Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2004-3246(EI)

ENTRE :

AUTOMOBILES PAILLÉ INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

Appel entendu le 4 février 2005 à Trois-Rivières (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Jean-Claude Paillé

Avocate de l'intimé :

Me Antonia Paraherakis

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2005CCI131

Date : 20050224

Dossiers : 2004-3246(EI)

ENTRE :

AUTOMOBILES PAILLÉ INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 19 juillet 2004. La décision qui fait l'objet de l'appel est relative à l'assurabilité du travail exécuté par le travailleur, Jean-Claude Paillé, pour le compte et le bénéfice de la société appelante « Automobiles Paillé inc. » . La période en litige va du 1er janvier 2003 au 31 mars 2004.

[2]      La détermination dont il est fait appel a résulté de la prise en considération des hypothèses de fait suivantes :

5. [...]

a)          l'appelante a été constitué en société le 22 juillet 1980; (admis)

b)          l'appelante exploitait un commerce de vente d'automobiles neuves et usagées sous la bannière de General Motors; (admis)

c)          l'appelante embauchait 25 employés environ; (admis)

d)          l'appelante avait un chiffre d'affaires de 15 millions au 31 décembre 2002; (admis)

e)          la vente des véhicules d'occasions représente 25 % du chiffre d'affaires de l'appelante; (admis)

f)           depuis 1999, le travailleur a été embauché à temps plein par l'appelante; (admis)

g)          le travailleur occupait le poste de directeur des ventes d'automobiles et de camions usagés; (admis)

h)          les tâches du travailleur consistaient à gérer l'inventaire des véhicules usagés, à évaluer la valeur des véhicules laissés en échange, à participer à des encans d'autos usagés et à superviser 7 à 8 employés de l'appelante; (admis)

i)           le travailleur avait un horaire variable qui variait de 50 à 60 heures de travail par semaine; (admis)

j)           le travailleur travaillait pour 80 % de son temps dans les locaux de l'appelante et sur la route pour 20 % de son temps; (admis)

k)          le travailleur était rémunéré 950 $ par semaine environ; (admis)

l)           le travailleur était payé par dépôt direct à chaque semaine; (admis)

m)         le travailleur ne recevait aucune commission dans l'exécution de ses tâches; (admis)

n)          en 2003, le travailleur a reçu un bonus de l'appelante; (admis)

o)          le travailleur avisait l'appelante s'il devait s'absenter de son travail; (nié)

p)          l'appelante contrôlait les conditions d'emploi du travailleur; (nié)

q)          l'appelante remboursait au travailleur ses frais de déplacement; (admis)

r)           le travailleur n'avait aucun risque financier dans l'exécution de ses tâches pour l'appelante; (nié)

s)          tout le matériel et l'équipement dont se servait le travailleur appartenaient à l'appelante; (admis)

t)           le travailleur, comme plusieurs autres employés de l'appelante avait une auto fourni par l'appelante; (admis)

u)          les tâches du travailleur étaient intégrées aux activités de l'appelante; (admis)

6. [...]

a)          les actionnaires avec droit de vote de l'appelante étaient :

Claude Paillé

Gestion Claude Paillé inc.

le travailleur

57 % des actions

28 % des actions

15 % des actions

            (admis)

b)          Claude Paillé détient 100 % des actions de la société Gestion Claude Paillé inc.; (admis)

c)          Claude Paillé est le père du travailleur; (admis)

d)          le travailleur fait partie d'un groupe lié qui contrôle l'appelante; (admis)

7. [...]

a)          l'appelante laissait une latitude importante au travailleur dans l'exécution de ses tâches mais le père du travailleur avait le dernier sur les décisions importantes; (nié)

b)          le 21 juin 2004, à un représentant de l'intimé, le travailleur déclarait que son salaire était raisonnable par rapport à ses tâches, il préférait un salaire de base fixe sans commissions car il voulait une rémunération qui ne variait pas à chaque semaine; (admis)

c)          le travailleur a toujours été payé régulièrement; (admis)

d)          en 2003, des employés de l'appelante ont reçu une rémunération globale supérieure à celle du travailleur; (nié)

e)          en 2003, le directeur commercial, le directeur du service, le directeur des pièces et le directeur des ventes de voitures neuves ont reçu des bonus de l'appelante; (admis)

f)           le travailleur ne cautionnait aucune dette de l'appelante; (admis)

g)          le nombre d'heures de travail du travailleur pouvait se comparer à celles des vendeurs et au directeur des ventes de véhicules neufs; (nié)

h)          le travailleur rendait des services à l'appelante à l'année longue. (admis)

[3]      La société appelante n'avait aucun représentant formel, si ce n'est le travailleur, Jean-Claude Paillé. Après les explications du tribunal, il a été assermenté et a admis les faits allégués aux alinéas 5 j), k), p), et u, ainsi que 7 b), e), f), g) et h).

[4]      Dans la mi-vingtaine, fils unique de monsieur Claude Paillé, l'actionnaire majoritaire de l'appelante, la société Automobiles Paillé inc., Jean-Claude a expliqué que l'entreprise était une entreprise familiale qui, à l'origine, appartenait à son grand-père.

[5]      Son père, âgé de 57 ans, avait, selon lui, commencé le processus de transition au terme duquel il deviendrait éventuellement le principal actionnaire de la société.

[6]      Il a expliqué qu'il avait acquis beaucoup d'expérience puisqu'il oeuvre dans le commerce de l'automobile depuis quelques années, au point qu'il serait en mesure de prendre la relève de son père.

[7]      À ce sujet, il a expliqué que la société General Motors avait déjà en quelque sorte reconnu sa compétence et son expertise en acceptant qu'il soit détenteur de 15 % du capital-actions de la société bénéficiant de la franchise General Motors. Le propriétaire d'une concession automobiles ne peut pas vendre ou céder son entreprise sans l'approbation formelle de la société qui a accordé la franchise. Pour obtenir une telle approbation, il faut démontrer que l'acquéreur proposé a les qualités et l'expertise nécessaires pour exploiter une telle entreprise.

[8]      Jean-Claude Paillé a expliqué qu'au début de la période en litige, il assumait principalement la responsabilité du service des véhicules d'occasion, volet très important, voire même stratégique pour une entreprise de ce genre, le succès de l'ensemble de l'entreprise étant souvent fonction de la bonne marche du service des voitures d'occasion.

[9]      Au cours de l'année 2004, soit à compter du mois d'avril, il a vu ses responsabilités augmenter considérablement, au point de diriger pratiquement seul l'entreprise depuis ce moment, selon lui.

[10]     Il supervise tous les chefs de services, voit à l'embauche et au congédiement des employés, participe aux réunions convoquées par General Motors et prend toutes les décisions finales quant aux nombreuses opérations. Il voit à ce que tout fonctionne rondement et efficacement. Il dispose d'une très grande autonomie et prend ou ne prend pas de vacances à sa convenance.

[11]     Il touche un salaire hebdomadaire fixe par choix et a mentionné que, selon les résultats financiers, il verse une prime qu'il détermine lui-même. À cet égard, les employés-clés de l'entreprise reçoivent également une telle prime. Quant au salaire, il est comparable à celui des autres employés dont les services sont essentiels, notamment les employés du service du service de vente de voitures.

[12]     Les explications soumises par monsieur Jean-Claude Paillé ont été fort détaillées; il n'est pas exagéré de conclure qu'il disposait de beaucoup de latitude et de liberté pour les questions courantes, mais aussi quant à l'avenir et au futur de l'entreprise. Il assumait des responsabilités fort importantes dans l'entreprise.

[13]     Les explications sont d'autant plus plausibles qu'il a indiqué que son père, âgé de 57 ans, avait commencé à prendre de plus en plus de congés par le biais d'absences plus nombreuses et d'une plus longue durée. Monsieur Claude Paillé, son père, n'était pas présent à l'audition du dossier.

[14]     Il a aussi indiqué, à certaines occasions, avoir discuté avec son père pour la prise de certaines décisions ajoutant cependant qu'il était généralement celui qui tranchait ou prenait la décision finale.

[15]     Le contre-interrogatoire de monsieur Jean-Claude Paillé a cependant fait ressortir un élément fort important, voire déterminant, quant à la nature de la relation de travail.

[16]     En effet, monsieur Jean-Claude Paillé a reconnu qu'il n'avait pas l'autorité de signer seul les chèques de l'entreprise; il les signait, mais une deuxième signature était requise, soit celle du contrôleur ou de son père.

[17]     Lorsque son père était au commerce, les chèques que ce dernier signait nécessitaient sa seule signature. Ce petit détail est évidemment très significatif quant à l'écart qui existait entre l'autorité de Claude Paillé et celle de son fils, appelé à le remplacer un jour.

[18]     Monsieur Denis Hamel, qui est à l'origine des recommandations dont a résulté la décision, a également témoigné. Il a expliqué que ses conclusions résultaient de conversations qu'il avait eues avec le père et le fils. Selon lui, il ne faisait aucun doute qu'il existait un lien de subordination dans la relation de travail.

[19]     Il a conclu que Jean-Claude Paillé avait des conditions de travail qui pouvaient être comparées à celles de certains autres travailleurs stratégiques de l'entreprise et cela, tant au niveau des heures qu'au niveau de l'importance de la rémunération.

[20]     Il a notamment fait état des faits retenus suivants (pièce I-1) :

[...]

(V) FAITS :

[...]

6- Selon nos imprimés, en 2001, le travailleur a reçu une rémunération brute totale de 52 588 $, incluant un avantage automobile de 6 479 $. La rémunération brute de son père Claude a été en 2001 de 54 601 $, incluant un avantage automobile aussi de 6 479 $.

En 2001 nous avons 4 autres salariés dont la rémunération brute annuelle dépasse celle du travailleur.

7- Selon nos imprimés, en 2002, le travailleur a reçu une rémunération brute totale de 61 275 $, incluant un avantage automobile de 6 863 $. La rémunération brute de son père Claude a été en 2002 de 54 985 $, incluant un avantage automobile aussi de 6 863 $.

En 2002 nous avons 2 autres salariés dont la rémunération brute annuelle dépasse celle du travailleur.

8- Selon nos imprimés, en 2003, le travailleur a reçu une rémunération brute totale de 66 402 $, incluant un avantage automobile de 6 996 $. La rémunération brute de son père Claude a été en 2003 de 55 145 $, incluant un avantage automobile aussi de 6 996 $.

En 2003 nous avons 2 autres salariés dont la rémunération brute annuelle dépasse celle du travailleur, plus un autre dont le feuillet T4 montre un salaire brut de 66 037 $.

[...]

Faits obtenus de Jean-Claude Paillé par téléphone le 21 juin 2004.

28-

[...]

En 2003 il a eu un boni de 10 000 $ dû à la bonne performance de la compagnie payeuse. En 2002 il avait eu un boni de 5 000 $. En 2003 il n'est pas le seul à avoir reçu un boni. Parmi ceux qui en ont eu un il y a le directeur commercial, le directeur du service, le directeur des pièces et celui des ventes de voitures neuves. Il est cependant celui qui a reçu en 2003 le boni le plus élevé.

Remarques:

[...]

31- Le travailleur nous dit que son salaire est raisonnable par rapport à ses tâches. Il n'est ni sous-payé ou sur-payé en fonction de la nature de ses fonctions. Il préfère un salaire de base fixe sans commissions car il veut avoir une rémunération qui ne varie pas à chaque semaine.

Il prétend que chez d'autres concessionnaires, certains directeurs des ventes de voitures usagées comme lui peuvent gagner jusqu'à 75 000 $ par année. La plupart ont des commissions.

[...]

37- Si pour une raison quelconque le travailleur s'absente du travail il avise son père le matin afin qu'on ne le cherche pas durant la journée.

[...]

Faits obtenus de Jean-Claude Paillé par téléphone le 23 juin 2004.

[...]

48- Les décisions importantes dans l'entreprise sont prises par monsieur Paillé. Pour le moment le travailleur ne passe pas par-dessus l'autorité de monsieur Paillé.

49- Monsieur Claude Paillé travaille encore à plein temps pour la compagnie payeuse. Au jour le jour il laisse de la latitude au travailleur dans l'accomplissement de ses tâches. Il a cependant un droit de regard sur les décisions qu'il prend.

[...]

51- Le salaire du travailleur est établi en fonction de se tâche et n'a rien à voir avec le fait qu'il soit son fils. C'est monsieur Paillé qui a décidé du montant des bonis en 2002 et 2003 et le travailleur n'est pas le seul qui en a reçu un tel boni.

52- Le travailleur prend peu de vacances annuelles. Il est un peu comme lui. Son fils a pris au total environ deux semaines en 2003. Il prend surtout une journée de congé isolée de temps en temps. Les autres employés, vendeurs et mécaniciens, sont régis par le comité paritaire et ont de trois à quatre semaines de congé par année.

[...]

Modalités de l'emploi

- Le travailleur occupe le poste de directeur des ventes de voitures et camions usagés.

[...]

- Son père Claude ne lui impose pas un horaire fixe. Il lui fait confiance mais il pourrait avoir un droit de regard sur son horaire à la rigueur.

- Le nombre d'heures de travail de Jean-Claude par semaine peut se comparer aux vendeurs et au directeur des ventes de véhicules neufs.

- Son père lui laisse une certaine latitude dans la gestion journalière de son département, mais il se réserve le droit d'avoir le dernier mot concernant toute décision importante. Pour le moment le travailleur ne passe pas par-dessus l'autorité de monsieur Claude Paillé, selon les termes utilisés par ce dernier lors de notre entrevue téléphonique.

- Même s'il est vrai que Jean-Claude Paillé puisse jouir d'une certaine latitude dans l'exécution de ses tâches au quotidien, il n'en demeure pas moins que son père a encore le pouvoir d'intervenir en ce qui a trait à toute décision d'envergure car c'est lui qui pour le moment a le plus à gagner ou perdre financièrement.

Le travailleur n'a pas pour le moment eu à investir de sommes d'argent dans la compagnie payeuse.

[...]

Nature et importance du travail accompli

Le travail de Jean-Claude Paillé est indispensable à la bonne marche de la compagnie payeuse.

Durée de l'emploi

L'emploi de Jean-Claude Paillé est exercé à longueur d'année.

Rétribution

Le travailleur a un salaire brut en 2004 de 1 000 $ par semaine. Il ne reçoit pas de commissions.

En 2003 le feuillet T4 du travailleur montre des gains bruts de 66 402 $, incluant un avantage automobile de 6 996 $. De plus il a eu un boni de 10 000 $. Sa rémunération régulière en 2003 avoisinait 950 $ par semaine.

Le travailleur n'est pas le seul employé à avoir une automobile fournie par le payeur. Concernant les bonis, en 2003 d'autres employés en ont aussi reçu un, dont le directeur commercial, le directeur du service, le directeur des pièces et celui des ventes de voitures neuves.

Certains employés en 2003 ont reçu une rémunération globale supérieure à celle du travailleur, dont le directeur commercial et un vendeur.

Claude Paillé et le travailleur nous ont mentionné que le salaire de ce dernier était raisonnable par rapport à ses tâches. Il n'est ni sous-payé ou sur-payé en fonction de la nature de ses fonctions. Sa rémunération est établie en fonction de son travail et n'a rien à voir avec le fait qu'il soit le fils de l'actionnaire majoritaire.

[...]

[21]     Les faits consignés par monsieur Denis Hamel ont surtout ciblé la période où monsieur Jean-Claude Paillé assumait principalement la responsabilité du service des véhicules d'occasion. À ce moment, d'après les informations colligées, il semble que l'actionnaire principal de l'entreprise passait plus de temps au commerce.

[22]     Le dossier en est un où la distinction entre les deux déterminations est extrêmement mince et fragile. Monsieur Jean-Claude Paillé a-t-il été avantagé ou désavantagé du fait d'avoir un lien de dépendance avec l'actionnaire majoritaire, son père?

[23]     Certains faits tendent à démontrer que oui; d'autres, par contre, soutiennent une conclusion contraire. Les critères de référence étant les conditions de travail, le salaire et le contexte en général, il y a lieu d'examiner le dossier sous cet angle.

[24]     Tant la preuve que les faits consignés par monsieur Hamel ont révélé qu'à cet égard, Jean-Claude Paillé ne bénéficiait pas de conditions à ce point avantageuses qu'il y avait lieu de conclure qu'elles découlaient du lien de dépendance qui existait. Au contraire, la preuve a révélé qu'il était un maillon très important, certes, mais que ses conditions de travail pouvaient se comparer à celles d'autres personnes dans la même entreprise.

[25]     En matière d'assurabilité, lorsque la détermination qui fait l'objet de l'appel a résulté de l'exercice du pouvoir discrétionnaire, la compétence de la Cour canadienne de l'impôt connaît certaines limites dont les paramètres ont été fixés par la Cour d'appel fédérale, notamment dans les affaires Pérusse c. Canada, no A-722-97, 10 mars 2000, [2000] A.C.F. no 310, et Légaré c. MRN, Morin c. MRN, nos A-392-98 et A-393-98, 28 mai 2999, [1999] A.C.F. no 878. Ainsi, on peut lire ce qui suit dans les affaires Légaré etMorin, précitées, au paragraphe 4 :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[26]     Dans l'affaire Pérusse, précitée, le Juge Marceau cite le passage qui précède et poursuit, au paragraphe 15 :

15         Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[27]     Le fait que monsieur Jean-Claude Paillé soit déjà choisi comme futur propriétaire de l'entreprise explique et justifie en soi un certain nombre de particularités, qui n'ont cependant rien à voir avec le lien de dépendance.

[28]     Une personne n'ayant pas de lien de dépendance aurait pu avoir ou bénéficier du même genre de conditions. Rien dans les représentations et arguments soumis par monsieur Jean-Claude Paillé n'a démontré qu'il avait été avantagé ou désavantagé à cause du lien de dépendance qu'il avait avec l'actionnaire majoritaire, son père.

[29]     Le travail exécuté par monsieur Jean-Claude Paillé était très particulier en ce sens que sa charge de travail ou sa description de tâches n'étaient pas fixes. Jean-Claude Paillé prenait de plus en plus d'emprise sur l'entreprise et assumait des responsabilités de plus en plus étendues et importantes.

[30]     Certes, il s'agissait là d'un contexte particulier. Pour mieux comprendre, il est important de se rappeler que Jean-Claude Paillé a lui-même expliqué que son père avait décidé d'en faire son successeur futur. Par conséquent, Jean-Claude Paillé prenait de plus en plus d'initiatives et son père, toujours actionnaire majoritaire, délaissait petit à petit son implication et sa présence, tout en n'abandonnant pas pour autant la gestion et ne renonçant pas à son autorité sur les activités.

[31]     En quoi un tel scénario est-il différent de celui où un homme d'affaires, sans postérité, identifie un employé-clé, fiable et responsable, pour en faire l'éventuel acquéreur de son entreprise?

[32]     La preuve, dont le fardeau incombait à l'appelante, n'a pas exploré cette question. Il s'agit de situations peu fréquentes, mais possibles et réelles.

[33]     Dans un tel scénario, la ligne ou la démarcation entre le patron et la personne subordonnée est très mince, au point où il est très difficile de décerner les faits qui permettent de faire une conclusion déterminante.

[34]     En l'espèce, la preuve a permis de faire ressortir un tel élément. En effet, la preuve a fait état que Jean-Claude Paillé pouvait signer les chèques, mais à la condition qu'ils soient contresignés par le contrôleur ou l'actionnaire majoritaire, soit son père.

[35]     Il s'agit là d'un élément très révélateur quant à la relation contractuelle; la signature des chèques est certainement un acte dont la portée est fondamentale pour déterminer la nature, l'importance et l'étendue de l'autorité dont dispose une personne pour la gestion d'une entreprise, mais aussi les limites. Bien que monsieur Claude Paillé n'ait pas été présent, son fils a indiqué que son père, actionnaire majoritaire, signait seul les chèques dans le cadre de l'exploitation du commerce.

[36]     Je ne doute pas que Jean-Claude Paillé disposait d'une grande autonomie et qu'il se comportait comme étant le patron; par contre, la preuve n'a pas démontré que le véritable patron, monsieur Claude Paillé, actionnaire majoritaire, avait renoncé à exercer son droit de regard, avait renoncé à son autorité ou avait abdiqué les droits que lui conféraient ses actions.

[37]     Monsieur Jean-Claude Paillé a reconnu qu'il discutait avec son père lorsqu'il devait prendre une décision importante en ajoutant, cependant, qu'en fin de compte, il était le seul à prendre la décision finale.

[38]     La preuve soumise par Jean-Claude Paillé a été, en tout point, conforme aux faits pris en compte lors de l'analyse du dossier qui a conduit à la détermination, sauf pour le fait que ses responsabilités se sont accrues à compter d'avril 2004, soit après la période en litige.

[39]     L'importance et l'étendue des responsabilités ne sont d'ailleurs pas des éléments déterminants dans l'hypothèse où le lien de dépendance n'a pas eu d'effet ou d'influence dans l'attribution de telles responsabilités.

[40]     Les faits pris en considération et retenus par le ministre étaient réels; ils ont été analysés et appréciés correctement et judicieusement. En conséquence, je n'ai rien identifié qui mette en doute le caractère raisonnable de la détermination.

[41]     Tous les faits pertinents disponibles lors de l'analyse ont été confirmés lors de l'audition; la détermination était appropriée lors de l'analyse et l'est toujours.

[42]     En Conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2005CCI131

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-3246(EI);

INTITULÉ DE LA CAUSE :

2530-8552 QUÉBEC INC. et le MRN

LIEU DE L'AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 4 février 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 24 février 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Jean-Claude Paillé

Avocate de l'intimé :

Me Antonia Paraherakis

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.