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Dossier : 2004‑1170(IT)G

ENTRE :

ATCO ELECTRIC LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]     

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 18, 19 et 20 septembre 2006 à Calgary (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge G. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Curtis Stewart

Me Jo’Anne Strekaf

 

 

Avocats de l’intimée :

Me William L. Softley

Me Belinda Schmid

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

            Les appels interjetés des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu sont accueillis avec dépens et les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour qu’il les examine de nouveau et établisse de nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints, compte tenu des éléments suivants :

 

1.       en ce qui concerne les années d’imposition 1997 et 1998, c’est à l’étape de la pulvérisation que le charbon subbitumineux utilisé par l’appelante pour produire de l’énergie électrique a atteint son équivalent du stade du métal primaire;

 

2.       en ce qui concerne l’année d’imposition 2000, le montant de 622 990 $ dépensé par l’appelante pour remplacer des transformateurs électriques constituait une dépense courante.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2007.

 

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’octobre 2007.

 

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


 

 

 

Référence : 2007CCI243

Date : 20070504

Dossier : 2004‑1170(IT)G

ENTRE :

ATCO ELECTRIC LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelante, ATCO Electric Ltd., interjette appel des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national pour ses années d’imposition 1997, 1998 et 2000. Pendant les années en cause, l’appelante assurait en Alberta, dans le cadre de son entreprise, la production, la transmission et la distribution au détail d’électricité et possédait, intégralement ou conjointement, des centrales électriques et des mines de charbon avoisinantes à Battle River et Sheerness.

 

[2]     Les nouvelles cotisations concernent deux aspects distincts des activités commerciales de l’appelante :

 

1.       En ce qui concerne les années d’imposition 1997 et 1998 et aux fins du calcul des bénéfices relatifs à ses ressources et du droit à certaines déductions pour amortissement, à quel moment le charbon utilisé comme carburant dans la production d’énergie électrique atteint‑il le « stade du métal primaire ou son équivalent »?

 

2.       En ce qui concerne l’année d’imposition 2000, certaines dépenses afférentes au remplacement de transformateurs servant à la transmission et à la distribution de l’électricité étaient‑elles des dépenses en capital ou des dépenses courantes?

 

[3]     Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits[1] ainsi qu’un cahier conjoint de documents[2] concernant les points en question. Chaque point fera l’objet d’un traitement distinct dans le cadre des présents motifs du jugement.

 

 

La question du stade du métal primaire ou son équivalent

 

Dispositions applicables

 

 

[4]     La disposition législative pertinente est la division 1204(1)b)(ii)(A) du Règlement de l’impôt sur le revenu[3] :

 

1204.   (1)        Pour l’application de la présente partie, les bénéfices bruts relatifs à des ressources d’un contribuable pour une année d’imposition correspondent au montant éventuel par lequel le total :

 

a)    de la fraction, s’il en est, du total

 

(i)    du total des montants, s’il en est, qui seraient inclus dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu du paragraphe 59(2) et des alinéas 59(3.2)b) et 59.1b) de la Loi s’il n’était pas tenu compte, au paragraphe 59(2), du renvoi au paragraphe 64(1), et

 

(i.1) de l’excédent, s’il en est, du montant inclus dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu de l’alinéa 59(3.2)c) de la Loi sur les produits de la disposition de biens visés à la disposition 66(15)c)(ii)(A) de la Loi qui lui sont devenus payables dans l’année ou une année d’imposition antérieure et après le 31 décembre 1982, dans la mesure où ces produits n’ont pas été déduits dans le calcul du montant déterminé en vertu du présent sous‑alinéa pour une année d’imposition antérieure

 

qui est en sus

 

(ii)   du total des montants, s’il en est, déduits lors du calcul de son revenu pour l’année en vertu de l’alinéa 59.1a) et des paragraphes 64(1.1) et (1.2) de la Loi,

 

b)    du montant, s’il en est, de l’ensemble de ses revenus pour l’année tirés

 

[...]

 

(ii)    de la production et du traitement au Canada

 

(A)       du minerai, à l’exception du minerai de fer ou du minerai de sables asphaltiques, tiré de ressources minérales au Canada que le contribuable exploite, jusqu’à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal primaire ou son équivalent,

[...]

 

[5]     Selon le paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’expression « matières minérales » comprend un « gisement de charbon ».

 

[6]     L’alinéa 20(1)a) de la Loi permet à un contribuable de déduire la partie du coût en capital des biens qu’autorise le Règlement. En vertu des sous‑alinéas 1100(1)a)(i) et (xxvii) du Règlement, les biens de la catégorie 1 peuvent être déduits au taux de 4 p. 100 de la fraction non amortie du coût en capital, les biens de la catégorie 41 pouvant être déduits à 25 p. 100. Le sous‑alinéa b)(i) de la catégorie 41 de l’annexe II du Règlement comprend les biens notamment acquis « dans le but de tirer un revenu d’une mine ». Aux fins des biens de la catégorie 41, le sous‑alinéa 1104(5)a)(i) définit l’expression « opérations minières » de la manière suivante :

 

opérations minières – Pour l’application [...] [de la catégorie] [...] 41 de l’annexe II, le revenu qu’un contribuable tire d’une mine comprend le revenu qu’il est raisonnable d’imputer :

 

a)         au traitement par le contribuable des substances suivantes :

 

(i)         le minerai – sauf le minerai de fer et le minerai de sables asphaltiques – tiré en totalité ou en presque totalité d’une ressource minérale appartenant au contribuable, jusqu’à un stade ne dépassant celui du métal primaire ou son équivalent.

 

Aux termes du paragraphe 1104(2) du Règlement, « minerai » comprend tout minerai provenant de ressources minérales, traité jusqu’au stade du métal primaire ou son équivalent.

 

[7]     Les paragraphes 12 à 16 de l’exposé conjoint des faits contiennent les positions respectives de l’appelante et de l’intimée quant au calcul de l’impôt à payer par l’appelante pour les années d’imposition 1997 et 1998 :

 

[traduction]

12.       Dans le calcul de ses obligations fiscales au titre de la partie I de la Loi pour les années d’imposition se terminant le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998, l’appelante :

 

a)         aux fins de la déduction relative aux ressources, a calculé les bénéfices relatifs à ses ressources en retenant un taux de rentabilité théorique pour son équipement de manutention du charbon;

 

b)         a classé l’équipement de manutention du charbon employé jusqu’au passage du charbon dans le pulvérisateur (les « biens »), dans la catégorie 41 relevant du sous‑alinéa b)(i) de la catégorie 41 de l’annexe II du Règlement,

 

au motif qu’en ce qui concerne le charbon, l’équivalent du stade du métal primaire est atteint immédiatement après la pulvérisation. Des copies des déclarations T2 de l’appelante pour les années d’imposition 1997 et 1998 figurent dans le cahier conjoint de documents, aux onglets 3 et 4 respectivement.

 

13.       Estimant qu’en ce qui concerne le charbon, l’équivalent du stade du métal primaire est atteint immédiatement après la pulvérisation, l’appelante, pour ses années d’imposition prenant respectivement fin le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998 :

 

a)         a fixé à 3 992 848 $ le montant des pertes relatives à ses ressources et à 2 351 924 $ les bénéfices relatifs à ses ressources, conformément à la formule que prescrit l’article 1210.1 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »), et a inclus 25 p. 100 de ces montants, soit la somme de 998 212 $ et une déduction de 587 981 $, dans le calcul de son impôt sur le revenu, conformément à l’alinéa 12(1)(2.5) de la Loi, pour les années d’imposition prenant fin respectivement le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998;

 

b)         a déduit, conformément à l’alinéa 20(1)a) de la Loi et au sous‑alinéa 1100(1)a)(xxvii) du Règlement, 25 p. 100 de la fraction non amortie du coût en capital des biens en question.

 

14.       Les biens ont été acquis après 1987.

 

15.       Les biens employés dans la manutention du charbon jusqu’à l’étape du déchargement sur le tas de récupération constituent des biens, du matériel, de l’équipement, un immeuble ou autre structure acquis dans le but de tirer un revenu d’une mine.

 

16.       Le 9 mai 2002, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi à l’égard de l’appelante de nouvelles cotisations pour les années d’imposition prenant respectivement fin le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998 (« nouvelles cotisations relatives au stade du métal primaire ») au motif qu’en ce qui concerne le charbon, l’équivalent du stade du métal primaire est atteint lorsque le charbon est déchargé sur le tas de récupération. Par conséquent, le ministre :

 

a)         pour les années d’imposition prenant fin le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998, a réduit la perte de 29 858 $ et augmenté de 29 871 $ le montant des bénéfices relatifs aux ressources en vertu de l’alinéa 12(1)z.5) de la Loi, au motif que les bénéfices imputés au stade du processus intervenant après le déchargement du charbon thermique sur les tas de récupération des centrales ne font pas partie des bénéfices relatifs aux ressources de l’appelante;

 

b)         pour les années d’imposition prenant fin le 31 décembre 1997 et le 31 décembre 1998, a réduit de 446 252 $ et 669 156 $ respectivement le montant de la déduction pour amortissement demandée par l’appelante en vertu de l’alinéa 20(1)a) de la Loi, au motif que les biens utilisés après le déchargement du charbon thermique sur les tas de récupération ne sont pas des biens de la catégorie 41, mais plutôt des biens relevant de l’alinéa m) de la catégorie 1.

 

Question en litige

 

[8]     Pour reprendre les termes employés dans le texte applicable, la question en litige est celle de savoir à quelle étape de la production et du traitement du charbon subbitumineux provenant du gisement de charbon exploité par l’appelante, le charbon subbitumineux ne dépassait pas l’équivalent du stade du métal primaire.

 

[9]     Selon l’intimée, c’est lorsqu’il était déchargé sur le tas de récupération, juste après être passé par le concasseur primaire, que le charbon subbitumineux ne dépassait pas son équivalent du stade du métal primaire.

 

[10]    L’appelante fait valoir pour sa part que le charbon subbitumineux a atteint ce stade à une étape ultérieure du procédé de concassage, en l’occurrence après sa pulvérisation et juste avant d’alimenter la chambre de combustion de la centrale électrique.

 

[11]    Afin de pouvoir calculer le montant des bénéfices relatifs aux ressources et la déduction relative aux ressources de l’appelante, et pour dire, aux fins du calcul de la déduction pour amortissement, quels sont en l’occurrence les biens de l’appelante relevant de la catégorie 1 ou 41, il faut décider à quel point le charbon atteint l’équivalent du stade du métal primaire.

 

Question préliminaire : l’admissibilité du rapport rédigé par le témoin expert de l’intimée

 

[12]    Chacune des parties a fait appel à un témoin expert et chacun de ces témoins a rédigé un rapport. Sans contester les titres du témoin expert de l’intimée, M. John Mossop, l’avocat de l’appelante s’est opposé à l’admission de son rapport parce que les opinions exprimées dans ce document tranchaient par anticipation la question précisément soumise à la Cour, c’est‑à‑dire celle de l’interprétation de l’expression « stade du métal primaire ou son équivalent » et du moment où, au vu des faits constatés, le charbon atteint son équivalent du stade du métal primaire.

 

[13]    Selon l’avocat de l’appelante, le rapport de M. Mossop est truffé des conclusions que seule la Cour peut tirer. Selon lui, pour constater à quel point ce rapport dépasse les limites ordinaires du témoignage d’expert, il suffit de se reporter à la manière dont M. Mossop décrit le mandat qui lui a été confié : [traduction] « On m’a demandé d’examiner le point auquel le charbon thermique atteint le "stade du métal primaire ou son équivalent" (le "SMPE") aux mines situées près des centrales thermiques de Battle River et de Sheerness[4] ». Après avoir reconnu que le « stade du métal primaire » est une expression qui [traduction] « n’a, au sein de ce secteur d’activité, aucun sens technique précis[5] », M. Mossop s’attache à interpréter le sens qu’il convient de lui donner. Se fondant d’abord sur le sens ordinaire du mot « primaire » selon les dictionnaires, il conclut, dans la première partie de son rapport [traduction] « que le "stade du métal primaire" pour un métal, et "son équivalent" pour les non‑métaux, est atteint dès que le produit de la mine atteint l’état de marchandise reconnue comme ayant une valeur marchande ». Dans la partie II de son rapport, sous la rubrique [traduction] « Contexte », M. Mossop écrit ceci : [traduction] « [...] il s’agissait d’établir quel était, au plan de l’exploitation des mines de Battle River et de Sheerness, le SMP ». Dans la partie III, appliquant « [sa] définition » du stade du métal primaire, il explique le traitement que l’on fait subir au minerai cuprifère pour lui faire atteindre le stade du métal primaire du cuivre. Dans la partie IV, il affirme que, pour le « charbon commercial », le stade équivalent est atteint lorsque ce charbon [traduction] « atteint l’état de produit commercial, faisant l’objet de transactions habituelles tant au niveau local que sur les marchés internationaux ». Il applique ensuite ce critère aux opérations des mines de Battle River et de Sheerness pour conclure, dans la partie VI de son rapport, que lorsque, aux centrales en question, le charbon [traduction] est déchargé sur le tas destiné à l’alimentation de la centrale électrique [...] on peut dire qu’il correspond aux exigences du client pour l’alimentation de la centrale » et il peut donc [traduction] « [...] être considéré comme ayant atteint le stade du métal primaire étant donné qu’il constitue une marchandise reconnue ayant une valeur marchande pour un client ». Dans la partie VII, il conclut que [traduction] « [...] en ce qui concerne le charbon de Battle River et de Sheerness, le SMPE se situe au tas de charbon [le tas de récupération] après son extraction et après le traitement qu’on lui fait subir en vue de sa livraison à la centrale électrique ».

 

[14]    L’avocat de l’intimée a fait de son mieux pour réduire la portée des passages cités du rapport de M. Mossop, les attribuant surtout aux élans de style de ce dernier. Comme l’avocat de l’appelante, je considère cependant que les reproches qu’inspire ce rapport n’ont pas un caractère purement sémantique. En effet, comme l’a rappelé le juge Dussault dans l’affaire Oligny v. The Queen[6] « [...] il appartient au juge, et non à un expert, d’interpréter la Loi et de donner aux mots qui y sont utilisés le sens qui leur revient[7] ». J’estime que le rapport Mossop va à l’encontre de ces principes et qu’il n’est donc pas admissible.

 

[15]    Mais même si ce rapport avait été admis, je lui aurais néanmoins préféré le témoignage de M. Donald Downing, témoin expert de l’appelante. Nul n’a contesté les titres de M. Downing ou son rapport[8]. Sa qualité d’expert capable de faire un témoignage d’opinion décrivant, dans son ensemble, le secteur de l’industrie houillère et, plus précisément, les centrales électriques alimentées au charbon, a été reconnue. M. Downing a une expérience immédiate du fonctionnement des centrales au charbon. Lors de la préparation de son rapport, il s’est rendu sur les sites de Battle River et de Sheerness, alors que M. Mossop, s’est fondé sur des photos de ces sites ainsi que sur des informations générales sur le charbonnage tirées de diverses publications, y compris, à l’onglet 7 de son rapport, d’un texte concernant les [traduction] « centrales thermiques alimentées au charbon » qui se trouve sur le site Internet de l’appelante[9]. Et enfin, ce qui importe le plus, M. Downing s’en tient dans son rapport à son domaine d’expertise, se contentant de fournir des renseignements techniques concernant l’industrie de l’extraction du charbon et laissant à la Cour le soin de décider, au vu de la preuve produite, à quel moment le charbon thermique atteint l’équivalent du stade du métal primaire.

 

 

Les témoins

 

 

[16]    M. Mossop est le seul témoin cité par l’intimée. Outre son témoin expert, l’appelante a fait comparaître M. Thomas Walker. De 2001 à 2005, M. Walker était directeur commercial de la centrale électrique de Sheerness. En 2005, en tant que directeur commercial de l’exploitation à ATCO Power[10], il est devenu responsable des activités commerciales tant de la centrale de Sheerness que de celle de Battle River. À l’aide de schémas[11] des centrales électriques, M. Walker a expliqué les opérations de l’appelante sur les sites de Battle River et de Sheerness. Son témoignage était tout à fait crédible et, hormis la question des « spécifications » du charbon déchargé sur le tas de récupération, il n’a pas été contesté par l’intimée lors du contre‑interrogatoire.

 

[17]    Outre les titres dont il a été fait état ci‑dessus, M. Downing est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en géologie et d’un baccalauréat ès arts en économie de l’Université du Nouveau‑Brunswick. Il est également titulaire d’une maîtrise ès sciences décernée par le département de génie minier et métallurgique de l’Université McGill, et d’une maîtrise ès sciences de la Pepperdine University School of Business. Il a une longue expérience de l’industrie houillère, notamment de l’exploitation minière, de la commercialisation à l’échelle nationale et de l’exportation à l’étranger ainsi que du transport. Il a eu affaire à toute une gamme de clients de l’industrie houillère, y compris des producteurs d’électricité, des services publics, des aciéries et d’autres clients industriels. En Alberta, il a été retenu comme consultant par Genesee 3, une centrale électrique au charbon s’approvisionnant auprès d’une mine voisine. De 1993 à 1998, il a été président de l’Association charbonnière canadienne.

 

[18]    Il a témoigné de manière intelligente et directe. Son rapport portait sur les six questions précises que lui avait posées l’appelante ainsi que sur certaines des hypothèses retenues par le ministre et contestées par l’appelante[12].

 

Les faits

 

[19]    En 1997 et 1998, l’appelante possédait, intégralement ou conjointement, les mines de charbon et les centrales de Battle River et de Sheerness. Le charbon extrait de ces mines est un charbon subbitumineux; alors que ce charbon convient parfaitement à l’alimentation de centrales électriques, sa valeur énergétique est faible et son transport et, par conséquent, son utilisation ne sont guère rentables. Une solution consiste à réduire au maximum les frais de transport (et donc à accroître la rentabilité de la production et du traitement) en construisant des centrales électriques à proximité des mines; des installations comme celles de Battle River et de Sheerness sont appelées centrales thermiques au charbon « intégrées ».

 

[20]    Les mines situées près des centrales intégrées de l’appelante étaient précisément exploitées afin de fournir aux centrales voisines un approvisionnement économique en carburant pour la production de l’électricité. Hormis les quantités négligeables que l’appelante était tenue en vertu de la Mines and Minerals Act de l’Alberta de vendre aux usagers domestiques[13], le charbon n’était pas directement commercialisé ou vendu à des tiers[14]. D’ailleurs, selon l’hypothèse que le ministre a lui‑même retenue[15], l’appelante était l’unique consommatrice du charbon extrait des mines en question. C’est dire qu’à proprement parler, il n’existait pas en 1997 et 1998 de marché pour le charbon subbitumineux extrait des mines de Battle River et de Sheerness.

 

[21]    Avant d’examiner les activités houillères de l’appelante à Battle River et à Sheerness, il convient de souligner certains détails qui caractérisent le mode d’exploitation de l’appelante. Tout d’abord, l’appelante était propriétaire à la fois des mines et des centrales électriques alors que, généralement, « l’entreprise minière » et « le consommateur » sont deux entités distinctes. Ainsi que l’avocat de l’intimée l’a résumé avec justesse, il s’agit en l’espèce de définir [traduction] « [...] le volet extraction minière de l’appelante par opposition au volet production électrique[16] ». Un facteur dont il convient également de tenir compte est la relation contractuelle entre l’appelante et un tiers chargé de l’extraction et du transport du charbon subbitumineux. Au cours de la période pertinente pour le présent appel, ce tiers n’a jamais « vendu » de charbon à l’appelante puisque les mines de Battle River et de Sheerness appartenaient à l’appelante.

 

[22]    Précisons, en ce qui concerne les activités de l’appelante à Battle River et à Sheerness, que les mines de charbon situées prés des centrales étaient des « mines exploitées à ciel ouvert ». La première étape de l’extraction du charbon était l’enlèvement de la couche arable. Une pelle à benne traînante enlevait ensuite la couche de terre qui se trouve en surface (les « morts‑terrains ») afin d’exposer le gisement de charbon sous‑jacent. Des engins appelés « bouteurs » dégageaient alors de gros morceaux de charbon, les brisant en morceaux pouvant être transportés par des « chargeuses frontales » qui, ensuite, les déversaient dans d’énormes remorques. Ces gros morceaux de charbon sont appelés dans l’industrie « charbon tout‑venant ».

 

[23]    Les remorques transportaient ensuite le charbon tout‑venant jusqu’à une trémie, sorte de cône inversé doublé de métal d’environ 20 pieds de profondeur. Au‑dessus de la trémie, se trouve une sorte de grille appelée « grizzly » formée de barreaux suffisamment rapprochés pour permettre aux remorques de les traverser en toute sécurité tout en laissant passer les morceaux de charbon tout‑venant ne dépassant pas 3 pieds (1,2 mètre). Comme l’a expliqué M. Downing, dans l’industrie de l’extraction du charbon, la taille optimale des morceaux de charbon à chaque étape du processus de concassage est généralement indiquée par la formule « ne dépassant pas[17] » telle ou telle taille.

 

[24]    À la sortie de la trémie, le charbon subbitumineux de diverses qualités ressortait par des orifices de tri, puis était « mélangé » au sein du système de convoyeurs, la proportion de charbon de qualité inférieure entrant dans ce mélange allant de 10 à 30 p. 100[18].

 

[25]    Le charbon subbitumineux ainsi mélangé passait ensuite par le « concasseur primaire » où il était réduit en morceaux ne dépassant pas 6 pouces[19], et amassé sur le « tas de récupération ». (C’est à ce stade‑là que, selon l’intimée, le charbon subbitumineux atteignait l’équivalent du stade du métal primaire.)

 

[26]    Le charbon subbitumineux était ensuite extrait par le bas du tas de récupération, passant par une série de distributeurs jusqu’au concasseur secondaire[20] où il était réduit en morceaux ne dépassant pas 1 pouce. C’est également à ce stade du procédé que des électro‑aimants servaient à extraire certains métaux du charbon subbitumineux afin d’accroître l’efficacité de combustion du charbon.

 

[27]    Ensuite, le charbon subbitumineux était acheminé aux centrales électriques et entassé dans le « bunker », une sorte de silo cylindrique. Le fond de ce réservoir est en forme de cône et, à travers cet orifice, le charbon était entraîné vers un « moulin » où il était pulvérisé pour atteindre la finesse du talc[21]. La pulvérisation du charbon permet également d’en extraire les pyrites[22] et autres déchets non combustibles. À cette étape, la poudre de charbon subbitumineux était prête à être soufflée du pulvérisateur jusqu’au bec qui projetait le carburant dans la chambre de combustion. (Selon l’appelante, c’était à ce stade que le charbon subbitumineux atteignait l’équivalent du stade du métal primaire.)

 

[28]    Enfin, au cas où il n’y aurait pas assez de charbon ayant les qualités voulues ou au cas où le charbon contiendrait trop de souffre ou de cendres, les chambres de combustion étaient équipées de manière à pouvoir également fonctionner au gaz naturel et pouvaient être même modifiées pour brûler du mazout. En pareilles circonstances, le carburant de remplacement était lui aussi introduit dans la chambre de combustion par le bec du brûleur.

 

[29]    Le charbon est une roche comprenant divers minéraux, y compris un pourcentage important de matières charbonneuses organiques combustibles pouvant servir de source d’énergie dans la production d’électricité. Minerai non métallique, le charbon est classé en plusieurs catégories allant de la qualité inférieure, le lignite, en passant par le charbon subbitumineux, le charbon bitumineux puis, enfin, l’anthracite. Sa catégorie dépend de sa teneur en cendres et en humidité, de sa teneur en carbone et de sa valeur énergétique. Sa valeur énergétique détermine non seulement l’usage qui en est fait, mais également la rentabilité de son transport.

 

[30]    La roche contenant des minerais métalliques est, au sein de l’industrie, appelée « minerai », terme économique (plus que géologique) indiquant que la teneur en métaux de cette roche laisse présager la rentabilité de son extraction et de son traitement. Prenons comme exemple le traitement de la roche contenant du minerai cuprifère qui permet d’obtenir du cuivre (presque) pur. Il s’agit, en quelques mots, de séparer le métal de la roche par un procédé comportant trois étapes précises : l’extraction et le concassage du minerai, la séparation du minéral métallique concentré du minerai et, enfin, la fusion du concentré pour obtenir un métal presque pur. Avant l’étape de la fusion, les métaux ne se prêtent pas à une utilisation en tant que métaux, même si les minerais comportant des minéraux métalliques et les concentrés sont déjà des marchandises objet d’un commerce. Dans l’industrie houillère, le terme « minerai » n’est généralement pas employé pour parler de charbon, et il est donc difficile de faire une comparaison directe entre la production et le traitement de la roche carbonifère et la production et le traitement de roches contenant du minerai métallique.

 

Analyse

 

[31]    Le charbon subbitumineux étant un minerai non métallique, on ne saurait parler, en ce qui le concerne, de « stade du métal primaire »; par conséquent, ce qu’il faut décider en l’espèce c’est le moment où le charbon subbitumineux de Battle River et de Sheerness atteint « son équivalent » du stade du métal primaire. Pour cela, il faut savoir ce qu’il convient d’entendre par les mots « stade du métal primaire » figurant à la division 1204(1)b)(ii)(A) du Règlement de l’impôt sur le revenu. L’expression « stade du métal primaire » n’est pas définie dans la Loi et n’a en outre aucune signification technique formelle au sein de l’industrie. Cependant, cette expression a été examinée dans deux arrêts de la Cour d’appel fédérale, Canadien Pacifique Limitée. c. Canada[23] et Ressources Gulf Canada Ltée c. Canada[24].

 

[32]    Dans l’arrêt Canadien Pacifique Limitée, la Cour a analysé le sens de cette expression dans le contexte de la Loi sur la taxe d’accise[25]. Expliquant qu’il n’y a « aucun "sens courant" attribué par les personnes versées dans la question à l’expression "stade du métal primaire", et encore moins à son équivalent dans le cas du charbon[26] », le juge Mahoney a conclu en ces termes :

 

Selon moi, lorsque le charbon métallurgique et thermique a été traité jusqu’à ce qu’il atteigne un état répondant aux exigences des clients qui l’achètent et en prennent livraison comme du charbon se trouvant dans cet état, il a certainement atteint l’équivalent du stade du métal primaire au sens de la définition de l’expression « opérations minières » énoncée au paragraphe 49.01(1) de la Loi sur la taxe d’accise[27].

 

[33]    Cette interprétation a été reprise par le juge Linden (qui était membre de la formation ayant statué dans l’arrêt Canadien Pacifique Limitée) dans le cadre de son jugement dissident[28] dans l’arrêt Ressources Gulf Canada Ltée[29] où il a formulé le critère permettant de situer le « stade du métal primaire » :

 

À mon avis, le stade équivalant au stade du métal brut dans la production d’un minéral est celui qui correspond à l’obtention, au moyen de méthodes de production, d’un bien commercialisable et vendable qui répond aux exigences des clients[30]. [Non souligné dans l’original.]

 

[34]    C’est donc sur l’emploi du mot « bien » dans la citation reproduite ci‑dessus que l’intimée fonde son argument voulant que le charbon subbitumineux de Battle River et de Sheerness ait atteint son équivalent du stade du métal primaire lors de son amoncellement sur le tas de récupération. Sous le titre [traduction] « charbon thermique en tant que marchandise », l’avocat de l’intimée a fait valoir que :

 

[traduction]

 

[...] selon la jurisprudence, l’application du critère permettant de préciser le moment où est atteint le « stade du métal primaire ou son équivalent » n’a rien à voir avec les arrangements contractuels en vertu desquels le charbon est amené au point où il est transportable, livrable et commercialisable aux utilisateurs, ni avec la structure commerciale dans le cadre de laquelle le charbon est acheminé de la mine jusqu’aux installations de l’utilisateur. L’application du critère dépend plutôt du moment où le charbon, en tant que bien, est transportable, livrable et commercialisable aux fins de son emploi par les consommateurs[31].

 

[35]    Si je comprends bien la thèse de l’intimée, il existerait un point, invariable, où le charbon atteint son équivalent du stade du métal primaire et ce serait l’arrivée du charbon sur le tas de récupération d’une centrale électrique, quelles que puissent être par ailleurs les circonstances particulières de production ou du traitement auquel il est soumis. Cet argument ne me convainc guère. J’estime, en effet, que la thèse de l’intimée ne cadre ni avec la législation applicable, ni avec la jurisprudence, ni avec la preuve produite en l’espèce.

 

Les dispositions applicables

 

[36]    La division 1204(1)b)(ii)(A) prévoit essentiellement que le calcul des bénéfices bruts relatifs à des ressources « d’un contribuable » pour une année d’imposition dépend[32] des revenus qu’il a, dans la même année, tirés « [...] de la production et du traitement [...] du minerai [...] de ressources minérales [...] que le contribuable exploite jusqu’à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal primaire ou son équivalent ». [Non souligné dans l’original.] La notion de « bien » ne figure nulle part dans cette disposition.

 

[37]    À mon avis, le libellé de la division 1204(1)b)(ii)(A) appelle une approche subjective pour décider, pour un minerai donné et selon les circonstances propres au contribuable, le point où est atteint le stade du métal primaire ou son équivalent. Le libellé de la division 1204(1)b)(ii)(A) exige l’examen factuel des opérations de production et de traitement menées par le contribuable au cours d’une année donnée. En définissant le moment où peut être atteint le stade du métal primaire ou son équivalent au moyen des mots « jusqu’à un » stade qui ne dépasse pas le stade, le texte autorise un éventail illimité de possibilités, ce qui me porte à penser que le législateur entendait qu’il en soit décidé selon les circonstances particulières de chaque affaire.

 

[38]    Je conviens avec l’avocat de l’appelante que si le législateur avait voulu imposer aux producteurs et aux entreprises de transformation de minerai le régime ordinairement applicable aux « biens », comme l’affirme l’intimée, il n’aurait eu qu’à ajouter au membre de phrase « stade du métal primaire ou son équivalent » les mots « pour ce minerai ». Ou alors, il aurait pu établir une nomenclature (comparable à celle qui s’applique à la déduction pour amortissement) fixant arbitrairement, pour chaque minerai extrait au Canada, un stade du métal primaire. Le législateur a opté cependant pour une souplesse conforme au but visé, qui est de favoriser la mise en valeur et la production des ressources canadiennes au sein d’un secteur industriel varié et en constante évolution.

 

La jurisprudence

 

[39]    Dans les deux arrêts portant sur la question du « stade du métal primaire », la Cour d’appel fédérale a bien pris soin, dans ses conclusions, de coller de près aux faits de chacune des affaires.

 

[40]    Précisons d’abord que, dans l’arrêt Canadien Pacifique, les faits étaient sensiblement différents des faits de la présente espèce. Dans cette autre affaire, les appelantes étaient les compagnies de chemin de fer qui avaient assuré le transport du charbon de la mine au consommateur[33]. Souhaitant que leurs opérations de transport du charbon soient visées par la définition d’« opérations minières » au sens de la Loi sur la taxe d’accise[34] afin de pouvoir bénéficier d’une ristourne de la taxe sur le carburant, les compagnies de chemin de fer ont fait valoir que, lors de son transport, le charbon ne dépassait pas son équivalent du stade du métal primaire. En rejetant les arguments avancés par les compagnies de chemin de fer, la Cour a examiné attentivement les conclusions auxquelles étaient parvenus les tribunaux d’instance inférieure, notamment les divers types de charbon en question (métallurgique ou thermique) ainsi que les rôles respectivement joués par la mine, les chemins de fer et les consommateurs de charbon de l’extraction minière jusqu’à la consommation. Soulignant que, pour décider du point où se situe le stade du métal primaire ou son équivalent, « aucun élément de la définition des opérations minières n’exige que le traitement visé par la définition ait lieu à la mine[35] », le juge Mahoney s’est prononcé en ces termes :

 

[...] Il y a nécessairement une étape dans le traitement d’un minerai contenant du métal, jusqu’à l’état final exigé par l’utilisateur du métal, où l’objet du traitement n’est plus un minerai, ni un concentré, ni quoi que ce soit d’autre, mais du métal, de l’avis des personnes qui s’y connaissent. C’est à ce point qu’est franchi le stade du métal primaire[36].

 

[41]    Ces extraits illustrent en premier lieu que ce n’est pas en fonction d’un lieu que l’on peut déterminer le point où est atteint le stade du métal primaire. La Cour a en outre reconnu que s’il y avait « nécessairement » un point où il pouvait effectivement être décidé qu’un métal avait atteint le stade du métal primaire, « l’état final exigé par l’utilisateur » dépendait des faits propres à chaque affaire. Conformément au caractère non limitatif des dispositions en cause, la Cour a ensuite examiné les diverses utilisations (production sidérurgique ou production d’électricité) que chaque consommateur entendait faire du charbon, les divers modes de « traitement » du minerai carbonifère (concassage, pulvérisation et mélange ou concassage, pulvérisation et séchage) ainsi que les diverses sortes de « minerais » en question (charbon métallurgique ou charbon thermique) :

 

[...] Je n’exclus pas la possibilité que le charbon atteigne ce stade plus tôt, mais cette question n’est pas en litige. Le concassage, la pulvérisation et le mélange du charbon métallurgique ainsi que le concassage, la pulvérisation et le séchage du charbon thermique par les producteurs d’acier et d’électricité ne font pas partie intégrante du traitement du charbon jusqu’à l’équivalent du stade du métal primaire[37].

 

[42]    Le juge Linden a effectué le même genre d’analyse factuelle dans l’arrêt Ressources Gulf Canada Ltée. Avant d’exposer ses conclusions, il a examiné l’article 1204 qui, selon lui :

 

[...] régit le calcul des « bénéfices relatifs à des ressources pour les sources de revenu qui y sont énoncées. En tant que disposition déterminant le traitement réservé au revenu tiré de ressources, l’article 1204 joue un rôle important dans le régime global applicable aux opérations liées à l’exploitation des ressources en général. Cet article se comprend mieux s’il est replacé dans son contexte général, et il est souhaitable, autant que faire se peut, de l’interpréter d’une manière qui soit compatible avec l’ensemble du régime. D’où la nécessité d’adopter la méthode contextuelle d’interprétation des lois chaque fois qu’une disposition d’un régime aussi complexe est soumise à l’analyse[38]. [...]

 

[43]    S’en tenant à cette approche, le juge d’appel a alors précisé que :

La question qui se pose ensuite est de savoir, dans le contexte des activités de Syncrude, ce qu’on entend par « stade équivalant au stade du métal brut »[39]. [Non souligné dans l’original.]

 

[44]    Prenant bien soin d’établir un lien entre ses conclusions et les faits de la cause, il a conclu :

 

[...] En l’espèce, le stade équivalant au stade du métal brut est celui où les sables bitumineux sont transformés en pétrole brut commercialisable. Je suis donc convaincu que la chaîne de production visée à la fois aux dispositions 1204(1)b)(ii)(A) et (B), pour les fins du présent appel, est formée des différentes étapes de production jusqu’au stade du pétrole brut[40]. [Non souligné dans l’original.]

 

[45]    Ce passage, dans lequel le juge Linden circonscrit la portée de ses conclusions, vient, dans son opinion dissidente, tout de suite après la partie qui constitue la pierre angulaire de la thèse de l’intimée, selon laquelle on doit entendre par « charbon thermique le charbon thermique en tant que bien marchand » :

 

À mon avis, le stade équivalant au stade du métal brut dans la production d’un minéral est celui qui correspond à l’obtention, au moyen de méthodes de production, d’un bien commercialisable et vendable qui répond aux exigences des clients[41]. [Non souligné dans l’original.]

 

[46]    Je considère donc que si l’on tient compte du contexte dans lequel le juge Linden emploie le mot « bien », ce mot n’a pas le sens que souhaiterait lui voir attribuer l’intimée. L’analyse du juge Linden ne fixe pas, pour les sables bitumineux, un stade du métal primaire applicable en toute circonstance, mais ne fait que souligner l’importance des exigences particulières du consommateur lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère commercialisable et vendable du bien objet des opérations de production ou de traitement. La preuve démontre que la décision à laquelle il convient de parvenir sur ce point va nécessairement dépendre d’un large éventail de variables comprenant notamment le type de minerai en question, sa qualité, son emplacement par rapport au lieu où se trouve le consommateur, les variables économiques de son transport, les progrès technologiques et l’état de la demande à un moment donné pour le produit devant permettre d’obtenir le minerai en question[42]. M. Downing a donné comme exemple certaines centrales non intégrées situées en Ontario et au Canada atlantique. Faute d’un approvisionnement local en charbon, ces centrales ont été construites près de la côte (plutôt que près de mines de charbon), les centrales pouvant alors se faire livrer par barge du charbon de provenance étrangère. Aux États‑Unis, où le transport du charbon bénéficie de tarifs ferroviaires moins élevés qu’au Canada, certaines centrales non intégrées sont situées près de lignes de chemin de fer. Dans ces exemples, le charbon est concassé à la mine pour prendre sa « grosseur livrable »; lors de sa livraison au site de récupération, le charbon fait généralement l’objet d’une nouvelle opération de concassage à la centrale et c’est alors qu’il prend la forme adaptée à son emploi comme carburant. Les choses ne se passent cependant pas toujours comme cela. Au Japon, où les lieux d’entreposage sont plus difficiles à trouver, c’est à la mine que le charbon subit toutes les opérations de concassage, et il est livré à la centrale sous sa forme finale.

 

[47]    Je ne suis donc pas convaincue que le passage cité ci‑dessus corrobore la thèse de l’intimée, selon laquelle la détermination du [traduction] « stade du métal primaire ou son équivalent n’a rien à voir avec les arrangements contractuels, ni avec la structure commerciale dans le cadre de laquelle le charbon est acheminé de la mine jusqu’aux installations de l’utilisateur ». Ces facteurs ne sont peut‑être pas par eux‑mêmes concluants, mais la jurisprudence n’interdit aucunement d’en tenir compte en même temps que des autres circonstances entourant les opérations d’un contribuable lorsqu’il s’agit de décider à quel point les opérations de production et de traitement aboutissent à l’équivalent du stade du métal primaire.

 

La preuve

 

[48]    Selon l’intimée, la preuve produite en l’espèce établit [traduction] « que le moment où l’on dispose d’un "bien commercialisable et vendable qui répond aux exigences des clients", ou lorsque ce bien a "été traité jusqu’à ce qu’il atteigne un état répondant aux exigences des clients qui l’achètent et en prennent livraison comme du charbon se trouvant dans cet état", est le moment où le charbon thermique est concassé et peut alors être transporté et livré au système de convoyeurs et de combustion d’une centrale électrique, ce qui se produit au moment de la livraison sur le tas de récupération [...][43] ».

 

[49]    La thèse de l’intimée a cependant la faiblesse de se fonder sur le témoignage d’opinion de son témoin expert, M. Mossop. Selon les arguments de l’intimée, le témoignage de M. Mossop [traduction] « [...] repose sur la qualité du charbon thermique en tant que bien ayant une valeur économique sous la forme dans laquelle il se trouve lorsqu’il arrive sur le tas de récupération [...][44] ». Ayant écarté le rapport de M. Mossop et lui préférant, de toute façon le témoignage du témoin expert de l’appelante, je ne saurais conclure que la preuve produite en l’espèce permet de confirmer l’argument de l’intimée qui affirme que le charbon atteint son équivalent du stade du métal primaire à son arrivée sur le tas de récupération.

 

[50]    Par contre, il y a de nombreux éléments de preuve qui étayent les arguments de l’appelante. Ainsi que je l’ai déjà dit, le témoignage de M. Walker était très crédible. Pour ce qui est des déclarations de M. Downing, s’ajoutant à son témoignage, j’accepte ce qu’il a dit en réponse à certaines hypothèses contestées par l’appelante[45] : d’abord, il est difficile d’établir un parallèle entre les procédés applicables aux minerais métalliques et les procédés applicables aux minerais non métalliques; les exigences concernant le charbon utilisé comme carburant dans des centrales électriques peuvent varier (au niveau de la forme ou de la grosseur) selon les besoins particuliers de chaque consommateur; si le charbon de Battle River et de Sheerness n’est pas « lavé » puisque, effectivement, ni l’une ni l’autre des mines ne possède d’équipement de « lavage », l’élimination des impuretés se trouvant dans le charbon au moyen de tamis ou au moyen d’aimants constitue une étape essentielle du traitement et du concassage du charbon afin de lui donner la forme lui permettant d’alimenter les centrales de l’appelante. Il est en outre inexact d’affirmer, comme le ministre en fait l’hypothèse, que le charbon, après sa livraison au tas de récupération, n’a fait l’objet d’aucune [traduction] « valorisation (élimination des déchets afin d’en améliorer la qualité)[46] »; en effet, les morceaux de pierres dures et de corps étrangers ont été éliminés du charbon au cours du procédé de concassage et les pyrites ne peuvent en fait être éliminées qu’au stade de la pulvérisation. Le terme « valorisation » a un sens technique différent de celui qui lui est donné à l’alinéa 23q) puisqu’il veut dire en effet l’élimination de la teneur en cendres; cette étape n’était pas nécessaire en ce qui concerne le charbon livré aux centrales de Battle River et de Sheerness.

 

[51]    J’estime, vu l’ensemble de la preuve, que l’appelante se livrait effectivement à la production et au traitement de charbon subbitumineux, ce traitement englobant l’étape de la pulvérisation. Pour reprendre les termes de la conclusion du juge Linden dans l’arrêt Ressources Gulf selon laquelle « [l]’ensemble des opérations de Syncrude sont axées sur la production de pétrole brut commercialisable[47] », l’ensemble des opérations de l’appelante, jusqu’à et y compris le passage à travers la trémie de pulvérisation, étaient axées sur le concassage et la purification de charbon subbitumineux pour en faire un combustible destiné aux centrales de l’appelante, la seule utilisation commercialisable de ce charbon. De l’extraction du charbon du filon houiller jusqu’à sa pulvérisation finale, la production et le traitement consistent essentiellement en des opérations de concassage : les gros morceaux de charbon tout‑venant devaient être brisés afin d’être chargés à bord des chargeuses frontales et des remorques, puis brisés le nouveau, afin de pouvoir passer à travers le grizzly, être ensuite réduits en morceaux de 6 pouces, puis en morceaux de 1 pouce dans les concasseurs primaire et secondaire et, enfin, pulvérisés. Je reconnais, comme le rappelle l’intimée, que M. Downing a convenu que le charbon subbitumineux déchargé sur le tas de récupération [traduction] « répondait aux exigences de l’appelante », mais il convient, pour évaluer sa réponse, de tenir compte du fait que ces exigences faisaient partie de toute une série de spécifications concernant la taille des morceaux de charbon aux diverses étapes du procédé de traitement, ces étapes faisant partie d’un procédé intégré de concassage permettant de produire et de traiter la houille afin de la transformer en ce que voulait l’appelante, l’unique utilisatrice de ce charbon.

 

[52]    Il n’y avait pas de marché pour le charbon subbitumineux de l’appelante, en l’état où il se trouvait sur le tas de récupération. Ce charbon ne devenait en effet commercialisable et vendable qu’une fois pulvérisé, car ce n’est qu’après avoir atteint la finesse du talc qu’il pouvait être injecté comme combustible pour l’alimentation des centrales électriques de l’appelante. Ajoutons que les centrales de l’appelante étaient équipées de manière à pouvoir (ou avec de légères modifications de l’équipement) utiliser d’autres carburants si le charbon venait à manquer. Mais, quel que soit le combustible employé – charbon pulvérisé, gaz naturel ou mazout – ce n’est qu’à la sortie du bec du brûleur que le charbon répondait aux exigences de l’appelante pour l’alimentation de ses centrales électriques. Si l’appelante avait converti au gaz naturel ou au mazout ses centrales à charbon, l’ensemble de l’équipement actuel, les systèmes de convoyeurs ainsi que les mines de charbon auraient perdu toute utilité.

 

[53]    Pour reprendre les termes employés dans la jurisprudence, le « bien commercialisable et vendable » répondant aux exigences de l’appelante en tant que consommatrice et le moment auquel ce bien devenait conforme aux exigences de l’appelante qui avait acheté et pris livraison du charbon n’étaient atteints qu’après pulvérisation. C’est à ce moment‑là que, suite aux diverses étapes du concassage, le charbon atteignait ce degré d’équivalence économique correspondant aux termes « stade du métal primaire ou son équivalent ». Cela étant, l’équipement lourd, le système de convoyeurs et de concasseurs et les autres équipements utilisés à chaque étape du processus jusqu’au stade de la pulvérisation faisaient « partie intégrante[48] » du processus de production et de traitement permettant au charbon subbitumineux d’atteindre son équivalent du stade du métal primaire.

 

[54]    Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis convaincue que le charbon subbitumineux utilisé par l’appelante pour produire de l’électricité a atteint son équivalent du stade du métal primaire lors de sa pulvérisation, dernière étape du procédé de concassage. C’est en fonction de cela que doivent être calculés les bénéfices de l’appelante relatifs à ses ressources ainsi que sa déduction relative aux ressources et c’est en fonction de cela aussi que doivent être caractérisés les équipements en question.

 

La question des transformateurs

 

[55]    La deuxième question en litige en l’espèce est celle de savoir si le montant de 622 990 $[49] dépensé par l’appelante au cours de l’année d’imposition 2000 pour remplacer certains transformateurs dans le cadre de son entreprise de transmission et de distribution d’électricité, constitue une dépense courante susceptible d’être déduite de son revenu d’entreprise en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou une dépense en capital qui, en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, ne peut pas être déduite.

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[56]    Les dispositions pertinentes en l’espèce sont le paragraphe 9(1) et les alinéas 18(1)a) et b) de la Loi :

 

ARTICLE 9 : Revenu

 

(1)        Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

[...]

 

ARTICLE 18 : Exceptions d’ordre général

 

(1)        Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

            a)         les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

            b)         une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

 

[...]

 

La preuve

 

[57]    Pour ce qui est de la question des transformateurs, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits :

 

[traduction]

[...]

19.       Au cours de l’année d’imposition s’achevant le 31 décembre 2000, ATCO Electric a dépensé 1 280 267,51 $ en main-d’œuvre et en matériaux pour remplacer les transformateurs de moins de 3 MVA qui, dans son réseau de distribution et de transmission, étaient tombés en panne.

 

20.       Le coût réel pour ATCO Electric des matériaux et de la main‑d’œuvre nécessaires en 2000 pour remplacer tous les transformateurs d’une capacité de moins de 3 MVA s’élevait à 1 707 023 $, ainsi qu’il est indiqué dans les annexes du cahier conjoint de documents, onglet 12. À la suite d’une étude interne menée par ATCO Electric en 2002, cette somme a été réduite de 25 p. 100 et ramenée à 1 280 267,51 $, l’étude ayant montré que 75 p. 100 des transformateurs remplacés l’avaient été en raison d’une panne non réparable, les autres transformateurs ayant pu être utilisés à nouveau, leur remplacement étant dû à d’autres causes, un changement de voltage par exemple. Ce même pourcentage s’applique à l’année 2000. Un résumé de l’étude intitulée « Analyse du rapport relatif aux équipements pour l’année 2002 » se trouve dans le cahier conjoint de documents, à l’onglet 10.

 

21.       Une copie de la déclaration T2 de ATCO Electric pour l’année d’imposition 2000 se trouve dans le cahier conjoint de documents, à l’onglet 11.

 

22.       Dans la nouvelle cotisation que, par un avis de nouvelle cotisation daté du 4 avril 2002, il a établi pour l’appelante pour son année d’imposition se terminant le 31 décembre 2000, le ministre a procédé au redressement de certains soldes de l’appelante, mais aucun de ceux‑ci n’est en cause en l’espèce.

 

23.       Par un avis d’opposition signifié au ministre le 23 avril 2002, ATCO Electric a soulevé pour la première fois la question de la manière dont il convenait de caractériser certaines dépenses qui, selon ATCO, n’étaient pas des dépenses en capital mais des dépenses courantes. ATCO a demandé, entre autres, un redressement de 622 990 $ relativement aux dépenses engagées pour le matériel et la main-d’œuvre nécessaires pour le remplacement des transformateurs endommagés (« objection fondée sur Rainbow Pipe Line »). Une copie de l’avis d’objection transmis par ATCO Electric pour son année d’imposition 2000 se trouve au cahier conjoint de documents, à l’onglet 13.

 

24.       Par un avis de nouvelle cotisation daté du 11 février 2004 (« nouvelle cotisation concernant les transformateurs »), le ministre a fait droit en partie à l’objection fondée sur Rainbow Pipe Line, refusant par contre d’admettre que le montant de 622 990 $ dépensé pour remplacer les transformateurs ne constituait pas une dépense en capital (« dépenses concernant les transformateurs »). Des copies de l’avis de nouvelle cotisation et du formulaire T7WC se trouvent dans le cahier conjoint de documents, à l’onglet 14.

 

[58]    Pour établir la nouvelle cotisation concernant le remplacement des transformateurs pour l’année d’imposition 2000 de l’appelante, le ministre s’est fondé sur les postulats suivants :

 

a)         l’appelante est une entreprise dont l’exercice se termine le 31 décembre;

 

b)         l’entreprise de l’appelante consiste à produire, à transmettre et à distribuer de l’électricité, et à en assurer la vente au détail;

 

c)         l’appelante a dépensé 622 990 $ pour remplacer certains transformateurs électriques;

 

d)         le remplacement des transformateurs électriques comprenait l’installation de nouveaux transformateurs et l’enlèvement des anciens;

 

e)         les transformateurs électriques sont vendus en tant que biens à part;

 

f)          les transformateurs électriques coûtent cher;

 

g)         les transformateurs électriques sont de gros appareils;

 

h)         les sommes dépensées pour remplacer les transformateurs étaient censées procurer un avantage durable aux opérations et à l’entreprise de l’appelante;

 

i)          aux fins de sa comptabilité, l’appelante a capitalisé les sommes dépensées pour remplacer les transformateurs[50].

 

[59]    Comme dans tout appel interjeté en matière fiscale, il incombe à l’appelante de réfuter les postulats servant de base à la nouvelle cotisation. La plupart des hypothèses exposées ci‑dessus ne sont cependant pas contestées et font partie de l’exposé conjoint des faits.

 

Analyse

 

[60]    La jurisprudence permettant de déterminer si une dépense est une dépense courante ou une dépense en capital est bien établie[51]. Dans Rainbow Pipe Line Co. c. Sa Majesté la Reine[52], le juge Mogan a exposé les considérations pertinentes :

 

1.       s’agissait‑il d’une dépense récurrente?

 

2.       s’agissait-il de réparations majeures?

 

3.       la dépense créait-elle un actif pour le bénéfice durable de l’entreprise de l’appelante?

 

4.       la dépense était-elle importante par rapport à la valeur comptable de l’ensemble du pipeline, aux autres dépenses et aux bénéfices annuels?

 

[61]    Le seul témoin qui a été entendu sur la question était M. Dennis DeChamplain, comptable agréé qui est actuellement vice‑président chargé du contrôle de la comptabilité et des déclarations financières pour l’appelante. Il a témoigné de façon claire et concise. Ses réponses m’ont paru tout à fait convaincantes, y compris son explication du cadre réglementaire ayant amené l’appelante à modifier la manière dont elle avait inscrit les dépenses afférentes au remplacement des transformateurs.

 

[62]    Quelle est la place des transformateurs dans les activités de production d’électricité de l’appelante? L’électricité est produite par les centrales énergétiques de l’appelante et est distribuée aux consommateurs albertains par l’intermédiaire de toute une série de sous‑stations de conversion, de câbles, de poteaux et de transformateurs. Les transformateurs permettent de transférer l’électricité d’un circuit à un autre : la tension peut être augmentée ou diminuée en fonction des besoins de transmission à un point donné du réseau. Le système de l’appelante comporte environ 83 000 transformateurs, de capacité, de taille et de prix variables : cela va d’un transformateur à « 10 kVA » (10 000 volts) qui a, à peu de chose près, les dimensions d’une poubelle[53] et coûte de 300 $ à 350 $ pièce, jusqu’aux transformateurs de « 3 MVA » (3 millions de volts), qui ont la taille d’une fourgonnette et qui coûtent environ 50 000 $ pièce.

 

[63]    Les petits transformateurs étant des appareils hermétiques, il est plus économique de les remplacer que de les réparer. J’accepte le témoignage de M. DeChamplain lorsqu’il estime qu’en 2000, l’appelante a remplacé 709 transformateurs, d’une capacité allant de 10 à 75 kMV, pour un coût moyen de 943,16 $ par appareil[54]. Seulement 2 000 environ des 83 000 transformateurs de l’appelante étaient des transformateurs d’une capacité de 3 MVA. Contrairement aux transformateurs plus petits, ces gros transformateurs peuvent être ouverts et réparés en cas de panne; cependant, en 2000, cinq des transformateurs de 3 MVA ont dû tout simplement être remplacés. Étant donné leur plus grand coût et le fait qu’ils n’ont que rarement à être remplacés, l’appelante a comptabilisé les frais de remplacement de ces transformateurs comme des dépenses en capital; leur coût n’est donc pas compris dans les 622 990 $ en cause en l’espèce.

 

[64]    Passons maintenant aux facteurs dégagés dans Rainbow Pipe Line. Pour l’intimée, le remplacement des transformateurs constitue une dépense non récurrente puisqu’un transformateur dure en moyenne 33 ans. Cet argument pourrait être convaincant si tous les transformateurs duraient aussi longtemps. Le fait est cependant que, chaque année, de 500 à 1 000 des 83 000 transformateurs que compte le système de distribution de l’appelante tombent en panne soit parce qu’ils sont frappés par la foudre, soit en raison d’un court‑circuit soit en raison d’actes de vandalisme[55]. Par leur nature même, il s’agit d’incidents appelés à se reproduire. Cela étant, il est probable que l’appelante sera constamment obligée, ce qui fut effectivement le cas en 2000, de remplacer un certain pourcentage de ses transformateurs. Les coûts qu’occasionne le remplacement régulier des transformateurs constituent, par conséquent, une dépense récurrente.

 

[65]    Il s’agit ensuite de déterminer si ces frais de remplacement constituent une dépense « majeure ». Or, cela est relatif, comme l’est l’hypothèse retenue par le ministre lorsqu’il classe les transformateurs parmi les équipements « lourds[56] » et « coûteux[57] ». Nul ne conteste en l’occurrence que les dépenses engagées par l’appelante ne concernaient que le remplacement de transformateurs endommagés. En effet, les nouveaux transformateurs achetés par l’appelante, ou la mise à niveau de transformateurs déjà en place, n’entrent pas en ligne de compte en l’espèce. Le nombre de transformateurs et leur coût unitaire sont relativement faibles au regard du réseau de distribution exploité par l’appelante puisque cela correspond à moins de 1 p. 100 de tous les transformateurs en service sur le réseau de l’appelante et leur coût de remplacement, moins de 1 p. 100 des revenus, des dépenses et des bénéfices de l’appelante pour l’année 2000.

 

[66]    Cela étant, le remplacement de quelques transformateurs ici et là dans le cadre d’un réseau électrique évalué à des millions de dollars est un peu comme le remplacement de quelques ampoules parmi celles qui éclairent un arbre de Noël[58]. Un meilleur exemple serait celui des bougies d’allumage, question traitée dans le Bulletin d’interprétation IT‑128R :

[...]

 

d)         Valeur relative ‑ Il y aura peut‑être lieu d’évaluer le montant de la dépense par rapport à la valeur du bien entier ou par rapport à la moyenne des frais d’entretien et de réparation déjà engagés. Cela est particulièrement le cas lorsque le remplacement en soi peut être considéré comme étant un bien vendable distinct. Bien qu’une bougie dans un moteur puisse être un tel bien, personne ne considérerait son coût de remplacement autrement que comme une dépense; mais, si le moteur lui‑même est remplacé, la dépense ne vise pas seulement un bien vendable distinct mais peut également être très importante par rapport à la valeur totale du bien dont le moteur fait partie; dans ce cas, la dépense serait vraisemblablement considérée comme une dépense en capital [...]

 

[67]    Dans les circonstances du présent appel, les petits transformateurs correspondent non pas au moteur mais aux bougies d’allumage de l’automobile que représente le réseau de distribution d’électricité de l’appelante. Par rapport à la valeur comptable des avoirs, des autres dépenses et des profits annuels de l’entreprise, les dépenses engagées pour le remplacement des transformateurs n’étaient pas « majeures » selon les critères dégagés dans Rainbow Pipe Line.

 

[68]    Il reste à examiner si les transformateurs ont procuré à l’entreprise de l’appelante un « bénéfice durable ». Selon l’intimée, le remplacement des transformateurs constituait effectivement pour l’appelante un bénéfice durable, son avocat faisant valoir que les transformateurs font partie intégrante du système de distribution d’électricité. Le remplacement de chaque transformateur augmentait de 33 ans la durée d’utilisation de l’équipement et constituait donc une « amélioration » qui a sensiblement accru le fonctionnement du système de distribution par rapport à ce qu’il était au départ.

 

[69]      Je ne suis pas convaincue qu’il en soit ainsi. La question de la durée utile des transformateurs a été examinée plus haut. J’admets que les transformateurs faisaient « partie intégrante » du système exploité par l’appelante puisque sans ces transformateurs, l’électricité ne pourrait pas être transmise. Leur remplacement n’a cependant pas amélioré le système; il n’a fait que le remettre dans l’état qu’exige son fonctionnement normal. Pour revenir au Bulletin d’interprétation IT‑128R, « [l]orsqu’une dépense est engagée à l’égard d’un bien dans le seul but de le restaurer à son état d’origine, ce fait constitue une indication qu’il s’agit d’une dépense courante » comme l’illustre l’exemple du remplacement du gouvernail d’un bateau cité dans ledit Bulletin :

[...]

 

c)         Partie intégrante ou bien séparé ‑ Il peut y avoir lieu de déterminer également si la dépense a été engagée pour réparer une partie d’un bien ou pour acquérir un bien qui constitue en soi un bien distinct. Dans le premier cas, la dépense est vraisemblablement une dépense courante et dans le deuxième, une dépense en capital. Par exemple, le coût de remplacement d’un gouvernail ou d’une hélice de bateau est considéré comme une dépense courante, car il s’agit d’une partie intégrante du bateau et il n’y a pas d’amélioration; mais le coût de remplacement d’une machine dans une usine est considéré comme une dépense en capital, car la machine n’est pas une partie intégrante de l’usine mais un bien qui peut être vendu séparément.

 

[70]    S’il est vrai qu’un transformateur peut effectivement durer 33 ans, il y en aura à tout instant un autre, ailleurs sur le réseau, qui doit être remplacé. Cela étant, l’avantage ou bénéfice que procure le remplacement de transformateurs tombés en panne n’a rien de durable; au contraire, le remplacement des transformateurs n’a eu pour effet que de maintenir le réseau dans son état initial.

 

[71]    Pour tous ces motifs, j’estime que l’appelante peut à bon droit affirmer que les frais engagés pour remplacer les transformateurs sont analogues aux frais d’entretien régulier qui, selon la conclusion du juge Mogan dans Rainbow Pipe Line, doivent être considérés comme des dépenses courantes. Selon la preuve produite en l’espèce, je considère que le remplacement des transformateurs constituait une dépense courante.

 

[72]    Les appels sont accueillis avec dépens et les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour qu’il les examine de nouveau et établisse une nouvelle cotisation compte tenu des éléments suivants :

 

1.       en ce qui concerne les années d’imposition 1997 et 1998, c’est à l’étape de la pulvérisation que le charbon subbitumineux utilisé par l’appelante pour produire de l’énergie électrique a atteint son équivalent du stade du métal primaire;

 

2.       en ce qui concerne l’année d’imposition 2000, le montant de 622 990 $ dépensé par l’appelante pour remplacer des transformateurs électriques constituait une dépense courante.

 

           Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2007.

 

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’octobre 2007.

 

Suzanne bolduc, LL.B.

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI243

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2004‑1170(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ATCO ELECTRIC LTD.

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 18, 19 et 20 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                L’honorable juge Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Mes Curtis Stewart

Me Jo’Anne Strekaf

 

 

Avocats de l’intimée :

Me William L. Softley

Me Belinda Schmid

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Mes Curtis Stewart et Jo’Anne Strekaf

 

                   Cabinet :                         Bennett Jones, LLP

                                                          Calgary (Alberta)

      

       Pour l’intimée :                                   John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Pièce A‑1.

 

[2] Pièce A‑2.

 

[3] En ce qui concerne les dispositions concernant les déductions pour amortissement, voir le paragraphe 1104(2) pour la définition de « minerai », le sous‑alinéa 1104(5)a)(i) pour la définition de « revenu qu’un contribuable tire d’une mine » et le sous‑alinéa 1104(5.1)a)(i) pour ce qui est des « produits bruts d’un contribuable tirés d’une mine ».

[4] Rapport de Mossop, I. Introduction.

 

[5] Rapport de Mossop, I. Introduction, une conclusion conforme aussi bien à la jurisprudence qu’à la position défendue par l’appelante.

 

[6] 96 DTC 1744.

 

[7] Précitée, page 1746.

 

[8] Pièce A‑3.

 

[9] Qui s’appelle maintenant ATCO Power.

 

[10]ATCO Power a été constitué en société distincte de l’appelante après les années d’imposition en cause.

 

[11] Pièce A‑1, onglets 2, 15 et 16.

[12] Les alinéas 23h), m), p), q), r), s), t), u), v), w), x) et dd) de la réponse à l’avis d’appel modifié. Ainsi que le fait valoir l’appelante, je reconnais que les alinéas 23n), o), y), aa), cc) et dd) de la réponse à l’avis d’appel modifié ne constituent effectivement pas des hypothèses de fait car ils ne font que reprendre sous une formulation différente les dispositions législatives qui sont justement en cause.

 

[13] En 1997, la centrale de Sheerness a consommé environ 3 600 000 de tonnes de charbon, alors que seulement 10 000 tonnes ont été vendues à des usagers domestiques. Battle River a consommé 3 000 000 de tonnes, moins de 9 000 tonnes étant vendues à des usagers domestiques.

 

[14] Voir l’hypothèse retenue par le ministre; alinéa 23k) de la réponse à l’avis d’appel.

 

[15] Alinéa 23l) de la réponse à l’avis d’appel.

 

[16] Transcription, page 452, lignes 10 à 12.

[17] Il est intéressant de noter que cette formule de quantification est également retenue par les rédacteurs de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[18] Un « mélange » plus grossier était également effectué lors du chargement, les conducteurs des chargeuse frontales chargeant du charbon de différentes qualités dans les remorques.

 

[19] Échantillon, pièce A‑36.

 

[20] Appelé également « concasseur de charbon gelé ». Le charbon qui se trouve sur le tas de récupération est exposé aux intempéries et, en Alberta, il peut donc geler. C’est ce charbon gelé qui est broyé dans le concasseur secondaire.

 

[21] Échantillon, pièce A‑38.

 

[22] Échantillon, pièce A‑37.

[23] [1994] A.C.F. no 933.

 

[24] [1996] A.C.F. no 110.

 

[25] Voici la disposition de ce texte citée au paragraphe 2 de l’arrêt Canadien Pacifique :

 

49.01(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article,

« ressources minérales »

[...]

b) gisement de charbon, [...]

« opérations minières » L’extraction de minéraux d’une ressource minérale, le traitement, jusqu’au stade du métal primaire ou de son équivalent [...]

 

[26] Canadien Pacifique, précité, paragraphe 19.

 

[27] Précité, paragraphe 30.

 

[28] La majorité de la Cour s’est prononcée pour d’autres motifs et n’a donc pas examiné directement l’interprétation qu’il convenait de donner à l’expression « stade du métal primaire ou son équivalent » en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[29] L’appel interjeté dans l’arrêt Ressources Gulf Canada Ltée concernait l’année d’imposition 1978; le libellé de la division 1204(1)b)(ii)(A) a été légèrement modifié depuis lors.

 

[30] Précité, paragraphe 41.

 

[31] Observations écrites de l’intimée, page 4.

 

[32] Parmi d’autres facteurs qui n’interviennent guère en l’espèce.

 

[33] Contrairement à l’espèce, la mine et le contribuable étaient deux entités distinctes. Ni la mine ni les contribuables n’ont interjeté appel sur la question du « stade du métal primaire ou son équivalent ».

 

[34] Dont voici la disposition pertinente :

49.01(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 [...]

b) gisement de charbon; [...]

« opérations minières » L’extraction de minéraux d’une ressource minérale, le traitement, jusqu’au stade du métal primaire ou son équivalent, des minerais, autres que le minerai de fer [...]

 

[35] Canadien Pacifique, précité, paragraphe 25.

 

[36] Canadien Pacifique, précité.

 

[37] Canadien Pacifique, précité, paragraphe 30.

 

[38] Ressources Gulf Canada Ltée, précité, paragraphe 31.

 

[39] Précité, paragraphe 40.

 

[40] Précité, paragraphe 43.

 

[41] Précité, paragraphe 41.

 

[42] Pour un exemple de la manière dont les conditions de production et de traitement peuvent varier d’une année à une autre, voir la description que, dans l’arrêt Ressources Gulf (96 D.T.C. 6065, page 6067), la majorité de la Cour donne de l’exploitation des sables bitumineux dans le Nord de l’Alberta depuis que Syncrude s’y est installée en 1964. Les changements intervenus depuis que la Cour d’appel fédérale s’est prononcée en cette affaire en 1996 sont, eux aussi, radicaux.

[43] Observations écrites de l’intimée, page 5.

 

[44] Observations écrites de l’intimée, page 6.

[45] Alinéas 23h), m), p), q), r), s), t), u), v), w), x) et dd) de la réponse à l’avis d’appel.

 

[46] Alinéa 23q) de la réponse à l’avis d’appel.

 

[47] Précité, paragraphe 42.

[48] Canadien Pacifique, précité, paragraphe 30, même si, vu les faits de l’espèce, la Cour a conclu que les activités des producteurs d’électricité ne faisaient pas partie intégrante des opérations de traitement aboutissant au stade du métal primaire.

 

[49] Les parties s’accordent pour reconnaître qu’en vertu des paragraphes 225.1(8), 165(1.11) et 169(2.1) de la Loi, l’appelante (en tant que « grande société ») ne peut pas chercher à déduire de son revenu un montant supérieur à 622 990 $, somme qu’elle avait initialement avancée dans son avis d’opposition.

[50] Réponse à l’avis d’appel, paragraphe 24.

 

[51] Canderel Ltd. v. R., [1998] 2 C.T.C. 35 (C.S.C.); Johns‑Manville Canada Inc. v. R., [1985] 2 C.T.C. 111 (C.S.C.).

 

[52] [2000] 1 C.T.C. 2091 (C.C.I.), conf. par [2002] A.C.F. no 920 (C.A.F.).

 

[53] Il y a également des transformateurs de taille intermédiaire d’une capacité allant de 150 kVA à 500 kVA et qui ont à peu près la taille d’un bureau.

 

[54] La gamme de prix s’étalant de 334,63 $ à 4 042 $ par transformateur.

 

[55] Il semblerait que les transformateurs présentent un attrait irrésistible pour les tireurs sur cibles.

 

[56] Hypothèse 24f).

 

[57] Hypothèse 24g).

 

[58] Cette analogie trahit mon âge. Étant donné la propension de notre société à jeter plutôt que de remettre en état, il n’est en fait probablement plus possible de remplacer une ampoule sur un chapelet d’ampoules de Noël.

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