayant une valeur nominale de 64 485 000 $ pour 6 448 500 actions de catégorie A de l’appelante. À ce moment, la valeur sur le marché boursier de ces actions variait entre 13 $ et 14 $ l’action et non pas le 10 $ prévu aux termes de la convention. La réclamation, en vertu du sous-alinéa 20(1)f)(ii) de la Loi, est de 75% de la différence entre la valeur sur le marché boursier des 6 448 500 actions de catégorie A, qui était de 86 556 983 $, et la somme initialement reçue à la souscription des débentures. Voir les paragraphes 15, 16 et 18 de l’entente sur les faits.

 

[13]    Avant de passer aux arguments des parties, je pense utile de citer les paragraphes 32 et 33 de la décision de la Cour suprême du Canada dans Cie pétrolière Impériale Ltée c. Canada; Inco Ltée c. Canada, [2006] 2 R.C.S. 447, ci‑après Pétrolière Impériale. Cette décision a analysé en profondeur la portée de l’alinéa 20(1)f) de la Loi et a énoncé la formule de cet alinéa.

 

32        ... Les présentes affaires portent essentiellement sur l'interprétation à donner à la déduction visée par l'al. 20(1)f). Plus particulièrement, il s'agit de déterminer si la déduction prévue à l'al. f) s'applique uniquement à l'escompte initial d'émission ou s'il s'agit plutôt d'une déduction plus large qui s'applique plus généralement au coût en capital de l'emprunt.

 

33        La formule énoncée à l'al. 20(1)f) est la suivante :

 

X = [le moindre de A et B]  -  [C]

 

et

 

X         est le montant de la déduction;

 

A         correspond au principal du titre;

 

B          correspond au total des sommes payées au cours de l'année ou d'une année antérieure en acquittement du principal du titre;

 

C         correspond à la somme pour laquelle le titre a été émis.

 

[14]    En l’espèce, le litige est quant aux montants compris dans les éléments « A » et « B » de la formule. Il n’y a pas de litige quant au montant décrit à l’élément « C » de la formule. Les appelantes doivent convaincre la Cour que tant le montant correspondant à « A » de la formule, qui est le principal, que les sommes correspondant à « B », c’est‑à‑dire le total des sommes payées, sont supérieurs à la somme pour laquelle le titre a été émis. Il n’y a pas de litige non plus quant au sous-alinéa qui pourrait s’appliquer soit le sous-alinéa 20(1)f)(ii).

 

Arguments des appelantes

 

[15]    Il est admis dans les ententes sur les faits que les titres, débentures et billets, ont été émis sans escompte initial d’émission, voir le paragraphe 6 de l’entente reproduite ci-dessus.

 

[16]    Toutefois, selon l’avocat des appelantes, la décision de la Cour Suprême ne tranche pas de façon définitive que seul l’escompte initial d’émission doive être considéré. Bien que selon la dernière phrase du paragraphe 32 de la décision, cité ci-dessus, la Cour suprême ait mentionné qu’il s’agissait de déterminer si la déduction prévue à l’alinéa f) s’appliquait uniquement à l’escompte initial d’émission, ou, en général, au coût en capital de l’emprunt, selon l’avocat, cette décision n’a, en définitive, porté que sur les pertes sur change. Elle n’a pas décidé sur les autres coûts possibles d’emprunt, comme ceux reliés au remboursement.

 

[17]    À cet égard, l’avocat  se réfère aux paragraphes 64 et 67 de cette décision :

 

64        … Toutefois, cela ne règle pas la question parce que si le « principal » peut varier en fonction du coût du remboursement en dollars canadiens, alors les « escomptes » peuvent être établis en fonction de la valeur en dollars canadiens du principal au moment du remboursement, plutôt qu'en fonction de la valeur nominale du titre (c'est‑à‑dire qu'il se peut que le terme « escompte » ne soit pas limité à l'« escompte initial d'émission », mais englobe les escomptes qui découlent des fluctuations du prix des marchandises ou des devises au fil du temps). Pour résoudre cette question, il faut se demander si le législateur a voulu que les pertes sur change soient, de la même façon que les escomptes, visées par l'al. 20(1)f).

 

...

 

67        Selon moi, l'al. 20(1)f) n'a jamais été censé s'appliquer aux pertes sur change. Comme nous l'avons vu, un certain nombre de facteurs, qui ont généralement trait au libellé de la disposition, sont déterminants à cet égard. Cette interprétation reflète on ne peut mieux la structure de la LIR et l'intention du législateur. La disposition est censée s'appliquer à une catégorie précise de frais de financement découlant de l'émission de titres de créance à escompte. Par contre, l'interprétation que préconisent les intimées dans les présents pourvois fait de l'al. 20(1)f) une disposition générale prévoyant la déductibilité d'un large éventail de frais liés au financement en devises étrangères, en l'absence de mention de ces frais dans le texte de la LIR et malgré le fait que ces frais sont généralement considérés comme étant au titre du capital.

 

[18]    Vu que selon l’avocat, la Cour suprême n’a pas tranché sur les coûts autres que les pertes sur change, il fait deux propositions : 1) dans certaines circonstances, le principal est un montant qui peut fluctuer et 2) la juste valeur marchande (« JVM ») des actions doit être prise en compte pour le calcul du total des sommes payées en acquittement du principal.

 

[19]    Pour l’avocat, le terme « principal » n’est pas un montant fixe à l’émission, mais peut fluctuer selon la valeur marchande du bien payable à l’échéance. Par exemple, si quelqu’un émettait une débenture de 100 000 $ remboursable à raison de 1 000 onces de lingots d’or qui, au moment de l’emprunt, vaudraient 100 000 $, selon l’avocat, le principal de cette débenture serait la JVM du lingot d’or au moment du remboursement.

 

[20]    L’avocat fait valoir qu’il y a des distinctions à faire dans les présentes affaires avec ce qui était en cause dans Pétrolière Impériale. Dans cette décision, l’incertitude quant au montant maximal du remboursement n’était pas incluse dans la convention d’emprunt. Alors qu’ici, aux termes mêmes de la convention un escompte éventuel est possible car la valeur marchande des actions au moment de  leur conversion n’est pas connue mais tout de même le droit à la conversion est inclus.

 

[21]    Ainsi, dans le cas de Tembec Inc., le prix de conversion prévu dans la convention était de 10 $ par action de catégorie A, soit 100 actions par tranche de 1 000 $ de débenture, voir le paragraphe 15 de l’entente sur les faits. Selon l’avocat, ce n’est pas le prix prévu qui a de l’importance mais la proportion des actions qui doit être reçue. C’est cette proportion qui demeure stable. Donc, aux termes mêmes de la convention, le total des sommes payées en acquittement du principal pouvait varier.

 

[22]    Dans Pétrolière Impériale, l’emprunt et le remboursement se faisaient en dollars américains. Au moment du remboursement, il y a eu une fluctuation de la valeur du dollar américain, exprimée en dollar canadien. Selon l’avocat des appelantes, la conversion en dollars canadiens n’était pas prévue à la convention, ce qui n’est pas le cas du droit de conversion en actions. Donc, selon l’avocat, le principal est un montant qui peut fluctuer, qui n’est pas nécessairement le montant initial, mais le coût du remboursement dans la mesure où ce coût fait partie de la convention d’emprunt.

 

[23]    La deuxième proposition de l’avocat des appelantes est que les sommes  payées en acquittement du principal du titre, aux termes du sous-alinéa 20(1)f)(ii) de la Loi et aux termes de la définition de « principal », au paragraphe 248(1) de la Loi, doivent se calculer en prenant la JVM des actions au moment de la conversion ou remboursement et non le prix convenu à l’acte de fiducie.

 

[24]    L’avocat soutient que le prix mentionné aux actes de fiducie n’est qu’un élément ou outil pour calculer la proportion des actions qui seront émises en acquittement des titres. Il faut regarder l’intention des parties. Quelle est la convention des parties? Pour lui, la convention entre les parties est de fixer un nombre d’actions à recevoir. C’est donc au moment du paiement que l’on pourra déterminer la somme maximale payée pour l’acquittement du principal et la dépense engagée par les appelantes à cette fin est le coût de la JVM des actions et non pas le prix convenu. Il se réfère à cet égard à la décision de cette Cour dans Alcatel Canada Inc. c. Canada, 2005 CCI 149 au paragraphe 31 :

 

31        L'ouvrage Black's Law Dictionary, huitième édition, donne la définition suivante du terme « dépense » [expenditure] :

 

[TRADUCTION]

 

1. Le fait de payer; sortie de fonds. 2. Une somme payée.

 

À mon avis, il s'agit du sens ordinaire du terme. Une dépense ne se limite pas à un décaissement. Rien dans la définition n'exclut le versement d'éléments d'actif au moyen de mécanismes qui sont adoptés à cette fin et qui ne comportent aucun paiement en espèces. L'argument de l'intimée omet de reconnaître qu'une très réelle dépense est faite lorsque des actions ayant une valeur au marché établie sont vendues à un prix inférieur à cette valeur dans le contexte d'un régime de rémunération des employés qui achètent ces actions. L'avantage qu'en retirent les employés est réel. Ce n'est pas de la magie. Cet avantage passe de l'appelante aux employés par le truchement d'un mécanisme d'options d'achat d'actions. La dépense consiste en la contrepartie à laquelle l'appelante renonce lorsqu'elle émet ses actions à un prix moindre que la valeur au marché. L'encouragement à la recherche scientifique, l'objet visé par le texte légal, serait sensiblement amoindri par l'adoption de l'interprétation étroite prônée par l'intimée.

 

[25]    Cette décision veut qu’une société engage une dépense véritable quand elle émet ses actions à un prix inférieur à la JVM du marché. La dépense consiste en la contrepartie à laquelle l'appelante renonce lorsqu'elle émet ses actions à un prix moindre que la valeur au marché.

 

[26]    Il me faut également mentionner, que l’avocat, répondant à une question de la Cour, est d’avis que le coût d’acquisition des actions par les détenteurs de titres lors de la conversion serait le prix d’émission du titre.

 

Arguments de l’intimée

 

[27]    L’avocate de l’intimée fait valoir que la Cour suprême dans Pétrolière Impériale ne s’est pas seulement prononcée relativement aux pertes sur change, mais également sur toute la question de savoir si la déduction prévue à l’alinéa 20(1)f) se limite à l’escompte initial d’émission ou si l’on doit la considérer comme englobant un plus large éventail de frais de financement. Si, à la fin de la décision, la Cour suprême se penche surtout sur les pertes de change, c’est que cela représentait, dans cette affaire, le coût additionnel de l’emprunt au moment du remboursement. Cela n’empêche pas de faire le même raisonnement pour tous autres coûts additionnels d’emprunt au moment du remboursement.

 

[28]    Selon elle, la déduction prévue à 20(1)f) vise une dépense ponctuelle qui est engagée lorsque la dette est remboursée, mais qui n’englobe pas la dépréciation ou l’appréciation du principal au fil du temps, mais seulement celle relative à l’escompte initial d’émission.

 

[29]    La Cour suprême a conclu au paragraphe 67 de la décision que l’alinéa 20(1)f) n’a jamais été censé s’appliquer aux pertes sur change. La disposition est censée s’appliquer à une catégorie précise de frais de financement découlant de l’émission de titres de créance à escompte.

 

[30]    Dans la présente affaire, lors de l’émission des titres, le principal des titres est égal à la somme pour laquelle ils ont été émis. Il n’y avait pas d’escompte initial d’émission, cela a été admis. Selon l’avocate, le montant du principal ne pouvait donc pas varier en fonction des coûts de remboursement.

 

[31]    En ce qui concerne le deuxième point des appelantes voulant que les sommes payées en acquittement des titres doivent être calculées en fonction de la JVM des actions, l’avocate soutient que la jurisprudence est claire que ce qui a été payé est le prix des actions convenu entre les parties, dans les actes de fiducie.

 

[32]    Quand il y a une convention entre les parties qui détermine le coût pour la société de l’émission des actions, soit en échange d’un bien, soit en remboursement d’une dette, ce sont les termes de l’obligation qui s’appliquent. C’est le prix convenu et non la JVM des actions au moment de leur émission qui constitue le coût ou la contrepartie pour la compagnie émettrice.

 

[33]    Elle se réfère à la décision de Teleglobe Canada Inc. v. R., 2002 DTC 7517, et plus particulièrement au paragraphe 32 :

 

32        Il s'ensuit que le coût pour l'appelante de l'émission d'actions en tant que contrepartie pour les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe correspond au montant convenu entre les parties, comme l'atteste le capital déclaré des actions ordinaires de l'appelante. …

 

[34]    En vertu des ententes, les appelantes s’engageaient, s’il y avait conversion, à émettre des actions à un certain prix. Elles ont renoncé au moment de l’émission à recevoir plus pour ces actions.

 

[35]    L’avocate se réfère également à la décision King Rentals Ltd. c. Canada, [1995] A.C.I. no 790 (QL), et plus particulièrement au paragraphe 14 :

 

14        Je conclus, d'après cette jurisprudence, que, pourvu qu'il n'y ait pas d'abus, la somme convenue entre le souscripteur et la corporation et ajoutée au capital versé des actions détermine la somme payée par le débiteur pour éteindre la dette.

 

[36]    En résumé, l’avocate soutient que le montant du principal des titres, « A », ne pouvait fluctuer après l’émission des titres et que de toute façon, le montant maximal payable pour l’acquittement des titres émis, « B », a été égal au montant pour lequel les titres ont été émis.

 

Conclusion

 

[37]    Je suis d’avis que les arguments de l’avocate de l’intimée sont ceux que la Cour doit retenir.

 

[38]    C’est au moment de l’émission des titres que l’on doit déterminer si le titre est émis à escompte ou non. La déduction ne peut se prendre qu’au moment du remboursement de la créance mais ce sont les circonstances contractuelles de l’émission qui sont déterminantes.

 

[39]    La Cour suprême du Canada en a ainsi tranché. Le montant du principal ne peut pas fluctuer. Je reprends les mots du résumé de la décision de la Cour Suprême : « ... Le texte, l’esprit et le contexte de l’al. 20(1)f) indiquent que la déduction se limite à l’escompte initial d’émission – – faible escompte au sous‑al. f(i) et fort escompte au sous-al. f)(ii). ... »

 

[40]    Cependant, pour déterminer le montant du principal, le montant du remboursement prévu au moment de l’émission des titres est essentiel. Il faut donc regarder la convention avec les souscripteurs. Ici, dans la convention, il n’y a aucune mention de remboursement supérieur au montant prêté. Ce qui est prévu est un remboursement égal au montant prêté, tant en ce qui concerne le remboursement en argent du montant prêté que le remboursement par conversion en actions.

 

[41]    L’avocat des appelantes soumet que l’intention des parties était un remboursement à la JVM des actions. Aucun souscripteur n’est venu témoigner à cet égard. De plus, l’avocat lui-même croit que le coût d’acquisition des actions serait le montant de la créance. C’est aussi un fait admis qu’aux fins comptables les appelantes ont augmenté la valeur de leur capital-actions de la valeur nominale des débentures ou billets à ordre convertis. Voir le paragraphe 17 de l’entente sur les faits.

 

[42]    Dans les actes de fiducie, il y avait deux éléments mentionnés à l’égard de l’acquittement de la créance au moyen de la conversion des actions, soit le prix convenu et la proportion des actions. L’avocat des appelantes a soumis que le prix n’était qu’un mode de calculer la proportion des actions. Je ne suis pas de cet avis, si le prix pouvait fluctuer, il n’y a aucune raison pourquoi la proportion des actions n’aurait pas corrélativement fluctué.

 

[43]    La proportion des actions n’a pas fluctué. Le prix convenu n’a pas non plus fluctué. Le remboursement prévu lors de la conversion des actions était égal à la somme pour laquelle le titre a été émis et c’est ce qui a été payé en acquittement des titres émis. C’est ainsi que le veut la jurisprudence citée par l’avocate de l’intimée. C’était aussi l’intention des parties.

 

[44]    Toutefois, d’après la décision de cette Cour dans Alcatel, il faut penser qu’en effet les appelantes ont engagé comme dépense véritable la JVM des actions qu’elles ont émises lors de l’exercice du droit de conversion des souscripteurs. La différence entre le prix convenu pour l’acquittement des titres et la JVM des actions émises serait une dépense engagée par les appelantes, mais je n’ai pas à décider de cela ni du traitement fiscal de cette dépense puisque cela n’a pas été l’objet du débat judiciaire. Seule la déduction en vertu de l’alinéa 20(1)f) de la Loi a été en litige et je suis d’avis qu’à cet égard la position de l’intimée est correcte.

 

[45]    En conséquence, les appels doivent être rejetés avec frais.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juillet 2007.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI395

 

Nºs DES DOSSIERS DE LA COUR : 2003-3999(IT)G, 2004‑1916(IT)G et

                                                          2003‑4340(IT)G

 

INTITULÉS DES CAUSES :             TEMBEC INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE , CASCADES INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE , et PROVIGO INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE ,

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 28 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 11 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelantes :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocates de l'intimée :

Me Marie Bélanger

Me Natalie Goulard

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes:

 

                     Nom :                            Me Wilfrid Lefebvre

 

                 Cabinet :                           Ogilvy Renault

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa, Canada

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