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Dossier : 2004-1892(IT)G

ENTRE :

MICHAEL HOLZHEY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 25 août 2006, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : l’honorable juge B. Paris

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelant :

Me David E. Graham

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Eric Douglas

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la nouvelle cotisation interjeté en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu quant à l’année d’imposition 2000 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs ci‑joints.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2007.

 

« Brent Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de janvier 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

Référence : 2007CCI247

Date : 20070509

Dossier : 2004-1892(IT)G

ENTRE :

 

MICHAEL HOLZHEY,

appelant,

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]     L’appelant a cessé de résider au Canada le 30 novembre 2000 et, par conséquent, selon l’alinéa 128.1(4)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), est réputé avoir disposé de chaque bien lui appartenant à ce moment‑là pour un produit égal à la juste valeur marchande du bien[1]. L’un des biens de l’appelant était un prêt qu’il avait consenti à une entreprise non résidente. Des intérêts se sont accumulés sur le prêt jusqu’au 30 novembre 2000, mais ils n’étaient pas encore payables.  

 

[2]     Le présent appel a trait aux conséquences fiscales de la disposition présumée du droit de l’appelant de toucher les intérêts accumulés sur le prêt.

 

[3]     L’appelant a déclaré le produit de la disposition présumée comme gain en capital. Dans la nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le Ministre) a inclus le montant dans le revenu de l’appelant en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi à titre de montant reçu à titre d'intérêts. L’appelant conteste cette nouvelle cotisation.

 

Les faits

 

[4]     Les faits applicables à l’espèce sont décrits dans l’exposé conjoint des faits déposé par les parties et qui se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

L’exposé conjoint des faits

 

1.         L’appelant a cessé de résider au Canada le 30 novembre 2000.

 

2.         L’appelant est devenu résident de l’Allemagne le 1er décembre 2000.

 

3.         L’appelant était un actionnaire minoritaire de G. Haindl'sche Papierfabriken KGaA (« Haindl »), importante entreprise allemande.

 

4.         Au fil des ans, l’appelant a prêté diverses sommes à Haindl (les « prêts »).

 

5.         Les prêts ont été effectués en euros.

 

6.         Les prêts portaient intérêt.

 

7.         Les conditions de prêt prévoyaient que les intérêts accumulés au cours d’une année civile étaient payables en décembre de la même année.

 

8.         L’appelant était toujours créancier de ces prêts lorsqu’il a cessé de résider au Canada.

 

9.         Les intérêts perçus au cours des années durant lesquelles l’appelant résidait au Canada ont été correctement  déclarés par lui dans ses déclarations de revenu comme revenu dans l’année au cours de laquelle ces intérêts avaient été payés.

 

10.       Du 1er janvier au 30 novembre 2000, aucun intérêt n’a été versé sur les prêts.

 

11.       Le 30 novembre 2000, aucun intérêt n’était à recevoir sur les prêts.

 

12.       Du 1er janvier au 30 novembre 2000, des intérêts de 125 816 $ CAN se sont accumulés sur les prêts (« intérêts courus »).

 

13.       L’appelant n’a pas déclaré les intérêts courus comme revenu d’intérêt dans sa déclaration pour l’année 2000 puisqu’il n’avait pas touché d’intérêts avant de cesser de résider au Canada, soit le 30 novembre 2000.

 

14.       L’appelant a cependant déclaré tous les intérêts courus comme gain en capital découlant de la disposition présumée des intérêts courus le 30 novembre 2000 dans sa déclaration de revenu pour l'année 2000.

 

15.       Le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a établi une nouvelle cotisation pour l’appelant le 2 décembre 2002 (« nouvelle cotisation ») au motif que les intérêts courus étaient imposables à titre de revenus en intérêts en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

16.       L’appelant a contesté la nouvelle cotisation dans le délai prévu par la Loi.

 

17.       Par avis de ratification daté du 28 janvier 2004, le Ministre a confirmé la nouvelle cotisation au motif que les intérêts courus étaient imposables à titre de revenus en intérêts selon l’alinéa 12(1)(c).

 

18.       L’appelant a déclaré ses intérêts courus dans sa déclaration de revenu en Allemagne.

 

19.       L’appelant est redevenu résident du Canada en janvier 2004.

 

Les questions en litige

 

[5]     La première question en litige est celle de savoir si le produit présumé de la disposition présumée du droit de toucher les intérêts courus a été reçu par l’appelant « à titre ou en paiement [...] d’intérêts » au sens de l’alinéa 12(1)c). Les passages utiles de la disposition législative se lisent comme suit :

 

12(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

Intérêts

c) [...] les sommes reçues ou à recevoir par le contribuable au cours de l’année (selon la méthode qu’il suit normalement pour le calcul de son revenu) à titre ou en paiement intégral ou partiel d’intérêts, dans la mesure où ces intérêts n’ont pas été inclus dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

[6]     Par ailleurs, l’intimée soutient que le produit en question était un revenu tiré d'un bien et qu’il devait être inclus dans le revenu de l’appelant en vertu des articles 3 et 9 de la Loi, qui se lisent en partie comme suit :

 

3. Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a)         le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

[...]

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

[7]     L’appelant estime qu’il a, avec raison, déclaré le produit comme gain en capital.

 

[8]     Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée avait également avancé un argument fondé sur le paragraphe 20(14) de la Loi, mais elle y a renoncé à l’audition.

 

Les arguments de l’appelant

 

[9]     L’avocat de l’appelant soutient que le produit de la disposition d’un droit de toucher des intérêts courus à une date ultérieure n’est ni un intérêt ni une somme touchée à titre d’un intérêt, mais bien une rentrée de capital. Le produit n’est donc pas imposable en vertu de l’alinéa 12(1)c).

 

[10]    À l’appui de cette proposition, il invoque la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans The Queen v. Immobiliare Canada Ltd[2], où la Cour a estimé que la disposition d’un droit à un paiement ultérieur d’intérêts courus constitue une disposition sur un compte de capital.

 

[11]    Dans Immobiliare, le contribuable avait fait l’objet d’une cotisation quant à une retenue d’impôt sur les sommes qu’il avait versées pour acheter certaines obligations à la maison mère non résidente. Le prix payé par l’appelant pour les obligations incluait une somme égale à l’intérêt couru sur les obligations, mais qui n’était pas encore payable à la date de la vente. La question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la somme versée à l’égard de l’intérêt couru était une somme versée au titre d’un intérêt au sens de l’alinéa 106(1)b) de la Loi (maintenant l’alinéa 212(1)b)). La Cour a déclaré ce qui suit à la page 5334 :

 

Le mot «intérêt» dans cet article signifie l'intérêt dû sur les obligations, charges ou dettes et non la partie du prix d'achat payée par une tierce partie au détenteur, en considération du transfert du droit à l'intérêt couru. [...].

 

La Cour a également déclaré ce qui suit :

 

 [...] lorsqu'un personne achète à un créancier une dette ou une obligation portant un intérêt couru exigible, le paiement au cédant du montant requis pour acheter le droit à l'intérêt couru ne constitue pas un paiement d'intérêt au cédant parce que le cessionnaire achète une expectative de recevoir l'intérêt et non pas l'intérêt.

 

[12]    L’avocat de l’appelant fait valoir que la disposition présumée en l’espèce était la disposition du « droit de recevoir l’intérêt » et que, par conséquent, le produit ne peut en être considéré comme un intérêt ou une somme reçue à titre d’intérêt.

 

[13]    L’avocat a également soutenu que la nouvelle cotisation constitue une imposition de l’intérêt couru, ce qui est contraire à l’esprit de la Loi. Selon lui, lorsque le législateur souhaite imposer l’intérêt couru, il le fait explicitement plutôt que par le biais de l’alinéa 12(1)c). Il a invoqué les paragraphes 12(3) et (4), qui prévoient que certains contribuables doivent déclarer l’intérêt couru dans certaines circonstances, le paragraphe 20(14), qui prévoit que l’intérêt couru doit être inclus dans le revenu lorsqu’une dette est transférée ou cédée à une autre personne, et l’alinéa 70(1)a), qui prévoit l’inclusion dans ce revenu du contribuable de l’intérêt couru jusqu’à la date de son décès. 

 

[14]    L’avocat a également renvoyé à la décision de la Cour dans David Grant et Catherine Grant c. La Reine[3]. En l’espèce, les contribuables avaient procédé à une série d’opérations (« opérations de départ ») en prévision de leur départ du Canada. Avant de quitter le pays, ils avaient emprunté une somme d’argent sur laquelle de l’intérêt était payable et avaient employé cette somme pour acheter des billets portant intérêt. Ils avaient payé l’intérêt sur la somme empruntée et reçu l’intérêt produit par les billets après avoir quitté le Canada. Ils n’avaient pas inclus cet intérêt dans leur revenu, conformément à la méthode comptable qu’ils appliquaient habituellement (le juge a d’ailleurs fait remarquer que l’intimée ne contestait pas cet aspect de l’opération). Ils avaient cependant déduit en vertu de l’alinéa 114c) de la Loi la partie de l’intérêt couru sur la somme empruntée avant de quitter le Canada, mais qui n’avait été payé qu’après leur départ. La question portée en appel était celle de savoir si l’alinéa 114c) permettait de faire cette déduction.

 

[15]    La Cour a statué que l’alinéa 114c) ne concernait que les déductions admissibles figurant à la section C de la Loi dans le calcul du revenu imposable et qu’il ne saurait être interprété comme autorisant la déduction d’un intérêt. La Cour a jugé que toute déduction d’intérêt à laquelle un contribuable pourrait avoir droit faisait partie du calcul du revenu selon l’alinéa 114a) à partir des dispositions de la section B de la Loi. La section B comprend l’alinéa 20(1)c), qui a trait à la déduction des intérêts. 

 

[16]    Concluant en ce sens, le juge a déclaré ce qui suit :

 

 

Si le législateur avait voulu que des contribuables comme les appelants, qui utilisent la méthode de la comptabilité de caisse, soient autorisés à déduire des intérêts selon la méthode de la comptabilité d’exercice, ce que les appelants semblent dire effectivement, le législateur aurait vraisemblablement adopté une disposition précise qui modifierait l’alinéa 114a) afin d’obtenir expressément ce résultat-là au lieu de greffer une disposition chevauchante à l’alinéa 114c).

 

Il a ajouté ce qui suit :

 

 [...] l’interprétation avancée par les appelants [aur]ait pour résultat que les contribuables utilisant la méthode de la comptabilité de caisse puissent déduire des intérêts payés selon la comptabilité d’exercice alors qu’ils déclarent le revenu en intérêts connexe selon la comptabilité de caisse. [...] Une interprétation qui donne ce résultat ne devrait pas être privilégiée à moins qu’il soit clair que le législateur souhaitait ce résultat.

 

[17]    En l’espèce, l’avocat de l’appelant estime que l’interprétation que fait l’intimée de l’alinéa 12(1)c) aurait pour conséquence que les contribuables employant une comptabilité d’exercice seraient tenus de déclarer l’intérêt couru et que, faute d’une disposition claire à cet égard, l’interprétation de l’intimée devrait être rejetée.

 

[18]    L’avocat a également fait valoir que l’interprétation que fait l’intimée de l’alinéa 12(1)c) pourrait donner lieu à une double imposition dans certains cas. Il a donné deux exemples hypothétiques, dont les faits étaient différents de ceux de l’espèce.  

 

[19] Dans le premier exemple, une personne cesse d’être résidente du Canada, puis revient au Canada au cours de la même année d’imposition. Cette personne a fait un emprunt avant de quitter le pays. L’intérêt couru sur le prêt est dû au moment où le contribuable quitte le Canada et n’est payé qu’après son retour au pays.  

 

[20]    Dans le deuxième exemple, l’intérêt sur un prêt devient payable au contribuable avant son départ du Canada. Il n’est pas payé à temps et reste dû au contribuable lorsque celui‑ci quitte le pays. Le contribuable applique sa méthode de comptabilité d’exercice habituelle pour calculer son revenu tiré d'un bien.

 

[21]    Selon l’avocat de l’appelant, dans les deux cas, l’intérêt couru serait inclus deux fois dans le revenu si la disposition présumée des montants à recevoir par le contribuable est considérée comme donnant lieu à la réception d’une somme à titre d’intérêt.

 

Les arguments de l’intimée

 

[22]    Selon l’avocat de l’intimée, le produit reçu en l’espèce par l’appelant l’a été à titre d’intérêt lui revenant et entre clairement dans le champ d'application de l’alinéa 12(1)c).

 

[23]    L’avocat s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Transocean Offshore Ltd. c. La Reine[4], où la Cour a examiné le sens de l’expression « à titre de » (« in lieu of ») dans le contexte de l’alinéa 212(1)d) de la Loi

 

[24]    Dans l'arrêt Transocean, le contribuable avait reçu un paiement de la part d’un groupe de coentrepreneurs canadiens à titre d’indemnisation en cas d’inexécution d’une entente aux termes de laquelle un loyer aurait été payable au contribuable pour l’utilisation d’une plate‑forme de forage en mer. Le Ministre a établi une cotisation à l’égard du contribuable en vertu de l’alinéa 212(1)d) au motif que le paiement avait été versé à titre de loyer.

 

[25]    Les passages utiles de l’alinéa 212(1)d) se lisent comme suit :

 

212. (1) Toute personne non résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu’une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit [...], au titre ou en paiement intégral ou partiel :

[...]

(d) du loyer, de la redevance ou d’un paiement semblable, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, un paiement fait [...].

 

[26]    Dans Transocean, le contribuable a soutenu que, comme l’entente de location avait été résiliée avant le début du bail, le bien n’avait jamais été utilisé, et aucun loyer ne lui avait jamais été dû, de sorte qu’on ne pouvait pas dire qu’une somme lui avait été versée à titre de loyer. Il a invoqué la décision de la Cour de l’Échiquier dans Puder v. The Minister of National Revenue[5], où la Cour a estimé qu’un paiement versé « à titre d’intérêt » est un montant qui a la même fonction qu’un intérêt. 

 

[27]    Dans l'affaire Puder, le contribuable avait, en retour d'une garantie hypothécaire, prêté de l’argent, remboursable avec intérêt. L’emprunteur avait remboursé le prêt hypothécaire en entier avant la fin du terme et était tenu de verser au contribuable une « prime » représentant l’intérêt qui aurait été payable jusqu’à l’échéance de l’hypothèque. La question portée devant la Cour était celle de savoir si la somme touchée par le contribuable représentait un intérêt ou un versement à titre d’intérêt. La Cour a estimé que, comme le capital du prêt avait été remboursé, la prime n’était pas un intérêt parce qu’il n’était pas possible de la lier à la période au cours de laquelle le prêt hypothécaire était dû, non plus qu’à l’utilisation de la somme d’argent en question pendant le reste du terme de l’hypothèque. Elle a également conclu que la somme en question n’avait pas été versée à titre d’intérêt parce que « [TRADUCTION] aucune partie de la somme ne représentait un intérêt couru ni un montant versé à titre d’intérêt ou en règlement d’un intérêt couru ».

 

[28]    Dans l'arrêt Transocean, la Cour a estimé que Puder « impos[ait] une interprétation déraisonnablement étroite de l'expression ‘in lieu of’ » :

 

 

[...] [L]e sens ordinaire de ces mots renvoie à quelque chose qui prend la place d'autre chose ou s'y substitue. En théorie, une chose peut en remplacer une autre si elle remplit exactement la même fonction ou si elle remplit une fonction qui n'est pas exactement la même, mais qui s'y substitue raisonnablement. Dans la décision Puder, la Cour admet la première possibilité, mais rejette la seconde, sans pour autant justifier cette décision.

 

[29]    Selon l’avocat de l’intimée, la décision rendue par la Cour dans Immobiliare renvoie également à une interprétation exagérément étroite de l’expression « à titre de » (« in lieu of »), comme dans Puder, et qu’il n’y avait donc pas lieu de l’entériner.

 

[30]    L’intimée estime que, en employant les termes « à titre de » (« in lieu of »), le législateur avait l’intention d’élargir la portée de l’alinéa 12(1)c) pour y inclure les paiements autres que les paiements ayant le caractère juridique d’intérêt et que, comme le gain de l’appelant sur la disposition présumée découlait du fait qu’il avait prêté une somme d’argent à Haindl et de l’intérêt couru sur ce prêt, ce gain était un paiement versé à titre d’intérêt.

 

[31]    Enfin, selon l’avocat, si le gain n’est pas considéré comme un paiement à titre d’intérêt, il doit être inclus dans le revenu de l’appelant à titre de revenu tiré d'un bien. Le gain provient d’un bien et découle directement de la possession de ce bien par l’appelant. Il représente donc un revenu découlant d’une source qui est un bien et il doit être inclus dans le revenu de l’appelant, conformément à l’alinéa 3a) de la Loi.

 

L’analyse

 

[32]    Selon moi, la décision de la Cour d’appel fédérale dans Transocean règle la question de savoir si, en l’espèce, le produit présumé de la disposition présumée du droit sur l’intérêt couru a été reçu « à titre » (« in lieu of ») d’intérêt. Le libellé de l’alinéa 12(1)c) est très semblable à celui de l’alinéa 212(1)d) examiné par la Cour dans Transocean.

 

[33]    L’alinéa 12(1)c) prévoit que le contribuable doit inclure dans son revenu tout montant qu’il a reçu ou doit recevoir dans l’année « à titre ou en paiement intégral ou partiel d’intérêts », alors que l’alinéa 212(1)d) s’applique à des montants versés  « au titre ou en paiement intégral ou partiel  [...] du loyer, de la redevance ou d’un paiement semblable ».

 

 [34]   Dans Transocean, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 47 :

 

Il semble axiomatique qu'un montant versé à la place d'un paiement à caractère juridique ou en remplacement de ce paiement n'a pas le même caractère juridique. En choisissant l'expression "in lieu of"  à l'alinéa 212(1)d), le législateur avait sans doute l'intention d'élargir la portée de cet alinéa pour englober les paiements autres que les paiements ayant le caractère juridique d'un loyer.

 

Elle a ajouté :

 

En théorie, une chose peut en remplacer une autre si elle remplit exactement la même fonction ou si elle remplit une fonction qui n'est pas exactement la même, mais qui s'y substitue raisonnablement.

 

[35]    La question à laquelle il convient de répondre ici est celle de savoir si le produit présumé en l’espèce était un substitut raisonnable de l’intérêt gagné sur le prêt à Haindl qui n’était pas encore payable.

 

[36]    Dans Transocean, la Cour d’appel fédérale a estimé que le montant versé à l’égard de la rupture éventuelle de l’entente de location était un substitut raisonnable du loyer payable en vertu de ladite entente. En l’espèce, le lien entre le produit présumé et l’intérêt couru est, selon moi, encore plus évident, puisque le prêt avait déjà été consenti à Haindl et que l’intérêt avait déjà couru avant que la disposition présumée ait lieu.

 

[37]    Le montant de l’intérêt couru pour la période allant jusqu’au 30 novembre 2000 pourrait être calculé avec précision en vertu du contrat de prêt, et, selon l’exposé conjoint des faits, la valeur marchande du droit de toucher l’intérêt couru en question était  exactement celle de l’intérêt couru sur le prêt du 1er janvier au 30 novembre 2000. On peut donc facilement constater que le produit présumé était un substitut raisonnable de l’intérêt couru.

 

[38]    Je suis d’accord avec l’avocat de l’intimée pour affirmer que la décision rendue dans Immobiliare ne peut plus être invoquée compte tenu de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Transocean. Dans cet arrêt, la Cour n’a pas renvoyé à Immobiliare, mais cette décision ne peut être distinguée de celle de la Cour de l’Échiquier dans l'arrêt Puder, et Puder, dans l'arrêt Transocean, est considéré comme un arrêt accordant « une interprétation déraisonnablement étroite de l'expression "in lieu of". Par conséquent, j’estime que le produit découlant de la disposition du droit de recevoir de l’intérêt est un substitut raisonnable dudit intérêt et qu’il serait donc reçu à titre d’intérêt au sens de l’alinéa 12(1)c) de la Loi.

 

[39]    Je ne suis pas convaincu que l’appelant a fait la preuve que je ne devrais pas m’en tenir à l’interprétation de l’expression « à titre de » ( in lieu of ) faite par la Cour d’appel fédérale dans l'arrêt Transocean

 

[40]    Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’appelant selon lequel l’esprit de la Loi concernant l’intérêt couru favorisait une interprétation étroite de l’expression. Je ne crois pas que la façon dont la Loi traite l’intérêt couru qui n’a pas encore été reçu ou qui devient payable soit pertinente avec la question en litige en l’espèce. Le Ministre, en l’occurrence, ne cherche pas à imposer l’intérêt couru. Le montant qu’il veut inclure dans le revenu est le produit de la disposition présumée d’un bien. La réception du produit de la disposition présumée entraîne l’inclusion dans le revenu. Comme pour tout montant reçu par un contribuable, c’est la nature de ce qui est reçu qui détermine s’il y a lieu de l’inclure dans le revenu ou non. En l’espèce, le paiement a été reçu « à titre d’intérêt » et doit donc être inclus dans le revenu de l’appelant.

 

[41]    La décision Grant citée par l’avocat de l’appelant, elle aussi, ne traitait que d’un intérêt couru qui n’avait pas encore été payé ou qui deviendrait payable en temps et lieu et elle peut être distinguée, à cet égard, de la question dont je suis saisi en l’espèce. Fait intéressant, il semble que, dans Grant, ni les contribuables, dans la déclaration de leur revenu, ni le Ministre, dans la cotisation établie, n’ont inclus le produit de la disposition présumée de l’intérêt couru au moment où les intéressés ont quitté le Canada. Dans cette affaire, le juge a fait remarquer que l’intimée n’avait pas contesté le fait que les contribuables n’avaient pas inclus dans le calcul de leur revenu l’intérêt reçu sur leurs billets, et il ne semble pas qu’on ait invoqué le paragraphe 128.1(4) dans l’établissement de la cotisation.

 

[42]    Enfin, l’appelant n’allègue pas qu’il y a double imposition en l’espèce; il dit seulement que, dans certains cas hypothétiques, l’interprétation que fait l’intimée de l’alinéa 12(1)c) pourrait avoir cet effet. Ce facteur, à lui seul, ne suffit pas à entériner l’interprétation de l’expression « à titre de » proposée par l’appelant.

 

[43]    Compte tenu de ma conclusion que le produit de la disposition présumée du droit de l’appelant sur l’intérêt couru en l’espèce a été, avec raison, inclus dans le revenu de l’appelant conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi comme montant reçu à titre d’intérêt, il n’est pas nécessaire que j’analyse la proposition subsidiaire de l'intimée, à savoir que le montant serait un revenu tiré d'un bien.

 


[44]    Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mai 2007.

 

 

« Brent Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de janvier 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI247

 

No DE DOSSIER DE LA COUR :       2004-1892(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Michael Holzhey c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 25 août 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 9 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant

David E. Graham

 

 

Avocat de l’intimée

Eric Douglas

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      David E. Graham

                         Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)



[1] 128.1(4) Pour l’application de la présente loi, les règles suivantes s’appliquent au contribuable qui cesse de résider au Canada à un moment donné :

[...]

b) le contribuable est réputé avoir disposé [...] de chaque bien lui appartenant, [...] pour un produit égal à la juste valeur marchande du bien au moment de la disposition, et ce produit est réputé être devenu à recevoir et avoir été reçu par lui au moment de la disposition.

 

[2] 77 D.T.C. 5332.

[3] 2006 D.T.C. 3071.

[4] 2005 D.T.C. 5201.

[5] 63 D.T.C. 1282.

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