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Référence : 2007CCI141

Date : 20070515

Dossier : 2004-3516(GST)I

ENTRE :

BRIAN JENNER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 11 décembre 2006

à Québec (Québec) et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

 

Le juge Archambault

 

[1]     Monsieur Brian Jenner interjette appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (Loi). Le ministre a refusé une partie du crédit de taxe sur intrants (CTI) à l'égard de l'achat d'un véhicule utilitaire sport de marque Land Rover, dont le prix de détail s'élevait à 83 000 $. Le ministre n’a accordé qu’un CTI qu’il a calculé en fonction d’un coût réputé de 30 000 $ puisqu'il avait considéré qu'il s'agissait d'une voiture de tourisme, qui ne bénéficiait pas de l'exclusion prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) pour les véhicules acquis dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise de vente ou de location de véhicules.

 

[2]     Les dispositions législatives pertinentes sont celles reproduites ci-dessous. Tout d’abord, il y a l’article 201 et le paragraphe 123(1) de la Loi, qui édictent des règles pour le calcul du CTI à l’égard de voitures de tourisme :

 

201. Valeur d'une voiture de tourisme ‑ Pour le calcul du crédit de taxe sur les intrants d'un inscrit relativement à une voiture de tourisme qu'il a acquise, importée ou transférée dans une province participante, à un moment donné, pour utilisation comme immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales, la taxe payable par l'inscrit relativement à l'acquisition, à l'importation ou au transfert, selon le cas, de la voiture à ce moment est réputée égale au moins élevé des montants suivants :

 

a)         la taxe payable par lui relativement à l'acquisition, à l'importation ou au transfert, selon le cas, de la voiture;

b)         le résultat du calcul suivant :

 

(A × B) - C

où :

 

A         représente la taxe qui serait payable par lui relativement à la voiture s'il l'avait acquise à l'endroit suivant au moment donné pour une contrepartie égale au montant réputé par les alinéas 13(7)g) ou h) de la Loi de l'impôt sur le revenu être, pour l'application de l'article 13 de cette loi, le coût en capital pour un contribuable d'une voiture de tourisme à laquelle l'un de ces alinéas s'applique :

 

(i)         dans le cas où l'inscrit transfère la voiture dans une province participante à ce moment, dans cette province,

(ii)        dans les autres cas, au Canada,

 

[...]

 

C         zéro ou, [...]

 

123(1) Définitions ‑ Les définitions qui suivent s'appliquent à l'article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

 

« voiture de tourisme » S'entend au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[Je souligne.]

 

Le paragraphe 248(1) LIR édicte ce qui suit :

 

«  voiture de tourisme » Automobile acquise après le 17 juin 1987 ‑ à l'exclusion d'une automobile acquise après cette date conformément à une obligation écrite contractée avant le 18 juin 1987 ‑ ou automobile louée par contrat de location conclu, prolongé ou renouvelé après le 17 juin 1987.

 

« automobile » Véhicule à moteur principalement conçu ou aménagé pour transporter des particuliers sur les routes et dans les rues et comptant au maximum neuf places assises, y compris celle du conducteur, à l'exclusion des véhicules suivants :

 

[...]

 

c)         sauf pour l'application de l'article 6, les véhicules à moteur acquis pour être vendus ou loués dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise de vente ou de location de véhicules à moteur et les véhicules à moteur utilisés pour le transport de passagers dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise consistant à organiser des funérailles;

[Je souligne.]

 

L’alinéa 13(7)g) LIR dispose comme suit :

 

(7) Règles applicables ‑ Sous réserve du paragraphe 70(13), les règles suivantes s'appliquent dans le cadre des alinéas 8(1)j) et p), du présent article, de l'article 20  et des dispositions réglementaires prises pour l'application de l'alinéa 20(1)a) :

 

[...]

 

g)         [voiture de luxe]si le coût d'une voiture de tourisme pour un contribuable est supérieur à 20 000 $ ou à tout autre montant fixé par règlement[1], le coût en capital de la voiture pour le contribuable est réputé être 20 000 $ ou cet autre montant, selon le cas;

[Je souligne.]

 

[3]     Les deux parties ont convenu dès le départ que la résolution du litige dépendait si la Land Rover avait été acquise dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise de location de véhicules. S'il s'agissait de la simple location d'un véhicule (et non de l’exploitation d’une entreprise de location), a reconnu monsieur Jenner, il n'aurait pas droit à plus que ce qu'on lui avait déjà accordé.

 

[4]     Au début de l'audience, monsieur Jenner a admis tous les faits suivants tenus pour acquis par le ministre au paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel :

 

[. . . ]

 

b)         l’appelant s’est inscrit aux fins de l’application de la TPS;

 

c)         l’appelant est président et chef de la direction de The Helicopter Association of Canada (HAC) dont l’établissement de Québec est situé à la résidence de l’appelant, sise au 2577 Chemin du Foulon, Sillery (Qc), G1T 1X9;

 

d)         l’appelant est également salarié de HAC;

 

e)         le 16 octobre 2003, l’appelant a acquis un véhicule utilitaire de marque Land Rover, modèle Range Rover, dont le prix de détail est de 83 000$;

 

f)          à cette date, l’appelant était aussi propriétaire d’une autocaravane de marque Monaco, modèle The Executive;

 

g)         le 1er janvier 2004, l’appelant a loué ces véhicules à HAC pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008;

 

h)         le bail prévoit notamment que les véhicules seront immatriculés et assurés sous le nom conjoint de HAC et de l’appelant;

 

i)          HAC est responsable, pendant la durée du bail, de l’entretien courant ainsi que des coûts d’opération;

 

j)          l’appelant est l’unique utilisateur des véhicules loués à HAC;

 

k)         l’appelant a réclamé un crédit de taxe sur les intrants (CTI) relativement à l’acquisition du véhicule Range Rover calculé sur le prix de détail du véhicule;

 

l)          le ministre ne lui a accordé un CTI que sur la somme prescrite par la Loi à l’égard d’une voiture de tourisme soit 30 000$.

 

[5]     Lors de son témoignage, monsieur Jenner a produit le contrat de location (pièce A‑1) et on constate que l'entente visait la location de deux véhicules, dont une autocaravane, qui ne fait pas l’objet du litige, et la Land Rover. Le paragraphe 2 du contrat prévoit expressément que le locataire, soit l'employeur de monsieur Jenner, était responsable de « all running maintenance and operating costs of the Vehicles » et que le locateur, monsieur Jenner, décrit dans l’entente comme le propriétaire, était responsable des « major repairs of the Vehicles ». Le contrat ne vise que la simple location des véhicules. Il n’y est pas question de fourniture de quelque service que ce soit. Monsieur Jenner a reconnu que les seuls biens qui faisaient l'objet de la location étaient l’autocaravane et le véhicule utilitaire sport et qu'il n'avait pas loué de véhicules à d’autres clients.

[6]     La question à laquelle doit répondre la Cour est la suivante : monsieur Jenner peut‑il être considéré dans ces circonstances comme exploitant durant la période pertinente une entreprise de location de voitures ou de véhicules récréatifs?

 

[7]     La Cour n'a aucune hésitation à conclure que les activités de monsieur Jenner ne constituaient pas l'exploitation d'une entreprise et que les passages sur lesquels s'est fondé monsieur Jenner pour justifier sa position, soit les commentaires de la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, 1997 CarswellNat 3046[2], ont été pris hors contexte et ne sont d’aucune utilité pour lui.

[8]     Selon ma compréhension du litige dans Hickman Motors, laquelle est fondée sur les explications que l’on m’a fournies lors de l’audience, la question était de savoir si la société mère, après avoir acquis une entreprise de location de machinerie lourde d’une filiale dans le cadre d'une liquidation, pouvait être considérée comme ayant exploité cette entreprise de location et avoir droit à la déduction pour amortissement, même si elle n’avait détenu cette entreprise que pendant cinq jours, après quoi, l’entreprise avait été revendue à une autre société.

 

[9]     Les commentaires de la juge L’Heureux‑Dubé ne sont d’aucune utilité pour déterminer si le loyer qu’à touché monsieur Jenner doit être considéré comme un revenu tiré d’une entreprise ou comme un revenu tiré d'un bien. L'ensemble de la jurisprudence adopte plutôt les propos suivants qu'a tenus le juge Iacobucci[3] qui, traitant au paragraphe 144 de Hickman Motors de la distinction entre ces deux types de revenu, cite notamment le professeur Vern Krishna et résume ainsi ses propos : « Il établit une distinction entre les deux types de revenu sur le fondement que le terme "entreprise" comporte l'idée d'une certaine activité. » Il cite également, au même paragraphe, ces propos de Peter W. Hogg et de Joanne E. Magee dans Principles of Canadian Income Tax Law (1995), à la page 195 : [TRADUCTION] « Un profit acquis sans effort systématique ne constitue pas un revenu tiré d'une entreprise. Il peut constituer un revenu tiré d'un bien, comme le loyer, l'intérêt ou les dividendes. » Comme le dit le juge Iacobucci, au dernier alinéa du paragraphe 144 : « Sauf si le contribuable utilise réellement l'actif [TRADUCTION] " comme une partie d'un ensemble qui regroupe travail et capital " (Krishna, op. cit. à la p. 276), un revenu tiré de cet actif ne constitue pas un revenu tiré d'une entreprise, mais se classe plutôt dans la catégorie des revenus tirés d'un bien. »

 

[10]    À mon avis, la décision rendue par la Cour suprême dans Hickman Motors ne modifie pas cette approche. Un revenu tiré d'un bien est un revenu qui peut être attribué principalement à cette source. Il ne nécessite pas l’existence d’un travail important, alors que le revenu tiré d'une entreprise requiert généralement l’existence de deux éléments, à savoir le travail et le capital. Parfois il y a peu ou pas de capital. Par contre, le travail (par exemple la prestation d’un service) est nécessaire pour la production d’un revenu d’entreprise. Citons comme exemple le cas d’un médecin exerçant sa profession médicale avec un capital minime de 1 000 $, comme cela a été le cas dans Grenier c. La Reine, 2003 DTC 227, [2005] 2 C.T.C. 2210, par. 3. Un médecin qui exerce sa profession dans un hôpital peut très bien exploiter une entreprise avec très peu de capital lui appartenant. Toutefois, de façon générale, une entreprise exige la combinaison de capital et de travail. C’est cette approche qui a permis aux tribunaux de distinguer entre les revenus tirés d’un bien et ceux tirés d’une entreprise.

 

[11]    Ici, monsieur Jenner a fait l'acquisition de deux véhicules, soit l’autocaravane et la Land Rover, qu’il a loués à son employeur parce que ce dernier en avait besoin pour les lui fournir dans le cadre de ses fonctions de président et de chef de la direction et que l’employeur ne désirait pas en faire l'acquisition lui‑même. Le loyer auquel monsieur Jenner avait droit lui a permis de rembourser son coût d’acquisition des véhicules et aussi de réaliser, selon lui, un bénéfice[4]. Selon le bail qui est intervenu entre lui et son employeur, ce dernier était responsable des frais d’utilisation et de l'entretien général et monsieur Jenner, comme locateur, n'était responsable que des réparations majeures. De façon judicieuse, à mon avis, monsieur Jenner a même obtenu une garantie prolongée du fabricant de la Land Rover, ce qui lui a permis de limiter ses risques financiers, puisque les réparations majeures seraient assumées en fait par un tiers.

 

[12]    Une fois l'acquisition de la Land Rover accomplie, il ne lui restait plus grand-chose à faire comme locateur, sinon d’encaisser à chaque mois ou à chaque année son revenu de loyer. C’est comme salarié du locataire qu’il conduisait les véhicules et qu’il s’occupait de leur entretien régulier. Je rappelle qu’aux termes du bail monsieur Jenner n'avait aucune obligation de fournir autre chose que l'usage de la Land Rover et de l’autocaravane. Compte tenu du fait qu'il n’avait qu’un seul client et que l'entretien de ces véhicules ne nécessitait aucune intervention de sa part à titre de locateur, sauf dans les cas où il y aurait une réparation majeure — et la preuve n'a même pas révélé qu’une telle dépense ait été engagée —, on ne peut pas le considérer comme ayant exploité une entreprise de location.

 

[13]    Je ne vois absolument aucune distinction entre l'activité de monsieur Jenner comme locateur qui tire un revenu d'un bien et celle de tous les propriétaires d'immeubles qui les louent et qui doivent assumer les risques financiers qui en découlent, notamment dans le cas où il y aurait des réparations à faire et où il y aurait défaut de paiement de loyer et des mesures de perception s’imposeraient. Monsieur Jenner est dans la même situation que ces locateurs d’immeubles, peut-être même en meilleure position, puisque c’est son employeur/locataire qui est responsable de l’entretien des véhicules. Or, les propriétaires d’immeubles ont été reconnus par la jurisprudence comme tirant un revenu de biens.

 

[14]    Pour tous ces motifs, je conclus que l'appel de monsieur Jenner doit être rejeté et que l’intimée n'a droit à aucuns dépens, puisqu’il s’agit d’une procédure informelle.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2007.

 

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI141

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-3516(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              BRIAN JENNER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 11 décembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 20 décembre 2006

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                              le 15 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

 

 

Avocat de l'intimée :

Me Louis Cliche

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Selon le paragraphe 7307(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu, le montant fixé, pour l’application de cet alinéa, pour une voiture acquise après 2000 est 30 000 $.

[2]           Notamment les par. 46 et 47 de la décision :

 

46        Vu que les biens pouvaient simplement être « donné[s] en location », le juge de première instance, se posant les mauvaises questions, a déduit qu'il n'existait pas de fin commerciale ni d'intention de gagner un revenu. Cette déduction est incorrecte et constitue une erreur de droit. Lorsque de la machinerie est louée, l'essentiel des opérations peut, à l'occasion, se limiter à recevoir les revenus de location ainsi qu'à assumer le risque commercial et les autres obligations. En tout temps au cours de cette période, un client pourrait exiger l'exécution de l'une des obligations prévues au contrat, par exemple, la réparation d'un moteur. Lorsque, parce qu'elle a la chance de ne pas avoir d'ennuis ou d'accidents de nature mécanique au cours d'une certaine période, une entreprise de location accepte « passivement » les revenus de location ainsi que les risques et les obligations de nature commerciale, il ne s'ensuit pas pour autant qu'elle n'exploite pas une entreprise au cours de cette période. Toute autre conclusion laisserait implicitement supposer que les entreprises de location sont « intermittentes », c'est-à-dire qu'elles n'exploitent une entreprise que dans le cas où quelque chose ne va pas dans les opérations. Une telle proposition est inacceptable.

 

47        Contrairement à l'opinion que formule mon collègue le juge Iacobucci aux par. 145 et 158 de ses motifs, même si l'appelante a « passivement » reçu les revenus de location pendant une période, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'elle n'a pas exploité une entreprise active. Dans Carland (Niagara) Ltd. c. M.N.R., 64 D.T.C. 139, la Commission d'appel de l'impôt a dit, à la p. 14 :

 

[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une activité soutenue pour qu'on puisse maintenir qu'une entreprise est exploitée; n'importe quelle entreprise commerciale peut connaître ‑ et connaît souvent ‑ des périodes d'accalmie. [...] La décision [The Commissioner of Inland Revenue c. The South Behar Railway Co., Ltd., (1925) 12 T.C. 657] indique le peu d'activité nécessaire pour qu'il y ait exploitation d'une entreprise. Je tiens pour avéré que, dans une certaine mesure, qu'elle soit plus ou moins grande, l'entreprise n'a jamais cessé d'être exploitée à toutes les époques en cause. Les lieux ont toujours été ouverts à tout client qui pouvait se présenter.

 

Je note également le commentaire suivant de John Durnford dans « The Distinction Between Income from Business and Income from Property, and the Concept of Carrying On Business » (1991), 39 Rev. fisc. can. 1131, à la p. 1191 :

 

[TRADUCTION] En fait, selon la nature de l'entreprise, la simple présence de longues périodes d'inactivité n'indique pas à elle seule qu'une entreprise n'est pas exploitée.

[Je souligne.]

 

[3]           Quoique le juge Iacobucci fût dissident dans Hickman Motors, ses propos reflètent bien, à mon avis,  l'état du droit.

[4]           J’accepte son témoignage qu’il a effectivement réalisé un bénéfice, même si ses états de résultats n’ont pas été présentés en preuve pour justifier cette affirmation.

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