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Dossier : 2005-1404(IT)I

ENTRE :

GUY TOURIGNY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 4 octobre 2005, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Le prétendu appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 2000 est rejeté pour cause de nullité.

          Les appels des cotisations établis en vertu de la Loi pour les années d'imposition 2002 et 2003 sont rejetés.

          Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2006CCI28

Date : 20060118

Dossier : 2005-1404(IT)I

ENTRE :

GUY TOURIGNY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'appels par voie de la procédure informelle pour les années d'imposition 2000, 2002 et 2003.

[2]      L'intimée indique dès le début de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ), par un moyen préliminaire, que l'appelant n'a pas signifié l'avis d'opposition prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu, (la « Loi » ), pour l'année 2000.

[3]      Pour les années 2002 et 2003, les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est fondé pour établir ses nouvelles cotisations sont décrits au paragraphe 9 de la Réponse comme suit :

a)          l'appelant a été à l'emploi de l'Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (ci-après « IRDA » ) pour la période du 1er avril 1999 au 3 novembre 1999;

b)          l'appelant a intenté une poursuite contre l'IRDA pour congédiement abusif;

c)          le 3 septembre 2002, l'honorable juge Kewin Downs, de la Cour supérieure du Québec, condamna l'IRDA à verser, entre autres, une somme de 105 000 $ à l'appelant, à titre de délai-congé raisonnable et de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal;

d)          à l'égard de l'année d'imposition 2003, l'IRDA fit parvenir à l'appelant les feuillets de renseignements suivants :

i)

un feuillet T5 dans lequel est inscrit dans la case 13 une somme de 17 723,48 $, à titre d'intérêts de source canadienne;

ii)

un feuillet T4A dans lequel est inscrit dans la case 27 une somme de 105 000 $, à titre d'allocations de retraite non admissible;

e)          le ministre est d'avis que l'indemnité de 105 000 $, reçue par l'appelant, de l' IRDA suite à un jugement d'un tribunal compétent, à titre de dommages-intérêts pour la perte d'un emploi, est imposable, à titre d'allocation de retraite;

f)           le ministre est d'avis que tout intérêt gagné sur une créance est imposable;

g)          le ministre, selon les pièces fournies accorda une somme de 84 021 $, à titre de frais juridiques;

h)          le ministre est d'avis qu'aucune preuve ne lui a été fournie démontrant que la somme de 27 300 $ est à soustraire de l'indemnité de 105 000 $;

i)           la situation révisée est celle-ci pour l'année d'imposition 2003, à l'égard de l'allocation de retraite, des intérêts afférents à la dite allocation de retraite et les frais juridiques :

a)

allocation de retraite

                 105 000,00 $

b)

intérêts

                  17 723,00 $

                122 723,00 $

c)

frais juridiques accordés

                84 021,00 $

j)           pour l'année d'imposition 2002, le ministre a inclus, dans le calcul du revenu de l'appelant, une somme de 5 741 $, à titre de prestations d'assurance-emploi relativement à l'année d'imposition 2000;

k)          pour l'année d'imposition 2003, le ministre a inclus, dans le calcul du revenu de l'appelant, une somme de 4 869 $, à titre de prestations d'assurance-emploi relativement à l'année d'imposition 2000.

[4]      Les motifs de l'appel sont ainsi décrits dans l'avis d'appel de l'appelant :

Année 2003, avis de confirmation du 3 mars 2005 : l'indemnité accordée par la Cour comprend un montant pour dommages et intérêts pour compenser les préjudices personnels moraux et matériels subits qui ne doit pas être considéré comme une allocation de retraite, et qui par conséquent ne doit pas être assujetti à l'impôt. Mon avis d'opposition 2003 contient une note explicative du traitement fiscal à donner à l'indemnité et aux intérêts accordés par la Cour.

Année 2002, avis de nouvelle cotisation du 21 mars 2005 : le calcul du paiement forfaitaire rétroactif doit être effectué après que mon revenu pour l'année d'imposition 2000 ait été réajusté pour tenir compte du fait que l'offre et consignation de 27 300 $ reçues de l'employeur en 2000 doit être soustraite de mon revenu pour cette année, pour les raisons mentionnées dans le paragraphe suivant.

Année 2000, pas d'avis de nouvelle cotisation reçu en date de la présente : l'offre et consignation de 27 300 $ reçue de l'employeur en 2000 doit être soustraite de mon revenu parce qu'aucune partie de l'indemnité accordée par la Cour n'est assujettissable à l'impôt, étant donné qu'une large partie de cette somme est pour compenser les préjudices personnels subits et que la partie restante est réduite à néant par la déduction des frais juridiques encourus.

[5]      Le jugement de la Cour supérieure du Québec mentionné à l'alinéa 9 c) de la Réponse a été déposé comme pièce I-1. Ce jugement a été rendu le 3 septembre 2002 à la suite d'une action en dommages-intérêts intentée par l'appelant à l'encontre de son employeur l'Institut de recherche et de développement en agroenvironnement ( « IRDA » ) pour congédiement illégal. L'action a été accueillie en partie.

[6]      Les paragraphes 1 et 2 du jugement se lisent ainsi :

1.          Le demandeur réclame de la défenderesse la somme de 408 140,00 $ à titre de dommages-intérêts résultant de son congédiement illégal.

2.          Cette somme est répartie comme suit :

105 000,00 $

préavis raisonnable;

11 377 $

solde, bénéfices, vacances, régime de retraite, intérêts perdus;

6 545 $

frais de formation;

50 000,00 $

dommages moraux;

30 000,00 $

atteinte à la réputation;

10 000,00 $

dommages exemplaires;

10 000,00 $

troubles et inconvénients;

102 598,00 $

préjudice fiscal;

6 241,19 $

frais d'expertise; et

76 378,41 $

honoraires professionnels.

[7]      Seul le montant de 105 000 $ lui a été accordé par le jugement. Au cours de l'audience, l'appelant a expliqué qu'il avait calculé le montant de 105 000 $ sur la base des 18 mois de travail qui restaient à courir au contrat de travail. Il a été embauché le 22 mars 1999 au salaire annuel de 70 000 $, pour la période allant du 1er avril 1999 au 31 mars 2001. Il a été rétrogradé le 27 octobre 1999 et a démissionné le 2 novembre.

[8]      L'appelant suggère toutefois qu'il est possible que ce ne soit pas ce calcul que le juge ait pris en compte. Il se rapporte au paragraphe 210 du jugement qui se lit comme suit :

210       Compte tenu de ces considérations et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, le Tribunal estime que le demandeur est en droit de recevoir la somme de 105 000 $ à titre de délai-congé raisonnable et de dommages-intérêts.

[9]      L'appelant voit dans l'expression du juge deux éléments distincts soit le délai-congé et les dommages-intérêts. Il propose que le montant attribuable au délai-congé soit 36 000 $, montant accepté par un Conseil arbitral de l'assurance-emploi dans une décision rendue le 15 mai 2003. Le Conseil arbitral avait décidé que seulement un montant de 36 000 $ devait être considéré à titre de revenu au sens de La Loi sur l'assurance-emploi (pièce I-4). L'appelant propose que l'autre partie du montant de 105 000 $ constitue des dommages moraux ou des dommages autres que contractuels.

[10]     L'avocat de l'intimée attire l'attention de la Cour sur les paragraphes 96, 192, 193, 210, 211, 212, 215 et 216 du jugement de la Cour supérieure du Québec (pièce I-1) :

96         Le demandeur réclame dix-huit (18) mois de perte de salaire suivant les montants apparaissant à son contrat soit la somme de 105 000 $. Il réclame aussi des dommages moraux puisqu'il s'agit d'un congédiement incompatible à la dignité humaine. Il a souffert d'un choc émotif qui s'est traduit par des troubles psychomotriques qui se sont prolongés sur une durée de douze (12) mois. Il a été humilié auprès des universités et de ses collègues de travail. Il a repris le travail depuis septembre 2001. Son contrat expirait à la fin mars de la même année.

...

192       Le demandeur a produit le rapport et le témoignage d'un expert en psychologie au soutien des dommages moraux réclamés suite au comportement des représentants de la défenderesse. Cette preuve ne fait pas état de la condition préexistante du demandeur. Qui plus est, le Tribunal estime qu'il n'y a pas de relation de cause à effet entre les prétendus dommages réclamés et la faute présumée des défendeurs.

...

210       Compte tenu de ces considérations et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, le Tribunal estime que le demandeur est en droit de recevoir la somme de 105 000 $ à titre de délai-congé raisonnable et de dommages-intérêts.

211       Quant aux honoraires extrajudiciaires réclamés par le demandeur, le Tribunal estime que la défenderesse n'a pas abusé de son droit de contester les prétentions du demandeur ni agit de mauvaise foi.

212       Il en va de même quant aux autres items de la réclamation du demandeur, soit l'absence de mauvaise foi et l'absence de lien de droit.

...

215       CONDAMNE la défenderesse à verser au demandeur la somme de 105 000 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec depuis l'assignation;

216       DÉCLARE l'offre et la consignation de la défenderesse comme insuffisante et non libératoire;

[11]     L'appelant s'est référé à trois décisions de cette Cour soit : Bédard c. M.R.N., [1990] A.C.I. no 809 (QL); Mendes-Roux c. Canada, [1997] A.C.I. no 1287 (QL) et Ahmad v. Canada, [2002] T.C.J. No. 471 (QL).

[12]     L'avocat de l'intimée s'est référé à trois décisions de cette Cour soit : Overin c. Canada, [1997] A.C.I. no 1264 (QL); Anderson c. Canada, [1997] A.C.I. no 1137 (QL) et Jolivet c. Canada, [2000] A.C.I. no 48 (QL).

Analyse et conclusion

[13]     « Allocation de retraite » est ainsi définie au paragraphe 248(1) de la Loi :

« allocation de retraite » Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

a)          soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d'une charge ou d'un emploi ou par la suite;

b)          soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

[14]     Le sous-alinéa 56(1)a)ii) et l'alinéa 12(1)c) de la Loi se lisent comme suit :

56 :       Sommes à inclure dans le revenu de l'année

            (1) Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

            a) Pensions, prestations d'assurance-chômage, etc. - toute somme reçue par le contribuable au cours de l'année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

            ...

            ii) d'une allocation de retraite, sauf s'il s'agit d'un montant versé dans le cadre d'un régime de prestations aux employés, d'une convention de retraite ou d'une entente d'échelonnement du traitement,

12(1)     Sommes à inclure dans le revenu - Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

...

c)          Intérêts - sous réserve des paragraphes (3) et (4.1), les sommes reçues ou à recevoir par le contribuable au cours de l'année (selon la méthode qu'il suit normalement pour le calcul de son revenu) à titre ou en paiement intégral ou partiel d'intérêts, dans la mesure où ces intérêts n'ont pas été inclus dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure;

[15]     Considérons d'abord les autorités de l'appelant. La décision du juge Tremblay de cette Cour dans l'affaire Bédard (supra) veut que les dommages payés pour diffamation ne soient pas inclus dans le sens d'une allocation de retraite. Je cite trois passages de cette décision :

En l'espèce, il s'agit de statuer quel montant de la somme de 32 000 $ est lié à la perte d'emploi dont l'appelant a été victime. Pour ce faire, il est primordial de se référer au texte de l'entente qui a été proposée par l'ex-employeur de monsieur Bédard, qui, suite à l'accord de ce dernier, a été ratifiée par l'arbitre Viateur Larouche. La lecture du texte de l'entente révèle que six mois de salaire ont été alloués à l'appelant. De plus, une somme de 32 000 $ sera également versée en guise de compensation pour les dommages subis. Il est toutefois nécessaire de déterminer quels types de préjudices cette somme vise à dédommager. Le libellé de la convention est malheureusement silencieux à cet égard. ...

...

Doit-on assimiler ces deux ordres de dommages à une allocation de retraite au sens du paragraphe 248(1) de la Loi? Cette Cour est d'avis que le législateur, en adoptant la définition d'allocation de retraite, n'avait manifestement pas l'intention d'y inclure les dommages-intérêts relatifs à la diffamation dont peut occasionnellement souffrir la victime d'un congédiement. La cause qui relie la perte de l'emploi et l'attribution de dommages doit être efficiente et non purement occasionnelle. Bref, bien qu'une somme allouée à un employé suite à son congédiement puisse inclure des dommages-intérêts résultant de diffamation, il est clair dans l'esprit de cette Cour qu'une telle partie de la compensation attribuée répond à un tout autre ordre de dédommagement qui n'est manifestement pas visé par la définition d'allocation de retraite.

L'ambiguïté du texte de l'entente ainsi que la portée que cette Cour a donnée à la définition de l'allocation de retraite amènent le tribunal à statuer que seule une somme de 16 000 $ devra être incluse au revenu de l'appelant. Cette somme constitue le dédommagement alloué à monsieur Bédard suite à la perte de son emploi. La balance constitue pour sa part les dommages résultant de la diffamation dont monsieur Bédard a fait l'objet. Un tel montant ne peut être assimilé à un revenu tiré d'une allocation de retraite.

[16]     La décision du juge-suppléant Léger a suivi la décision Bédard. Je cite deux passages de la décision Mendès-Roux (supra) :

27         J'ai étudié d'une manière approfondie les jugements cités [Bédard v. M.N.R.(1990), 91 DTC 567 (Fr.); Merrins v. R., 94 DTC 6669; Niles v. M.N.R., 91 DTC 806; Vachon v. R., [1996] 3 C.T.C. 2306 (T.C.C.); et Young v. M.N.R., 86 DTC 1567]. J'ai aussi tenu compte des éléments de preuve présentés devant notre tribunal. Ayant pris en considération la preuve qui est avancée, notre cour conclut que l'appelante a établi que le règlement qu'elle a obtenu incluait une somme pour perte de salaire représentant environ trois mois de traitement pour heures supplémentaires, vacances et congés de maladie accumulés. Ces éléments sont imposables. Les autres sommes comme les dommages-intérêts pour souffrances morales et frais ne sont pas imposables parce qu'ils n'entrent pas dans la définition d' « allocation de retraite » figurant au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

28         Ayant considéré l'ensemble de la preuve, la Cour conclut qu'une proportion de 50 p. 100 de la somme de 25 376 $ a été reçue par l'appelante à titre « d'allocation de retraite » et est donc imposable. Le reste a été reçu par l'appelante à titre d'indemnisation pour préjudices et n'est pas imposable.

[17]     La décision du juge Miller dans Ahmad (supra) est intéressante mais elle est fondamentalement distincte de la présente affaire par sa cause d'action. En effet, les dommages obtenus par le contribuable étaient à la suite d'une action intentée par ce dernier à l'encontre non de l'employeur mais de la personne dont l'action dolosive avait occasionné la perte de l'emploi. Il ne s'agissait pas de dommages contractuels mais de dommages essentiellement délictuels. Selon les faits relatés dans le jugement, les dommages contractuels que le contribuable avait obtenus de son employeur avaient été inclus dans le calcul de son revenu au sens d'une allocation de retraite.

[18]     Cette décision comportait également un point sur l'imposition des intérêts avant jugement. Le juge Miller a considéré que bien qu'ils aient été appelés intérêts, ils n'étaient pas de la nature d'intérêts au sens de l'alinéa 12(1)c) de la Loi mais qu'ils étaient de la même nature que les dommages délictuels accordés au contribuable. Ils n'étaient pas distincts de ces dommages. Avant le jugement, le contribuable n'avait pas un droit acquis à un montant compensatoire car le préjudice réparé n'était pas la violation d'un contrat mais les actes délictuels. Il ne pouvait y avoir des intérêts au sens de l'alinéa 12(1)c qu'une fois le jugement rendu.

[19]     De cette décision je cite des extraits des paragraphes 14 et 30 :

[14]       Comme le juge McWilliam l'a fait remarquer dans sa décision, il y a une différence entre la nature des dommages-intérêts dans une action pour congédiement injustifié et la nature des dommages-intérêts dans l'action en responsabilité délictuelle pour incitation à violation de contrat. Dans ce dernier cas, il s'agit de dommages-intérêts généraux, dont l'évaluation est une question d'impression et non pas d'addition. Cette différence est importante. C'est sans doute pour cela que le juge McWilliam n'a pas déduit du montant qu'il a accordé comme dommages-intérêts généraux dans l'action en responsabilité délictuelle le montant de 102 000 $ versé par EACL à M. Ahmad comme dommages-intérêts pour congédiement injustifié. Ces deux types de dommages-intérêts ne sont pas de même nature. Il est clair que les dommages-intérêts pour congédiement injustifié sont des dommages-intérêts payés à l'égard de la perte d'emploi. Tel n'est pas le cas des dommages-intérêts en matière de responsabilité délictuelle. ...

[30]       Il s'agit en l'espèce de dommages-intérêts résultant d'un délit et non d'un contrat. Ici, aucune somme déterminée n'a été retenue illégitimement par Ontario Hydro;... M. Ahmad a dû mener un long et dur combat pour prouver qu'Ontario Hydro lui avait causé un préjudice non pas par la violation d'un contrat entre eux, puisqu'il n'y en avait pas, mais par ses actes délictuels. Dans ces circonstances, je ne pense pas que M. Ahmad avait, avant le jugement, un droit acquis à un montant de principal. Il ne pouvait donc y avoir des intérêts qu'une fois le jugement rendu. Cette position est étayée par le fait que les dommages-intérêts dans une action pour incitation à violation de contrat sont des dommages-intérêts généraux, dont l'évaluation est une question d'impression et non pas d'addition. Je suis convaincu que les intérêts avant jugement dans ce cas-ci ont le caractère d'une somme faisant partie de tels dommages-intérêts et ne représentent pas un élément distinct constituant un revenu.

                                                                                      [Mes soulignés]

[20]     Des décisions auxquelles l'avocat de l'intimée s'est référé, je cite le paragraphe suivant de la décision Anderson (supra), rendue par le juge Rip où ce dernier mentionne que ce n'est pas un cas dans lequel les dommages-intérêts reçus n'ont pas de rapport avec la perte d'emploi, par exemple lorsque le contribuable a été victime de diffamation comme dans l'affaire Bedard, ni un cas dans lequel les dommages-intérêts reçus visent des préjudices d'ordre mental et physique subis en cours d'emploi comme dans l'affaire Stolte.

[21]     Le paragraphe 13 de la décision Anderson (supra), se lit comme suit :

13         Sur la foi des faits dont j'ai été saisi, il existe un lien suffisant entre la somme que M. Anderson a reçue de Genetech et la perte de son emploi. Les dommages-intérêts que M. Anderson a reçus découlent de la perte de son emploi et des préjudices subis relativement à cette perte d'emploi. Ce n'est pas un cas dans lequel les dommages-intérêts reçus n'ont pas de rapport avec la perte d'emploi, par exemple lorsque le contribuable a été victime de diffamation comme dans l'affaire Bedard v. M.N.R., 91 DTC 573, ni un cas dans lequel les dommages-intérêts reçus visent des préjudices d'ordre mental et physique subis en cours d'emploi comme dans l'affaire Stolte v. Canada, [1996] A.C.I. no 215 (QL). Les 93 809 $ versés à M. Anderson par Genetech représentent une somme reçue au titre de préjudices que M. Anderson a subis du fait qu'il a perdu son emploi à Genetech et qu'il a redéménagé à Scarborough. Il y a un lien de causalité entre les deux. M. Anderson a donc reçu une somme à titre de dommages-intérêts à l'égard de la perte de l'emploi qu'il exerçait pour Genetech, et cette somme a été considérée à juste titre comme une "allocation de retraite" au sens de l'alinéa 248(1)b) de la Loi. En vertu du sous-alinéa 56(1)a)(ii), ces dommages-intérêts doivent être inclus dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1990.

                                                                                      [Mes soulignés]

[22]     Ces décisions veulent que les dommages-intérêts qui ont comme source la perte d'un emploi soient inclus dans le sens d'une allocation de retraite. Les dommages-intérêts, qui ont comme source la diffamation ou les préjudices d'ordre mental et physique subis en cours d'emploi, ne le sont pas.

[23]     Au Québec, l'on parle de responsabilité contractuelle et extracontractuelle, soit les articles 1458 et 1457 du Code Civil du Québec. Normalement, une action à l'encontre d'un employeur découle de la responsabilité contractuelle. Les dommages pour atteinte à la réputation peuvent être accordés à la suite d'une action en responsabilité contractuelle. Je me réfère à « La responsabilité civile » , 5e éd., Baudouin, Les Éditions Yvon Blais inc., pp. 723 et 724, chapitre no 1248 :

1248 - Illustration : le contrat de travail ou de service - La résiliation unilatérale d'un contrat de travail ou de services permet à l'employé ou au locateur de services d'obtenir dédommagement. Si l'employeur ne peut démontrer aucun motif sérieux de congédiement, l'employé est en droit de recevoir une indemnisation déterminée selon plusieurs facteurs, notamment du fait que le contrat soit à durée fixe ou à durée indéterminée. Dans l'hypothèse d'un contrat à durée indéterminée, le montant des dommages prend la forme d'une indemnisation sous forme de délai-congé que l'employeur était tenu de donner, du fait que le créancier s'est ou non retrouvé du travail, de l'ardeur qu'il a mis à cette recherche. Les tribunaux, en la matière, font la preuve d'une grande souplesse et accordent aussi parfois une indemnité pour dommage moral et atteinte à la réputation découlant des agissements de l'employeur et de la perte d'autres revenus consécutifs à la rupture du contrat.

[24]     L'appelant soutient qu'il a reçu une partie de la somme de 105 000 $, soit environ 69 000 $ pour des dommages moraux. Malheureusement, ce n'est pas ce que le jugement de la Cour supérieure du Québec exprime. Ce jugement exprime que la somme de 105 000 $ a été accordée à titre de délai-congé raisonnable et de dommages-intérêts, sans plus.

[25]     Le paragraphe 96 de ce jugement indique que le montant de 105 000 $ est fondé sur le calcul du délai-congé raisonnable. On ne peut réécrire le jugement. On ne peut dire que le montant de 105 000 $ accordé à titre de délai-congé et dommages-intérêts était composé d'un montant de 69 000 $ à titre de dommages moraux et du montant de 36 000 $ pour le délai-congé tel qu'accepté par le Conseil arbitral dans sa décision du 15 mai 2003. Cette décision est postérieure au jugement en question.

[26]     Le jugement n'a accordé aucun montant à titre de dommages autre que celui accordé pour le délai-congé. Ainsi, le juge n'a accordé aucun montant pour les dommages moraux tel qu'il l'exprime au paragraphe 192 de ses motifs. Au paragraphe 212, il ajoute qu'il en va de même pour les autres demandes, notamment atteinte à la réputation, car selon le juge, il y avait absence de mauvaise foi de la part de l'employeur et absence de lien de droit. Il n'y a nulle part dans ce jugement d'autres dommages accordés que des dommages contractuels relativement à la perte d'un emploi.

[27]     La définition d'allocation de retraite inclut spécifiquement les sommes reçues à titre de dommages à l'égard de la perte d'un emploi. La somme de 105 000 $ doit donc être incluse dans le calcul du revenu de l'appelant pour l'année où il l'a reçue en vertu du sous-alinéa 56(1)a)ii) de la Loi.

[28]     En ce qui concerne les intérêts versés, ils ont bien la nature d'intérêts et doivent être inclus dans le calcul du revenu de l'appelant au cours de l'année où il les a reçus en vertu de l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[29]     Les dommages ont été calculés en fonction d'un droit patrimonial acquis par l'employé au moment où la cause d'action a pris naissance. Il s'agit d'une indemnisation sous forme de délai-congé que l'employeur était tenu de donner. En vertu du jugement, les intérêts ont couru depuis la date de l'assignation sur le montant de ce droit.

[30]     Au motif du moyen préliminaire exprimé au début de ces motifs, l'appel de la cotisation pour l'année 2000 n'est pas valide. Pour l'année 2002, il n'y a aucune raison de soustraire le montant de 27 300 $ que l'employeur avait versé à l'appelant en l'année 2000 à titre d'offre libératoire. Pour l'année 2003, la cotisation du ministre est correctement fondée en fait et en droit.

[31]     Les appels doivent être rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI28

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-1404(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               GUY TOURIGNY ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 4 octobre 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                    le 16 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                   Nom :                             

                   Étude :

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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