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Dossier : 2005-2488(IT)I

ENTRE :

SUZANNE MOLNAR,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus le 23 novembre 2005, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Représentantes de l'appelante :

Sylviane I. Goulet

Marie-Hélène Fontaine

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

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JUGEMENT

          Les appels des nouvelles déterminations de la prestation fiscale canadienne pour enfant à l'égard des années de base 2002 et 2003, des nouvelles déterminations de crédit pour la taxe sur les produits et services à l'égard des années d'imposition 2001, 2002 et 2003, et de la nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2003, établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de janvier 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2006CCI58

Date : 20060126

Dossier : 2005-2488(IT)I

ENTRE :

SUZANNE MOLNAR,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Dans cet appel, interjeté selon la procédure informelle, il s'agit de déterminer si l'appelante a vécu dans une relation conjugale avec monsieur Neil Gaucher pendant la période du 31 juillet 2002 au 2 août 2004, pour les années de base 2002 et 2003.

[2]      Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est fondé pour établir sa détermination de conjoints de fait entre l'appelante et monsieur Gaucher sont décrits au paragraphe 11 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ), comme suit :

a)          le 12 novembre 2004, le ministre a fait parvenir à l'appelante et à monsieur Neil Gaucher un questionnaire à remplir afin de déterminer l'état civil de ces derniers à partir du 31 juillet 2001;

b)          le 1er décembre 2004, le ministre a reçu le questionnaire complété de l'appelante dans lequel cette dernière mentionnait, à titre d'état civil, être une personne divorcée depuis 2001; des documents (compte bancaire, cartes de crédit, assurance habitation, assurance-vie, assurance auto), accompagnaient le dit questionnaire et sur lesquels le nom de monsieur Gaucher n'apparaissait pas;

c)          le 30 novembre 2004, monsieur Neil Gaucher faisait parvenir au ministre le questionnaire complété dans lequel, entre autres, ce dernier affirmait, à titre d'état civil, avoir vécu avec l'appelante du mois de juillet 2001 jusqu'au mois d'août 2004;

d)          le 15 décembre 2004, comme complément de réponse il faisait parvenir au ministre les renseignements additionnels suivants :

i)           établissait par document soumis qu'il était avec l'appelante les responsables d'une marge de crédit de 3 000 $ auprès de la Caisse populaire Desjardins du Mont Saint-Bruno,

ii)          dévoilait que pendant la période de juillet 2002 jusqu'à juillet 2004, il avait déposé ses salaires directement à la Caisse populaire Desjardins du Mont Saint-Bruno dans le compte bancaire no 038363 de l'appelante,

iii)          soutenait qu'il a payé, dans une proportion de 50%, les factures, à l'égard des frais courants;

e)          le 9 décembre 2004, le ministre avisait par écrit l'appelante qu'elle était considérée, à l'égard de son état civil, comme conjointe de fait de monsieur Neil Gaucher, à compter du 31 juillet 2002 jusqu'au 2 août 2004, et conséquemment que des redressements seraient effectués, à l'égard des prestations fiscales, du crédit pour la taxe sur les produits et les services (CTPS) et de l'impôt;

f)           au stade des oppositions, l'appelante confirmait verbalement les dires de monsieur Gaucher mentionnés dans son complément de réponse, mais réitérait sa compréhension des faits de considérer monsieur Gaucher à titre de colocataire de juillet 2001 à juin 2002 et de locataire de sous-sol dans sa maison de juillet 2002 à août 2004, des lettres furent soumises à cet égard;

g)          également au stade des oppositions, l'appelante a soumis au ministre une copie de la narration du rapport d'événement (Service de police, ville de Longueuil) lors de l'expulsion de monsieur Gaucher de la maison de l'appelante, il est mentionné dans ce rapport que l'appelante fréquente monsieur Gaucher depuis trois ans;

h)          le ministre considéra que l'appelante et monsieur Neil Gaucher ont vécu en union de fait pendant la période du 31 juillet 2002 jusqu'au 2 août 2004, ce qui entraîna les changements suivants :

i)           prise en compte du revenu net de monsieur Neil Gaucher dans le calcul du revenu net familial de l'appelante, à l'égard du calcul des prestations fiscales pour enfant pour les années de base 2002 et 2003 et du crédit pour la TPS pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003;

ii)          à l'égard de la déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2003, les sommes suivantes furent rejetées :

a)          dans le calcul des crédits d'impôt non remboursables, la somme réclamée à titre de crédit équivalent pour personne entièrement à charge fut rejetée,

b)          dans le calcul de son revenu, la somme réclamée à titre de frais de garde d'enfants fut rejetée parce que le revenu de l'appelante était supérieur à celui de son conjoint de fait.

[3]      Dans son avis d'appel l'appelante s'exprime ainsi :

J'ai hébergé chez moi M. Gaucher pour ces années et suite à son départ forcé, pour se venger, M. Gaucher vous a mentionné qu'il était conjoint de fait.

J'ai pourtant démontré avec plusieurs documents comme preuve que ce n'était pas le cas.

[4]      L'appelante a expliqué qu'elle avait rencontré monsieur Gaucher lors d'une soirée en 2000. Ils se sont plu. Ils ont emménagé ensemble en 2001 dans un appartement à Boucherville. Il y avait deux chambres, une pour elle et monsieur Gaucher et l'autre, la plus grande, pour les filles de l'appelante.

[5]      L'appelante relate que pendant quelque temps seulement, ils ont partagé la même chambre. Par la suite, monsieur Gaucher couchait au salon. Tout de même, ils partageaient le coût de l'appartement et les autres coûts, bien qu'elle ait toujours subvenu seule aux besoins de ses filles. Avant même de quitter l'appartement de Boucherville, ils vivaient comme des co-locataires. Le 22 mars 2002, elle fait un emprunt hypothécaire pour acquérir une propriété située à Saint-Bruno.

[6]      La résidence de Saint-Bruno était un semi détaché. Au deuxième étage, il y avait trois chambres à coucher et une salle de bains. Au rez-de-chaussée, les pièces de séjour. Au sous-sol, il y avait les meubles de monsieur Gaucher et l'ordinateur de la maison. C'était là où habitait monsieur Gaucher. Il avait ses effets personnels dans la salle d'eau du rez-de-chaussée mais prenait sa douche dans la salle de bain principale. Monsieur Gaucher s'occupait de laver ses propres affaires. Il avait accès à la cuisine et à la salle à manger. Il pouvait prendre ses repas avec elle et ses enfants mais souvent, il prenait son assiette et mangeait en bas. C'était elle qui préparait les repas. C'était elle qui faisait l'épicerie car il n'avait pas de voiture. Monsieur Gaucher avait sa fille une fin de semaine sur deux. Elle dormait au sous-sol. C'était l'appelante qui transportait la jeune fille car la mère n'avait pas de voiture.

[7]      Selon leur entente, monsieur Gaucher contribuait une somme de 750 $ par mois pour les frais généraux de la maison incluant la nourriture. À un certain moment, il avait eu des problèmes de saisie dans ses comptes bancaires, ce qui explique pourquoi ses chèques étaient déposés dans le compte de l'appelante.

[8]      Un relevé de marge de crédit pour la période du 1er juillet au 31 juillet 2004 montre les deux noms comme les titulaires de la marge (onglet 2 de la pièce A-1). L'appelante explique la marge de crédit commune par le fait que lorsqu'ils ont quitté Boucherville pour Saint-Bruno, monsieur Gaucher lui devait des montants d'argent. La seule façon, d'avoir accès à cet argent, était de contracter une marge de crédit conjointe, qu'elle a utilisée pour les fins du déménagement.

[9]      Elle a affirmé lors de son témoignage que bien que monsieur Gaucher ait contribué à payer les charges de la maison, il le faisait comme co-locataire et qu'il habitait dans le sous-sol.Elle a eu quelques soirées intimes avec lui mais n'a jamais partagé la même chambre. Ils n'avaient pas d'activités sociales ensemble.

[10]     Un rapport du service de police de la Ville de Longueuil en date du 3 août 2004 dit ce qui suit :

Contexte : Mme Molnar est propriétaire de la maison et fréquente le cité depuis 3 ans. Depuis 1 mois elle est obligé de le faire vivre et cette dernière s'est tannée.

Elle a demandé à ce dernier de quitter et celui-ci de répondre par l'affirmative mais il est toujours présent sur les lieux.

Nous nous présentons sur les lieux et expliquons la situation au « cité » qui accepte de quitter les lieux. Il se présentera plus tard pour aller chercher ses effets personnels avec l'escorte de la police.

[11]     L'appelante affirme qu'elle a dit à la police qu'ils vivaient ensemble dans la maison depuis trois ans mais comme co-locataires.

[12]     L'avis d'opposition a été déposé comme pièce I-1. Les trois premiers paragraphes se lisent comme suit :

Je n'avais ni époux, ni conjoint de fait pour les années mentionnées sur les avis de cotisations en annexe.

En 2001, j'ai accepté de rendre service à M. Neil Gaucher pour un certain temps. Je l'ai hébergé, fourni financièrement à l'occasion parce que M. avait des problèmes financiers, il avait de la difficulté à conserver un emploi.

M. Gaucher ne fournissait strictement rien, ne payait aucune pension, ne participait pas aux tâches de la maison, ne s'impliquait pas auprès des enfants, ne travaillait pratiquement jamais.

[13]     Elle explique cette version des faits en disant que souvent monsieur Gaucher ne contribuait pas régulièrement aux charges du ménage. Voici ses propos aux pages 47 et 48 des notes sténographiques :

            Q.         Si je comprends bien, monsieur ne fournissant pas grand-chose, et même des fois c'est vous qui deviez presque l'aider, y subvenir; j'ai un peu de misère à comprendre que la base même du fait d'avoir monsieur, c'était pour vous aider ou vous sécuriser financièrement.

            R.          Oui.

            Q.         Et là, je réalise que durant toute cette période-là, monsieur vous a nui financièrement?

            R.          Bien oui. Oui, mais au départ c'est parce qu'il avait toujours une belle parole, qu'il me disait : « Bien, je vais me trouver du travail, je vais te rembourser. » Moi je me fiais à lui. J'acceptais sa parole, je me disais : « Bien oui, il va se trouver un emploi, il veut tellement s'en trouver un. » C'était ... Ça été la raison pourquoi que j'ai poursuivi ma cohabitation avec lui. Toujours dans l'espoir que, bon, finalement il va pouvoir m'aider avec les finances. Mais au bout de la ligne, si on fait un bilan ...

            Q.         Mais là, si je reviens un peu sur votre témoignage; ça n'allait pas bien quand vous étiez à Boucherville, durant ... quand vous étiez en appartement. Là, il a dû y avoir la ligne de crédit qui a été prise. Monsieur vous devait beaucoup d'argent?

            R.          Oui. Oui. bien, ça n'allait pas bien, comment vous voulez dire, ça n'allait pas bien?

            Q.         Bien, financièrement.

            R.          Bien ... non.

            Q.         Je comprends bien que vous avez dû prendre une ligne de crédit avec lui pour qu'il puisse vous payer des montants?

            R.          C'est ça. C'est ça.

            Q.         C'est ça. Pourquoi maintenant expliquer que vous partez acheter une maison puis que vous partez avec monsieur encore une fois puis vous l'emmenez à Saint-Bruno si c'est un fardeau financier pour vous?

            R.          Bien, c'est parce qu'à chaque fois j'avais toujours l'espoir qu'il puisse travailler, qu'il puisse me rembourser, qu'il puisse m'aider aussi. C'est au bout de la ligne. Écoutez. Moi, en étant avec des enfants, je suis dans un tourbillon constamment. Donc, j'ai pas ... Il me dit quelque chose, je le crois, je passe à autre chose; j'ai pas le temps de m'arrêter à ça. Mais au bout de la ligne, oui, le bilan - et c'est exactement ce que vous venez de mentionner.

            Q.         Ce qui fait que vous aviez espoir un peu comme ...

            R.          Toujours.

            Q.         ... espoir que monsieur se corrige ...

            R.          Toujours.

[14]     Monsieur Gaucher a témoigné à son tour. Les faits relatés sont à peu près identiques sauf en ce qui concerne la nature de la relation entre lui et l'appelante. Ils se sont rencontrés en octobre 2000. En juillet 2001, ils ont emménagé ensemble. Ils partageaient tout ensemble. C'est ensemble qu'ils allaient chez les amis et chez les parents.Monsieur Gaucher a affirmé qu'il a été tout le temps, à Boucherville comme à Saint-Bruno, dans une union de couple avec l'appelante.

[15]     Monsieur Gaucher est un monteur en structure. Quand il a rencontré l'appelante, il avait un emploi stable qui a duré jusqu'en février 2002, peu de temps avant le déménagement à Saint-Bruno. Il a été en arrêt de travail durant cinq semaines. Lui et l'appelante se sont entendus pour un montant de dette de 1 000 $. Elle avait besoin de 3 000 $. Ce qui explique le montant d'emprunt par la marge de crédit. Par la suite, il a contribué aux paiements des intérêts sur la marge.

[16]     Il a affirmé qu'il a toujours payé 50 % des frais courants de la maisonnée, comme ceux relatifs à l'hypothèque, à l'emprunt, à l'électricité, au téléphone, à la télévision et à l'épicerie. Ses chèques étaient déposés directement dans le compte de banque de l'appelante. Elle prenait la part dont monsieur Gaucher était redevable et elle lui remettait le solde.

[17]     Monsieur Gaucher ne dit pas qu'elle ne lui a pas remis ce qu'elle devait lui remettre. Par ailleurs, il mentionne tous les efforts qu'il a faits lors du déménagement, les travaux d'amélioration que lui et son père ont apportés à la maison de l'appelante, soit trois cents heures de travail. Il admet que leur relation était souvent houleuse. Il admet aussi avoir couché au sous-sol, le dernier mois, soit le mois de juillet 2004. Il explique qu'il a été traité pour une dépression en avril 2004, a travaillé les mois de mai et de juin, puis est retombé en juillet. Il a pris des anti-dépresseurs jusqu'au mois de septembre.

Analyse et conclusion

[18]     « Conjoint de fait » est ainsi défini à l'article 248 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) :

« conjoint de fait » Quant à un contribuable à un moment donné, personne qui, à ce moment, vit dans une relation conjugale avec le contribuable et qui, selon le cas :

a)          a vécu ainsi tout au long d'une période d'un an se terminant avant ce moment;

b)          est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu des alinéas 252(1)c) et e) ni du sous-alinéa 252(2)a)(iii).

Pour l'application de la présente définition, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble dans une relation conjugale sont réputées, à un moment donné après ce moment, vivre ainsi sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur relation, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné.

[19]     Il s'agit ici, dans la présente affaire, essentiellement d'une question de faits. Il me faut déterminer quelle est la version la plus plausible, quelle est la version que je crois.

[20]     À regret pour l'appelante, car je comprends les effets pécuniaires de cette décision, je suis d'avis que la relation de l'appelante et celle de monsieur Gaucher était une relation conjugale.

[21]     J'ai cité les propos de l'appelante. Ces propos n'ont pas les accents d'une personne parlant d'un co-locataire. Il s'agissait de la description d'une relation émotionnelle qui s'est effritée.

[22]     L'arrangement financier était celui d'un couple. Un co-locataire ne déposerait pas son chèque de paye dans le compte de banque de sa co-locataire et n'accepterait pas qu'elle prenne charge de ses finances. Il faut un élément de confiance et d'acceptation de l'autre qui n'est pas représentatif d'une relation entre co-locataires. Il en va de même de la marge de crédit aux deux noms.

[23]     Je fais les mêmes commentaires en ce qui concerne les travaux faits à la maison de l'appelante par monsieur Gaucher et son père.

[24]     Il me faut aussi constater que la version des faits de l'appelante a souvent changé. Il y a eu celle de l'avis d'opposition, celle de l'avis d'appel et celle de l'audience. Dans l'avis d'opposition, l'appelante mentionne que monsieur ne fournissait strictement rien, ne payait aucune pension. Ce qui n'était pas le cas. À l'audience, elle a relaté qu'il partageait à moitié les charges de la maison.

[25]     En conséquence, les appels doivent être rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de janvier 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI58

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-2488(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               SUZANNE MOLNAR c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 23 novembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                    le 26 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Représentantes de l'appelante :

Syltiane I. Goulet

Marie-Hélène Fontaine

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelante:

                   Nom :                             

                   Cabinet :

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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