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Référence : 2006CCI62

Dossier : 2005-363(IT)I

 

 

LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

 

LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

 

 

ENTRE :

 

CHANTAL BOUCHER,

                                           appelante,

 

- et -

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

                                             intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Transcription de la décision et des motifs rendus oralement à l’audience par l’honorable juge Campbell le 6 décembre 2005 à Ottawa (Ontario)

 

SÉANCE

(Décision et motifs rendus oralement)

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :      Me G. Stein

 

Avocate de l’intimée :       Me A. Tate

 

 

TENUE À :

 

Cour canadienne de l’impôt

Salle d’audience

200, rue Kent, 3e étage

Ottawa (Ontario)

 

Le mardi 6 décembre 2005


                LE GREFFIER : La Cour rendra maintenant sa décision à l’égard du dossier 2005‑363(IT)I, entre Chantal Boucher, l’appelante, et Sa Majesté la Reine, l’intimée.

                L’appelante est représentée par Me Gary Stein, et l’intimée est représentée par Me April Tate.

                Madame la juge...

Décision et motifs (rendus à l’audience) :

                JUGE CAMPBELL : Merci.

                Nous sommes ici aujourd’hui pour que je rende de vive voix ma décision dans le cadre de l’affaire opposant Chantal Boucher et Sa Majesté la Reine, que j’ai entendue vendredi dernier.

                Le présent appel porte sur les années de base 2000, 2001 et 2002 de l’appelante, à l’égard desquelles le ministre a décidé que l’appelante avait reçu des montants de prestation fiscale pour enfants auxquels elle n’avait pas droit parce qu’elle n’était pas le particulier admissible.

                Il s’agit donc de savoir si l’appelante a droit à la prestation pour les années de base en question, pour la période allant du mois d’avril 2002 au mois de février 2004.

                J’ai entendu le témoignage de l’appelante et d’Alain Giguere.

                Pour le reste du jugement, j’utiliserai l’expression « le père des enfants » pour désigner M. Giguere.

                Il n’est pas contesté en l’espèce que les deux enfants en question sont à tous égards des « personnes à charge admissibles » au sens de l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

                Quand les parents se sont séparés en 2000, une ordonnance, datée du 14 décembre 2001, rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario prévoyait que les parents auraient la garde conjointe des enfants. L’ordonnance indiquait ensuite que la résidence principale des enfants serait celle du père. Au paragraphe 2, il était stipulé que si les parents étaient incapables de prendre ensemble des décisions importantes touchant les enfants, le père aurait le droit de prendre la décision définitive.

                L’ordonnance établit des modalités d’exercice du droit d’accès très précises et détaillées entre les parents. L’appelante devait avoir les enfants avec elle une fin de semaine sur deux, ainsi que deux jours au cours de la semaine précédant la fin de semaine où elle avait les enfants avec elle, et trois jours au cours de la semaine précédant la fin de semaine où elle n’avait pas les enfants avec elle, et ce de 8 h à 19 h 30. Pour tous les jours fériés et toutes les occasions spéciales, il semble que les parents ont les enfants avec eux de façon égale.

                L’appelante a décrit les trois différentes résidences où elle a demeuré pendant la période visée, ainsi que les dispositions prises pour ses enfants quand ils dormaient chez elle. Même si dans les trois résidences, les enfants dormaient dans la même chambre que l’appelante, il semble qu’elle avait pris des dispositions appropriées pour eux. Ils avaient notamment leur propre lit et leur propre bureau, de même qu’une télévision et un ordinateur. Elle a déménagé dans une troisième résidence, où elle demeure actuellement, pour être plus près de l’école des enfants, afin qu’ils puissent marcher, au lieu de prendre l’autobus, pour aller à l’école quand ils sont chez elle.

                L’appelante a décrit de façon détaillée les diverses activités auxquelles elle participait avec les enfants. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle préparait des repas et des dîners pour les enfants, qu’elle avait pris des mesures afin que sa maison soit sécuritaire pour les jeunes enfants, qu’elle accompagnait les enfants lorsqu’ils avaient des rendez‑vous chez le dentiste et le médecin, qu’elle marchait jusqu’à l’école et qu’elle passait 15 minutes dans la cour d’école avec les enfants les matins suivant les nuits où ils dormaient chez leur père, qu’elle aidait les enfants à faire leurs devoirs, et qu’elle leur achetait des vêtements.

                L’affidavit de l’appelante, la pièce A­‑2, présentait de façon très détaillée les ententes qu’elle avait conclues à l’égard de ses responsabilités envers les enfants, notamment les ententes prises pour les activités éducatives, récréatives et athlétiques des enfants, pour la participation quotidienne à la supervision et à l’entretien du milieu de vie des enfants, pour les besoins médicaux et dentaires, et pour guider les enfants en général.

                Cette pièce comportait également un registre sous forme de calendrier pour la période visée, lequel indiquait les jours durant lesquels c’est elle qui s’occupait des enfants, ainsi que les jours où ils étaient malades et où elle était allée voir un médecin avec eux. Un registre des rendez‑vous chez le médecin était également annexé à l’affidavit, de même que des copies des ordonnances pour les médicaments. 

                Dans les formulaires d’inscription de l’école, qui sont joints à l’affidavit de l’appelante, il est indiqué que le père est la première personne avec laquelle communiquer en cas d’urgence. L’appelante vient en deuxième, suivie d’une gardienne en troisième. Lors du contre‑interrogatoire, l’appelante a dit que le père était la première personne indiquée dans les formulaires parce c’était lui qui avait inscrit les enfants à l’école. Puis, elle a ajouté qu’elle avait informé l’école qu’elle devait être la première personne avec laquelle communiquer en cas d’urgence les jours où elle avait accès aux enfants en vertu de l’ordonnance, mais qu’il ne semble pas que l’école ait donné suite à sa demande.

                Le père des enfants a témoigné concernant les conditions de logement de ses enfants. Au début, il demeurait dans une maison en rangée de trois chambres, et maintenant, il demeure de nouveau dans un duplex, où les enfants ont leur propre chambre et un espace de travail individuel. De plus, il possède un chalet, où les enfants peuvent pratiquer des activités, comme la natation pendant l’été et le patinage pendant l’hiver.

                M. Giguere a fait le point sur sa participation aux activités des enfants. Notamment, il entraînait les équipes de hockey et de soccer de son fils, il faisait de la bicyclette avec les deux enfants, il préparait les repas et les dîners des enfants, il aidait les enfants à faire leurs devoirs et il était présent lors des activités scolaires, y compris les excursions scolaires.

                M. Giguere a permis à l’appelante d’amener les enfants aux rendez‑vous chez le dentiste, comme elle l’avait suggéré, parce que, comme il l’a fait remarquer, elle était bénéficiaire de l’aide sociale et que ces types des soins étaient payés dans ces cas‑là. Même s’il amenait les enfants voir le médecin en cas de besoin, il est clair qu’il ne le faisait pas aussi souvent que l’appelante et qu’il avait l’impression que bon nombre de ces rendez‑vous chez le médecin n’étaient pas nécessaires.

                Même si l’ordonnance de la Cour prévoyait que la décision définitive revenait au père des enfants si les parents ne s’entendaient pas au sujet d’une décision à prendre concernant les enfants, le père a indiqué dans son témoignage qu’ils avaient toujours été capables de régler leurs différends.

                Une note, écrite à la main par l’appelante et signée par le père des enfants, dans laquelle il avait accepté que la mère continue de recevoir la prestation fiscale pour enfants, était annexée à l’affidavit de l’appelante, comme pièce H, le document original ayant été produit comme pièce A‑3. Les deux parties ont convenu que l’appelante avait présenté cette note à l’extérieur de l’école un jour de pluie. L’appelante a admis que le père n’était pas ravi de signer la note, et M. Giguere a dit qu’il avait été forcé de la signer.

 

Analyse :

 

                Malheureusement, dans ces cas‑là, la Loi prévoit qu’un seul des deux parents peut être le particulier admissible pouvant recevoir la prestation.

                J’ai devant moi un père et une mère  qui ont tous les deux démontré qu’ils sont d’excellents fournisseurs de soins et qui participent beaucoup tous les deux quotidiennement au soin et à l’éducation de leurs deux enfants. Toutefois, la Loi ne comporte aucune disposition qui me permettrait de répartir la prestation au prorata, comme j’aimerais le faire en l’espèce, entre ces deux personnes, qui allèguent toutes les deux être le particulier admissible à l’égard des enfants.

                C’est l’un des cas où le témoignage de la mère et celui du père se valent, à peu de choses près.

                La définition applicable donnée dans la Loi de l’expression « particulier admissible » figure à l’article 122.6 et est en partie ainsi libellée :

« particulier admissible » S'agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a) elle réside avec la personne à charge;

b) elle est la personne — père ou mère de la personne à charge — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière; […]

Pour l'application de la présente définition : […]

h) les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l'éducation d'une personne.

                L’article 6302 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») énonce les critères prévus par règlement mentionnés à l’alinéa h) de l’article 122.6, et je dois tenir compte de ces critères.

                Lorsque j’examine chacun des mois, je constate que les enfants passaient deux nuits chez leur mère, le vendredi et le samedi, une fin de semaine sur deux par mois. Les enfants ne passaient pas d’autres nuits chez l’appelante, sauf lorsqu’il y avait des occasions spéciales et des jours fériés. Les enfants passaient la majorité des nuits chez leur père au cours du mois. En plus d’avoir accès aux enfants une fin de semaine sur deux, l’appelante avait les enfants avec elle de 8 h à 19 h 30 deux jours par semaine une semaine, et trois jours par semaine l’autre semaine. Toutefois, si je comprends bien la preuve, le père devait quand même veiller à ce que les enfants se lèvent et il préparait leurs petits déjeuners et leurs repas du midi pour l’école. Puis, l’appelante se rendait dans la cour d’école, comme elle le faisait la plupart des jours, pour passer un peu de temps avec les enfants avant le début des classes. Puis, elle s’occupait des enfants après l’école, de 14 h 45 à 19 h 30. Après, ils retournaient chez leur père.

                Selon la preuve, les parties suivaient l’ordonnance de la Cour au pied de la lettre et elles ne transgressaient pas les directives énoncées.

                Il est également clair, malgré la preuve contraire présentée par l’appelante, que le père figurait quand même dans les dossiers de l’école comme la première personne avec laquelle communiquer en cas d’urgence les jours où l’appelante avait accès aux enfants pendant la semaine.

                Malgré les excellents arguments présentés par l’avocat de l’appelante, Me Stein, je ne peux pas accepter l’allégation selon laquelle les enfants résidaient avec elle la moitié du temps. Les parents suivaient l’ordonnance, et celle‑ci précisait que la résidence principale des enfants serait celle du père et que, en fin de compte, c’était lui qui avait le dernier mot pour toutes les décisions importantes si les parents ne s’entendaient pas.

                Dans l’ordonnance, il était stipulé que la résidence principale était celle du père, et je crois, compte tenu des témoignages que j’ai entendus, que le père remplit les conditions de résidence.

                Même si je donnais raison à l’appelante pour ce qui est des conditions de résidence, je pourrais difficilement lui donner gain de cause si je considère les critères figurant à l’article 6302 du Règlement, compte tenu de l’ordonnance et des faits.

                Encore une fois, les témoignages des deux parents se valent, à peu de choses près, pour ce qui est de leurs compétences parentales.

                Il est clair que l’appelante est une mère aimante qui se soucie de ses enfants et qu’elle profite de toutes les occasions pour consacrer du temps de qualité à ses enfants.

                Il y a eu un léger désaccord au sujet du nombre de fois où l’appelante a accompagné les enfants chez le médecin pour des problèmes d’asthme. D’une part, rien ne prouve qu’il ne s’agissait pas de visites essentielles; mais d’autre part, rien ne prouve que le père négligeait ses responsabilités parce qu’il n’allait pas chez le médecin avec les enfants aussi souvent qu’elle le faisait.

                J’ai également une note signée par le père et dans laquelle il est censé renoncer à demander la prestation après un certain temps. Il dit qu’il a été forcé – quoique je doute, étant donné sa taille par rapport à celle de l’appelante, qu’il se sentait menacé par elle de quelque façon que ce soit. Toutefois, cette note ne précise pas les périodes réelles pour lesquelles il a renoncé à demander la prestation. De plus, il n’a pas consulté un avocat indépendant avant de signer la note et il a indiqué l’avoir signée à la suite de demandes répétées de la part de l’appelante. Par conséquent, je considère que la note a une valeur neutre dans l’évaluation de ces critères.

                Fait plus important, pour changer le paragraphe 14 de l’ordonnance de la Cour, il fallait demander une modification de l’ordonnance, et non pas obtenir une note signée écrite à la main.

                Encore une fois, finalement, comme il y a peu d’éléments qui me permettent de trancher en faveur de l’un ou l’autre des parents, je dois revenir à l’ordonnance de la Cour, où il est énoncé, au paragraphe 14, que l’appelante recevrait la prestation pour l’année d’imposition 2001, jusqu’en février 2002, et que, par la suite, le père commencerait à la demander.

                Rien dans les faits de la présente affaire n’indique que les parents faisaient autre chose que de suivre, à la lettre, les directives de l’ordonnance. Dans l’ordonnance, il est indiqué que la résidence principale des enfants est celle du père, où, selon les faits, ils résident plus de la moitié du temps. Cela lui donne le pouvoir de prendre les décisions définitives et le droit de demander la prestation fiscale pour enfants après février 2002.

                Je dois conclure que la position du ministre est correcte. Par conséquent, l’appel est rejeté.

                LE GREFFIER : La séance est levée.

 


 



RÉFÉRENCE :

20065CCI62

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-363(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Chantal Boucher c.

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 décembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT RENDU ORALEMENT :

 

Le 6 décembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gary Stein

 

Avocate de l’intimée :

Me April Tate

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat de l’appelante :

 

Nom :

Me Gary Stein

 

Étude :

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada Ottawa, Canada

 

 

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