Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

No de dossier : 2005-3723(CPP)

ENTRE :

ART CITY IN ST. JAMES TOWN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel d’Art City in St. James Town (2005‑3724(EI)) les 23 et 28 août 2006, et jugement rendu

oralement à Toronto (Ontario), le 29 août 2006.

 

Devant : M. le juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

 

Avocate de l’appelant :

Me Martha K. MacDonald

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Kandia Aird

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée pour les raisons énoncées dans les motifs du jugement ci-joints, rendus oralement à l’audience le 29 août 2006.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de septembre 2006.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur

 


 

 

 

No de dossier : 2005-3724(EI)

ENTRE :

ART CITY IN ST. JAMES TOWN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel d’Art City in St. James Town (2005-3723(CPP)) les 23 et 28 août 2006, et jugement rendu

oralement le 29 août 2006, à Toronto (Ontario).

 

Devant : M. le juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

 

Avocate de l’appelant :

Me Martha K. MacDonald

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Kandia Aird

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée pour les raisons énoncées dans les motifs du jugement ci-joints, rendus oralement à l’audience le 29 août 2006.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de septembre 2006.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur

 


 

 

 

Référence : 2006CCI507

Date : 20060915

Nos de dossiers : 2005-3723(CPP)

2005-3724(EI)

ENTRE :

ART CITY IN ST. JAMES TOWN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario),

le 29 août 2006.)

 

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelant interjette appel d’une décision rendue sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada, selon laquelle Mme Gizas (la « travailleuse ») était une employée de l’appelant (« Art City ») offrant ses services dans le cadre d’un contrat de louage de services. La période en cause s’étend de mars 2004 à février 2005.

 

[2]     Art City est un organisme de bienfaisance enregistré qui propose un programme parascolaire d’arts communautaires destiné aux enfants âgés de 6 à 15 ans du quartier de St. James Town, l’un des plus pauvres de Toronto.

 

[3]     Le programme artistique est offert par des artistes professionnels, des artistes en devenir et des bénévoles qui offrent gratuitement des cours d’art aux enfants. Les programmes sont entièrement financés par des dons et des subventions. Art City est régi par un conseil d’administration composé de membres bénévoles.

 

[4]     L’appelant a fait témoigner pour son compte deux administrateurs qui font partie du conseil, depuis le début, à titre de membres fondateurs et qui étaient également membres du conseil à tous les moments pertinents. La travailleuse et un ancien artiste invité (M. Kennedy) ont témoigné pour le compte de l’intimé.

 

[5]     L’un des témoins de l’appelant, Mme Martin, était présidente du conseil d’administration à tous les moments pertinents. Dans son témoignage, elle a déclaré que le secteur de St. James Town est l’un des plus pauvres de Toronto et qu’il présente la plus forte densité de population en Amérique du Nord. Le programme a permis de sortir les enfants de la rue et de leur fournir un milieu stimulant et un goûter après la classe, ce qui n’était peut‑être pas l’aspect le plus négligeable du programme.

 

[6]     On reconnaît que les membres du conseil comptaient sur des artistes rémunérés pour élaborer et mettre en œuvre les programmes. Les membres du conseil, qui se rendaient rarement aux locaux de l’organisme, ne contribuaient pas aux activités quotidiennes de celui‑ci. On reconnaît en outre qu’une personne devait être présente sur place de façon régulière; quelqu’un qui soit là pour veiller à ce qu’il y ait des artistes invités pour élaborer et mettre en œuvre les programmes de l’organisme; quelqu’un à qui les parents pouvaient s’adresser; et quelqu’un qui veille à ce que des goûters soient servis aux enfants. En d’autres termes, le conseil d’administration voulait sur place une personne responsable, agissant comme figure de proue pour offrir les programmes et veiller à la sécurité et au bien‑être des enfants.

 

[7]     Les membres du conseil ne se réunissaient pas à intervalles réguliers pendant la période pertinente et ils dirigeaient plutôt Art City en fonction des besoins. Les questions devant être soumises au conseil étaient souvent réglées par voie de courriels.

 

[8]     L’un des membres du conseil se chargeait de payer les factures. Les travailleurs présentaient des factures pour leur rémunération, fondée sur un taux horaire, et pour le matériel artistique utilisé par les enfants dans le cadre des programmes. Les artistes fournissaient leur propre matériel. C’est notamment le cas de la travailleuse qui fournissait une machine à coudre que les enfants pouvaient utiliser dans le cadre de ses programmes. La travailleuse était une artiste œuvrant dans le domaine de la mode.

 

[9]     Le titre [TRADUCTION] « directeur du programme artistique » semble avoir été choisi dès le début pour désigner la personne assurant la présence régulière et nécessaire sur place. Bien que les deux témoins de l’appelant aient voulu minimiser l’importance de ce titre, je suis convaincu qu’à toutes fins utiles, le conseil souhaitait que ce soit celui de la personne responsable d’Art City. Il était dans l’intérêt de l’organisme qu’une personne portant un tel titre, et ayant le pouvoir qu’il sous‑entend, soit présente. Sinon, il me semble que la mise en œuvre des programmes artistiques aurait été rien de moins que chaotique.

 

[10]    Lorsque le programme d’arts communautaires a débuté, ou à un certain moment par la suite, c’est M. Whitworth qui assurait cette présence régulière ou représentait le programme. Ses services ont été retenus à titre d’entrepreneur indépendant pour agir comme directeur du programme artistique. Il avait un autre travail, mais il faisait en sorte d’être présent à Art City pendant les heures d’ouverture, à savoir de 15 h 30 à 18 h 00, ou d’être là pour aider les artistes invités à réaliser leurs programmes. Les artistes invités consistaient en un groupe d’artistes itinérants qui se sont fait connaître par le bouche à oreille. Ils élaboraient leurs propres projets à l’intention des enfants, achetaient le matériel nécessaire pour leur programme et présentaient ensuite une facture à Art City pour obtenir remboursement de ces dépenses.

 

[11]    Vers le mois de mars 2004, M. Whitworth a quitté Art City et il a fallu pourvoir le poste de directeur du programme artistique. À cette époque, deux artistes invités, dont la travailleuse, devaient obtenir du financement à titre d’artistes en résidence. Une demande de financement total ou partiel de ces postes a été présentée au Toronto Arts Council. De même, l’un de ces deux artistes en résidence devait occuper le poste de directeur du programme artistique.

 

[12]    La travailleuse constituait le choix unanime et enthousiaste du conseil pour remplacer M. Whitworth en qualité de directrice du programme artistique. C’était une femme énergique, dotée d’esprit d’initiative, et les enfants l’adoraient. Selon le témoignage du représentant de l’appelant, la travailleuse, lorsqu’elle a accepté ce poste, savait qu’il faisait partie du programme des artistes en résidence et elle connaissait les restrictions afférentes au programme voulant que le financement empêche le versement de salaires à des employés permanents.

 

[13]    La travailleuse a nié connaître le contenu de la demande de financement et, dans son témoignage, elle a déclaré que, même si elle avait contribué à l’élaboration de la demande et en avait rédigé certaines parties, les passages permettant d’avancer qu’elle savait que le financement lui serait versé à titre d’artiste en résidence avaient été rédigés par des membres du conseil. Son déni de la simple connaissance du fait qu’elle savait que la demande, à laquelle elle avait travaillé, était présentée pour contribuer au financement de son engagement est difficile à accepter[1].

 

[14]    Le financement des deux artistes en résidence a été obtenu en août 2004. En qualité d’artiste invitée pendant environ deux ans, la travailleuse touchait 10,00 $ l’heure. Lorsqu’il a été envisagé d’obtenir du financement pour deux artistes en résidence, la travailleuse et l’autre futur artiste en résidence ont commencé à recevoir 15,00 $ l’heure. Lorsque le conseil des arts a versé la dernière tranche du financement, le taux horaire des deux artistes est passé à 18,00 $. Bien que le taux horaire de la rémunération versée aux deux artistes soit demeuré le même, le rôle de la travailleuse à titre de directrice du programme artistique offrait à cette dernière la possibilité d’obtenir une rémunération plus intéressante.

 

[15]    Vers le mois de juillet 2004, après avoir été directrice du programme artistique pendant environ trois mois, la travailleuse a établi un programme à l’intention du conseil d’administration. Dans le cadre de ce programme, elle proposait notamment la signature d’un contrat écrit d’une durée d’un an à titre de directrice du programme artistique. La proposition prévoyait un salaire de 22,00 $ l’heure et ne faisait état d’aucunes vacances payées ni d’aucun avantage social. Cela m’incite à penser non seulement qu’elle comprenait la nature de l’entente existante, qui n’offrait aucun avantage social, mais aussi qu’elle ne proposait pas de modifier la nature de l’entente par le contrat écrit qu’elle mettait de l’avant. Son témoignage à l’effet contraire est suspect.

 

[16]    Les témoins de l’appelant ont reconnu que la travailleuse voulait un contrat signé et que le conseil d’administration a examiné cette question lors d’une réunion tenue en janvier 2005. Bien qu’aucun contrat écrit ne soit jamais intervenu, le témoignage de Mme Martin était clair et catégorique. Le conseil n’a jamais considéré que ce contrat, s’il était signé, constituerait autre chose qu’un contrat d’entreprise. C’est‑à‑dire que les services de la travailleuse continueraient d’être retenus à titre d’entrepreneuse indépendante. La proposition, selon le conseil, visait un contrat écrit d’une durée d’un an prévoyant une augmentation du taux horaire sans aucun avantage social.

 

[17]    Voilà qui, habituellement à tout le moins, ouvre la voie à une analyse juridique et à l’énumération des autres précisions que nécessite cette analyse.

 

[18]    La preuve confirme que la travailleuse avait davantage de communications avec le conseil en qualité de directrice du programme artistique qu’à titre d’artiste en résidence. Il n’est pas contesté que la travailleuse exécutait des tâches administratives. Par exemple, elle aidait à la préparation des demandes de subvention et c’est elle qui remettait au conseil les factures des artistes invités lorsque ces derniers ne s’en chargeaient pas eux‑mêmes. De fait, c’est ainsi que la plupart des factures étaient traitées. Cependant, la travailleuse n’approuvait pas les factures et rien dans la preuve ne permet de penser qu’elle approuvait l’acquisition du matériel que les artistes invités facturaient à l’appelant. De même, elle a commencé à établir des rapports opérationnels hebdomadaires détaillés peu de temps après avoir été nommée directrice du programme artistique. Elle n’était toutefois pas tenue d’établir ces rapports. Selon le témoignage de la travailleuse, ces rapports n’étaient même pas lus. Il fallait néanmoins tenir le conseil informé dans une certaine mesure pour qu’il puisse prendre ses décisions. L’établissement des rapports était facturé suivant son taux horaire, mais une grande partie de ce qu’elle faisait tenait à son initiative et à son enthousiasme. Aucune mesure n’a été prise lorsque ses rapports ont commencé à se faire moins nombreux puis lorsqu’elle a complètement cessé d’en présenter au bout de quelques mois, bien qu’elle ait continué à remettre au conseil des rapports moins détaillés par voie de courriels. Ces faits mettent en lumière la latitude accordée à la travailleuse.

 

[19]    À titre de directrice du programme artistique, la travailleuse devait être présente aux locaux de l’appelant pendant les heures d’ouverture, mais elle pouvait demander à quelqu’un d’autre de la remplacer et cette personne facturait ses services de façon distincte. On s’attendait à ce que le remplaçant soit une personne apte à remplir les fonctions de la travailleuse et connue du conseil. Bien que, selon une pièce déposée en preuve relativement à la cessation d’emploi de la travailleuse, celle‑ci se soit fait remplacer par une personne que le conseil n’avait pas approuvée, Mme Martin a précisé qu’il s’agissait en réalité d’un processus moins formel que l’obtention d’une approbation en bonne et due forme du conseil. La travailleuse était tenue d’agir de façon responsable au moment de choisir un remplaçant et, dans le cas d’une personne inconnue du conseil, cela voulait dire informer ce dernier de la situation. Lorsque le conseil ne connaissait pas l’éventuel remplaçant, il aurait fallu lui donner de plus amples renseignements. Après tout, les activités d’Art City s’adressaient à de jeunes enfants. Comme il sera précisé plus loin, c’est le manquement allégué de la travailleuse sur ce point qui est à l’origine de sa cessation d’emploi.

 

[20]    Outre une personne responsable présente dans les locaux, je signale que jusqu’à 15 artistes étaient engagés dans des projets touchant les enfants au cours de la période en cause. Une certaine coordination était nécessaire et il est tout à fait légitime de conclure que cette fonction incombait à la travailleuse en sa qualité de directrice du programme artistique. D’un autre côté, ses efforts visant à promouvoir les programmes artistiques étaient en grande partie attribuables à sa propre initiative. Elle a étendu les programmes et l’inscription. Elle avait l’esprit d’entreprise à cet égard. Elle faisait preuve de ce même esprit dans sa quête de financement pour l’appelant. De fait, une demande de ce genre semble avoir constitué une autre raison pour laquelle le conseil, au bout du compte, n’était pas satisfait des services de la travailleuse – mais il s’agit néanmoins d’un exemple de son esprit d’entreprise et de son initiative professionnelle.

 

[21]    Je me penche maintenant brièvement sur les circonstances de la cessation d’emploi de la travailleuse. Cette cessation d’emploi a été jugée nécessaire parce que la travailleuse n’agissait pas de façon responsable. On affirme qu’à une occasion elle a retenu les services d’un remplaçant qui a amené un chien pit-bull à l’atelier. Même si la travailleuse nie ces allégations, elle a reconnu n’avoir jamais informé le conseil de son absence qui était prévue depuis deux semaines. Le fait qu’elle ne croyait pas opportun de demander une permission avant de s’absenter montre bien sa perception de la situation, à savoir qu’en pratique ses décisions touchant les congés ne faisaient pas l’objet d’un grand contrôle. Selon sa version des faits, que j’accepte, elle a confié l’atelier à une personne connue du conseil et cela était suffisant. Une série de circonstances regrettables sont à l’origine de la présence du chien à l’atelier. Néanmoins, la travailleuse a agi sur le fondement qu’elle n’était pas tenue d’obtenir une permission pour se trouver un remplaçant. Elle avait uniquement l’obligation d’agir d’une façon responsable dans le choix d’un remplaçant et c’est ce qu’elle croyait avoir fait.

 

[22]    Comme il a été mentionné plus haut, le conseil avait d’autres préoccupations en ce qui concerne la travailleuse, notamment l’empressement exagéré avec lequel elle s’acquittait de ses tâches. La travailleuse était une entrepreneuse indépendante qui avait beaucoup de volonté et pour qui le manque de supervision équivalait à la liberté de se donner un rôle plus important.

 

[23]    Il ne s’agit pas de laisser entendre que le conseil ne faisait rien. J’accepte le témoignage de la travailleuse selon lequel le conseil supervisait la structure de l’organisme, prenait les décisions touchant les activités et surveillait le budget. Mais cela ne suffit pas à faire de la travailleuse une subalterne. Elle était une artiste professionnelle qui dirigeait un atelier d’art pour le compte du conseil et dont le mandat consistait à inciter des artistes à intéresser les enfants à diverses activités dans un milieu sûr, à leur offrir des goûters sains et à participer aux collectes de fonds. Elle a donné des précisions sur le rôle qui lui a été confié lorsqu’on a retenu ses services à titre de directrice du programme artistique, qu’on lui a fourni tous les renseignements nécessaires pour diriger l’atelier et qu’on lui a remis les clés.

 

[24]    La travailleuse savait dès le début qu’elle pouvait décider des heures de travail, sous réserve d’une période d’environ 3,5 heures par jour, y compris le temps nécessaire pour ouvrir et fermer l’atelier. Là encore, malgré cette exigence, si elle pouvait trouver un remplaçant convenable, rien ne l’empêchait de s’absenter. Bien qu’elle nie avoir été au courant du fait qu’elle pouvait poursuivre d’autres projets, elle était une artiste qui s’employait à agir en ce sens. Au cours de son mandat à titre de directrice du programme artistique, elle a demandé, et obtenu, une subvention qui lui a permis, au cours de son engagement auprès de l’appelant, de mettre sur pied un projet artistique à l’intention des enfants dans les écoles. Elle préparait en outre une exposition de ses propres œuvres. Elle savait qu’elle pouvait entreprendre ces activités. Même si elle a donné la priorité à son travail chez Art City et reporté la mise en œuvre de ces autres projets, cela ne change rien au fait qu’elle savait qu’elle avait toute latitude pour agir autrement. De toute évidence, il n’était pas question de reporter ces projets indéfiniment même si son engagement auprès d’Art City s’était poursuivi.

 

[25]    Compte tenu de ces circonstances, je vais maintenant examiner les critères applicables pour décider si l’appelant et la travailleuse ont conclu un contrat de louage de services ou un contrat d’entreprise.

 

Contrôle

 

[26]    Je ne vois pas comment on peut affirmer que les activités de la travailleuse faisaient l’objet d’un quelconque contrôle. Sous réserve d’avoir à trouver un remplaçant, ce qui lui était permis, la travailleuse n’avait l’obligation d’être présente sur les lieux que 3,5 heures par jour ou 35 heures pour chaque période de deux semaines. Néanmoins, elle a facturé entre 60 et 99 heures pour chaque période de deux semaines durant la période en cause, ce qui montre bien la liberté dont elle disposait pour établir son horaire de travail en grande partie comme elle le souhaitait.

 

[27]    Manifestement, son engagement visait des tâches nécessitant plus de 35 heures de travail par deux semaines. Elle avait des obligations administratives qui devaient exiger plus de temps. Cependant, aucun contrôle n’était exercé quant à la façon dont elle remplissait son rôle administratif ou la mesure dans laquelle elle exécutait ces fonctions. Elle fixait son propre programme administratif sans intervention de quiconque. De même, dans les faits, elle avait un bureau à domicile où elle utilisait, à ses frais, son propre ordinateur et ses propres ressources Internet pour exécuter les tâches administratives qui lui incombaient. À partir de son bureau à domicile, elle demeurait en relation avec le conseil, comme on le ferait avec un client, et elle effectuait de la recherche et des travaux connexes qui l’aidaient à réunir des fonds pour Art City, comme on le ferait pour un client. Toutefois, son bureau à domicile servait également à l’exercice d’autres activités. C’est‑à‑dire qu’elle utilisait les installations de son bureau à domicile pour poursuivre d’autres projets intéressant ou non Art City.

 

[28]    Quant à son rôle à titre d’artiste qui contribue à la mise en œuvre des programmes et qui intègre ses propres programmes aux divers projets, comme l’a mentionné M. Kennedy, elle était son propre patron. Il ne s’agissait pas d’un rôle subalterne.

 

[29]    Je reconnais qu’en sa qualité de représentante personnifiant Art City et de seule responsable des activités, elle ressemblait à bien des administrateurs « employés » qui rendent compte uniquement à des conseils d’administration mais, plus souvent qu’autrement, ces derniers ne bénéficient pas de conditions aussi souples que celles en l’espèce. De plus, on pourrait avancer que l’absence de contrôle sur son travail, en tant qu’artiste, ne constitue pas un facteur pertinent. Comme il est signalé dans l’arrêt Wolf v. R.[2] (« Wolf »), de nombreux professionnels qui en connaissent plus que ceux qui les embauchent et qui ne font donc pas l’objet d’une supervision peuvent néanmoins être des employés. Mais ces situations n’offrent peut‑être pas le même degré de souplesse que dans la présente affaire.

 

[30]    Je ne vois pas comment le facteur relatif au contrôle pourrait jouer en faveur d’une conclusion voulant qu’il y ait eu un emploi dans les circonstances. De fait, s’il s’agissait du seul facteur à examiner, je crois que l’ensemble de la preuve me fonderait à conclure que la travailleuse est une entrepreneuse indépendante.

 

Outillage

 

[31]    Comme il est mentionné plus haut, la travailleuse effectuait ses tâches administratives chez elle, à l’aide de son ordinateur. Elle fournissait également sa machine à coudre pour contribuer à la mise en œuvre des programmes. Dans son témoignage, M. Kennedy a mis en doute l’assertion de la travailleuse qui a affirmé que la machine à coudre n’était pas utilisée pendant qu’elle agissait comme directrice du programme artistique. Il n’en demeure pas moins que le volet du critère qui touche à l’utilisation de l’outillage n’est pas déterminant en l’espèce. La propriété et l’utilisation de l’ordinateur revêtent une plus grande importance pour l’application d’autres critères.

 

Possibilité de profit et risque de perte

 

[32]    Même s’il est vrai qu’un salaire horaire est souvent associé à l’existence d’un contrat de louage de services, ce n’est pas toujours le cas. Dans la présente affaire, la travailleuse bénéficiait d’une souplesse appréciable quant au nombre d’heures qu’elle pouvait travailler. Cela constitue une possibilité de profit. Sous réserve des plafonds budgétaires, qu’elle connaissait, elle tirait profit de ses démarches d’entrepreneuse.

 

[33]    En ce qui a trait au risque de perte, je signale que lorsqu’un travailleur, dans le cadre de son engagement, cherche du financement susceptible d’avoir une incidence sur le versement de sa paye, il existe un risque de perte qui reflète lui aussi l’existence d’un facteur tenant à l’esprit d’entreprise. La travailleuse en l’espèce était une partenaire avertie à cet égard. Le fait de perdre la source de revenu que constituait l’appelant pouvait entraîner une perte modeste, compte tenu des frais permanents occasionnés par le bureau à domicile. En outre, la travailleuse assumait une éventuelle responsabilité civile à titre de personne chargée d’enfants. Cette responsabilité pouvait être lourde, quoique cela soulève la question de la nature de l’engagement de la travailleuse.

 

[34]    Tout bien pesé, je ne vois pas comment ces facteurs pourraient justifier la Cour de conclure qu’il existait un emploi dans ces circonstances. De fait, s’il s’agissait du seul facteur à examiner, je crois que l’ensemble de la preuve permettrait de conclure que la travailleuse est une entrepreneuse indépendante.

 

Intégration

 

[35]    Ce que d’aucuns qualifient de quatrième critère touche le facteur de l’intégration. Il me paraît relativement clair que les services rendus par une personne agissant à titre de directrice du programme artistique font partie intégrante et nécessaire de l’entreprise de l’employeur. Cependant, cette façon d’appliquer ce critère a été rejetée par les tribunaux[3]. L’approche maintenant suivie consiste à se demander « À qui appartient l’entreprise? » ou « Est‑ce que le travailleur exploite une entreprise? ».

 

[36]    Ce critère donne également à penser que la travailleuse est une entrepreneuse indépendante. Même si elle ne présente pas un grand nombre des caractéristiques associées à une entreprise, la travailleuse en exploitait une. Bien que modeste et peut‑être même pas considérée comme une entreprise, la travailleuse avait tout au moins un bureau à domicile. Le travailleur visé par la décision que j’ai rendue dans l’affaire Direct Care In-Home Health Services Inc. v. Canada (Minister of National Revenue)[4] ne pouvait pas en dire autant. Dans cette décision, j’ai renvoyé à l’affaire D&J Driveway Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national)[5] pour affirmer que l’existence d’une entreprise n’est pas tributaire de ce genre de caractéristiques. Même si la travailleuse en l’espèce n’avait pas d’entreprise enregistrée ou de numéro inscrit dans un annuaire téléphonique ou autre, elle faisait la promotion de sa propre entreprise et disposait de locaux pour le faire. Elle utilisait son bureau à domicile pour se financer et promouvoir son entreprise relativement à des projets auxquels participait ou non l’appelant. Elle tirait de ces activités un revenu qui s’ajoutait à celui que lui versait l’appelant – elle a reçu, pendant la période en cause, une subvention à titre personnel pour des efforts qu’elle a déployés pendant cette même période. C’est par choix que la travailleuse n’a pas étendu cette entreprise pour y englober la mise en œuvre d’autres projets pendant la période en cause. Choisir de limiter ses activités ou de consacrer son temps à un contrat n’empêche pas de conclure à l’existence d’une entreprise. La souplesse de ses heures de travail, la possibilité qui lui était offerte de trouver un remplaçant et l’absence d’une quelconque restriction relative à la non‑concurrence confirment sa latitude à cet égard.

 

Intention

 

[37]    Bien que le critère de l’intention ne soit mentionné que depuis peu dans la jurisprudence, son existence et sa pertinence sont maintenant bien établies. Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet v. Canada (Minister of National Revenue)[6], la Cour d’appel fédérale a récemment conclu que les intentions des parties ne peuvent être écartées et peuvent constituer un facteur déterminant. Une façon d’appliquer le critère de l’intention consiste à dire que, si les intentions des parties reflètent une entente réciproque quant à la nature des relations et à l’exécution du contrat et que d’autres éléments pertinents permettent de confirmer l’existence de l’entente, ou à tout le moins ne sont pas incompatibles avec celle‑ci, la nature de la relation doit être régie par ces intentions réciproques.

 

[38]    En l’espèce, aucun contrat écrit n’est intervenu et la travailleuse soutient qu’il n’y avait aucune réciprocité d’intention. Je ne suis pas d’accord. Objectivement, la preuve me donne à penser qu’elle a très certainement accepté son engagement parce qu’elle n’était pas embauchée à titre d’employée. Elle ne subissait pas les ordres d’un puissant employeur qui cherche à profiter d’un travailleur en ne lui offrant pas d’avantages sociaux. Elle était plutôt une partenaire, en ce sens qu’elle contribuait à préserver l’existence de cet organisme sans but lucratif. C’est ainsi qu’elle envisageait l’engagement.

 

[39]    Dans son témoignage, Mme Martin a affirmé de manière catégorique que la travailleuse n’a jamais demandé qu’on procède à des retenues d’impôt ou à d’autres retenues à la source avant sa cessation d’emploi, en février 2005. Ce n’est qu’après son départ que la travailleuse a demandé des avantages sociaux et tenté d’obtenir un relevé d’emploi de l’appelant. Cela dénote un changement dans sa façon de voir sa situation. Pendant la période en cause, elle savait que les employés bénéficiaient de vacances payées[7]. Elle est peut‑être jeune, mais elle n’est pas naïve. Elle a eu une conversation avec l’un des administrateurs et on lui a dit qu’elle pouvait s’enregistrer comme entreprise. Elle aurait su que le budget ne permettait pas à l’appelant de lui offrir des avantages sociaux, en particulier à la lumière de ses demandes d’augmentation de son taux horaire qui me paraissent, en partie du moins, servir de compensation pour l’absence de tels avantages. Au cours de conversations avec M. Whitworth, ce dernier lui a dit qu’il n’était pas content de ne pas recevoir d’avantages sociaux, mais elle lui a quand même succédé. Objectivement, il me semble invraisemblable que la travailleuse n’ait pas eu l’intention de travailler dans le cadre des critères établis par l’appelant.

 

[40]    Dans un cas comme celui‑ci, cela pourrait fort bien suffire à me justifier de conclure qu’il y avait réciprocité d’intention. La travailleuse a librement accepté les limites de l’engagement dans un esprit de coopération. Elle a accepté de ne pas avoir de vacances payées, d’avantages sociaux et le reste. Elle n’avait aucune sécurité d’emploi, ce qui est souvent le lot des entrepreneurs indépendants, et elle a tenté de faire modifier cette situation en demandant la signature d’un contrat à terme. Comme il est mentionné dans l’arrêt Wolf, s’il faut définir des facteurs précis, la sécurité d’emploi, les avantages sociaux, la liberté de choix et la mobilité figureraient certainement sur la liste. Dans la présente affaire, je conviens avec l’avocate de l’appelant que, tout bien pesé, ces facteurs, appréciés dans leur ensemble, militent en faveur d’une conclusion voulant que la travailleuse en l’espèce soit une entrepreneuse indépendante.

 

[41]    En définitive, je crois que la travailleuse, en colère à la suite de sa cessation d’emploi, a tenté de qualifier autrement la nature de son engagement, après qu’il a été mis fin à celui‑ci. Les organismes de bienfaisance comme celui en l’espèce fonctionnent au jour le jour à l’aide de budgets infimes. Les travailleurs qui connaissent pertinemment les restrictions financières avec lesquelles doit composer la partie qui les paye ont bien peu de motifs pour affirmer après coup qu’ils n’ont pas compris ni accepté le fait qu’ils ne pouvaient être engagés à un taux horaire convenu sans qu’il ait été entendu de part et d’autre que l’engagement ne constituait pas un emploi. Il n’est pas question de laisser entendre que tous les organismes à but non lucratif peuvent tenter d’abuser de la situation des travailleurs en faisant valoir qu’ils ne disposent pas des fonds nécessaires pour leur offrir des avantages sociaux, ni que l’acceptation de ces conditions par le travailleur permet d’éviter de qualifier ce dernier d’employé. Au contraire, ces organismes doivent sans aucun doute s’efforcer de payer des avantages sociaux et d’intégrer leurs travailleurs aux réseaux d’aide sociale dans le cadre desquels il est prévu, en droit, que ces avantages s’appliquent. La Cour doit donc être convaincue, à la lumière de tous les facteurs pertinents, qu’il existe davantage qu’un consentement réciproque imposé par les circonstances. J’ai procédé à cet examen et, après avoir appliqué les critères habituels aux faits dont je suis saisi, j’estime que ceux‑ci me fondent également à conclure que la travailleuse était une entrepreneuse indépendante pendant la période en cause.

 

[42]    Par conséquent, les appels sont accueillis.

 

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de septembre 2006.

 

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2006CCI507

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-3723(CPP)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Art City in St. James Town et

le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 23 et 28 août 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

M. le juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 septembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Martha K. MacDonald

 

Avocate de l’intimé :

Me Kandia Aird

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Me Martha K. MacDonald et

Me Judith E. Harris

 

Cabinet :

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

 

Pour l’intimé :

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] L’appelant a fait valoir que la travailleuse savait qu’elle était engagée en qualité d’artiste en résidence, ce qui n’est pas un engagement à titre d’employé. Même si je n’estime pas que cette demande de financement est en soi pertinente, le témoignage de la travailleuse sur ce point a affaibli sa crédibilité.

[2] 2002 DTC 6853 (C.A.F.).

[3] Voir l’arrêt Wiebe Door Services c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, (1986) 87 DTC 5025, (C.A.F.), au paragraphe 16, où le juge MacGuigan affirme ce qui suit :

De toute évidence, le critère d’organisation énoncé par lord Denning et d’autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s’il est appliqué de la bonne manière, c’est-à-dire quand la question d’organisation ou d’intégration est envisagée du point de vue de l’« employé » et non de celui de l’« employeur ». En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l’activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c’est en tenant compte de l’entreprise de l’employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l’entreprise [ ?] ».

[4] 2005 TCC 173.

[5] 2003 CAF 453.

[6] 2006 DTC 6323, 2006 CAF 87.

[7] Selon la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, ch. 41, les employeurs sont tenus de verser aux employés un salaire pour jour férié au taux prévu [par. 24(1)] et les employés reçoivent une indemnité de vacances au taux de quatre pour cent du salaire gagné pendant la période de vacances (art. 35.2).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.