Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2005-2725(IT)I

ENTRE :

JACQUES V. MARCHESSAULT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 30 mars 2006, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2003 est accueilli sans dépens, et la cotisation qui fait l'objet de l'appel est déférée au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation au motif que l'impôt à payer par l'appelant pour l'année d'imposition 2003 sur le revenu qu'il a gagné ou accumulé avant le dépôt, le 20 mai 2003, de la proposition concordataire sera régi par les modalités de la proposition et fixé séparément de l'impôt à payer sur le revenu gagné ou accumulé après le dépôt de la proposition, lequel revenu fera l'objet d'une cotisation visant la période suivant le dépôt de la proposition.

Signé à Montréal (Québec), ce 18e jour d'août 2006.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2007.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2006CCI445

Date : 20060818

Dossier : 2005-2725(IT)I

ENTRE :

JACQUES V. MARCHESSAULT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      Le présent appel concerne l'année d'imposition 2003 de l'appelant. Le 20 mai 2003, l'appelant a déposé une proposition concordataire, laquelle a été approuvée par la Cour supérieure du Québec le 10 juillet 2003. L'appelant a rempli les obligations prévues dans la proposition et n'a donc jamais déclaré faillite personnelle au cours de l'année d'imposition 2003. L'appelant a cherché à scinder l'année d'imposition 2003 en deux périodes distinctes : la période précédant le dépôt de la proposition et la période suivant le dépôt de la proposition. À cette fin, il a produit deux déclarations de revenu : une pour la période précédant le dépôt de la proposition et une pour la période suivant le dépôt de la proposition. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) n'a établi une cotisation qu'à l'égard d'une des déclarations de revenu produites pour l'année d'imposition 2003. Il a donc refusé d'établir une cotisation à l'égard de la déclaration relative à la période suivant le dépôt de la proposition. L'appelant s'y oppose et demande que le ministre établisse une cotisation à l'égard des deux déclarations comme elles ont été produites, de façon à ce que tout impôt à payer sur le revenu qu'il a gagné jusqu'à la date de la proposition (le 20 mai 2003) soit régi par les modalités de la proposition et à ce que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) (maintenant l' « ARC » ) ne puisse exercer aucun recours à l'égard du revenu gagné ou accumulé par lui avant cette date.

[2]      Le ministre allègue que, vu que l'appelant n'a en aucun temps été un failli au cours de l'année d'imposition 2003, il a eu raison de refuser d'établir une cotisation à l'égard de la déclaration relative à la période suivant le dépôt de la proposition, étant donné qu'il n'y a pas de dispositions dans la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR » ) qui obligent le ministre à établir une cotisation à l'égard de telles déclarations.

[3]      L'appelant, en revanche, allègue que le paragraphe 128(2) de la LIR, qui prévoit expressément la date à laquelle l'année d'imposition est réputée avoir pris fin en cas de faillite, doit être appliqué également dans les cas où une proposition est présentée aux créanciers. À l'appui de cet argument, l'appelant a cité deux jugements, un rendu par la Cour supérieure de justice de l'Ontario et un rendu par la Cour d'appel du Québec, c'est-à-dire : Gollner v. CCRA, 2003 DTC 5608, [2004] 1 C.T.C. 254 (Cour supérieure de justice de l'Ontario), et Bernier (Syndic) c. MRQ, [2000] R.D.F.Q. 7.

Remarques préliminaires

[4]      L'intimée soulève la question de la compétence de la Cour à l'égard du présent appel. La Cour canadienne de l'impôt(la « CCI » ) a compétence pour entendre les appels interjetés à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu. Une cour qui a compétence en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « LFI » ) a le pouvoir de rendre une ordonnance déclaratoire ayant pour effet de scinder en deux une année d'imposition dans le cas d'une proposition, mais pas de déterminer les montants réels que l'appelant doit payer en fonction de chacune des cotisations ainsi établies : cela relève de la compétence exclusive de la CCI (voir les jugements Gollner et Bernier, précités).

[5]      Dans la décision Roper v. The Queen, 2000 DTC 2213, [2000] 3 C.T.C. 2437 (CCI), le juge Mogan a formulé les commentaires suivants au paragraphe 10 :

Lorsqu'un contribuable interjette appel devant notre cour contre une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, la Cour a compétence pour examiner et trancher toutes les questions secondaires relatives à l'appel. Dans le cas du présent appel, le juge qui présidera le procès pourra devoir déterminer si une certaine responsabilité de l'appelant s'est éteinte en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, dans la mesure où cette question précise n'a pas déjà été tranchée par un tribunal compétent en matière de faillite.

[6]      Par conséquent, si une cour qui a compétence sur les questions relatives à la LFI n'a pas encore tranché la question, la CCI a compétence pour trancher les questions non fiscales qui sont accessoires à l'appel en matière d'impôt, ce qui est le cas en l'espèce.

Lois

[7]      Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

Loi de l'impôt sur le revenu

128(2) Faillite d'un particulier. Lorsqu'un particulier est en faillite, les règles suivantes s'appliquent :

[...]

d)    sauf pour l'application des paragraphes 146(1), 146.01(4) et 146.02(4) et de la partie X.1 :

(i) l'année d'imposition du particulier est réputée avoir commencé au début du jour où il est mis en faillite,

(ii) sa dernière année d'imposition ayant commencé avant ce jour est réputée avoir pris fin immédiatement avant ce jour;

248(1) « failli » S'entend au sens de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Loi sur les impôts,L.R.Q., ch. I-3.

779    Année d'imposition du failli - Sauf pour l'application des articles 752.0.2, 752.0.7.1 à 752.0.10 et 752.0.11 à 752.0.13.0.1, du titre VII du livre V, des articles 935.4 et 935.15 et des sections II.11.1 et II.12.1 à II.19 du chapitre III.1 du titre III du livre IX, l'année d'imposition du failli est réputée commencer à la date de la faillite et l'année d'imposition en cours est réputée se terminer la veille de cette date.


Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C (1985), ch. B-3

DÉFINITIONS ET INTERPRÉTATION

Définitions

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« faillite » L'état de faillite ou le fait de devenir en faillite.

Obligation de Sa Majesté

4.1 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province.

Détermination des réclamations - personne insolvable

62(1.1)     S'agissant de la proposition visant une personne insolvable, le moment par rapport auquel les réclamations des créanciers, à l'exception de celles visées au paragraphe 14.06(8), sont déterminées est celui du dépôt de l'avis d'intention ou, à défaut, de la proposition.

[...]

Personnes liées par l'approbation

     (2)     Une fois acceptée par les créanciers et approuvée par le tribunal, la proposition lie ces derniers relativement :

            a)          à toutes les réclamations non garanties;

b)          aux réclamations garanties qui ont fait l'objet de la proposition et dont les créanciers ont voté, par catégorie, en faveur de l'acceptation de la proposition par une majorité en nombre et une majorité des deux tiers en valeur des créanciers garantis présents personnellement ou représentés par fondé de pouvoir à l'assemblée et votant sur la résolution proposant l'acceptation de la proposition;

elle ne libère toutefois pas la personne insolvable des dettes et engagements mentionnés à l'article 178, à moins que le créancier n'y consente.

[...]

Suspension des procédures en cas d'avis d'intention

69(1)      Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et des articles 69.4 et 69.5, à compter du dépôt par une personne insolvable d'un avis d'intention aux termes de l'article 50.4, et ce jusqu'au dépôt, aux termes du paragraphe 62(1), d'une proposition relative à cette personne ou jusqu'à ce que celle-ci devienne un failli :

a)       les créanciers n'ont aucun recours contre la personne insolvable ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite;

b)       est sans effet toute disposition d'un contrat de garantie conclu entre la personne insolvable et un créancier garanti qui prévoit, pour l'essentiel, que celle-ci, dès qu'elle devient insolvable, qu'elle manque à un engagement prévu par le contrat de garantie ou qu'elle dépose un avis d'intention aux termes de l'article 50.4, est déchue des droits qu'elle aurait normalement de se servir des avoirs visés par le contrat de garantie ou de faire d'autres opérations à leur égard;

c)       est suspendu l'exercice par Sa Majesté du chef du Canada des droits que lui confère l'une des dispositions suivantes à l'égard de la personne insolvable, lorsque celle-ci est un débiteur fiscal visé à cette disposition :

(i)          le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)         toute disposition du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance-emploi qui, à la fois :

(A)        renvoie au paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu,

(B)        prévoit la perception d'une cotisation, au sens du Régime de pensions du Canada, ou d'une cotisation ouvrière ou d'une cotisation patronale, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, et des intérêts, pénalités ou autres montants y afférents;

d)       est suspendu l'exercice par Sa Majesté du chef d'une province des droits que lui confère toute disposition législative provinciale à l'égard d'une personne insolvable, lorsque celle-ci est un débiteur visé par la loi provinciale et qu'il s'agit d'une disposition dont l'objet est semblable à celui du paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou qui renvoie à ce paragraphe, dans la mesure où elle prévoit la perception d'une somme, et des intérêts, pénalités ou autres montants y afférents, qui :

(i)          soit a été retenue par une personne sur un paiement effectué à une autre personne, ou déduite d'un tel paiement, et se rapporte à un impôt semblable, de par sa nature, à l'impôt sur le revenu auquel les particuliers sont assujettis en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)         soit est de même nature qu'une cotisation prévue par le Régime de pensions du Canada, si la province est « une province instituant un régime général de pensions » au sens du paragraphe 3(1) de cette loi et si la loi provinciale institue un « régime provincial de pensions » au sens de ce paragraphe.

[...]

Suspension des procédures en cas de dépôt d'une proposition

69.1(1)     Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et des articles 69.4 et 69.5, entre la date de dépôt d'une proposition visant une personne insolvable et :

a)       soit sa faillite, soit la libération du syndic, les créanciers n'ont aucun recours contre elle ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite;

b)       soit sa faillite, soit la libération du syndic, est sans effet toute disposition d'un contrat de garantie conclu entre elle et un créancier garanti qui prévoit, pour l'essentiel, que celle-ci, dès qu'elle devient insolvable, qu'elle manque à un engagement prévu par le contrat de garantie ou qu'est déposé à son égard un avis d'intention aux termes de l'article 50.4 ou une proposition aux termes du paragraphe 62(1), est déchue des droits qu'elle aurait normalement de se servir des avoirs visés par le contrat de garantie ou de faire d'autres opérations à leur égard;

c)          soit sa faillite, soit la libération du syndic, soit l'expiration des six mois suivant l'approbation de la proposition par le tribunal, est suspendu l'exercice par Sa Majesté du chef du Canada des droits que lui confère le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ou toute disposition du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance-emploi qui renvoie à ce paragraphe et qui prévoit la perception d'une cotisation, au sens du Régime de pensions du Canada, ou d'une cotisation ouvrière ou d'une cotisation patronale, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, et des intérêts, pénalités ou autres montants y afférents, à l'égard de la personne insolvable, lorsque celle-ci est un débiteur fiscal visé à ce paragraphe ou à cette disposition;

[...]

Analyse

[8]      Dans le jugement Gollner, précité, auquel l'appelant m'a renvoyée, M. Gollner a déposé un avis d'intention de déposer une proposition à l'intention de ses créanciers en vertu de la LFI. Son créancier principal était l'ADRC. La proposition a été acceptée par les créanciers et approuvée par la cour. M. Gollner avait tiré un revenu d'une profession libérale au cours de la période précédant le dépôt de la proposition et, conformément à la directive DRR 95-07 diffusée par Revenu Canada le 27 octobre 1995, l'ADRC a essayé de répartir le revenu gagné par le débiteur au cours de l'année où la proposition a été déposée de façon proportionnelle sur l'année civile. La formule de calcul proportionnel permet d'attribuer une partie de l'obligation fiscale à la période précédant le dépôt de la proposition, et le reste est attribué à la période suivant le dépôt de la proposition. L'obligation fiscale qui est réputée se rapporter à la période précédant le dépôt de la proposition est assujettie aux modalités de la proposition, alors que l'obligation fiscale relative à la période suivant le dépôt de la proposition ne l'est pas. La Cour supérieure de justice a conclu que la directive est arbitraire, en ce sens qu'elle ne tient pas compte du moment où le revenu est réellement gagné. Dans la décision The Queen v. Simard-Beaudry Inc., [1971] C.F. 396, 71 DTC 5511 (C.F. 1re inst.), citée avec approbation dans l'arrêt The Queen v. Wesbrook Management Ltd., 96 DTC 6590 (C.A.F.), il est mentionné que la dette fiscale n'est pas créée par la cotisation mais qu'elle est seulement confirmée par celle-ci. Par conséquent, la dette fiscale prend naissance au moment où le revenu est gagné, pas au moment où une cotisation est établie. La Cour a également examiné l'économie générale de la LIR concernant les faillites et a décidé qu'il était inapproprié de répartir de revenu de façon proportionnelle dans les circonstances et qu'il fallait plutôt examiner la preuve pour voir à quel moment le revenu avait réellement été gagné. Si le revenu était gagné avant la date de la proposition, l'ADRC était liée par les modalités de la proposition en ce qui concerne la dette fiscale relative à la période précédant le dépôt de la proposition et elle ne pouvait exercer aucun recours se rapportant au revenu gagné au cours de la période précédant le dépôt de la proposition contre le contribuable.

[9]      Dans l'affaire Bernier, précitée, qui a également été mentionnée par l'appelant, M. Bernier a déposé une proposition à l'intention de ses créanciers, laquelle a été dûment acceptée et approuvée par la cour. Le syndic a demandé que la cotisation soit scindée en deux parties représentant les deux périodes (celle précédant le dépôt de la proposition et celle suivant le dépôt de la proposition). Le ministre a toutefois établi une seule cotisation pour toute l'année. La Cour supérieure, qui partageait l'avis du syndic, a déclaré que l'obligation fiscale relative à la période précédant le dépôt de la proposition était une réclamation prouvable en vertu de la LFI et a ordonné que le ministre scinde la cotisation en deux parties. Le ministre a fait appel de la décision. La Cour d'appel, qui a confirmé la décision de la Cour supérieure, a examiné l'économie et l'objet de la LFI à l'égard des propositions et a déclaré que celle-ci avait pour objet la réhabilitation financière du débiteur et le traitement équitable de tous les créanciers. La Cour d'appel a conclu que l'article 779 de la Loi sur les impôts du Québec (l'équivalent du paragraphe 128(2) de la LIR), qui prévoyait la date à laquelle l'année d'imposition était réputée prendre fin en cas de faillite, référait aussi implicitement aux propositions. Par conséquent, le ministre devait établir une cotisation pour les deux périodes : celle précédant le dépôt de la proposition et celle suivant le dépôt de la proposition. La Cour d'appel du Québec a formulé les commentaires suivants aux paragraphes 43 à 45 :

43.        Il faut donc conclure que le mot « faillite » à l'article 779 de la Loi sur les impôts réfère implicitement à « proposition concordataire » .

44.        Cette conclusion paraît également plus conforme aux objectifs de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Le législateur cherche avant tout la réhabilitation financière du débiteur et le traitement équitable de tous les créanciers. Si on exclut les dettes de nature fiscale, on contrevient à ces objectifs d'une part en rendant plus difficile la réhabilitation du débiteur et d'autre part en favorisant le fisc au détriment des autres créanciers.

45.        Mais, il y plus. Pour l'atteinte de ces objectifs, le législateur privilégie le concordat, qualifié, par le professeur Bohémier de « procédure de faillite moderne par excellence » . Cette intention du législateur est particulièrement manifeste à la suite de la réforme apportée à la législation en 1992 qui a porté en très grande partie sur le concordat. Or, comme l'illustre l'intimé dans son mémoire, la prétention du sous-ministre mènerait au résultat incongru où le débiteur aurait avantage à faire faillite plutôt que de présenter une proposition à ses créanciers :

La Loi sur la faillite et l'insolvabilité favorise le redressement d'entreprise et, par le fait même, favorise l'intervention d'une entente entre un débiteur et ses créanciers afin de lui éviter la faillite, par le biais du mécanisme de la proposition concordataire.

En interprétant la Loi sur les impôts de façon à exclure l'assujettissement d'une créance du sous-ministre du Revenu pour l'année de la proposition, cela créerait une situation contraire à l'économie de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. En effet, il serait alors plus avantageux pour un contribuable de faire faillite que de faire une proposition puisque dans le dernier cas il ne serait pas libéré des dettes fiscales de l'année au cours de laquelle il a déposé sa proposition. La proposition concordataire n'aurait alors pas l'effet préventif qui doit lui être consacré.

De plus, en excluant la créance du débiteur fiscal pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a déposé une proposition, le créancier bénéficierait d'un avantage sur les autres créanciers. Cette interprétation irait à l'encontre de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité puisque le mécanisme de la proposition, tout comme celui de la faillite, vise à assurer l'égalité entre les créanciers.

[10]     Les jugements Gollner et Bernier semblent tous les deux appuyer la position de l'appelant selon laquelle le paragraphe 128(2) de la LIR s'applique également aux propositions, même s'il ne traite que des cas où un particulier fait faillite. De plus, selon la politique administrative de l'ADRC en ce qui concerne le dépôt d'une preuve de réclamation provisionnelle relativement à une proposition déposée par un débiteur fiscal aux termes de la LFI, qui est énoncée dans la directive DRR-95-07[1] susmentionnée, dans les cas de proposition, l'obligation fiscale relative à la période précédant le dépôt de la proposition doit être traitée différemment de l'obligation fiscale relative à la période suivant le dépôt de la proposition. En effet, la politique indique que l'obligation fiscale attribuable à la cotisation visant la période précédant le dépôt de la proposition est assujettie à la proposition.

[11]     L'avocate de l'intimée a renvoyé à la décision Agard v. The Queen, 94 DTC 1232 (CCI), [1994] 1 C.T.C. 2407, une décision dans laquelle le juge Sobier, en se fondant sur une interprétation stricte du mot « faillite » figurant dans la LIR et dans la Loi sur la faillite (maintenant la LFI), a décidé que paragraphe 128(2) s'appliquait seulement aux faillis et qu'il ne s'appliquait pas aux personnes qui présentaient une proposition.

[12]     Toutefois, dans l'arrêt Jones v. The Queen, 2003 DTC 5663, au paragraphe 12, la Cour d'appel de l'Ontario a écarté la décision Agard en affirmant ce qui suit :

[traduction]

Je tiens à souligner incidemment que, en cas de faillite, une nouvelle année d'imposition est réputée commencer le jour où le contribuable devient en faillite (voir les alinéas 128(1)d) et (2)d) de la LIR). Ce choix n'est toutefois pas possible lorsque le contribuable n'est pas en faillite : Agard v. M.N.R. (1994), 94 DTC 1232 (C.C.I.). Comme aucune disposition législative précise ne prévoit qu'une nouvelle année d'imposition est réputée commencer à la date du dépôt d'une proposition par une personne insolvable, la question soulevée dans le cadre du présent appel doit être tranchée en fonction des dispositions générales de la LFI qui concernent les propositions et les modalités des propositions.

[13]     La Cour d'appel de l'Ontario a ensuite examiné le paragraphe 62(1.1) de la LFI, qui prévoit que les réclamations des créanciers sont déterminées par rapport au moment de la proposition. La Cour d'appel a par la suite examiné les articles 69 et 69.1, qui prévoient une suspension des procédures par les créanciers en cas de dépôt d'une proposition, ainsi que le paragraphe 62(2), qui prévoit qu'une proposition acceptée par les créanciers et approuvée par la cour lie tous les créanciers non garantis, ce qui inclurait l'ADRC. La Cour d'appel a également formulé les commentaires suivants aux paragraphes 16 et 17 :


          [traduction]

Selon les modalités de la proposition, il est clair que M. Jones doit faire droit aux réclamations des créanciers ordinaires au moyen d'une répartition proportionnelle du montant de la proposition de 176 992 $, qu'il doit verser au cours de la période de 48 mois prévue dans la proposition (soustraction faite des frais administratifs et des créances prioritaires). Il est également clair que la réclamation de l'ADRC relative à l'impôt dû en date de la proposition fait partie des réclamations visées par ces modalités. L'obligation supplémentaire de M. Jones, selon laquelle il doit s'acquitter de ses obligations fiscales courantes pendant la période de la proposition en faisant des versements échelonnés et en produisant des déclarations, n'ajoute et n'enlève rien à ce plan de répartition. La méthode utilisée par l'ADRC pour établir la cotisation à l'égard de M. Jones est, selon moi, contraire à ce plan de répartition parce qu'elle permettrait à l'ADRC de se faire rembourser une partie de sa créance relative à la période précédant le dépôt de la proposition au taux applicable à la période suivant le dépôt de la proposition qui est de 100 cents le dollar.

[...] il n'existe aucun motif justifiant que la réclamation de l'ADRC relative à la créance qui se rapporte à la période précédant le dépôt de la proposition soit payée différemment de la créance de tout autre créancier ordinaire non garanti. [...] S'il en était autrement, comme il est indiqué ci-dessus, cela permettrait à l'ADRC de recevoir plus que ce qui était prévu par les modalités de la proposition, et pourrait ainsi nuire à la capacité de M. Jones de remplir les obligations prévues dans la proposition et porter préjudice aux autres créanciers.

[14]     Donc, comme dans les jugements Bernier et Gollner, la Cour d'appel a décidé que l'obligation fiscale découlant des opérations qui avaient eu lieu au cours de la période précédant le dépôt de la proposition était assujettie aux modalités de la proposition.

[15]     Je souscris à ces décisions et, par conséquent, je conclus que, même si le paragraphe 128(2) de la LIR ne mentionne pas expressément le mot « proposition » , l'effet de l'ensemble des dispositions de la LFI et l'esprit de la LFI et de la LIR font en sorte que, dans les cas où une proposition est déposée, deux cotisations doivent être établies : une pour la période précédant le dépôt de la proposition et une pour la période suivant le dépôt de la proposition, et que la cotisation relative à première période est assujettie aux modalités de la proposition.

[16]     Par conséquent, l'appel est accueilli, et la cotisation faisant l'objet de l'appel est déférée au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation au motif que l'impôt à payer par l'appelant pour l'année d'imposition 2003 sur le revenu qu'il a gagné ou accumulé jusqu'au dépôt de la proposition le 20 mai 2003 sera régi par les modalités de la proposition et fixé séparément de l'impôt à payer sur le revenu gagné ou accumulé après le dépôt de la proposition, lequel revenu fera l'objet d'une cotisation visant la période suivant le dépôt de la proposition.

Signé à Montréal (Québec), ce 18e jour d'août 2006.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2007.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI445

NO DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-2725(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Jacques V. Marchessault c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 30 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                    Le 18 août 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

                   Nom :

                   Étude :

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]               En date du 1er février 2004, l'ADRC appliquait à cet égard la norme de pratique professionnelle 03-1 de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.