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Dossier : 2004-1191(IT)G

ENTRE :

MÉTAL SARTIGAN INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 9 juin 2006 et 27 mars 2007, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-Denys Rancouet

Avocate de l'intimée :

Me Janie Payette

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999 et 2000 sont accueillis, sans dépens, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que la juste valeur marchande de chaque bâtiment en litige s’établit à 175 000 $. À cela s’ajoute la valeur du terrain à 31 000 $ et les aménagements à 4 000 $ pour une juste valeur marchande de 210 000 $ l'unité, et ce, au 1er juin 1999 et au 1er juillet 2000, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mai 2007.

 

 

“François Angers”

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2007CCI213

Date : 20070523

Dossier : 2004-1191(IT)G

ENTRE :

 

MÉTAL SARTIGAN INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Angers

 

[1]     L’appelante interjette appel des nouvelles cotisations établies le 10 septembre 2002 à l’égard des années d’imposition 1999 et 2000. Durant chacune de ces années d’imposition, l’appelante a transféré des immeubles à monsieur Raphaël Couture, une personne avec qui elle a un lien de dépendance. Le ministre du Revenu national (le Ministre) soutient qu’en raison de ce lien de dépendance, la contrepartie est inférieure à la valeur des biens au moment de leur disposition et qu’en conséquence, l’appelante est réputée avoir reçu une contrepartie égale à cette valeur marchande en application de l’alinéa 69(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]     L’appelante a donc été cotisée pour chacune des années en question en fonction de la différence entre la contrepartie reçue pour la disposition des immeubles et leur juste valeur marchande (la « JVM ») selon l'expert de l'intimée et c'est cette différence qui a été incluse dans le calcul du revenu de l’appelante en application du paragraphe 9(1) de la Loi.

 

[3]     Raphaël Couture est administrateur et président de l’appelante. Il est actionnaire unique de la société 2163-1585 Québec Inc. et cette société détient 50 % des actions de l’appelante. Son frère, Gabriel Couture, est actionnaire unique de la Société 2163-1517 Québec Inc. qui, à son tour, détient 50 % des actions de l’appelante.

 

[4]     Métal Sartigan se consacre depuis quelques années à la fabrication de bâtiments d’acier préfabriqués dans le secteur industriel et commercial. Dans le but de continuer ses activités durant la période de novembre à mai, elle a décidé d’examiner ce qu’elle pourrait faire dans le secteur résidentiel. C’est ainsi que l’appelant a fabriqué ce qu’elle appelle un premier bloc résidentiel qui consiste en une structure d’acier avec toit en acier de deux étages comprenant deux logements par étage. Selon son président, Raphaël Couture, c’était du jamais vu. Ils en ont donc fabriqué trois en 1999 et, toujours selon monsieur Couture, il devenait important de faire l’essai de leur modèle avant une mise en marché. Non seulement la structure était complètement différente puisqu'elle est en acier, elle est de type pré-usiné et installée de façon différente. Cependant, il s’agit d’une structure très solide et qui permet une construction plus rapide, mais plus dispendieuse. Le coût, tel que comptabilisé par l’appelante, s’élève à 487 985,15 $ pour les trois blocs.

 

[5]     Dans le but d'installer les modèles construits, l’appelante a acheté, le 10 juillet 1998, un terrain d'une superficie de 8 911,9 mètres carrés situé le long de la 6e rue (boulevard Dionne) dans le secteur ouest de la ville de St-Georges de Beauce. Ce terrain, acheté au prix de 210 000 $, a été subdivisé en 1999 en huit lots. Selon Raphaël Couture, ce terrain représentait pour l’appelante un avantage particulier en ce sens qu’il se trouvait à proximité de son usine, soit à un demi kilomètre, facilitant ainsi l'installation et l’essai qu’elle devait en faire. De plus, il n’y avait aucun édifice de 4 logements dans ce secteur de la ville.

 

[6]     Les trois premiers blocs de 4 logements ont donc été installés sur trois des terrains subdivisés en 1999 et c'est le 1er février 1999 que monsieur Raphaël Couture s’est porté acquéreur de ces trois blocs à logement au motif que l’appelante n’exploitait pas une entreprise de gestion d’édifices à logement et elle avait besoin de liquidités. La vente a été effectuée durant l’exercice financier de l’appelante se terminant le 30 novembre 1999 en contrepartie de la somme de 469 463,10 $, plus la TPS et la TVQ, pour un total de 540 000 $ ou 180 000 $ l’unité.

 

[7]     Témoignant pour justifier le prix payé, monsieur Couture a déclaré qu'il est dans le domaine de la construction depuis 45 ans. Il reconnaît que les premiers modèles ont coûté plus cher à l’appelante, mais que selon les informations qu’il a obtenues, le prix pour un édifice de 4 logements se situait entre 160 000 $ et 170 000 $ au moment de l'achat. Il explique que le boulevard Dionne est une rue achalandée puisqu’il traverse la ville et que le garage municipal est à proximité des terrains, causant ainsi beaucoup de bruit et de poussière. De plus, la vente de ces bâtiments n’est pas assujettie à la garantie offerte par l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec (l’APCHQ) ou l’Association de la construction du Québec (l’ACQ) puisque l’appelante n’était pas accréditée par l’APCHQ en qualité d’entrepreneur général pour bâtiments neufs. Afin d’obtenir un permis de construction, un plan préparé par un architecte a été soumis aux autorités municipales, mais ce plan ne serait pas conforme au code du bâtiment. Le plan n’indique rien sur cette question et l’architecte n’a pas témoigné.

 

[8]     Dans son bilan pour l’année d’imposition 1999, monsieur Raphaël Couture a déclaré avoir acquis, durant l’année 1999, trois terrains et bâtiments au montant total de 542 250 $, soit 60 000 $ pour les terrains et 482 250 $ pour les bâtiments.

 

[9]     Au cours de son exercice se terminant le 30 novembre 2001, l’appelante a fait construire un autre bâtiment de 4 logements dont le coût comptabilisé s’élève à 160 878,89 $. Elle a transféré ce bâtiment et le terrain sur lequel il a été construit le 19 juin 2000 à monsieur Raphaël Couture pour une contrepartie semblable par unité à celle de l'année précédente, prix incluant les taxes applicables. L’appelante a donc inclus le montant de 180 000 $ dans le calcul de ses revenus et a diminué le coût du terrain de son inventaire. Monsieur Couture a déclaré avoir acquis le tout pour 180 000 $, c’est à dire 20 000 $ pour le terrain et 160 000 $ pour le bâtiment, soit pour la même contrepartie que l'année précédente.

 

[10]    Chacune des parties a fait témoigner un expert en évaluation de biens immobiliers et chacun a préparé deux rapports et une contre‑expertise. Un premier rapport traite de la JVM des trois premiers bâtiments et terrains transférés en 1999 et l’autre du bâtiment et terrain transférés en 2000. Le rapport de l’expert de l’intimée établit la JVM des trois premiers bâtiments à 702 000 $, soit 234 000 $ chacun, et celui de l’année suivante à 241 000 $. Le Ministre demande que la différence entre cette JVM soit ajoutée aux revenus de l’appelante. Quant à l’expert de l’appelante, son premier rapport établit la JVM des trois bâtiments à 513 000 $, soit 171 000 $ chacun, et celui de l'année suivante à 172 000 $.

 

[11]    L’intimée a également déposé en preuve les évaluations municipales des biens en question de même qu’une évaluation d’un des bâtiments préparée à la demande du créancier hypothécaire de monsieur Couture lors du financement de l’achat d’un des bâtiments. L'évaluation est datée du 3 mai 1999 et est signée par monsieur Pierre Coulombe, évaluateur agréé. Il décrit le secteur comme étant stable, d’accès facile, avec un voisinage multifamilial. Le seul facteur favorable est décrit comme étant le « secteur résidentiel paisible à proximité des services ». Aucun facteur défavorable n’est mentionné. Au point de vue aménagement, on décrit un stationnement en concassé, du gazon et une remise commune. Il évalue par la méthode de parité et du coût et conclut à une valeur marchande de 190 000 $.

 

[12]    Dans sa méthode du coût, il résume son approche comme suit :

 

 

Terrain (291m2 x 30,92 $ (partie exclusive seulement)

 

9 000 $

 

plus aménagement extérieur

 

2 000 $

 

plus superficie habitable (337m2 x 590,85 $)

 

199 033 $

 

moins dépréciation économique (10 %)

 

19 903 $

 

plus valeur contributive des dépendances

 

2 000 $

 

Total

 

192 130 $

 

[13]    Dans sa méthode de parité, il utilise 5 immeubles, dont 4 sont semblables aux bâtiments en litige, soit des propriétés à deux étages avec 4 logements et une autre de 4 étages avec 4 logements. Les ventes ont eu lieu en 1995 pour deux d’entre elles et en 1998 pour 3 d’entre elles et les prix ont été redressés en conséquence. Il établit un prix de 190 000 $ selon cette méthode.

 

[14]    Pour ce qui est des évaluations municipales, les bâtiments sont évalués à 182 200 $ pour chacune des années en question. Pour ce qui est des terrains, ils étaient évalués à 2,18 $ le pied carré avant le lotissement. Il faut noter ici que chaque lotissement comporte une partie exclusive et une partie commune dont chaque terrain a une quote-part évaluée à 2,43 $ le pied carré et la partie commune à 2,11 $ le pied carré pour une valeur de 29 929 $ par terrain aux fins municipales. L’évaluation municipale de chaque bâtiment avec le terrain s’établit est donc à 212 129 $.

 

[15]    Les immeubles en question, tel que déjà mentionné, sont situés dans la municipalité de St‑Georges de Beauce. Cette municipalité est située sur la rive sud de Québec à environ une centaine de kilomètres de la ville de Québec et une trentaine de kilomètres de la frontière américaine.

 

[16]    Il s’agit donc de déterminer la JVM de 3 immeubles de 4 logements pour l’année d’imposition 1999 et la JVM d’un immeuble semblable pour l’année 2000. Les 4 logements ont une superficie habitable de 3 626 pieds carrés. La structure d’acier repose sur des murets de béton. Son extérieur est fini en acier émaillé et en brique. Les fenêtres sont en PVC. Les logements ont 4.5 pièces et la finition intérieure est conventionnelle, tout comme la cuisine, la plomberie, le chauffage et l’électricité.

 

[17]    Chacun des experts a tiré ses conclusions à la suite de l’application des méthodes d’évaluation reconnus, soit la méthode du coût, la méthode de la parité et la méthode du revenu en ce qui concerne le bâtiment. Pour évaluer le terrain, les deux experts ont utilisé la méthode de la parité.

 

[18]    Le terrain pour chacun des bâtiments a une superficie de 3 133 pieds carrés pour la partie exclusive et une superficie d’environ 10 500 pieds carrés pour la partie commune calculée en fonction d’une quote‑part pour chacun des terrains dans cette partie commune. Les deux experts s’entendent qu’il s’agit d’une superficie totale de 13 700 pieds carrés. Le terrain a une façade de 90 pieds et une profondeur de 148 pieds.

 

[19]    Réal Poulin est l’évaluateur agréé qui a témoigné en faveur de l’appelante. Il est associé dans un bureau d’évaluation agréé dont la place d’affaires est située à St‑Georges de Beauce. Il a retenu trois ventes de terrains vacants qui ont eu lieu en 1995 et 1996 dont les prix au pied carré varient entre 1,97 $ et 2,49 $. Ce sont des terrains avec au moins 100 pieds de façade et une profondeur variant entre 113 pieds et 226 pieds. Je souligne ce fait parce que l’expert Poulin a pris compte d’un ajustement de superficie qui, selon lui, est nécessaire lorsque les terrains comparés n'ont pas la même profondeur. Pour que le taux au pied carré soit représentatif, il faut que les tables de profondeur soient élaborées à partir des données du marché dans le secteur où est situé le terrain. Le terrain a une façade de 90 pieds et une profondeur de 148 pieds avec une partie excédentaire de 38 pieds, ce qui veut dire que tout ce qui excède 100 pieds de profondeur, le taux unitaire représente 82,3 % à 84,67 % de la valeur. L’expert Poulin soutient également que les immeubles dans le secteur est de la ville se vendent à un prix supérieur à ceux dans le secteur ouest où est situé le terrain à l’étude. Il évalue donc le terrain à 24 500 $ après avoir appliqué un ajustement en raison de la profondeur pour une valeur de 1,79 $ au pied carré, soit 24 500 $ par terrain. Il a appliqué ces ajustements aux valeurs des terrains utilisés pour fins de comparaison.

 

[20]    De son côté, Gaston Laberge, évaluateur agréé de l’intimée, a fait le même exercice sauf qu’il a utilisé cinq terrains comparatifs dont les ventes se situent entre 1995 et 1999, ce qui donne un taux au pied carré variant entre 1,98 $ et 3,13 $ le pied carré pour une moyenne de 2,70 $ du pied carré et une valeur par terrain de 37 000 $. Il a utilisé un facteur de croissance de 4 %.

 

[21]    L’expert Poulin ne croit pas que la croissance annuelle des terrains se situe à 4 % et il croit que 2 des ventes de terrains comparables utilisées par l’expert Laberge ne sont pas représentatives du marché puisqu’elles ont eu lieu dans des contextes particuliers et devraient être écartées. De son côté, l’expert Laberge ne croit pas aux ajustements faits en fonction de la profondeur du terrain faits par l'expert Poulin, car nonobstant ce facteur, certains terrains se sont vendus en 1999 et en 2000 à un taux de 3 $ le pied carré.

 

[22]    Un résumé des valeurs obtenues des différentes sources donne le tableau suivant :

 

(1) achat du terrain le 10 juillet 1998

 

2,52 $/pi2

 

(2) évaluation municipale du terrain 22 janvier/99

    date du marché – le 1er juillet/96 avant lotissement

 

2,18 $/pi2

 

(3) évaluation municipale du terrain après lotissement

Parties exclusives :

Parties communes :

 

 

 

2,43 $/pi2

2,11 $/pi

(4) expert Poulin

1,79 $/pi2

 

(5) expert Laberge

 

 

2,70 $/pi2

 

[23]    Il est évident que chacun des experts défend sa position respective, laquelle est basée sur l'expérience de chacun et sur l'importance des ajustements que chacun attribue au sujet. Peut‑on croire que le prix des terrains à St‑Georges de Beauce connaît une augmentation de 4 % par année? De même, peut‑on croire que les terrains dans l'ouest de la ville ont moins de valeur que ceux de l'est alors que l'usage qu'on en fait est un usage optimal? Peut-on croire que, dans certaines circonstances, on puisse ajuster un prix au pied carré en fonction de la profondeur du terrain alors qu'il me semble qu'en l'espèce, la partie exclusive me semble valoir plus au pied carré que la partie commune? D'ailleurs, seule la municipalité semble avoir fait cette distinction dans son évaluation en réduisant le prix au pied carré d'environ 15 %. Aucun des experts appelés à témoigner n'a analysé cette distinction qui me paraît raisonnable.

 

[24]    À mon avis, il y a du vrai dans tout ce que disent les deux experts, sauf que pour arriver à concilier le tout, il faut presque regarder la proximité de chaque terrain comparé par rapport au sujet et à l'historique de chaque vente respective de ces terrains afin de connaître la justification pour le prix payé. De plus, l'appelante veut justifier son prix de 2,52 $ du pied carré payé lors de l'achat du terrain le 10 juillet 1998 en soumettant que le terrain se prêtait bien aux besoins de l’appelante parce qu’il était situé près de l'usine de l'appelante et que cela explique un prix plus élevé.

 

[25]    Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, j'arrive à la conclusion que la JVM des terrains est celle que l'appelante a payé au pied carré en juillet 1998 lors de leur acquisition. Il s'agit d'une opération entre personnes non liées qui, à mon avis, est habituellement le meilleur indice pour établir une JVM. Le 4 % d'augmentation ajouté par l'expert Laberge est établi en fonction d'un facteur de croissance fondé sur les comparatifs, mais la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure selon la prépondérance des probabilités que les terrains en question auraient connu une telle augmentation vu la transformation d'une bonne partie des terrains en espace commun. Je suis également en désaccord avec l'expert Poulin en ce qui concerne sa prétention que la profondeur d'un terrain dépassant la norme en réduit la valeur. Cet écart, en l'espèce, est trop minime pour faire une différence remarquable.

 

[26]    Cela étant dit, je suis aussi d'avis que l’espace commun a une valeur au pied carré inférieure à l'espace exclusif, comme la municipalité l'a d'ailleurs reconnu dans son évaluation. La municipalité a établi un écart d'environ 15 % entre la valeur au pied carré de la partie exclusive par rapport à la partie commune. Par conséquent, je conclus que la JVM de la partie exclusive du terrain équivaut à 2,52 $ le pied carré et à 2,20 $ le pied carré pour la partie commune pour une valeur arrondie de 31 000 $ pour chaque terrain et ce pour chacune des années en question.

 

[27]    Chacune des expertises a touché à ce que l'expert Poulin a appelé les améliorations au sol (gravier, allée en dalle de béton) et l'expert Laberge les valeurs contributives des aménagements extérieurs (remise, stationnement et gazon). Dans le premier cas, la valeur est de 2 000 $ et, dans le second, de 5,700 $. La divergence d'opinion repose sur la question de savoir si la remise et le gazon étaient en place lors de la première date d'évaluation, soit le 1er juin 1999. Selon monsieur Couture, la remise n'était pas installée. Cependant, l'évaluation faite pour les fins du financement en date du 3 mai 1999 identifie une remise commune de 7,31 mètres par 3,66 mètres avec stationnement en concassé et du gazon. Par ailleurs, dans sa contre‑expertise, l'expert Laberge fait référence à du stationnement en asphalte alors que ce n'est pas le cas. Devant cet état de choses, je conclus que la remise pour chaque unité de logement était installée aux dates pertinentes et que le stationnement n'était pas en asphalte. J'en conclus que la valeur des améliorations au sol est de 4 000 $ pour chaque unité de logement pour chacune des années en question.

 

[28]    En ce qui concerne la JVM des bâtiments, l'écart entre les deux experts est assez remarquable. Cet écart est attribuable au pourcentage accordé sous la rubrique « désuétude économique » par l'expert Poulin qui y accorde 10 % alors que l'expert Laberge n'y accorde que 5 % et aussi au fait que l'expert Poulin accorde une réduction de 15 % sur les valeurs obtenues au motif qu'il s'agit d’immeubles vendus sans garantie légale.

 

[29]    Le débat et les contre‑interrogatoires des experts de part et d'autres ont par ailleurs soulevé une multitude de points pouvant influencer la JVM établie par chacun des experts selon chacune des méthodes utilisées. Afin d'illustrer cet écart qui se chiffre aux alentours de 60 000 $, je reproduis ci‑après un tableau indiquant les résultats obtenus selon les méthodes utilisées par chacun d'eux.

 

Méthode de parité par unité

 

L'expert Laberge

Valeur globale (terrain et bâtiment) 234 000 $ avec un MRB (multiplicateur du revenu brut) de 9,56.

 

L'expert Poulin

 

Valeur globale de 200 772 $ avec un MRB de 8,45 moins 15 % pour perte de valeur concernant la garantie, donc 171 000 $.

 

 

Méthode du revenu

 

L'expert Laberge

234 800 $

 

L'expert Poulin

 

193 224 $ moins 15 % pour la garantie, donc 164 000 $.

 

 

Méthode du coût (bâtiment seulement)

 

L'expert Laberge

201 279 $ moins 5 % de désuétude économique, donc 191 240 $, plus aménagement (5 700 $) et terrain (37 000 $) pour un total de 234 000 $.

 

L'expert Poulin

 

199 067 $ moins 10 % de désuétude économique et 15 % de la garantie pour un total de 152,286 $ plus l'aménagement (2 000 $) et terrain (24 500 $), total 179 000 $.

 

 

[30]    En ce qui concerne le coût de fabrication, monsieur Couture a témoigné qu'il en a coûté à l'appelante la somme de 487 985 $ pour les trois premiers bâtiments construits en 1998-1999, soit 162 662 $ chacun. Le prix de celui construit en 2000 s'élève à 160 878,89 $.

 

[31]    Cela étant dit, force est de constater que les experts en l'espèce ne s'entendent pas sur plusieurs données utilisées dans leur calcul. On reproche, à titre d'exemple, à l'expert Laberge d'avoir utilisé des comparables dans la méthode de la parité qui sont postérieurs à la date d'évaluation établie, alors que ce dernier se défend en disant que les conditions du marché n'ont pas varié. On lui reproche aussi d'avoir utilisé des comparables à l'extérieur de la ville de St‑Georges ou encore d'avoir écarté des ventes qui avaient un caractère différent.

 

[32]    Ce même genre de reproche est formulé à l’égard de la méthode du revenu. On questionne les données utilisées sur le revenu brut estimé, le pourcentage utilisé pour le taux de vacances, le coût des assurances, les dépenses d'exploitation, des frais administratifs, le pourcentage annuel de la réserve de remplacement et le taux d'intérêt annuel utilisé. Ce que je retiens finalement de tout ça c'est qu'il ne s'agit pas de la meilleure méthode en ce qui concerne un bâtiment de 4 logements puisqu'il ne se prête pas aussi bien à l'investissement que celui de 6 logements, tout comme l'a d'ailleurs souligné l'expert Poulin dans sa contre‑expertise et qu’il y a peu de bâtiments à St‑Georges.

 

[33]    À mon avis, la seule méthode qui rapproche les deux experts est celle du coût. Ils sont effectivement arrivés à un résultat semblable, soit 201 279 $ chez l'expert Laberge et 199 067 $ chez l'expert Poulin. Cette méthode se prête particulièrement bien lorsqu'il s'agit de nouveaux bâtiments comme c'est le cas en l'espèce. Je souscris à cette méthode pour les mêmes raisons qui ont motivé le juge Tardif à y souscrire dans la décision Déziel c. Canada, [2002] A.C.I. no 639, au paragraphe 43, où il fait référence à un paragraphe que l'on retrouve dans « L'évaluation municipale et la valeur réelle » de Jacques Forgues aux pages 158, 159 et 167.

 

L'utilisation de cette technique est toujours possible contrairement aux deux autres, parité et revenu, qui sont parfois inutilisables soit (...) Il est donc en principe souhaitable de toujours utiliser cette technique, ne serait-ce que comme moyen de corroboration du résultat obtenu par d'autres.

 

Il existe des immeubles qui se prêtent bien à une évaluation par l'application de la technique du coût de remplacement déprécié. Ce sont, par exemple, les immeubles neufs comme l'exprime le Bureau de révision dans l'affaire Hilton Place Québec inc. c. Ville de Québec, confirmé sur ce point par la  Cour provinciale, [1998] A.Q. no 2482. De même, s'appuyant, sur la doctrine, le Bureau conclut, avec Paul F. Wendt, que s'agissant d'un motel neuf, la technique du coût doit être utilisée et son résultat retenu. (pp. 158-159)

 

En somme, la technique du coût de remplacement déprécié peut toujours être utilisée. Elle est particulièrement fiable pour des bâtiments neufs. (p. 167)

 

[34]    Cette méthode a d'ailleurs été utilisée dans d'autres instances (Timber Lodge Limited v. The Queen, [1994] G.S.T.C. 73 et Charleswood legion Non‑Profit Housing Inc. c. Canada, [1998] A.C.I. no 503) où les immeubles, étant relativement neufs, se prêtaient bien à cette méthode.

 

[35]    En l'espèce, l'écart entre les deux experts se caractérise par le pourcentage utilisé en fonction de la désuétude économique, soit 10 % chez l'expert Poulin et 5 % chez l'expert Laberge et un 15 % utilisé par l'expert Poulin concernant le manque de garantie.

 

[36]    Une désuétude économique, selon le rapport de l'expert Laberge, provient exclusivement des causes extérieures et indépendantes de l'immeuble à évaluer. Il ajoute que les causes inhérentes à cette détérioration peuvent être multiples, mais les plus fréquentes sont occasionnées par des changements d'ordre social ou économique, par des modifications de politiques multiples liées au zonage ou par la proximité d'un élément peu harmonieux générateur de situations négatives. L'expert Laberge évalue la désuétude économique à 5 % en considérant le marché du logement à St‑Georges et la rentabilité.

 

[37]    De son côté, l'expert Poulin souligne que les conditions du marché du logement évaluées par l'expert Laberge proviennent des données de logement à l'extérieur de la ville de St‑Georges ou postérieures à la date d'évaluation retenue et que, selon ses propres calculs, la désuétude économique utilisée par l'expert Laberge aurait dû être de 15 % en fonction des ventes comparables retenues alors que lui utilise 10 %. Devant cet état de choses, il me paraît approprié de trancher cette question en attribuant une désuétude économique de 7,5 %.

 

[38]    L'endroit où il y a véritablement divergence d'opinions entre les deux experts se situe au niveau du 15 % de désuétude fonctionnelle, durable et incurable accordé par l'expert Poulin dans la méthode du coût particulièrement fondée sur un tableau qu'il a monté d’immeubles vendus sans garantie légale, que ne reconnaît pas l'expert Laberge.

 

[39]    Dans son rapport, l'expert Poulin résume sa position ainsi :

 

La propriété sous analyse est un immeuble de 4 logements construit en 1999. Ce dernier possède une structure d'acier et il a été construit par assemblage de panneaux d'acier. L'immeuble sujet a été édifié avec un procédé développé par le propriétaire; ce qui rend à l'immeuble un caractère particulier et représente un immeuble de type expérimental (prototype). En effet la firme Métal Sartigan Inc. a construit l'immeuble sous analyse avec un système qui s'apparente à une propriété de type pré‑usiné (surtout connu et présente dans le type de résidences unifamiliales) mais qui n'a pas encore fait ces preuves ou qui n'a pas encore été commercialisé. Depuis le 1er janvier 1999 la loi oblige les vendeurs d'immeubles résidentiels neufs à offrir un plan de garantie de l'APCHQ (Association Provinciale des Constructeurs d'Habitation du Québec) ou de l'ACQ (Association de la construction du Québec) qui protère les consommateurs contre d'éventuels problèmes ou événements. Étant donné le type de propriété sous étude l'APCHQ ni l'ACQ ne veut délivrer un certificat de garantie neuve au propriétaire à cause du risque inhérent au produit offert. L'immeuble sujet n'est donc pas assujetti à une garantie légale de 5 ans offerte aux acheteurs de maisons neuves via les programmes de l'ACQ (Association des Constructeurs du Québec) et/ou de l'APCHQ (Association Provinciale des Constructeurs d'Habitation du Québec).

 

L'attrait pour un éventuel acquéreur est diminué par l'absence de cette garantie et constitue une variable qui peut influencer de façon importante la valeur marchande d'un immeuble et même réduire à néant une vente éventuelle. Sans cette garantie l'immeuble sous étude n'a pas la même valeur marchande sur le marché de la revente puisqu'il n'offre pas la même sérénité aux acheteurs éventuels qu'une propriété dite comparable avec cette garantie.

 

L'actuel propriétaire doit divulguer que l'immeuble sous analyse a été construit de manière hors‑standard et qu'il représente un proto‑type dont les preuves n'ont pas été encore reconnues de façon officielle par les autorités compétentes en la matière ce qui revient à dire que l'immeuble sujet doit être transigé tel que vu et sans garantie légale. Ce type de transaction est souvent utilisé par les institutions prêteuses qui revendent un immeuble suite à une reprise de finance et celles‑ci doivent vendre sans égard à la qualité ni à l'état des propriétés. Il est à remarquer que les propriétés sans garantie légale se transigent 20 % en bas de l'évaluation municipale en fonction de la moyenne et à un taux de 15 % selon la médiane. Nous estimons que la médiane représente une excellente indication de la valeur marchande de la propriété sous analyse.

 

[40]    À ces commentaires, l'expert Roberge a répondu ceci :

 

Selon mon opinion, les structures d'acier pour des bâtisses résidentielles existent sur le marché depuis plusieurs années, de plus ceci est conforme au code du bâtiment. Quant à la prétention que L'APCHQ ne veut pas délivrer un certificat de garantie au propriétaire à cause du risque inhérent au produit offert. J'ai vérifié auprès de l'APCHQ et de l'office de la Régie du Bâtiment du Québec. Cette situation n'a aucune conséquence si le bâtiment est conforme aux normes du Code du bâtiment résidentiel et répond aux critères énoncés dans le « Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ».

 

Depuis le 1er janvier 1999, le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est obligatoire pour les entreprises de constructions accréditées. Cependant pourvoir souscrire et offrir un plan de garantie de bâtiment résidentiel neuf, il faut que la construction soit réaliser par un entrepreneur général dans le domaine résidentiel qui détient la licence 3031 ou 3032 de RBQ et accrédité par l'un des administrateurs du plan de garantie. Actuellement trois organismes sont autorisés par la Régie à administrer le plan de garantie. Il s'agit de la Garantie habitation du Québec Inc, la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc et la Garantie des maîtres bâtisseurs Inc.

 

Comme (Métal Sartigan Inc) est un entrepreneur spécialisé en charpente et éléments architecturaux, en serrurerie de bâtiment et en revêtement métallique avec les licences 4201, 4220 et 4224. Cette entreprise n'est pas reconnue comme entrepreneur général avec les licences 3031 ou 3032. Donc, ne peut pas offrir ce plan de garantie.

 

Une entreprise ou un particulier qui détient une licence de constructeur‑propriéaire peut construire pour son propre compte, exécuter ou faire exécuter des travaux de construction. Ces constructions ne sont pas éligibles au plan de garantie. De plus, les trois premières constructions sous études furent commencé avant janvier 1999, ce plan de garantie de maisons neuves n'existait pas. Pour la construction réalisée en 1999-2000, il faut que l'entrepreneur‑constructeur possède la licence 3031 ou 3032, et accrédité par l'un des administrateurs du plan de garantie.

 

[41]    Les garanties en question n'existaient pas au moment où la construction des trois premiers immeubles a commencé et elles n'auraient pas été disponibles lors de la vente du bâtiment de 2000 puisque l'appelante n'était pas un entrepreneur‑constructeur détenant la licence 3031 3032.

 

[42]    L'expert Laberge maintient qu'un acheteur obtient tout de même les garanties que procurent les dispositions du Code civil du Québec (le « Code ») en ce qu'un constructeur‑propriétaire est toujours responsable de vices cachés et autres. Selon lui, les régimes de garanties facilitent le règlement d'un litige entre vendeur et acheteur en ce qu'ils garantissent le coût des correctifs nécessaires selon certains barèmes.

 

[43]    Il n'en demeure pas moins que, peu importe l'année de la vente, l'appelante ne pouvait pas fournir cette garantie parce qu'elle n'était pas accréditée en 2000 et que cette garantie n'était peut-être pas disponible en 1999 étant donné que la construction avait débuté en 1998. Il faut reconnaître que le Code procure un certain recours sauf que le cheminement menant à la résolution de litiges est sans aucun doute plus laborieux, mais tout de même disponible. Je ne suis pas convaincu qu'une telle situation, soit l’absence de garantie, équivaut à une perte comparable à une vente effectuée après reprise de possession.

 

[44]    Je suis toutefois disposé à accorder un certain pourcentage de désuétude sous cette rubrique dû au fait qu'il s'agit quand même d'un produit différent et nouveau pour le secteur résidentiel et qui pouvait comporter un certain risque à l'époque ou les opérations ont eu lieu. Je ne réfère pas à la qualité de la structure, mais plutôt aux doutes qui pourraient surgir dans l’esprit d’un acheteur, notamment en ce qui concerne les problèmes d'isolation, une toiture d'acier et des problèmes possibles de condensation soulevés par monsieur Couture dans le cadre de son témoignage. Les photos déposées en preuve nous font voir un style d'habitation différent par rapport aux comparables dans le secteur ouest de la ville et près d'un terrain municipal avec certaines activités dérangeantes. Je suis donc disposé à accorder une désuétude de 5 % sous cette rubrique.

 

[45]    J'établis donc la juste valeur marchande de chaque bâtiment en question à 200 000 $, moins une désuétude économique de 7,5 % et une désuétude fonctionnelle de 5 % pour un montant de 175 000 $. À cela on ajoute la valeur du terrain à 31 000 $ et les aménagements de 4 000 $ pour une JVM de 210 000 $ l'unité, et ce, au 1er juin 1999 et au 1er juillet 2000.

 

[46]    Conséquemment, les appels sont accueillis et, vu le succès partagé de cette instance, aucuns dépens ne sont accordés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mai 2007.

 

 

“François Angers”

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI213

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-1191(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Métal Sartigan Inc. et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 9 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 23 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-Denys Rancouet

Avocate de l'intimé :

Me Janie Payette

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Jean-Denys Rancouet

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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