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Dossier : 2005-785(IT)I

ENTRE :

DARRELL FRANK NAUSS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu le 20 juillet 2005 à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard).

Devant : L'honorable juge en chef D.G.H. Bowman

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

Gerald J. Arsenault

Avocat de l'intimée :

Me Edward Sawa

_______________________________________________________________

JUGEMENT

        L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2002 est admis, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il la réexamine et en établisse une nouvelle conformément aux motifs du jugement en tenant compte de ce qui suit :

a)       le gain en capital imposable que l'appelant a tiré de la vente de l'immeuble situé au 90, chemin Eisenhauer, à Oakland (Nouvelle-Écosse), s'établit à 30 051,25 $, avant la prise en compte des commissions de courtage immobilier et des frais de justice;

b)       les commissions de courtage immobilier et les frais de justice dont il est question au début des motifs du jugement et qui totalisent 23 001,85 $ doivent être pris en compte dans le calcul du gain en capital, que l'appelant et sa soeur se partagent;

c)       les dépenses dont les parties ont convenu relativement à l'entreprise de tricot de l'appelant et qui s'établissent à 1 771,22 $ doivent être admises dans le calcul du revenu de l'appelant.

        L'appelant a droit à ses dépens conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'août 2005.

« D.G.H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de février 2006.

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2005CCI488

Date : 20050829

Dossier : 2005-785(IT)I

ENTRE :

DARRELL FRANK NAUSS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Bowman

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation établie pour l'année d'imposition 2002 de l'appelant. Il a trait à la question plutôt obscure de l'évaluation d'un intérêt viager et d'un intérêt résiduel dans un bien immeuble. La question est soulevée par un gain en capital réalisé en 2002 par l'appelant à la disposition d'un bien immeuble. Avant d'aborder la question de fond, je dois statuer sur deux points.

[2]      La question fondamentale a trait au calcul du gain en capital de l'appelant. Le représentant de l'appelant a présenté la preuve d'autres dépenses engagées dans le cadre de la vente de l'immeuble. Une dépense importante qui n'a pas été constatée au moment de l'établissement de la cotisation a trait à la commission de courtage immobilier et aux frais de justice qui totalisent 23 001,85 $. Cette dépense doit être admise comme coût de disposition du bien, partagé entre l'appelant et sa soeur, qui avaient chacun droit à la moitié du bien.

[3]      Quelques autres dépenses relativement mineures, comme des frais de déplacement, des frais de réparation, des dépenses de repas et des frais accessoires, sont déduites par l'appelant comme faisant partie du coût de disposition. Je ne crois pas qu'il a été établi que ces dépenses faisaient à juste titre partie du coût de disposition du bien.

[4]      Une deuxième question a trait à un certain nombre de dépenses déduites par l'appelant dans la déclaration de son entreprise appelée Knitting Nook. Les parties conviennent maintenant que des dépenses supplémentaires de 1 771,22 $ doivent être admises comme déductions dans le calcul du revenu de l'appelant.

[5]      Je vais maintenant examiner la question de l'évaluation.

[6]      La grand-mère de l'appelant, Reta Leone Eisnor, était propriétaire du bien-fonds et des bâtiments sis au 90, chemin Eisenhauer, à Oakland (Nouvelle-Écosse). Les biens appartenaient à la famille Eisenhauer (patronyme devenu Eisnor à un moment donné) depuis les années 1700. La maison a été construite en 1764. L'article 5 du testament de Reta Eisnor, daté du 11 avril 1978, porte ce qui suit :

[TRADUCTION]

       

5.        JE LÈGUE tous mes biens immeubles à ma fille, MARGARET LOUISE NAUSS, pour sa jouissance de son vivant et, à son décès, je lègue en parts égales ces biens entre mes petits-enfants, LEONE SUSAN RUSSELL et DARRELL FRANK NAUSS, pour leur propre jouissance sans réserve.

[7]      Margaret Louise Nauss était la fille de Mme Eisnor, et Leone Susan Russell et Darrell Frank Nauss (l'appelant) sont les enfants de Margaret Louise Nauss. Mme Eisnor est décédée le 15 septembre 1997.

[8]      Le testament de Margaret Louise Nauss était daté du 12 mars 1997. Il porte ce qui suit à l'article 6 :

[TRADUCTION]

6.        JE DONNE ET LÈGUE tout le résidu de ma succession, de quelque nature et en quelque lieu que ce soit (incluant tout bien sur lequel je peux exercer un pouvoir général de désignation) à mon époux, LLOYD LEAMAN NAUSS, en pleine propriété sans réserve. En cas de prédécès de mon époux, LLOYD LEAMAN NAUSS, je lègue alors en parts égales tout le résidu de ma succession à mon fils, DARRELL FRANK NAUSS, et à ma fille, LEONA SUSAN RUSSELL, ou à leurs survivants en vie au moment de mon décès, en pleine propriété sans réserve.

Je mentionne le testament de Mme Nauss simplement par souci d'exhaustivité. Il n'est pas pertinent en l'espèce parce que la propriété a été vendue avant son décès.

[9]      Mme Nauss et son époux ont habité dans la maison jusqu'en 1997, année où ils ont déménagé. Mme Nauss est décédée le 12 novembre 2003 et son époux, le 12 février 2003.

[10]    Avant d'aborder la vente survenue le 29 novembre 2002 et donnant lieu au gain en capital qui est l'objet du présent litige, il est utile d'examiner la situation en droit qui existait au moment du décès de la grand-mère, Mme Eisnor, jusqu'au jour précédant immédiatement la vente. Lorsque Mme Eisnor est décédée, elle a laissé un intérêt viager à sa fille, Mme Margaret Louise Nauss, et un intérêt résiduel à l'appelant et à sa soeur, Mme Russell. Le 15 septembre 1997, Mme Nauss était âgée de 70 ans. Pour l'application de l'alinéa 70(5)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, les légataires du bien aux termes du testament de Mme Eisnor sont réputés avoir acquis le bien au moment du décès à sa juste valeur marchande ( « JVM » ). En conséquence, Margaret Louise Nauss, qui était à ce moment âgée de 70 ans, a acquis son intérêt viager à sa JVM, et M. Nauss et sa soeur, Mme Russell, ont chacun acquis la moitié de l'intérêt résiduel à sa JVM.

[11]    L'intérêt viager et les intérêts résiduels représentent ensemble la totalité des intérêts dans le bien qui peuvent être détenus, c'est-à-dire la pleine propriété.

[12]    Le 29 novembre 2002, le bien a été vendu par acte formaliste de garantie à Tye W. Burt. Les concédants étaient Darrell Frank Nauss, sa soeur,Leona Susan Russell, et Margaret Louise Nauss. L'appelant a signé en son nom propre. Leona Susan Russell a signé en son nom propre et, en qualité de mandataire, au nom de Margaret Louise Nauss et de Lloyd Leaman Nauss, l'époux de Margaret Louise Nauss. Ce dernier ne faisait que céder toute prétention qu'il aurait pu avoir en vertu de la loi dite Matrimonial Property Act of Nova Scotia. Ainsi, la totalité des intérêts dans le bien ont été aliénés et le prix était de 385 000 $.

[13]    La cotisation partait du principe que l'appelant et son épouse ont reçu la totalité du bien en 1997 au décès de la grand-mère. En conséquence, il a été établi que le gain en capital était de 385 000 $ moins la JVM présumée à la date du décès de la grand-mère, soit 245 000 $ = 140 000 $. La part de l'appelant se chiffrait à 70 000 $ et la fraction imposable, à 35 000 $.

[14]    L'intimée reconnaît maintenant que ce principe était erroné et prétend que le gain en capital réalisé par l'appelant et sa soeur devrait correspondre à la différence entre la JVM de leurs intérêts résiduels le 15 septembre 1997 et la fraction du produit de 385 000 $ attribuable aux intérêts résiduels. Je souscris à ce principe. Les chiffres posent cependant un certain problème.

[15]    La façon dont l'intimée prétend que le gain devrait être calculé selon la nouvelle base est exposée ci-dessous. La JVM de la totalité du bien le 15 décembre 1997, soit 245 000 $, était fondée sur une évaluation fournie par l'époux de Mme Russell. L'évaluateur appelé comme témoin par l'intimée, Bill Chappell, s'est penché sur l'évaluation et l'a jugé raisonnable. Les chiffres en tout cas n'ont pas été contestés et je les accepte. Je n'ai pas d'autres chiffres.

[16]    Le nouveau calcul de la Couronne est fondé sur ce qui suit :

b)      l'appelant et sa soeur ont reçu, en 1997, un intérêt résiduel dans le bien dont la JVM ne dépassait pas 136 820 $, la part de 50 % de l'appelant s'établissant à 68 410 $ (136 820 $ x 50 %);

c)      le PBR de l'intérêt résiduel de l'appelant était de 68 410 $;

d)      Margaret Louise Nauss a reçu, en 1997, un intérêt viager dans le bien, dont la JVM n'était pas inférieure à 108 180 $;

e)      en 2002, le bien au complet, composé de l'intérêt viager et de l'intérêt résiduel, a été vendu pour un produit total de 385 000 $;

f)       la fraction du produit qui était attribuable à l'intérêt résiduel n'était pas inférieure à 273 801 $, la part de 50 % de l'appelant s'établissant à 136 900,50 $ (273 801 $ x 50 %).

12.      Le gain en capital imposable que l'appelant a tiré de la disposition de son intérêt résiduel dans le bien en 2002 est calculé, comme il se doit, de la façon suivante :

                           Produit de disposition                       136 900,50 $

                           PBR                                             68 410,00 $

                           Gain en capital                          68 490,50 $

                           Gain en capital imposable                  34 245,25 $

Le témoin expert cité par l'intimée, M. Chappell, est un évaluateur de biens immobiliers expérimenté et compétent. Toutefois, il a admis qu'il n'avait jamais évalué d'intérêts viagers ou d'intérêts résiduels et qu'il n'avait en fait pas étudié l'évaluation de tels intérêts dans le cadre des cours qu'il a suivis pour obtenir son accréditation. J'ai envisagé de ne pas l'accepter à titre d'expert dans cette affaire malgré ses titres de compétence et son expérience par ailleurs impressionnants. Cependant, nous sommes régis par la procédure informelle et je suis confronté à la considération pratique voulant que, si je ne l'acceptais pas, j'allais devoir faire quelque chose au sujet de l'appel, et la chose la plus raisonnable à faire consistait à entendre ses conclusions et ses motifs. J'estime qu'il a été un témoin franc et intelligent et nos échanges sur le problème ont été utiles. Dans le cadre de la procédure informelle, nous devons obtenir l'aide des sources disponibles, quelles qu'elles soient.

[17]    M. Chappell a fait des recherches et a énoncé ce qui me semble être un point de départ passablement raisonnable dans l'évaluation des intérêts viagers et des intérêts résiduels. L'évaluation de tels intérêts est, au mieux, un calcul imprécis. Ce n'est pas comme si on évaluait une maison dans un lotissement où l'on peut se tourner vers des ventes comparables. Après tout, les intérêts viagers et les intérêts résiduels ne sont pas exactement des produits recherchés sur le marché immobilier. Quoi qu'il en soit, ou vous prenez la valeur totale dont vous déduisez la valeur de l'intérêt résiduel pour obtenir la valeur de l'intérêt viager, ou vous prenez la valeur totale dont vous déduisez l'intérêt viager pour obtenir la valeur de l'intérêt résiduel. La dernière méthode est difficile à appliquer, mais la première est pratiquement impossible. Un intérêt viager a une valeur limitée et, du moins en théorie, vérifiable. Vous ne pouvez pas déterminer un intérêt résiduel à partir de rien ou de façon abstraite. Vous devez déterminer la valeur de l'intérêt viager d'abord, puis la soustraire de la valeur totale avant d'évaluer l'intérêt résiduel.

[18]    La quasi-impossibilité de déterminer l'intérêt résiduel autrement qu'en évaluant l'intérêt viager en premier lieu est illustrée dans le passage suivant tiré du rapport de M. Chappell :

[TRADUCTION]

          3.2.4. Méthode 1 Intérêt résiduel

Pour le calcul de l'intérêt résiduel, la première étape consiste à prévoir la valeur totale future du bien en cause à la date où le domaine viager doit s'éteindre (selon les tables de mortalité). La valeur totale future est alors actualisée à la date réelle de l'évaluation, ce qui fournit une indication de la valeur totale du moment. Cette valeur actualisée est représentative de l'intérêt résiduel et elle indique la valeur marchande pour le propriétaire du bien. En déduisant cet intérêt résiduel de la valeur marchande totale à la date de l'évaluation, on peut obtenir la valeur de l'intérêt viager, soit du reste.

          3.2.5 Méthode 2 Intérêt viager

Le calcul du domaine viager tient compte de la valeur actualisée des revenus nets éventuels que le bien peut engendrer. Seul l'usufruitier viager a le droit de toucher des loyers sur le bien au cours de la propriété viagère. Selon cette méthode, une estimation des revenus que le bien peut produire et des dépenses qu'il occasionnerait doit être établie. On capitalise alors le revenu net à un taux approprié afin d'obtenir une valeur actualisée des rentrées de fonds prévues sur la durée approximative de l'intérêt viager établie à partir des tables de mortalité. En soustrayant l'intérêt viager de la valeur marchande totale à la date de l'évaluation, on peut obtenir la valeur de l'intérêt résiduel, soit du reste.

Dans le cas du bien en cause, l'intérêt résiduel est l'intérêt qui revient aux petits-enfants, Darrell Nauss et Leone Russell. Il s'agit de la valeur attribuée au droit de posséder le bien quand le domaine viager sera finalement éteint. Un calcul semblable a été fait pour les deux moments. Le premier moment correspond à la date à laquelle l'intérêt viager a été créé et le deuxième, à la date à laquelle il s'est éteint.

          3.2.6 Intérêt résiduel

Pour faire une estimation de l'intérêt résiduel sur le bien à chacune des dates, nous devons suivre les trois étapes énoncées ci-après :

      Étape 1. Estimer la juste valeur marchande du bien à la date où le domaine viager a été établi - septembre 1997, et à la date de la vente du bien, soit en novembre 2002.

      Étape 2. Prévoir la valeur future du bien au moment où il est prévu que l'intérêt viager s'éteindra et que les petits-enfants obtiendront la pleine propriété du bien. Cette étape doit être exécutée pour chacune des deux dates.

      Étape 3. Actualiser cette valeur future estimative afin d'obtenir une valeur actualisée fondée sur la durée escomptée du domaine viager. Cette étape doit aussi être exécutée pour chacune des deux dates.

Pour résoudre les questions relatives à l'évaluation, nous avons divisé le processus en deux volets. Le premier a trait à l'attribution de la valeur à la date où l'intérêt viager a été créé, c.-à-d. en septembre 1997. Le deuxième porte sur l'attribution de la valeur à la date à laquelle l'intérêt viager s'est éteint, soit en novembre 2002.

En conséquence, nous devons commencer par évaluer l'intérêt viager à ces deux dates - le 15 décembre 1997 et le 27 novembre 2002.

[19]    Je reviens aux calculs de la Couronne qui ont été exposés plus haut. Quelques éléments m'apparaissent intéressants, sinon particuliers. D'abord, le gain en capital imposable de M. Nauss, selon les nouveaux calculs, est de 34 245 $, alors que, selon l'ancienne hypothèse erronée voulant que M. Nauss et sa soeur aient obtenu la pleine et entière propriété en 1997 et l'aient vendue en 2002, le gain en capital imposable s'établit finalement pour lui à 35 000 $ - une différence de seulement 755 $, malgré le fait que la mère de M. Nauss avait, en 1997, alors qu'elle était âgée de 70 ans,une espérance de vie actuarielle de 16,02 ans et, en 2002, de 12,44 ans. Un autre élément qui semble quelque peu étrange est que, selon les calculs indiqués plus haut, la JVM de l'intérêt viager en 1997 telle qu'elle a été établie par l'expert du ministre est de 108 180 $, alors que cinq ans plus tard, soit en 2002, quand Mme Nauss a atteint 75 ans, la JVM de son intérêt viager se chiffrait à 111 199 $. Or, il est vrai que la valeur globale du bien a augmenté de 140 000 $ pour passer de 245 000 $ à 385 000 $. Un calcul purement mathématique ressemblerait à ce qui suit, à supposer que la JVM de l'intérêt viager était de 108 180 $ en 1997 :

        108 180 $ X 385 000 = 169 997 X    12,44 = 132 007,76

                        245 000                        16,02

[20]    Il ne faut pas oublier que l'utilisation de tout facteur de nature à augmenter la part de la valeur totale attribuable à l'intérêt résiduel est une arme à double tranchant. En 1997, cette démarche a pour effet d'augmenter le prix de base rajusté pour l'appelant de l'intérêt résiduel. En 2002, elle a également pour effet d'augmenter la part des 385 000 $ qui est attribuable à la vente de l'intérêt résiduel, de telle sorte que le gain en capital sur la vente de l'intérêt résiduel est rajusté des deux façons et demeure relativement stable.

[21]    D'après M. Chappell, l'intérêt viager, le 15 septembre 1997, représentait 44,15 p. 100 de la valeur totale, alors que le 22 novembre 2002, il correspondait à 35,55 p. 100 du total. Ce résultat s'accorde en gros avec le fait que l'espérance de vie actuarielle de Mme Nauss avait baissé pour passer de 16,02 ans à 12,44 ans. Il est intéressant de souligner, même si c'est hors de propos, que statistiquement il restait à Mme Nauss, en 2002, 12,44 ans à vivre mais elle est décédée le 12 novembre 2003. Cela prouve à coup sûr que l'on dit vrai quand on dit qu'on ne connaît pas son heure.

[22]    La question de l'utilisation de la date réelle du décès plutôt que des tables de mortalité actuarielles a été soulevée dans l'affaire Ithaca Trust Co. v. United States, 279 U.S. 151. La réponse semble évidente - les tables actuarielles doivent être utilisées. Cependant, je suis heureux que ce point de vue soit confirmé par nul autre qu'une autorité aussi compétente que le juge Oliver Wendell Holmes, qui a affirmé ce qui suit aux pages 154 et 155 :

        [TRADUCTION]

La deuxième question est soulevée par l'accident de la veuve, décédée dans l'année autorisée par la loi, article 404, et le règlement pour la production de la déclaration indiquant les déductions permises par l'article 403, la valeur de la succession nette et l'impôt payé ou à payer sur celle-ci. Selon l'alinéa 403(a)(3), on détermine la succession nette assujettie à l'impôt en déduisant, entre autres, les dons à des organismes de bienfaisance tels que ceux en l'espèce. Mais étant donné que ces dons étaient assujettis au domaine viager de la veuve, leur valeur a naturellement été réduite par le report qui allait durer du vivant de la veuve. La question est de savoir si le montant de la réduction, c'est-à-dire la durée du report, doit être déterminé par l'événement survenu en l'occurrence, soit le décès de la veuve dans les six mois, ou par les tables de mortalité qui indiquent les probabilités telles qu'elles sont le jour du décès du testateur. On pense de prime abord qu'il est absurde de recourir à des probabilités statistiques quand on sait de quoi il retourne. Mais c'est parce qu'on ne raisonne pas de la bonne façon. Le domaine est établi, autant que faire se peut, à la date du décès du testateur. L'impôt frappe l'acte du testateur et non la réception des biens par les légataires. Par conséquent, la valeur de l'objet à assujettir à l'impôt doit être estimée au jour où l'acte est posé. Mais la valeur du bien à un moment donné est fonction de l'intensité relative de l'attrait qu'il exerce sur la société à ce moment particulier, exprimée selon la somme d'argent qu'il injecterait dans le marché. Comme toutes les valeurs, au sens où le terme est utilisé par la loi, elle repose en grande partie sur un nombre plus ou moins grand de prédictions de l'avenir, et la valeur n'est pas moins réelle à ce moment-là si la prédiction se révèle ultérieurement erronée que si elle s'avère juste. Nous estimons qu'on ne doit pas tenter comme on le fait ici de corriger certaines probabilités incertaines par le fait maintenant connu, mais que l'intérêt viager de l'épouse doit être évalué selon les tables de mortalité. Notre opinion n'est pas modifiée par les exceptions nécessaires à la règle générale prévues expressément par la loi.

(Références des arrêts omises)

Le même point de vue est exprimé par je juge Frank de la Cour d'appel de circuit, dans l'affaire Commissioner of Internal Revenue v. Marshall, 141 A.L.R. 445, 125 F.2d 943, à la page 946. (Cour d'appel de circuit, Deuxième circuit)

        [TRADUCTION]

      On prétend également que le Congrès ne pouvait pas avoir l'intention d'être injuste au point d'exiger un impôt fondé sur une estimation de la valeur, tirée des tables de mortalité, qui peut s'avérer ne pas être conforme à la réalité. Ainsi, la Commission rappelle qu'en application de l'article 510, le donataire peut être personnellement responsable du paiement d'un impôt sur les dons non payé par ailleurs « jusqu'à concurrence de la valeur dudit don » ; supposons alors, fait valoir la Commission, que les enfants, en vertu de cet article, ont été tenus de payer un impôt sur la valeur de leur domaine résiduel à la date du don, calculée sur une base actuarielle, et que les titulaires du domaine viager décèdent du vivant du donateur; en pareilles circonstances, soutient la Commission, 43 B.T.A. 99, « les enfants auraient alors payé un impôt sur les dons à l'égard de quelque chose qu'ils n'ont jamais reçu » .

     Cet argument va trop loin. Il empêcherait l'application d'un impôt sur toute « valeur » qui n'est pas presque certaine de correspondre à la jouissance réelle. Mais la « valeur » y correspond rarement. Le sophisme de cet argument découle en grande partie du défaut de reconnaître le caractère insaisissable du terme « valeur » . C'est un terme ensorcelant qui, depuis des années, trouble la sérénité mentale et suscite de nombreux débats stériles. Il vaudrait peut-être mieux, pour rassurer les hommes, abolir le terme7. Des rames de bon papier et des litres d'encre de qualité ont été gaspillés par ceux qui ont essayé d'y donner un sens constant et précis. La vérité, c'est qu'il a des significations différentes dans différents contextes8, même dans le domaine restreint du « droit fiscal » 9. Et là, comme c'est presque toujours le cas, le terme « valeur » suppose une conjecture, une supposition, une prédiction, une prophétie. Relativement à l'assujettissement à l'impôt des domaines viagers, la Cour suprême s'est fondée sur les meilleures évaluations, à une date donnée, faites à partir des tables de mortalité, sans tenir compte du fait qu'en réalité, dans l'affaire dont elle était saisie, la prophétie s'est révélée erronée parce que la titulaire du domaine viager n'a pas vécu aussi longtemps que le laissait présager son espérance de vie. « Comme toutes les valeurs, au sens où le terme est utilisé par la loi, cela dépend en grande partie d'un nombre plus ou moins grand de prédictions de l'avenir; et la valeur n'est pas moins réelle [...] si ultérieurement la prédiction se révèle erronée que si elle s'avére juste. » Ithaca Trust Co. v. United States, 279 U.S. 151, 155, 49 S.Ct. 291, 292, 73 L.Ed. 647. Le fondement de cette affaire est déterminant ici. L'article 19 du règlement 79 du Trésor recourt à la méthode actuarielle pour l'évaluation des domaines résiduels. Cette méthode n'est pas arbitraire au point d'être déraisonnable et erronée.

      Il importe peu que les estimations actuarielles puissent ne pas concorder avec la réalité. Peu d'estimations de valeur y parviennent, qu'elles soient faites par les tribunaux ou par les non-initiés : pour les besoins d'une restructuration de société, la valeur représente généralement une capitalisation raisonnable des gains futurs qu'on peut raisonnablement prévoir à la date de restructuration; on se fie à une conjecture raisonnée ou à un regard sur l'avenir qui, étant humain, peut être erroné. Personne ne peut prédire quels effets des changements technologiques auront sur les gains d'une entreprise10. Quiconque voudra éliminer les incertitudes que présente une « valeur » aura une triste destinée en ce monde. Tous les aspects de la vie sont aléatoires. Nous ne pouvons pas, par le recours à un symbole, la « valeur » , transformer le précaire en l'assuré, rayer de l'existence les changements incessants. Les gens d'affaires paient parfois comptant une valeur qui n'existe que dans un « monde imaginaire » 11. Cette « valeur marchande » , par exemple, dans le cas des biens immobiliers urbains, est souvent un mirage, comme l'a démontré de manière frappante Abrams, dans Revolution in Land (1939) 198-200, p. 132 et 133 et 81 à 89. En conséquence, nous rejetons l'argument selon lequel simplement parce que la « valeur » des résidus éventuels, mesurée sur une base actuarielle, peut être inexacte, il faut présumer que le Congrès n'avait pas l'intention d'assujettir de tels résidus à l'impôt sur les dons.

(Notes de bas de page omises)

[23]    Nous connaissons tous la définition donnée à la JVM dans l'affaire Henderson Estate v. M.N.R., 73 DTC 5471. Néanmoins, la détermination de la valeur des intérêts viagers et des intérêts résiduels est, au mieux, une démarche imprécise. Elle est fondée sur divers impondérables, les tables de mortalité actuarielles et les taux d'actualisation n'étant pas les moindres. M. Chappell s'est également penché sur les taux de location résidentielle, pour lesquels il a établi des projections pour 2013, puis qu'il a actualisés à 12 p. 100 pour 1997, ce qui lui a donné une JVM de 89 869 $ pour l'intérêt viager. La question de savoir si, en 2005, il est possible de prévoir ce que seront les taux de location en Nouvelle-Écosse en 2013 tout en se reportant en théorie à 1997, ou d'utiliser comme il se doit un taux d'actualisation de 12 p. 100, ou celle de savoir s'il est acceptable d'utiliser des taux de location résidentielle pour évaluer un bien historique âgé de 250 ans est discutable. Les hypothèses sur lesquelles de tels calculs reposent varient sur une échelle d'une ampleur indéfinie. Quoi qu'il en soit, le calcul donne lieu à une JVM pour l'intérêt résiduel de 155 131 $ (245 000 $ - 89 969 $ = 155 131 $) au 15 septembre 1997. La démarche que j'ai adoptée plus haut augmenterait la JVM de l'intérêt viager en 2002 de la façon suivante :

        89 869 $ X 385 000 = 141 222 X    12,44 = 109 663

                        245 000                          16,02

[24]    Suivant ce calcul, nous attribuerions 275 337 $ à l'intérêt résiduel en 2002 (385 000 $ moins 109 663 $) et le gain en capital serait de 275 337 $ moins 155 131 $ = 120 205 $ ÷ 2 = 60 102,50 $. Le gain en capital imposable de M. Nauss s'établit à 30 051,25 $. Je pourrais probablement aller plus loin dans le remaniement et le peaufinage, mais cela n'entraînerait pas de différence notable.

[25]    Ce résultat me paraît un peu plus raisonnable que celui auquel est arrivé le ministre. Je ne crois pas qu'il soit raisonnable de fonder une évaluation des intérêts résiduels sur des hypothèses et des prémisses qui font en sorte que le gain en capital sur la vente des intérêts résiduels est pratiquement identique à celui réalisé sur la vente de la pleine propriété au complet. Le résultat interpelle tant mon bon sens que mon sens de la congruence mathématique ou logique. Comme l'a affirmé le Vicomte Simon dans l'affaire Gold Coast Selection Trust v. Humphrey, [1948] A.C. 459, à la page 472 :

[TRADUCTION]

      À mon avis, le principe à appliquer est le suivant. Dans les cas tels qu'en l'espèce, lorsqu'un négociant reçoit, dans le cours de ses affaires, un bien nouveau et de grande valeur, autre que de l'argent, par suite d'une vente ou d'un échange, ce bien, pour les besoins du calcul des bénéfices ou gains annuels qu'il tire de son commerce ou qui lui reviennent du fait de son commerce, devrait être évalué à la fin de la période comptable au cours de laquelle il a été reçu, même s'il n'est ni réalisé ni réalisable plus tard. Le fait qu'il ne peut pas être réalisé immédiatement peut réduire sa valeur actuelle, mais ce n'est pas une raison pour le considérer, aux fins de l'impôt sur le revenu, comme s'il n'avait aucune valeur jusqu'à ce qu'il puisse être réalisé. Si le bien prend la forme d'actions entièrement libérées, l'évaluation tiendra compte non seulement des modalités de l'entente, mais aussi d'un certain nombre d'autres facteurs tels que le rendement potentiel, la négociabilité, les perspectives générales pour le genre d'entreprise exploitée par la société qui a attribué les actions, les résultats produits par un prospectus contemporain offrant des actions en souscription, la situation du compte de capital de la société, et ainsi de suite. Le fait que la détention d'actions donne le contrôle de la société peut aussi être un élément de valeur. Si le bien est difficile à évaluer, mais s'il a néanmoins une valeur pécuniaire, il faut procéder à la meilleure évaluation possible. L'évaluation est un art, et non une science exacte. La certitude mathématique n'est pas nécessaire, ni certainement possible. Il revient aux commissaires de formuler leur estimation en attribuant une valeur pécuniaire au bien, et il s'agit là d'une conclusion de fait à tirer d'après la preuve dont ils sont saisis.

[C'est moi qui souligne]

Ce passage, fréquemment cité et appliqué, illustre à mon avis la nécessité de ne pas oublier le sens de la réalité et le bon sens dans l'évaluation des biens difficiles à évaluer.

[26]    Compte tenu de la rareté de la documentation utile dans ce domaine, je me suis tourné vers des sources étrangères pour voir comment les autres ressorts traitaient la question de l'évaluation des intérêts viagers et des intérêts résiduels. Les États-Unis ont produit une documentation abondante, mais celle-ci n'a été d'aucune utilité parce que les règlements pris en vertu de l'Internal Revenue Code prescrivent des proportions précises à attribuer à l'intérêt viager et aux intérêts résiduels. Par exemple, pour une personne âgée de 70 ans, le partage entre un intérêt viager et un intérêt résiduel correspond à 0,36617 et 0,63383. Pour une personne de 75 ans, les parts sont de 0,30375 et 0,69625. Si j'étais tenu d'utiliser ces chiffres ou si j'étais autorisé à le faire, l'intérêt viager et l'intérêt résiduel en 1997 auraient une valeur de 89 711,65 $ et de 155 288,35 $ respectivement. En 2002, lorsque la mère était âgée de 75 ans, leur valeur aurait été de 116 943,75 $ et de 268 056,25 $ respectivement, selon une JVM de la pleine propriété en 1997 de 245 000 $ et en 2002 de 385 000 $.

[27]    Ainsi, le gain en capital sur l'intérêt résiduel serait de 112 767,90 $, le gain en capital imposable serait de 56 383,95 $ et la part de M. Nauss dans le gain en capital imposable (avant les coûts engagés pour la disposition) s'établirait à 28 191,98 $. J'attire l'attention sur ce point simplement pour illustrer l'écart qui peut résulter de l'application de méthodes différentes. Toutefois, quelle que soit la valeur que les tables prescrites par l'IRS puissent avoir aux État-Unis, elles n'en ont aucune ici et elles ne peuvent pas être utilisées sans que des preuves ne soient présentées à l'appui. Néanmoins, je présume que les chiffres contenus dans les tables sont justes du point de vue actuariel, bien que cette conclusion ne soit pas étayée par un élément présenté en preuve en l'espèce. Il est cependant intéressant de souligner que le montant de 28 191,98 $ auquel je suis arrivé par l'application des tables des États-Unis est relativement proche du montant de 30 051,25 $ que j'ai calculé.

[28]    L'appel est par conséquent admis avec dépens conformément au tarif, compte tenu de ce qui suit :

a)       le gain en capital imposable de l'appelant avant la prise en compte des commissions de courtage immobilier et des frais de justice est de 30 051,25 $;

b)       les commissions de courtage immobilier et les frais de justice totalisant 23 001,85 $, dont il est fait mention au début de ces motifs, doivent être pris en compte dans le calcul du gain en capital;

c)       les dépenses convenues par les parties relativement à l'entreprise de tricot de l'appelant et s'élevant à 1 771,22 $ doivent être admises dans le calcul du revenu de l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'août 2005.

« D.G.H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de février 2006.

Joanne Robert, traductrice

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