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Dossier : 2005-231(IT)I

ENTRE :

MANON LAFOND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Modification du jugement rendu le 3 janvier 2006

 

par l'honorable juge Pierre Archambault

____________________________________________________________________

MODIFICATION DE JUGEMENT

 

          Attendu que cette Cour a rendu un jugement en date du 3 janvier 2006;

 

          Et attendu que deux erreurs ne portant pas sur la substance du jugement s'étaient glissées dans la note infrapaginale numéro 5, à la page 4, ainsi qu'au paragraphe 13 à la page 9 des motifs;

 

          Cette Cour apporte les modifications suivantes :

 

          La note infrapaginale numéro 5 doit se lire en partie comme suit :

 

Selon la déclaration de revenus pour 2000 (pièce I‑5) et une lettre du syndic Éric Métivier, monsieur Martel a effectué une cession de ses biens le 12 juin 2000. ...

 

et la dernière phrase du paragraphe 13 est rayée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de janvier 2006.

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


 

 

 

 

Référence : 2006CCI17

Date : 20060103

Dossier : 2005-231(IT)I

ENTRE :

MANON LAFOND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Archambault

 

[1]     Madame Manon Lafond interjette appel des cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1999, 2000 et 2001 (période pertinente). Par ces cotisations, le ministre a ajouté aux revenus de madame Lafond un revenu additionnel de 45 168 $ pour 1999, de 32 592 $ pour 2000 et de 31 440 $ pour 2001. Chacun de ces montants représente deux éléments distincts : un montant attribuable à la partie personnelle de dépenses de véhicule automobile, lequel montant s'élève à 3 194 $ pour 1999, à 2 862 $ pour 2000 et à 2 302 $ pour 2001, et des montants, soit 41 974 $ pour 1999, 29 730 $ pour 2000 et 29 138 $ pour 2001, représentant des revenus d'entreprise non déclarés et déterminés selon la méthode de l'avoir net.

 

[2]     À la suite des oppositions produites par madame Lafond, le ministre a réduit de 13 092 $ pour 1999, de 6 000 $ pour 2000 et de 3 240 $ pour 2001 les revenus d'entreprise non déclarés attribués à celle‑ci. En vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), des pénalités ont été imposées à l'égard de ces revenus d'entreprise. Madame Lafond conteste devant la Cour l'ajout de ces revenus d'entreprise et l'imposition des pénalités. Selon elle, le ministre a commis des erreurs dans ses calculs faits selon la méthode de l'avoir net. En particulier, elle soutient que le ministre a ajouté à ses immobilisations des biens qui appartenaient à un autre contribuable, monsieur Michel Martel, dont notamment des véhicules automobiles et des comptes bancaires. Le ministre a ajouté aux immobilisations de madame Lafond le coût de la construction d'un garage qui aurait été entièrement payée par monsieur Martel. Le ministre aurait surévalué les dépenses personnelles de madame Lafond, compte tenu du fait qu'elle vivait en grande partie du produit de son jardin et de l'élevage d'animaux qu'elle faisait sur son terrain. Finalement, le ministre ne tient pas compte du fait que monsieur Martel payait, en général, la moitié des dépenses personnelles et que, à l'occasion, il les payait en entier, notamment lorsqu'il s'agissait de frais de voyage.

 

Contexte factuel

 

[3]     Parmi les admissions faites par le procureur de madame Lafond, il y a le fait énoncé à l'alinéa 41 d) de la Réponse à l'avis d'appel modifié, selon lequel madame Lafond a exploité une entreprise sous le nom de « Taxi Manon Lafond ». En effet, dans les déclarations de revenus produites en preuve, madame Lafond a déclaré des revenus bruts et (nets) d'entreprise de 16 630 $ (3 629 $) pour 1999, de 14 500 $ (2 918 $) pour 2000 et de 12 892 $ (3 594 $) pour 2001. Une autre admission est qu'elle conduisait son taxi de septembre à mai ou juin durant la période pertinente. Il semble, en effet, que durant une bonne partie du reste de l'année madame Lafond recevait des prestations d'assurance‑emploi dont le montant dépassait sensiblement son revenu net tiré de l'exploitation du taxi. Elle a déclaré des prestations de 4 675 $ pour 1999, de 4 675 $ pour 2000 et de 6 050 $ pour 2001[1]. Sont joints à sa déclaration de revenus pour 1999 des T4 établis l'un par « Taxi Michel Martel (locateur) » au nom de « Lafond (locataire) Manon » et indiquant un montant de gains assurables de 10 000 $ et l'autre par la société à dénomination numérique « 9063‑5855 Québec Inc. (locateur) » (9063) et indiquant un montant de gains assurables de 6 500 $. Ces montants totalisant 16 500 $ correspondent essentiellement aux revenus bruts d'entreprise de 16 630 $ déclarés par madame Lafond pour cette année‑là. Pour l'année d'imposition 2000, le montant apparaissant sur le T4 établi par 9063 s'élève à 14 500 $, soit le montant des revenus bruts d'entreprise déclarés par madame Lafond, et pour l'année 2001, le montant sur le T4 s'élève à 14 000 $ alors que le montant des revenus bruts d'entreprise déclarés est uniquement de 12 892 $[2].

 

[4]     Un autre fait révélé par les déclarations de revenus de madame Lafond pour chacune des années de la période pertinente est qu'elle se déclare célibataire. Il faut ajouter que, lors de la vérification de ses déclarations de revenus, madame Lafond avait informé à nouveau le vérificateur qu'elle vivait seule durant la période pertinente. Une fois la vérification terminée et une fois établie la cotisation fixant le montant de l'impôt à payer, l'attitude de madame Lafond a changé. Elle a informé l'agent des oppositions que Michel Martel était son conjoint de fait durant cette période. Le fait que la note d'impôt a été beaucoup plus élevée que les 500 $ ou 600 $ auxquels elle s'attendait expliquerait ce changement d'attitude. Selon leurs témoignages, madame Lafond et monsieur Martel avaient fait vie commune de 1997 à avril 2004. Il semble que les tensions créées par les cotisations fiscales aient joué un rôle dans la séparation du couple. Il faut toutefois mentionner que monsieur Martel affirme solennellement dans une lettre du 2 avril 2004 qu'il assumera « tous les frais encourus par Mme Lafond pour son dossier fiscal ». D'ailleurs, un acte de quittance en date du 31 mai 2004 donné à la suite de la séparation du couple stipule expressément que madame Lafond ne donne aucune quittance « quant aux créances qui pourraient être dues par Monsieur Michel Martel en raison de l'exploitation de son entreprise de taxi ou résultant de la vie commune entre les parties »[3].

 

[5]     Mentionnons également que monsieur Michel Martel exploitait lui‑même une voiture de taxi, soit à titre de propriétaire ou à titre de locataire, qu'il aurait été chargé de cours et qu'il exploitait une petite entreprise agricole[4]. Des revenus agricoles apparaissent d'ailleurs dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2000 produite lors de l'audience. Mentionnons finalement que monsieur Martel a vécu une situation financière difficile et qu'il aurait fait faillite au mois de juin 2000[5].

 

Analyse

 

[6]     Pour décider si les cotisations du ministre sont bien fondées, il est utile de rappeler quelques principes établis par les tribunaux. Il y a d'abord ceux énoncés dans la décision que j'ai rendue dans l'affaire Léger c. La Reine, 2001 DTC 471. Aux paragraphes 13 et suivants, j'ai écrit ce qui suit :

 

[13]      Tout d'abord, il faut traiter du fardeau de la preuve qui incombe à monsieur Léger dans ses appels. Mon collègue le juge Tardif a eu l'occasion de traiter du fardeau de la preuve dans une affaire soulevant, comme c'est le cas ici, la question de l'application de la méthode de l'avoir net.

 

[14]      Dans l'affaire Bastille c. Sa Majesté la Reine, 99 DTC 431 ([1999] 4 C.T.C. 2155), il écrit aux paragraphes 5 et suivants :

 

[5]        Il m'apparaît important de rappeler qu'en cette matière, le fardeau de la preuve incombe aux appelants, à l'exception toutefois de la question des pénalités où le fardeau de preuve est imputable à l'intimée.

 

[6]        Une cotisation établie en vertu de la formule AVOIR NET ne peut jamais découler de la rigueur mathématique souhaitée et souhaitable en matière de cotisation. Il y a généralement une certaine partie d'arbitraire provenant de la détermination de la valeur des composantes. Le Tribunal doit décider de la raisonnabilité de cet arbitraire.

 

[7]        Le recours à ce procédé n'est d'ailleurs pas la règle. Il constitue en quelque sorte une exception utilisée dans les situations où le contribuable n'a pas en sa possession toutes les informations, documents et pièces justificatives pour permettre une vérification plus conforme aux règles de l'art et surtout plus précise quant au résultat.

 

[8]        Les assises ou fondements des calculs élaborés dans le cadre d'un avoir net sont tributaires en très grande partie des informations transmises par le contribuable faisant l'objet de la vérification.

 

[9]        La qualité, la vraisemblance, la raisonnabilité des informations ont donc une importance absolument fondamentale.

 

[15]      Un autre de mes collègues, le juge Bowman, tenait les propos suivants dans l'affaire Ramey c. la Reine, [1993] A.C.I. n142 (QL) ([1993] 2 C.T.C. 2119, 93 DTC 791), au paragraphe 6 :

 

Je ne sous-estime pas les difficultés énormes, sinon pratiquement insurmontables, auxquelles l'appelant et son avocat se heurtent dans leur tentative de contester les cotisations d'actif net établies à l'égard d'un contribuable décédé. Estimer le revenu annuel d'un contribuable à partir de la valeur de son actif net est une méthode insatisfaisante et imprécise. C'est un instrument grossier que le ministre doit utiliser en dernier ressort. Une cotisation d'actif net repose sur une comparaison de l'actif net du contribuable, à savoir la valeur de l'actif moins le passif au début d'une année, avec son actif net à la fin de l'année. À la différence ainsi obtenue, on ajoute les dépenses qu'il a engagées pendant l'année. Le montant obtenu est réputé être le revenu du contribuable, sauf preuve contraire. Ces cotisations peuvent être inexactes dans une mesure indéterminée, mais elles sont valables jusqu'à preuve de leur inexactitude. Il est quasi impossible de les contester à la pièce. La seule façon vraiment efficace de les contester est de procéder à une reconstitution complète du revenu du contribuable pour l'année. Un contribuable dont les registres comptables et le mode de déclaration de revenus sont dans un tel fouillis que la cotisation d'actif net s'impose est souvent l'artisan de son propre malheur.

 

[Je souligne.]

 

[7]     Il y a aussi les principes énoncés aux paragraphes suivants de la décision en date du 24 juillet 2001 rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Hsu c. Canada, [2001] A.C.F. no 1174 (QL). Voici ce que la juge Desjardins a écrit :

 

25        Dans son interrogatoire préalable, le vérificateur a admis qu'il n'appliquait pas la méthodologie précise établie dans le Manuel des opérations de l'impôt. Il a expliqué qu'une évaluation ordinaire de la valeur nette était impossible parce que l'appelant avait refusé de divulguer tout renseignement concernant sa valeur nette réelle en 1993 et en 1994. Le vérificateur ne disposait donc pas d'un chiffre de clôture comme point de repère lui permettant de déterminer toute augmentation de la valeur de l'appelant au cours des périodes en question[6].

 

[...]

 

29        Les évaluations de la valeur nette sont une solution de dernier recours communément employée dans les cas où le contribuable refuse de produire une déclaration de revenus, qu'il a produit une déclaration fort inexacte ou qu'il refuse de fournir des documents qui permettraient à Revenu Canada de vérifier le rendement (V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax Law, 5e éd. (Toronto) : Carswell, (1995) à la page 1089). [...]

 

33        Je tiens à ajouter qu'il était loisible au juge de la Cour de l'impôt de conclure que la méthode que le ministre avait employée pour déterminer le revenu de l'appelant était raisonnable et logique eu égard aux circonstances de l'espèce. Les nouvelles cotisations établies par le ministre étaient clairement arbitraires, mais il ne faut pas oublier que cette approche était directement attribuable au refus de l'appelant de divulguer des renseignements ou documents financiers. Dans la décision Dezura, précitée, aux pages 1103 et 1104, le président de la Cour de l'Échiquier du Canada a donné les explications suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Si son omission de convaincre la Cour est attribuable à sa propre faute ou à une négligence telle que l'omission de conserver des comptes ou des documents appropriés lui permettant d'étayer ses propres déclarations, il ne peut imputer la chose qu'à sa propre faute.

 

34        Comme le juge de la Cour de l'impôt l'a fait remarquer, l'appelant n'a rien fait pour assurer une vérification exhaustive, complète et juste. L'appelant a toujours omis de fournir des éléments de preuve tendant à établir quel était son revenu réel au cours de la période en question. Il ne peut donc pas se plaindre du fait que le ministre s'est fondé sur des hypothèses.

[Je souligne.]

 

Crédibilité des témoignages de madame Lafond et de monsieur Martel

 

[8]     Avant de discuter de façon précise chacun des points soulevés par madame Lafond pour attaquer les calculs de l'avoir net, j'aimerais faire des commentaires généraux sur la crédibilité des deux seules personnes qui ont témoigné à la demande de l'appelante. Tout d'abord, en ce qui a trait à monsieur Martel, mentionnons que dans son bilan de failli, produit sous la cote I‑7, monsieur Martel déclare solennellement le 12 juin 2000, devant un commissaire à l'assermentation, qu'il est chauffeur de taxi ayant résidé au « 5265, 2e Avenue Ouest, Charlesbourg (Québec)  et maintenant domicilié et résidant au 237, St‑Ambroise, app. 2, Québec (Québec) ». Dans sa déclaration de revenus datée du 28 avril 2003 pour 2000, l'année de la faillite, et dans celle pour l'année 2001, ce qui est indiqué comme l'adresse de monsieur Martel, c'est le 4 250, 1re Avenue, à Charlesbourg. Or, dans une déclaration sous serment du 7 septembre 2004, faite devant un commissaire à l'assermentation, monsieur Martel affirme avoir fait vie commune avec madame Lafond de 1997 à 2004 à la résidence de celle‑ci située à Stoneham. Laquelle des déclarations sous serment exprime la vérité, celle du 7 septembre 2004 ou celle en date du 12 juin 2000 donnée au syndic?

 

[9]     Ajoutons que dans le bilan du 12 juin 2000, monsieur Martel déclare solennellement aussi ne détenir comme actifs qu'une Dodge Spirit 1991 d'une valeur de 900 $ et un permis de taxi insaisissable, alors qu'il déclare solennellement dans un document daté du 2 avril 2004 avoir effectué dans un compte bancaire de madame Lafond (folio 171456) des dépôts pour l'exploitation de son taxi et pour ses « déboursés personnels ». De plus, il affirme dans la déclaration sous serment du 7 septembre 2004 que toutes les automobiles immatriculées au nom de sa conjointe Manon Lafond l'ont été aux fins personnelles de monsieur Martel. Or, madame Lafond a reconnu qu'au moins une de ces voitures, la Oldsmobile Delta, lui avait été donnée par son père.

 

[10]    De plus, qui dit la vérité : monsieur Martel, qui affirme n'avoir jamais tiré de chèque sur le compte 171456, ou madame Lafond, au nom de laquelle le compte bancaire avait été ouvert à la Caisse populaire, qui affirme également n'avoir jamais tiré de chèque sur ce compte? Le 5 janvier 2000, un chèque de 321,32 $ a pourtant été tiré.

 

[11]    Que penser, de plus, de la crédibilité de madame Lafond qui, dans ses déclarations de revenus, s'est déclarée célibataire alors qu'elle aurait vécu maritalement avec monsieur Martel de 1997 à 2004? Elle a répété cette information lorsque le vérificateur du ministre préparait les données aux fins du calcul de l'avoir net. Lors de la première entrevue du vérificateur avec elle, le 5 mai 2004, elle a affirmé ne pas avoir de dépenses d'entretien et de réparation de logement. Or, selon le rapport du vérificateur (pièce I‑10), elle aurait affirmé à un autre représentant du ministre avoir déboursé 400 $ par année pour ce type de dépenses. Pareillement, elle aurait affirmé au vérificateur ne pas faire de voyages alors que des relevés de cartes de crédit de 1999 révélaient que madame Lafond avait fait un voyage à Old Orchard et un autre au lac Saint‑Jean et à Thetford Mines. Dans le rapport de l'agent des oppositions, il est indiqué que madame Lafond dit ne jamais aller au restaurant alors que les relevés de cartes de crédit révélaient des dépenses de restauration (voir pièce I‑12). Elle aurait aussi indiqué lors d'une première entrevue avec le vérificateur du ministre qu'elle n'engageait aucune dépense pour des frais de cosmétiques, alors que les relevés de cartes de crédit révélaient de telles dépenses. Quant aux frais de vêtements, elle disait dépenser 300 $ par année alors que, lors d'une seconde entrevue, elle parle de 120 $ par année. Or, les relevés de cartes de crédit révèlent des dépenses de 1 530 $ en 1999, de 640 $ en 2000 et de 670 $ en 2001.

 

[12]    Lors de sa vérification, le vérificateur a déterminé que le montant des dépenses personnelles de madame Lafond s'élevait à 29 092 $ en 1999, à 29 724 $ en 2000 et à 29 307 $ en 2001. Madame Lafond évaluait elle‑même le montant de ses dépenses personnelles à 1 700 $ par mois, soit 20 400 $ par année. À la suite des démarches entreprises par le représentant de madame Lafond à l'étape des oppositions, des corrections ont été apportées par le ministre. En effet, il a diminué le montant des dépenses personnelles de 4 342 $ pour 1999, de 4 300 $ pour 2000 et de 2 440 $ pour 2001, de sorte que le montant de ces dépenses à la suite des modifications s'élève à 24 750 $ pour 1999, à 25 424 $ pour 2000 et à 26 867 $ pour 2001. Donc, de 4 300 $ à 6 400 $ environ séparent l'évaluation de chacune des parties pour ces années. Lors de son témoignage, madame Lafond a indiqué que l'entente avec monsieur Martel prévoyait le partage égal des dépenses personnelles du couple. Par contre, monsieur Martel n'a pas été en mesure de confirmer l'existence de cette entente de partage; tout au plus a‑t‑il reconnu avoir participé au paiement des frais de nourriture, d'hypothèque et d'électricité et de dépenses de ce genre. De plus, tous les deux ont affirmé qu'ils vivaient en bonne partie du produit du jardin de madame Lafond et de l'élevage d'animaux, y compris les poissons que monsieur Martel avait ensemencés dans un lac situé sur le terrain de madame Lafond.

 

 

[13]    À mon avis, il n'est pas suffisant que madame Lafond affirme que ses dépenses mensuelles s'élèvent à 1 700 $ pour établir que le montant des dépenses estimé par le vérificateur est erroné. Il est clair que l'estimation des dépenses personnelles ne donne qu'un résultat très approximatif, mais c'est là le propre de cette méthode de vérification, comme le rappellent les propos du juge Bowman cités plus haut. Quant à la partie des dépenses assumées par monsieur Martel, il m'est difficile d'accepter les témoignages de madame Lafond et de monsieur Martel à cet égard. Tout d'abord, en estimant les dépenses personnelles de madame Lafond, le vérificateur tenait pour acquis qu'elle vivait seule dans sa résidence de Stoneham. Il m'apparaît tout à fait inapproprié de soustraire de ces dépenses la prétendue contribution de monsieur Martel alors qu'on ne connaît pas le total des dépenses du couple. Pour pouvoir tenir compte de la participation de monsieur Martel, il aurait fallu que le ministre prépare un calcul de l'écart de l'avoir net pour le couple, comme cela se fait normalement. Si cela n'a pas été fait dans ce cas‑ci, c'est en raison du mensonge de madame Lafond. C'est cette dernière qui a induit le ministre en erreur en lui affirmant qu'elle vivait seule.

 

 

[14]    Par contre, je suis prêt à accorder une réduction supplémentaire des dépenses personnelles en plus de celle qu'a déjà accordée l'agent des oppositions; cette réduction supplémentaire a trait au poste des « dépenses non attribuées ». Selon le témoignage du vérificateur, ces dépenses sont celles apparaissant sur les relevés de cartes de crédit, mais qu'il n'a pu attribuer à aucun des différents autres postes de dépenses dans son calcul des dépenses personnelles. En adoptant cette approche, il y a un risque, à mon avis, de doubler certaines dépenses personnelles. Pour ses calculs, le vérificateur s'est fondé soit sur les renseignements fournis par madame Lafond, soit, comme cela est la pratique, sur les données de Statistique Canada. À mon avis, on ne peut, sans circonstances spéciales, estimer des dépenses personnelles pour chacune des rubriques qu'on trouve habituellement dans un calcul de l'écart de l'avoir net tout en y ajoutant des dépenses non identifiées provenant de relevés de cartes de crédit. Par conséquent, le montant des dépenses personnelles devrait être réduit du montant des « dépenses non attribuées ». En ce qui a trait à l'année 1999, le ministre a déjà réduit les dépenses personnelles d'un montant correspondant à ces « dépenses non attribuées » de 4 342 $. Mais, pour des raisons que je n'ai pas saisies, cet ajustement n'a pas été fait entièrement pour les années 2000 et 2001. Par conséquent, pour compléter cet ajustement, il faut soustraire des dépenses personnelles le solde des dépenses non attribuées. Le montant de ce solde s'élève pour l'année 2000 à 3 499 $ et pour l'année 2001 à 2 501 $. Par conséquent, le total des dépenses personnelles s'élève maintenant à 24 750 $, tel qu'il a déjà été établi par l'agent des oppositions, pour l'année 1999, à 21 925 $ pour l'année 2000 et à 24 366 $ pour l'année 2001.

 

[15]    En ce qui a trait au bilan dressé par le vérificateur à l'égard de madame Lafond, je suis prêt à concéder que certaines des voitures qui y apparaissent constituent des biens appartenant à monsieur Martel. Compte tenu des commentaires que j'ai faits relativement à la crédibilité du témoignage de monsieur Martel, je ne suis pas prêt à accepter que toutes les voitures qu'il a mentionnées soient considérées comme lui appartenant. Rappelons que monsieur Martel avait affirmé que c'était à lui qu'appartenaient toutes les voitures immatriculées au nom de madame Lafond, alors que, dans les faits, il y en a au moins une qui — madame Lafond l'a reconnu — était à elle, soit la Oldsmobile Delta obtenue par donation de son père. Par contre, comme plusieurs automobiles étaient immatriculées au nom de madame Lafond, je suis prêt à reconnaître que certaines d'entre elles devaient appartenir à quelqu'un d'autre. Je crois qu'il est justifié de soustraire du coût des voitures dans le bilan de madame Lafond le coût de la « Dodge Van 1977 », de la Ford Ranger et de la Plymouth Voyager. Tous les calculs de l'avoir net devront être refaits en tenant pour acquis que ces voitures ne lui appartenaient pas.

 

[16]    Compte tenu de la preuve contradictoire relative aux retraits bancaires, j'arrive à la conclusion que madame Lafond n'a pas réussi à établir que les sommes apparaissant dans le compte bancaire 171456 appartenaient à monsieur Martel. Donc, ce compte devra apparaître dans les immobilisations de madame Lafond[7].

 

[17]    En ce qui a trait au garage, madame Lafond a prétendu qu'il avait été construit entièrement par monsieur Martel et qu'il en avait assumé le coût. Le but de cette construction aurait été de permettre à monsieur Martel d'y faire des travaux de mécanique automobile. Or, madame Lafond a reconnu qu'aucun travail de mécanique n'avait été effectué dans ce garage et qu'il avait plutôt servi à faire l'élevage d'animaux. Il existe également une contradiction en ce qui a trait à la construction de ce garage. Selon madame Lafond, la construction a commencé en 1999 après l'obtention, le 4 août 1999, d'un permis de construction, alors que selon monsieur Martel, la construction a commencé en 1997 et s'est étalée sur trois ans. Sur la demande de permis, le coût estimé est de 6 000 $.

 

[18]    Compte tenu de cette preuve contradictoire, je ne suis pas prêt à considérer les coûts de construction du garage comme ayant été assumés par monsieur Martel. Il s'agit d'un bien bâti sur le terrain de madame Lafond et il a servi à abriter des animaux de madame Lafond. En conséquence, ce bien en immobilisation doit apparaître dans le bilan de celle‑ci. À l'étape des oppositions, le ministre a déjà réduit le montant du coût de construction de 16 000 $ à 10 000 $. Selon madame Lafond, ce coût ne pouvait dépasser 6 000 $. La preuve a révélé que beaucoup des éléments de construction avaient été recyclés. Par contre, l'extérieur semble avoir été fait de produits achetés. Comme aucune facture n'a été présentée pour justifier ce montant de 6 000 $, la preuve est insuffisante pour permettre une réduction du coût de 10 000 $ à 6 000 $.

 

[19]    Par contre, la preuve présentée par madame Lafond relativement à la construction de l'escalier m'amène à croire qu'effectivement le coût de construction était bien inférieur au chiffre de 1 200 $ retenu par le ministre. La qualité des matériaux utilisés et le style de l'escalier construit, tel que le révèle la photo produite en preuve (pièce A‑4), justifient une réduction de ce coût à 200 $ dans les calculs du bilan pour 2001. Le montant de l'immobilisation pour l'escalier devrait donc être réduit de 1 200 $ à 200 $.

 

[20]    Reste la question des pénalités. Tel qu'il est mentionné plus haut, le fardeau de la preuve reposait sur les épaules du ministre pour ce qui est d'établir qu'il y avait lieu d'imposer ces pénalités. À mon avis, le ministre n'a pas réussi à faire cette preuve. Je n'ai pas été convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que madame Lafond avait fait preuve de faute lourde dans la production de ses déclarations. Généralement, lorsque la méthode de l'avoir net révèle des montants substantiels de revenus non déclarés et qu'il n'y a pas de doute quant au contribuable qui a gagné ces revenus, je n'ai pas d'hésitation à confirmer la pénalité. Toutefois, dans le cas présent où nous avons deux contribuables qui vivaient ensemble et qui ont mélangé leurs affaires (en effet, madame Lafond a permis l'utilisation de cartes de crédit et de comptes bancaires par monsieur Martel), je ne suis pas convaincu que les revenus non déclarés déterminés par la méthode de l'avoir net soient nécessairement ceux de madame Lafond. Il faut mentionner que monsieur Martel s'est engagé à « [assumer] tous les frais encourus par Mme Lafond pour son dossier fiscal ». De plus, en raison des modifications apportées par le ministre, le montant des écarts a diminué. Pour toutes ces raisons, j'arrive à la conclusion que la preuve est insuffisante. Il faut rappeler que madame Lafond avait le fardeau de démontrer que les revenus déterminés par le ministre étaient erronés et dans une grande mesure elle a échoué. Par contre, il revenait à l'intimée de faire la preuve que l'écart entre ces revenus et ceux déclarés était suffisant pour pouvoir permettre à la Cour de venir à la conclusion qu'il y avait eu faute lourde de la part de madame Lafond. Comme l'intimée n'a pas réussi, les pénalités doivent être annulées.

 

[21]    Pour tous ces motifs, les appels de madame Lafond sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que le montant des dépenses personnelles doit être réduit à 24 750 $ pour 1999, à 21 925 $ pour 2000 et à 24 366 $ pour 2001, que les immobilisations de madame Lafond doivent être diminuées de la valeur des voitures décrites plus haut, que la valeur de l'escalier doit être réduite à 200 $ (plutôt que d'être établie à 1 200 $) et que les pénalités doivent être annulées.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de janvier 2006.

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI17

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-231(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MANON LAFOND ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 4 octobre 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 3 janvier 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Patrick Poulin

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Annick Provencher

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                   Nom :                             Me Patrick Poulin

 

                   Étude :                            Joli-Coeur, Lacasse, Geoffrion, Jetté, St‑Pierre

                                                          Sillery (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario



[1]           Il est plutôt curieux que madame Lafond ait reçu des prestations d'assurance‑emploi pour la période comprenant la période estivale, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une des périodes de haute saison touristique à Québec. Aucune explication n'a été fournie à l'audience.

 

[2]           Cet écart entre le montant du T4 et celui déclaré n'a pas été expliqué au cours de l'audience.

 

[3]           Voir les pièces A‑7 et A‑8.

 

[4]           Monsieur Martel a indiqué qu'il avait fait l'élevage de lapins.

 

[5]           Selon la déclaration de revenus pour 2000 (pièce I‑5) et une lettre du syndic Éric Métivier, monsieur Martel a effectué une cession de ses biens le 12 juin 2000. Dans la même lettre, le syndic écrit que monsieur Martel sera libéré automatiquement le 13 mars 2001 à moins qu'il y ait opposition à cette libération. Cette date de faillite ne correspond pas à celle apparaissant au relevé du plumitif produit comme pièce A‑1, qui indique comme date de cession sommaire le 26 août 1999 et comme date de libération du syndic, Leblond et Associés, le 9 janvier 2001. Ces contradictions n'ont pas été expliquées lors de l'audience.

 

[6]           Ces faits ressemblent étrangement à ceux de notre appel.

[7]           En ce qui a trait à la carte de crédit utilisée par monsieur Martel, le vérificateur a indiqué qu'il n'en avait pas tenu compte dans l'établissement des dépenses personnelles de madame Lafond. Donc, aucune modification n'a à être apportée relativement au compte bancaire personnel détenu par madame Lafond.

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