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Dossier : 2003-1663(IT)G

ENTRE :

ROBERT MCMULLEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 3 et 4 octobre 2005, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Terry D. McEwan

 

Avocats de l’intimée :

Me Ifeanyi Nwachukwu

Me Ernest Wheeler

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1995 est accueilli avec dépens et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que les paragraphes 84(2), 84.1(1) et 245(2) ne s’appliquent pas aux opérations en question.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2007.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’août 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2007CCI16

Date : 20070122

Dossier : 2003-1663(IT)G

ENTRE :

ROBERT MCMULLEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

 

La juge Lamarre

 

[1]     Il s’agit d’un appel d’une cotisation dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a requalifié de dividende imposable de 187 500 $ le gain en capital imposable de 37 500 $ déclaré par l’appelant pour son année d’imposition 1995, à l’égard duquel l’appelant a demandé une exonération de gains en capital. Le ministre se fonde en particulier sur les paragraphes 84(2) et 84.1(1) ainsi que sur l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

 

Les faits

 

[2]     En 1989, l’appelant a acheté, pour 100 000 $, 100 actions ordinaires de DeBruyn & Kraszewski Enterprises Ltd. (« D & K »), une société constituée en vertu des lois de l’Ontario. À ce moment‑là, D & K a changé de nom pour celui de DeBruyn McMullen Enterprises Limited (« DMEL »), étant donné que l’appelant et Bernard DeBruyn détenaient chacun 50 p. 100 des actions ordinaires en circulation de DMEL.

 

[3]     La société DMEL exploitait une entreprise spécialisée en chauffage et en climatisation à deux endroits, à savoir Belleville et Kingston, en Ontario. Son exercice prenait fin le 30 septembre. Selon ses états financiers pour l’exercice clos le 30 septembre 1995 (pièce A‑1, onglet 2), l’entreprise était exploitée à perte; le prêt d’exploitation consenti par la banque est passé de 80 000 à 150 000 $ et, selon l’appelant, la banque s’est mise à exercer plus de pressions sur les actionnaires. M. DeBruyn croyait qu’ils devaient commencer à sous‑traiter le travail, alors que l’appelant craignait de s’aventurer dans ce sens. L’appelant n’avait plus d’argent à investir dans DMEL. Dans ce contexte, au printemps 1995, l’appelant a informé M. DeBruyn qu’il voulait mettre fin aux relations qu’il entretenait avec lui et qu’il ne voulait plus être associé à l’entreprise. Les deux actionnaires avaient conclu une convention entre actionnaires qui renfermait une clause d’achat forcé. Toutefois, ni l’un ni l’autre n’avait suffisamment d’argent pour acheter la part de l’autre. L’appelant a demandé conseil au comptable de DMEL, Michael Descent. Il avait envisagé de faire faillite, car il croyait que les actifs de l’entreprise ne couvriraient pas les comptes créditeurs et que la banque demanderait aux actionnaires de la rembourser, à l’aide de leurs garanties personnelles, s’ils décidaient de dissoudre la société, mais M. Descent leur a plutôt proposé de diviser les deux succursales de DMEL et il a demandé à l’appelant d’envisager de prendre en charge la succursale de Kingston. Comme l’appelant l’a dit, M. Descent était d’avis qu’ils pouvaient organiser quelque chose qui ne coûterait pas trop cher, l’appelant prenant en charge les activités à Kingston, alors que M. DeBruyn continuerait à s’occuper des activités à Belleville, les deux associés n’entretenant plus de relations l’un avec l’autre. D’autre part, M. DeBruyn a été un peu étonné d’apprendre de l’appelant, au printemps 1995, qu’il voulait mettre fin à leur association. Il ne pouvait pas imaginer qu’il exploiterait seul les deux succursales étant donné qu’il ne croyait pas avoir les ressources financières pour le faire. Il n’avait pas l’argent requis pour acheter la part de l’appelant. Toutefois, il considérait comme possible la suggestion de M. Descent et c’est alors qu’il a proposé de faire de sa femme son associée. M. Descent a décidé de consulter le conseiller fiscal Douglas Parker, C.A.

 

[4]     L’appelant a cité M. Parker comme témoin. M. Parker a déclaré que, lorsque M. Descent avait communiqué avec lui, il avait analysé la situation pour voir si le plan de M. Descent était réalisable. En examinant le bilan de la société au 30 septembre 1994, M. Parker a remarqué un montant de 67 414 $ au titre des avoirs pour l’année 1994. Il ne s’agissait pas d’un montant élevé compte tenu du niveau de l’actif et du passif (qui se situaient tous deux aux alentours de 1,3 million de dollars). La société n’avait pas beaucoup de fonds en caisse; elle devait de l’argent à la banque et ses biens immeubles étaient grevés d’une hypothèque. Il y avait peu de latitude, que ce soit pour contracter un emprunt en vue de verser des dividendes à un actionnaire ou pour utiliser à cette fin les fonds que possédait la société. M. Parker a décelé un autre problème : la valeur de la succursale de Kingston et celle de la succursale de Belleville n’étaient pas représentatives de la structure du capital‑actions. Chaque actionnaire détenait 50 p. 100 des actions, mais les succursales de Belleville et de Kingston n’étaient pas d’égale valeur (voir l’état des résultats pour les années 1994 et 1995, produit sous la cote A‑1, onglet 2). M. Descent avait dit à M. Parker, et la chose n’est pas contestée, que la juste valeur marchande des actions était de 300 000 $, de sorte que la moitié de la valeur correspondait à un montant de 150 000 $. Une autre préoccupation, pour M. Parker, découlait du fait que la femme de M. DeBruyn, Linda DeBruyn, voulait devenir actionnaire de la société.

 

[5]     Compte tenu de ces faits, M. Parker a conçu un plan par lequel Linda DeBruyn acquerrait les actions de l’appelant en ayant recours à une société de portefeuille (à savoir 1149530 Ontario Inc. (« 114 Co »), qui a de fait été constituée le 29 septembre 1995 et dont Linda DeBruyn était l’unique actionnaire). La société 114 Co devait devenir pour la moitié actionnaire de DMEL, avec le mari de Linda DeBruyn, Bernard DeBruyn. Pour financer l’acquisition des actions de l’appelant par 114 Co, M. Parker a initialement proposé que 114 Co emprunte de l’argent à la banque en vue de payer l’appelant. Toutefois, il a finalement été décidé de changer la structure du capital‑actions de DMEL. Le 29 septembre 1995, des statuts de modification ont été déposés auprès du ministère de la Consommation et du Commerce de l’Ontario en vue de désigner autrement les actions ordinaires existantes du capital‑actions de la société, comme étant des actions ordinaires de catégorie A, et en vue de créer un nombre illimité d’actions ordinaires de catégorie B. En outre, l’appellation de DMEL a été changée, le nom de DeBruyn Enterprises Ltd. (« DEL ») étant adopté (voir la pièce A‑1, onglet 19). Comme les nouvelles actions de catégorie A étaient convertibles en actions ordinaires de catégorie B n’importe quand, au choix de leur détenteur, M. DeBruyn a converti en actions ordinaires de catégorie B, le 29 septembre 1995, les 100 actions ordinaires de catégorie A qu’il détenait dans la société DEL (pièce A‑1, onglet 20).

 

[6]     Le 1er octobre 1995, une convention d’achat d’actions a été signée; elle prévoyait que l’appelant vendait à 114 Co les 100 actions ordinaires de catégorie A qu’il détenait dans DEL moyennant une contrepartie de 150 000 $, le prix d’achat devant être payé par 114 Co au moyen d’un chèque certifié ou d’une traite bancaire à la date de signature (définie comme étant le 2 octobre 1995, ou toute autre date antérieure ou postérieure dont auraient mutuellement convenu le vendeur et l’acheteur; voir la pièce A‑1, onglet 23). Le financement de l’achat des actions était assuré au moyen d’un achat par endettement. Le 1er octobre 1995, les administrateurs de DEL, Linda et Bernard DeBruyn, ont déclaré un dividende d’un montant de 150 000 $ sur les actions ordinaires de catégorie A, ces actions étant détenues uniquement par 114 Co (pièce A‑1, onglet 33). La société DEL a obtenu ce qui est connu sous le nom de prêt bancaire d’un jour en vue de verser ce dividende. Conformément à l’article 112 de la Loi, ce dividende intersociétés n’était pas imposable. En paiement du prix d’achat des 100 actions ordinaires de catégorie A de DEL, la société 114 Co a cédé à l’appelant le montant de 150 000 $ que DEL devait lui verser, et l’appelant a accusé réception du montant de 150 000 $, représentant le paiement intégral conformément à la convention d’achat d’actions, le 1er octobre 1995 (pièce A‑1, onglet 27).

 

[7]     En utilisant ces fonds qu’il recevait libres d’impôt par suite de l’exonération de gains en capital ainsi que le crédit du compte de prêt d’actionnaire qu’il avait chez DEL, et en prenant en charge les dettes de la succursale de Kingston, M. McMullen acquérait cette succursale à sa juste valeur marchande par l’entremise de Haven Home Comfort Inc. (« HHCI »), une société constituée en vertu des lois de l’Ontario le 11 août 1995, dont étaient propriétaires l’appelant et son épouse, Diane McMullen, chacun détenant 50 p. 100 des actions ordinaires de cette société. Le 1er octobre 1995, l’appelant a cédé à HHCI les 150 000 $ que DEL devait lui verser (pièce A‑1, onglet 34) en contrepartie d’un billet (pièce A‑1, onglet 18, avant‑dernière page).

 

[8]     De plus, le 1er octobre 1995, conformément à une convention d’achat d’actifs, HHCI a acquis les actifs de DEL se rapportant à ses activités commerciales à Kingston moyennant une contrepartie de 431 508 $ (ce qui représentait, et la chose n’est pas contestée, la juste valeur marchande à ce moment‑là). Dans l’état des rajustements (produit sous la cote A‑1, onglet 44, et présenté sous forme de diagramme dans la pièce A‑3), ce montant se répartissait comme suit :

 

 45 585 $

en espèces, emprunté par l’appelant auprès de la banque

         1 $

arrhes

227 387 $

prise en charge de l’hypothèque

   8 535 $

compte du prêt d’actionnaire

150 000 $

dû par DEL à HHCI, à valoir sur le prix d’achat (voir la pièce A‑1, onglets 46 et 47)

431 508 $

Total

 

[9]   Les actifs, à Kingston, comprenaient un bien‑fonds et un bâtiment, des véhicules, des meubles et de l’équipement, les améliorations locatives, les stocks et l’achalandage (selon la convention d’achat d’actifs, pièce A‑1, onglet 35).

 

[10]    Étant donné que le montant de 150 000 $ se retrouvait entre les mains de DEL, cette dernière a remboursé le prêt bancaire d’un jour.

 

[11]    Le 2 octobre 1995, par suite de la série d’opérations susmentionnées, les actifs de l’entreprise de DEL ont été répartis comme suit : l’appelant et sa femme, en leurs qualités de propriétaires de HHCI, détenaient chacun une part de 50 p. 100 dans les actifs d’exploitation de l’ancienne entreprise de DEL à Kingston, et Bernard et Linda DeBruyn – cette dernière par l’entremise de la société 114 Co, qu’elle possédait à cent pour cent – détenaient chacun une part de 50 p. 100 dans les actifs d’exploitation de DEL, à Belleville. Par la suite, les McMullen et les DeBruyn, qui avaient signé une entente de non‑concurrence (pièce A‑1, onglet 35, annexe D) n’ont jamais plus traité les uns avec les autres. En produisant sa déclaration de revenus T2 pour l’année d’imposition 1996, DEL a déclaré un gain en capital imposable et une récupération à l’égard de la vente de la succursale de Kingston en faveur de HHCI (voir les observations écrites de l’intimée, page 6, alinéa 16c)).

 

[12]    La société HHCI exerce encore ses activités. Les DeBruyn ont vendu DEL trois ans plus tard, en 1998, à Lennox, une société indépendante exerçant ses activités dans le même domaine, à Belleville.

 

 

Le point litigieux

 

[13]    L’intimée soutient que la présente affaire comporte une série circulaire d’opérations prédéterminées qui ont principalement été conclues le même jour. De l’avis de l’intimée, la série d’opérations comprenait une vente entre des parties ayant un lien de dépendance, soit une vente d’actions de l’appelant en faveur de 114 Co, par laquelle des biens de DEL d’une valeur de 150 000 $ ont été retirés en faveur ou au profit de l’appelant dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise de DEL. L’appelant a déclaré un gain en capital imposable de 37 500 $ (soit le produit de la disposition de 150 000 $, moins le prix de base rajusté de 100 000 $, multiplié par une inclusion du gain en capital de 75 p. 100), lequel était entièrement compensé par l’exonération de gains en capital à laquelle il avait droit. Selon la position que l’intimée a prise, eu égard aux faits de l’espèce, le montant de 150 000 $ que l’appelant a reçu est réputé, en vertu du paragraphe 84(2) ou de l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi, ou par application de l’article 245 [la règle générale anti‑évitement (la « RGAÉ »)] de la Loi, être un dividende imposable de 187 500 $ (soit le dividende réel de 150 000 $ plus une majoration de 25 p. 100).

 

[14]    Les points litigieux sont résumés comme suit aux paragraphes 19, 20 et 21 des observations écrites de l’intimée, page 8 :

 

[traduction]

19.       Pour ce qui est du paragraphe 84(2), il s’agit de savoir :

 

a)      si le montant de 150 000 $, que M. McMullen a reçu de 114 à l’égard de la vente d’actions de catégorie A de DEL, constitue une distribution ou une attribution de fonds ou de biens de DEL, de quelque façon que ce soit, lors de la liquidation, de la cessation de l’exploitation ou de la réorganisation de l’entreprise de DEL. Plus précisément :

 

i)    La vente par DEL de sa succursale de Kingston constitue‑t‑elle une réorganisation de l’entreprise de DEL?

 

ii)   L’appelant a-t-il reçu, « de quelque façon que ce soit », des biens ou des fonds de DEL lors de la réorganisation de l’entreprise de DEL?

 

20.         Si le paragraphe 84(2) ne s’applique pas, le point litigieux, pour ce qui est de l’alinéa 84.1(1)b) est de savoir :

 

a)     si la vente d’actions de catégorie A de DEL en faveur de 114 constitue un transfert d’actions entre des parties ayant un lien de dépendance au sens et en application de cette disposition. Plus précisément :

 

i)    Le 1er octobre 1995, M. McMullen et 114 traitaient‑ils sans avoir entre eux de lien de dépendance au sens de l’alinéa 251(1)b)?

 

ii)   Immédiatement après la disposition, 114 et DEL étaient‑elles des sociétés rattachées au sens du paragraphe 186(4) de la Loi?

 

21.         Si le paragraphe 84(2) et l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi ne s’appliquent pas, il s’agit de savoir :

 

a)     si le paragraphe 245(2) s’applique à la vente des actions de DEL de façon à refuser, dans les circonstances, le gain en capital imposable déclaré par M. McMullen et à inclure plutôt ce montant dans le revenu de M. McMullen au titre d’un dividende imposable. Plus précisément :

 

i)    M. McMullen a-t-il reçu un avantage fiscal à l’égard de la vente d’actions de DEL au sens du paragraphe 245(1)?

 

ii)   Les opérations conclues les 29 septembre et 1er octobre 1995 et faisant partie d’une série d’opérations constituent‑elles une opération d’évitement au sens de l’alinéa 245(3)b)?

 

iii)   Les opérations d’évitement constituent‑elles un abus de la Loi au sens du paragraphe 245(4)?

 

iv)  La détermination par l’intimée des effets fiscaux de l’opération d’évitement était‑elle appropriée eu égard aux circonstances dans leur ensemble?

 

 

I. Le paragraphe 84(2) de la Loi

 

[15]    Le paragraphe 84(2), tel qu’il s’appliquait au cours de l’année d’imposition 1995, est rédigé comme suit :

 

Dividende réputé versé et reçu

 

            84. [...]

 

Distribution lors de liquidation, etc.

 

            (2) Lorsque des fonds ou des biens d’une société résidant au Canada ont, à un moment donné après le 31 mars 1977, été distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit, aux actionnaires ou au profit des actionnaires de toute catégorie d’actions de son capital‑actions, lors de la liquidation, de la cessation de l’exploitation ou de la réorganisation de son entreprise, la société est réputée avoir versé au moment donné un dividende sur les actions de cette catégorie, égal à l’excédent éventuel du montant ou de la valeur visés à l’alinéa a) sur le montant visé à l’alinéa b):

 

            a) le montant ou la valeur des fonds ou des biens distribués ou attribués, selon le cas;

 

            b) le montant éventuel de la réduction, lors de la distribution ou de l’attribution, selon le cas, du capital versé relatif aux actions de cette catégorie;

 

chacune des personnes qui détenaient au moment donné une ou plusieurs des actions émises est réputée avoir reçu à ce moment un dividende égal à la fraction de l’excédent représentée par le rapport existant entre le nombre d’actions de cette catégorie qu’elle détenait immédiatement avant ce moment et le nombre d’actions émises de cette catégorie qui étaient en circulation immédiatement avant ce moment.

 

[16]    L’intimée soutient que le paragraphe 84(2) de la Loi vise à empêcher le dépouillement de biens ou de fonds d’une société résidant au Canada lors de la liquidation, de la cessation de l’exploitation ou de la réorganisation de son entreprise. Elle fait valoir que la vente par l’appelant d’actions de DEL en faveur de 114 Co pour un produit de 150 000 $ constituait une distribution de fonds ou de biens de DEL lors de la réorganisation de l’entreprise de DEL, au sens du paragraphe 84(2) de la Loi. Elle affirme que DEL est donc réputée avoir versé, et l’appelant est réputé avoir reçu, un dividende d’un montant de 150 000 $ le 1er octobre 1995.

 

[17]    D’autre part, l’appelant soutient que les opérations visaient principalement à permettre à deux associés en affaires de partager une seule entreprise exploitée à deux endroits à Belleville et à Kingston en deux entreprises distinctes devant être possédées d’une façon indépendante par chaque ancien actionnaire et par sa femme. Selon l’appelant, le paragraphe 84(2) de la Loi ne s’applique pas parce que les opérations qui ont eu lieu n’ont pas entraîné la réorganisation de l’entreprise de DEL. À son avis, une réorganisation a lieu dans le contexte d’une liquidation ou d’une dissolution. En l’espèce, soutient‑il, DEL a continué à exploiter son entreprise et l’on ne peut donc pas parler d’une réorganisation au sens du paragraphe 84(2) de la Loi.

 

 

Analyse

 

[18]    Dans la décision Kennedy v. M.N.R., 72 DTC 6357 (C.F. 1re inst.), aux pages 6362 et 6363[1], le juge Cattanach a analysé le sens de ce qui constitue une réorganisation à l’égard du paragraphe 81(1), soit la disposition qui existait avant que le paragraphe 84(2) soit édicté :

 

         Prenons une entreprise déterminée que l’on décide de ne pas liquider mais de continuer sous une forme différente, d’une manière telle que ce soient sensiblement les mêmes personnes qui en continuent l’exploitation; voilà ce que j’estime être une réorganisation. En effet, c’est la même entreprise qui est exploitée par les mêmes personnes, mais de façon différente.

 

[...]

 

         Le paragraphe 81(1) emploie le mot « réorganisation », qu’il juxtapose aux mots « liquidation » et « cessation ». Ces deux mots comportent un élément de caractère définitif. La compagnie prend fin. Il est donc logique de penser que le mot « réorganisation » présuppose la fin de l’exploitation de l’entreprise sous une forme et sa poursuite sous une forme différente.

 

[...]

 

[Aucune « réorganisation » en l’espèce]

 

         En l’espèce, il n’y a pas eu d’organisation "nouvelle". La même compagnie a continué la même entreprise de la même façon et sous la même forme. La seule différence réside dans le fait qu’en raison de la vente de ses locaux, la compagnie a exploité la même entreprise dans les mêmes locaux dont elle était locataire au lieu d’en être propriétaire.

 

         Il s’est simplement agi de la vente par la compagnie d’un capital immobilisé qui n’a pas eu comme résultat la fin de l’entreprise de la compagnie. Elle aurait pu acheter d’autres locaux pour y poursuivre son entreprise, mais elle a préféré la continuer dans les locaux loués dont elle était auparavant propriétaire. Il est manifeste que ceci ne modifiait pas la gestion de son entreprise elle‑même, mais uniquement la façon dont la compagnie détenait les locaux où elle exploitait son entreprise.

 

         À mon sens, il ne s’agit pas d’une "réorganisation" de l’entreprise au sens commercial ni au sens que le paragraphe 81(1) donne à ce mot.

 

[19]    Dans la décision Merritt v. M.N.R., [1941] 3 D.L.R. 115, page 119 (C. de l’É.), annulée pour d’autres motifs par [1942] 2 D.L.R. 465 (CSC), le juge Maclean était d’avis que les mots « liquidation, cessation ou réorganisation » figurant à l’ancien paragraphe 19(1) de la Loi étaient des termes commerciaux plutôt que juridiques. Cette thèse a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Smythe et al. c. M.R.N., 1970 R.C.S. 64, page 71.

 

[20]    En l’espèce, voici ce qui s’est en fait passé : DEL a vendu sa succursale de Kingston à HHCI, société appartenant à l’appelant et à sa femme, tout en conservant son entreprise à Belleville. Si DEL avait vendu sa succursale de Kingston à un tiers, cette vente d’une partie de son entreprise n’aurait probablement pas été considérée comme une réorganisation. (Voir par exemple la décision Geransky v. R., 2001 CarswellNat 272, dans laquelle la cessation de l’exploitation d’une partie importante d’une entreprise et la vente consécutive des actifs servant à la fabrication de ciment à un tiers ne constituaient pas, de l’avis de la Cour, une réorganisation au sens du paragraphe 84(2) de la Loi.) À mon avis, la vente de la succursale de Kingston à une société dont la moitié appartenait à l’appelant, qui venait de rompre ses liens avec DEL, n’est pas différente de la vente à un tiers. Cela n’est pas différent de la situation qui existait dans l’affaire Kennedy, où une société avait vendu ses locaux à son actionnaire majoritaire. À mon avis, la situation en l’espèce est encore plus claire que celle qui existait dans l’affaire Kennedy. De fait, dans l’affaire Kennedy, l’actionnaire majoritaire qui avait acheté les locaux les avait de nouveau loués à la société, qui avait continué à exploiter son entreprise depuis cet endroit. En l’espèce, l’appelant, par l’entremise de HHCI, a acheté les actifs de DEL, à Kingston, et par la suite, il n’a jamais traité avec cette entité. La société DEL a continué à exploiter son entreprise à Belleville, mais elle n’était plus contrôlée par les mêmes actionnaires. De fait, DEL appartenait par la suite à Bernard DeBruyn et à 114 Co, qui appartenait à Linda DeBruyn. L’entreprise de DEL n’était exploitée qu’à Belleville et avait cessé d’être exploitée par les associés qui l’exploitaient auparavant lorsqu’il y avait deux succursales. Le résultat final était la vente par DEL d’immobilisations, ce qui n’a pas mis fin à son entreprise. De fait, DEL n’a pas cessé d’exploiter son entreprise. À mon avis, cela n’était pas une réorganisation de l’entreprise, telle celle qui est visée au paragraphe 84(2) de la Loi.

 

[21]    Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivée, il n’est plus nécessaire de nous demander si des fonds ou des biens de DEL ont été distribués ou attribués de quelque façon que ce soit à l’appelant ou au profit de l’appelant, au sens du paragraphe 84(2), étant donné qu’une condition d’application de cette disposition (à savoir la liquidation, la cessation de l’exploitation ou la réorganisation) n’a pas été remplie. Toutefois, je ne crois pas que des fonds ou des biens de DEL aient été attribués au profit de l’appelant. L’intimée a soulevé l’argument relatif à l’attribution en se fondant sur le dépouillement des surplus de DEL (comme c’était le cas dans l’affaire RMM Canadian Enterprises Inc. et al. v. The Queen, 97 DTC 302 (C.C.I.) et dans l’affaire Smythe et al. c. M.R.N., précitée), étant donné que 114 Co a payé les actions de l’appelant essentiellement à l’aide des fonds de DEL. Toutefois, dans les affaires Smythe et RMM, il y avait une société qui possédait un surplus important et les mesures qui avaient été prises comportaient l’utilisation d’une autre société comme moyen de remettre le surplus entre les mains des actionnaires. En l’espèce, selon les états financiers relatifs à l’exercice clos le 30 septembre 1995, DEL accusait une perte en 1995. L’avoir des actionnaires était passé de modestes bénéfices non répartis de 67 000 $ en 1994 à un déficit de plus de 10 000 $ en 1995. Contrairement à la situation qui existait dans les affaires Smythe et RMM, il n’y avait pas de bénéfices non répartis qui puissent donner lieu à un dépouillement. J’estime donc qu’il est difficile de conclure que des fonds ou des biens de DEL se sont retrouvés entre les mains de l’appelant. L’observation que le juge en chef adjoint Bowman a faite au paragraphe 35 de la décision Geransky, précitée, s’applique ici : l’appelant n’a pas retiré un montant de 150 000 $ de DEL; il a vendu des actions pour la somme de 150 000 $. De fait, l’appelant a vendu les actions qu’il avait achetées au prix de 100 000 $ à 114 Co, qui avait le droit de recevoir un dividende de DEL, et 114 Co a payé le prix des actions à l’aide du dividende de 150 000 $ qu’elle a reçu. L’appelant a ensuite utilisé les 150 000 $ pour acheter une partie des actifs, à Kingston. Le résultat final était que l’appelant a reçu une partie des actifs de DEL en échange de la cession de ses actions. Je conclus qu’il n’y a pas eu attribution de fonds au profit de l’appelant dans ce cas particulier.

 

 

II. L’alinéa 84.1(1)b) de la Loi

 

[22]    L’alinéa 84.1(1)b), tel qu’il s’appliquait au cours de l’année d’imposition 1995, est rédigé comme suit :

 

Vente d’actions en cas de lien de dépendance

 

           84.1 (1) Lorsque, après le 22 mai 1985, un contribuable qui réside au Canada (à l’exclusion d’une société) dispose d’actions qui sont des immobilisations du contribuable appelées "actions concernées" au présent article d’une catégorie du capital‑actions d’une société qui réside au Canada appelée "la société en cause" au présent article en faveur d’une autre société appelée "acheteur" au présent article avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance et que, immédiatement après la disposition, la société en cause serait rattachée à l’acheteur, au sens du paragraphe 186(4) si les mentions "société payante" et "société donnée" y étaient respectivement remplacées par "la société en cause" et "acheteur" :

 

[...]

 

b) pour l’application de la présente loi, un dividende, [...] est réputé avoir été versé par l’acheteur au contribuable et reçu par celui‑ci au moment de la disposition : […]

 

[23]    L’intimée soutient que l’article 84.1 de la Loi est une disposition anti‑évitement qui vise à empêcher le dépouillement du surplus d’une société de la part d’un actionnaire au moyen du transfert, entre des parties ayant un lien de dépendance, d’actions d’une société à une autre société rattachée à la première. Selon la position prise par l’intimée, la vente d’actions de catégorie A de DEL, le 1er octobre 1995, constituait une vente, entre des parties ayant un lien de dépendance, d’actions en faveur de 114 Co, de sorte qu’un dividende est réputé avoir été versé par DEL et avoir été reçu par l’appelant.

 

 

Analyse

 

[24]    La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’appelant et 114 Co étaient des personnes n’ayant pas de lien de dépendance lorsque l’opération relative aux actions a été conclue. Étant donné qu’il ne s’agissait pas de personnes liées au sens de l’alinéa 251(1)a) de la Loi, il s’agit de savoir si, en fait, il n’existait entre eux aucun lien de dépendance au sens de l’alinéa 251(1)b) de la Loi. Le paragraphe 251(1), tel qu’il s’appliquait au cours de l’année d’imposition 1995, est rédigé comme suit :

 

ARTICLE 251 : Lien de dépendance

 

(1) Pour l’application de la présente loi:

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

[25]    La question de savoir si les parties n’ont en fait entre elles aucun lien de dépendance a été soulevée dans l’arrêt Petro‑Canada c. Canada, [2004] A.C.F. no 734 (C.A.F.) (QL). La Cour a résumé comme suit l’analyse à effectuer, au paragraphe 54 :

 

54       Une foule de précédents ont porté sur la question de savoir si une opération a lieu entre deux parties sans lien de dépendance. En règle générale, les tribunaux ont défini trois questions qui peuvent servir de cadre à l’analyse; voir par exemple l’arrêt Peter Cundill & Associates Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1991] 2 C.T.C. 221, 91 D.T.C. 5543 (C.A.F.). D’abord, le même état d’esprit oriente‑t‑il la négociation pour les deux parties à l’opération? Deuxièmement, les parties à l’opération ont‑elles agi de concert sans intérêts distincts? Troisièmement, l’une des parties à l’opération a‑t‑elle exercé un contrôle de fait sur l’autre?

 

[26]    Dans la décision M.N.R. v. Merritt Estate, 69 DTC 5159 (C. de l’É.), le juge Cattanach a dit ce qui suit aux pages 5165 et 5166 :

 

[Traduction] Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même "cerveau", on ne peut dire que les parties n’ont aucun lien de dépendance. En d’autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne "dictait" les "conditions de la transaction" au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties n’avaient aucun lien de dépendance.

 

[27]    Dans la décision McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111 (C.C.I.), le juge Bonner a ajouté ce qui suit, aux pages 117 et 118 :

 

Le critère voulant que les parties agissent de concert montre jusqu’à quel point il est important que la négociation ait lieu entre des parties distinctes, qui cherchent chacune à protéger leurs propres intérêts. Ce critère est énoncé dans la décision que la Cour de l’Échiquier a rendue dans l’affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R. [[1971] C.T.C. 427, 71 D.T.C. 5235; conf. [1972] C.T.C. 614, 72 D.T.C. 6470] À la page 5241, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a dit ceci :

 

         J’ajouterais que lorsque plusieurs parties, qu’elles soient des personnes physiques, des compagnies ou une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même intérêt pour diriger ou dicter la conduite d’une autre, le "cerveau" directeur peut à mon avis être celui de l’ensemble des parties agissant de concert ou celui d’une seule d’entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu’il faut accomplir pour atteindre l’objectif commun. De plus, à mon sens, il n’y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d’autres et celles qui, quelque nombreuses qu’elles soient, se font représenter par une autre. D’autre part, si l’une des parties à une transaction agit dans un intérêt différent de celui des autres ou le représente, le fait que le but commun soit de diriger les actes d’une autre partie de façon à obtenir un résultat bien précis ne suffira pas en soi à enlever à la transaction son caractère de transaction entre personnes traitant à distance. Selon moi, l’affaire Sheldon’s Engineering [[1955] C.T.C. 174, 55 DTC 1110] en est un exemple.

 

[28]    À mon avis, l’appelant et 114 Co, qui appartenait à cent pour cent à Linda DeBruyn, avaient des intérêts économiques distincts lorsque l’appelant a disposé de ses actions ordinaires de catégorie A. Le fait que les parties se sont entendues sur le prix de vente des actions, lequel correspondait en fait et la chose n’est pas contestée à la juste valeur marchande, ne veut pas dire pour autant que nous devons inférer que les intérêts du vendeur et de l’acheteur n’étaient pas divergents. Le prix de vente des actions de l’appelant devait être compensé par le prix d’achat de l’ensemble des actifs, que HHCI devait payer afin de prendre possession de la succursale de Kingston. De fait, à compter du moment où l’appelant a décidé de mettre fin à son association avec M. DeBruyn, ils avaient des intérêts économiques divergents. L’appelant, qui a acquis certains actifs de DEL par l’entremise de HHCI, et DEL, en sa qualité de vendeur, n’agissaient pas de concert. En fin de compte, ils sont arrivés à une solution acceptable qui convenait à chacun d’eux. Dans la décision McNichol, précitée, le juge Bonner a dit ce qui suit à la page 118 :

 

[...] Les actions des appelants et de M. Forestell, lorsqu’ils ont négocié l’opération de vente des actions, étaient clairement régies par la façon dont chacun concevait ses propres intérêts personnels. Même si l’épargne fiscale que les appelants pouvaient réaliser par suite de la vente constituait non seulement le motif de la vente, mais aussi les limites dans lesquelles le prix de vente pouvait être négocié, cela ne veut pas pour autant dire que les appelants et M. Forestell ont agi de concert. L’acheteur et le vendeur n’agissent pas de concert simplement parce que l’entente qu’ils cherchent à conclure peut être avantageuse pour les deux parties. Par conséquent, l’article 84.1 ne s’applique pas.

 

 

[29]    En l’espèce, les actions de l’appelant et des DeBruyn, lorsqu’ils ont négocié l’opération de vente d’actions, étaient régies par la façon dont chacun concevait ses propres intérêts personnels. Les deux associés voulaient faire route à part. La structure créée sur les avis du comptable a entraîné un avantage fiscal pour l’appelant et a fourni à 114 Co le financement nécessaire pour acheter les actions. Comme l’a dit le juge Bonner, l’acheteur et le vendeur n’agissent pas de concert simplement parce que l’entente qu’ils cherchent à conclure peut être avantageuse pour les deux parties. En outre, on ne saurait conclure que les parties ont agi de concert simplement parce qu’elles ont eu recours aux mêmes conseillers financiers (voir Brouillette c. Canada, [2005] A.C.I. no 139 (QL), au paragraphe 51).

 

[30]    L’appelant n’exerçait aucun contrôle sur 114 Co. De fait, le dividende de 150 000 $ payable par DEL à 114 Co était plus avantageux pour 114 Co, qui a réussi à éviter d’avoir à emprunter de l’argent pour acheter les actions, qu’il ne l’était pour l’appelant, qui avait le droit de recevoir 150 000 $ en contrepartie de ses actions.

 

[31]    Je conclus donc, à la lumière des facteurs analysés ci‑dessus, que l’appelant et 114 Co n’avaient entre eux aucun lien de dépendance. Par conséquent, l’alinéa 84.1(1)b) ne s’applique pas en l’espèce.

 

III. La question relative à la RGAÉ de l’article 245

 

PARTIE XVI

ÉVITEMENT FISCAL

 

Définitions

 

           245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

 

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi.

 

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

 

[...]

 

Disposition générale anti-évitement

 

           (2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

 

Opération d’évitement

 

           (3) L’opération d’évitement s’entend :

 

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

Non-application du par. (2)

 

            (4) Il est entendu que l’opération dont il est raisonnable de considérer qu’elle n’entraîne pas, directement ou indirectement, d’abus dans l’application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble compte non tenu du présent article n’est pas visée par le paragraphe (2).

 

Attributs fiscaux à déterminer

 

            (5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

 

a) toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

 

b) tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

 

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

 

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

 

[...]

 

[32]    L’approche à adopter en ce qui concerne l’article 245 de la Loi est résumée comme suit au paragraphe 66 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54 :

 

66   L’approche relative à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

 

1.                 Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :

 

(1)  il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));

 

(2)  l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable -- l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

(3)  il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

 

2.                Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.

 

3.                S’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.

 

4.                Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l’avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l’avantage a été conféré. Le but est d’en arriver à une interprétation téléologique qui s’harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l’avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l’ensemble de la Loi.

 

5.                La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d’autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d’évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu’un élément des faits qui sous-tendent l’affaire et serait insuffisante en soi pour établir l’existence d’un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l’interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.

 

6.                On peut conclure à l’existence d’un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l’objet ou à l’esprit des dispositions censées conférer l’avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.

 

7.                Si le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

 

[33]    Dans ses observations écrites, l’avocat de l’appelant fait valoir que la RGAÉ ne s’applique pas aux faits de l’espèce, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, les opérations en question n’étaient pas des opérations d’évitement. En second lieu, il n’y avait pas évitement fiscal abusif. Toutefois, l’avocat de l’appelant admet qu’un avantage fiscal découlait de la série d’opérations.

 

[34]    Selon l’avocat de l’appelant, il n’y avait pas d’opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi parce qu’il est raisonnable de conclure que l’appelant a principalement effectué les opérations pour des objets commerciaux véritables. L’avocat affirme que les conseillers financiers ont aidé l’appelant à mener à bonne fin les opérations d’une façon efficace sur le plan fiscal, mais que les opérations visaient principalement à séparer l’entreprise unique de DEL en deux entreprises possédées en vertu d’un titre de propriété distinct. La planification fiscale a simplement été mise en œuvre afin d’appuyer les buts commerciaux indépendants de l’appelant et de M. DeBruyn. Par conséquent, de l’avis de l’avocat, l’exonération de gains en capital que l’appelant a demandée dans sa déclaration de revenus de 1995 devrait être à l’abri de la RGAÉ en vertu du paragraphe 245(3) parce que les opérations donnant lieu au gain en capital avaient principalement été conclues à des fins commerciales. Subsidiairement, l’avocat de l’appelant fait valoir que, s’il est établi qu’il y a eu opération d’évitement, l’intimée ne s’est pas acquittée de l’obligation qui lui incombait de démontrer que les opérations conclues par l’appelant ont donné lieu à un évitement fiscal abusif, tel que prévu au paragraphe 245(4) de la Loi. L’avocat soutient que l’exonération de gains en capital applicable aux actions d’une société admissible exploitant une petite entreprise vise à permettre au contribuable qui fait un bénéfice par suite de la disposition d’actions d’une telle société de réduire le montant à inclure dans son revenu. De l’avis de l’avocat, rien ne donne à entendre en l’espèce que l’appelant ait utilisé cette exonération de gains en capital en vue d’obtenir un résultat que l’exonération visait à empêcher. L’utilisation de l’exonération par l’appelant permettait à celui‑ci de vendre ses actions dans une petite entreprise qui risquait de faire faillite. Le résultat était la création de deux nouvelles petites entreprises, l’une pour l’appelant et sa femme et l’autre pour M. DeBruyn et sa femme, et les deux entreprises ont survécu. En outre, l’exonération de gains en capital demandée par l’appelant constitue un avantage fiscal conféré par le libellé clair de la Loi. De l’avis de l’avocat de l’appelant, l’intimée n’a pas établi que l’utilisation de l’exonération contrecarrait le but dans lequel l’exonération a été édictée.

 

[35]    L’intimée soutient que la série d’opérations, en particulier la réorganisation du capital‑actions de DEL, la vente par l’appelant des actions ordinaires de catégorie A de DEL à 114 Co, le dividende de 150 000 $ déclaré par DEL qui en a résulté en faveur de 114 Co et la cession du montant de 150 000 $ par 114 Co à l’appelant en paiement du prix d’achat des actions, ont donné lieu à un avantage fiscal en faveur de l’appelant. La série d’opérations a eu pour effet de convertir ce qui était par ailleurs un dividende imposable en un gain en capital entièrement compensé par l’exonération de gains en capital de l’appelant. Selon la position prise par la Couronne, la modification des statuts de DEL, la vente d’actions, la déclaration d’un dividende et la cession du montant de 150 000 $ de 114 Co en faveur de l’appelant constituent des opérations d’évitement.

 

[36]    La position de la Couronne est résumée aux paragraphes 91 à 95 des observations écrites de l’intimée, lesquels sont rédigés comme suit :

 

            [traduction]

            Modification des statuts

 

91.       La modification des statuts de DEL visant la réorganisation du capital‑actions de la société et la création de deux catégories d’actions était dépourvue de tout objet commercial. La rupture des liens existant entre M. McMullen et DEL par la vente des actions de M. McMullen n’exigeait pas la réorganisation du capital‑actions de DEL deux jours avant la vente. Cette opération a été effectuée en vue de conférer un avantage fiscal à M. McMullen. La conversion des actions de catégorie A de M. DeBruyn en actions de catégorie B a permis de déclarer un dividende sur les actions de catégorie A une fois que ces actions étaient détenues par 114. C’est le moyen qu’on a utilisé pour retirer un montant de 150 000 $ faisant partie des fonds de DEL, lequel a conféré indirectement, par l’entremise de 114 Co, un avantage fiscal à M. McMullen.

 

            Vente d’actions

 

92.       Sans aucun doute, la vente d’actions conclue entre M. McMullen et 114 a eu pour objet commercial de mettre fin à la participation de M. McMullen dans DEL. La vente d’actions a été incluse dans la série d’opérations afin de partager les actifs de DEL entre ses actionnaires par suite de la réorganisation visant à partager l’entreprise. La vente d’actions visait principalement à conférer un avantage fiscal à M. McMullen. Elle permettait de transférer à M. McMullen, libre d’impôt, un montant de 150 000 $ faisant partie des biens de DEL afin d’égaliser la valeur des actifs entre M. McMullen et M. DeBruyn par suite de la réorganisation visant à partager DEL. M. McMullen a déclaré ce qui était par ailleurs un dividende imposable de 187 500 $ au titre d’un gain en capital imposable de 37 500 $ entièrement compensé par son exonération de gains en capital.

 

            Déclaration de dividende

 

93.       La déclaration de dividende en faveur de 114 était, elle aussi, dépourvue d’objet commercial principal. C’était le moyen de mettre indirectement dans les poches de M. McMullen un montant de 150 000 $ faisant partie des fonds de DEL tout en évitant un dividende réputé. Le dividende versé à 114 n’était pas imposable entre les mains de 114, à cause de la déduction de dividende autorisée à l’article 112 de la Loi. Cette opération n’était pas simplement une distribution habituelle du surplus de la société à son actionnaire, mais elle visait plutôt principalement à permettre à M. McMullen d’obtenir un avantage fiscal. L’opération a également permis à Mme DeBruyn, par l’entremise de 114, d’acquérir 50 p. 100 des actions de DEL sans qu’elle ait à débourser quoi que ce soit.

 

            Première cession de dividende

 

94.       La cession par 114 en faveur de M. McMullen du dividende de 150 000 $ que DEL lui devait en paiement du prix d’achat des actions de DEL avait un objet commercial évident. Toutefois, cette opération visait principalement à conférer un avantage fiscal à M. McMullen. Elle a mis entre les mains de M. McMullen un montant de 150 000 $ faisant partie des fonds de DEL, de façon à égaliser les actifs par suite de la réorganisation visant à partager l’entreprise, tout en évitant un dividende réputé ou les attributs fiscaux découlant du versement de ce dividende.

 

95.       La Couronne soutient qu’il n’est pas raisonnable de considérer que les opérations susmentionnées ont été effectuées principalement pour un objet non fiscal véritable et que, cela étant, il s’agit d’opérations d’évitement au sens de l’alinéa 245(3)b). Une fois qu’il a été établi que l’une quelconque des opérations était une opération d’évitement, le paragraphe 245(4) de la Loi doit être pris en considération.

 

[37]    L’intimée reconnaît que l’opération relative aux actions n’était pas un trompe‑l’œil. Toutefois, elle est d’avis que le recours aux dispositions de la Loi concernant les gains en capital (articles 38 et 110.6) afin de contourner la politique de la Loi à l’égard des distributions effectuées par les sociétés à leurs actionnaires constituait un abus de ces dispositions. L’intimée réfère aux décisions McNichol et RMM, précitées, en disant que, selon l’analyse relative à l’abus effectuée conformément à l’article 245, les opérations qui sont légalement qualifiées de ventes d’actions mais qui entraînent le retrait du surplus de la société et l’évitement des conséquences ordinaires de pareille distribution, constituent un abus de la Loi dans son ensemble. L’intimée fait valoir que la politique de la Loi, si elle est lue dans son ensemble, est d’imposer entre les mains des actionnaires les distributions de surplus effectuées par les sociétés à titre de dividendes. La Couronne soutient que, par conséquent, le ministre a eu raison de ne pas tenir compte de l’effet fiscal de l’application des articles 38 et 110.6 de la Loi à la vente d’actions de l’appelant et de refuser à celui‑ci, en vertu de l’article 245 de la Loi, l’avantage fiscal d’un gain en capital imposable entièrement compensé par l’exonération de gains en capital et de considérer plutôt le montant de 150 000 $ comme un dividende.

 

[38]    L’appelant répond que la nature abusive d’une opération doit être claire en ce sens que l’opération contrecarre une politique claire et non ambiguë de la loi. Il soutient que l’intimée cherche à qualifier autrement la vente d’actions (c’est‑à‑dire la disposition d’une immobilisation), soit de distribution de biens entraînant un dividende réputé. L’appelant fait valoir que, même si une telle qualification était autorisée, il n’existe en vertu de la Loi aucune politique claire ou non ambiguë exigeant que le traitement des gains en capital cède le pas au traitement au titre d’un dividende. Ces deux formes de traitement coexistent dans la Loi, mais servent des fins différentes. On ne saurait dire, en principe, qu’il faut préférer un traitement à l’autre.

 

[39]    L’appelant affirme que la RGAÉ ne peut donc pas s’appliquer aux opérations qui ont été conclues en l’espèce parce qu’il n’y a pas eu évitement fiscal abusif.

 

 

Analyse concernant la RGAÉ

 

1.       Opération d’évitement : paragraphe 245(3) de la Loi

 

[40]    Comme l’a dit la Cour suprême du Canada au paragraphe 21 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité, « [c]ette condition sert à soustraire à l’application de la RGAÉ les opérations ou séries d’opérations qui peuvent raisonnablement être considérées comme ayant été principalement effectuées pour un objet non fiscal. [...] La RGAÉ [...] ne devait pas créer de l’incertitude en matière de planification fiscale ». Dans le cas où une opération comporte à la fois un objet fiscal et un objet non fiscal, il faut décider s’il était raisonnable de conclure que l’objet non fiscal était l’objet principal. Dans l’affirmative, la RGAÉ ne permet pas de supprimer l’avantage fiscal (Hypothèques Trustco Canada, paragraphe 27).

 

[41]    En donnant des directives aux juges de la Cour canadienne de l’impôt qui ont à procéder à cette évaluation objective, la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 30, 31 et 32 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, a référé en particulier comme suit aux notes explicatives :

 

30     Les tribunaux doivent examiner les rapports entre les parties et les opérations véritablement intervenues entre elles. Les faits des opérations sont cruciaux pour décider s’il y a eu opération d’évitement. Il est utile de se demander ce qui n’est pas suffisant pour établir l’existence d’une opération d’évitement au sens du par. 245(3). Les notes explicatives précisent ceci, à la p. 495 :

 

Le paragraphe 245(3) ne permet pas de "requalifier" une opération afin de déterminer s’il s’agit ou non d’une opération d’évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d’évitement parce qu’une autre opération, qui aurait pu permettre d’obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés.

 

31     D’après les notes explicatives, le législateur a reconnu le principe du duc de Westminster selon lequel "la planification fiscale -- c’est-à-dire le fait d’organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d’impôts -- est une dimension légitime et admise du droit fiscal canadien" (p. 495). Bien qu’il ait eu l’intention de prévenir l’évitement fiscal abusif en édictant la RGAÉ, le législateur a néanmoins voulu maintenir la prévisibilité, la certitude et l’équité en droit fiscal canadien. Il veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s’agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l’impôt sur le revenu cherche à promouvoir.

 

32     Le paragraphe 245(3) ne fait que soustraire à l’application de la RGAÉ les opérations dont il est raisonnable de considérer qu’elles ont été principalement effectuées pour un objet non fiscal. Le législateur n’a pas voulu que le par. 245(3) serve simplement de critère d’objet commercial en vertu duquel les opérations dépourvues de véritable objet commercial indépendant seraient jugées invalides.

 

[42]    Il est également entendu que, si au moins une opération faisant partie d’une série d’opérations constitue une « opération d’évitement », la RGAÉ permet alors de supprimer l’avantage fiscal qui découle de la série d’opérations. C’est ce qui ressort du libellé du paragraphe 245(3) (voir Hypothèques Trustco Canada, paragraphe 34).

 

[43]    En l’espèce, l’intimée soutient que quatre opérations faisant partie de la série d’opérations constituaient des opérations d’évitement. La modification des statuts de DEL visant la réorganisation du capital‑actions de la société aux fins de la création de deux catégories d’actions est la première opération qui, selon l’intimée, était dépourvue de tout objet commercial. Je ne suis pas d’accord. Pour être une opération d’évitement, une opération doit avoir été effectuée principalement aux fins de l’obtention d’un avantage fiscal. L’objet principal de l’opération ici en cause était, et cela semble évident, de permettre à DEL de déclarer un dividende discrétionnaire en faveur du détenteur d’une catégorie particulière d’actions, conformément au droit des sociétés. On ne saurait dire que cette opération, considérée isolément, a été effectuée principalement aux fins de l’obtention d’un avantage fiscal en tant que tel.

 

[44]    La deuxième opération à laquelle s’attaque l’intimée est la vente d’actions conclue entre l’appelant et 114 Co. L’intimée est d’avis que l’objet principal de cette opération était de permettre à l’appelant d’obtenir un avantage fiscal parce qu’elle permettait le transfert libre d’impôt à l’appelant de biens de DEL d’une valeur de 150 000 $ afin d’égaliser la valeur des actifs détenus par l’appelant et par M. DeBruyn par suite de la réorganisation effectuée dans le cadre du partage des actifs de DEL. Je ne souscris pas à ce raisonnement. L’appelant a vendu ses actions à leur juste valeur marchande à 114 Co, qui appartenait à cent pour cent à Linda DeBruyn. La preuve a révélé que DEL a continué à exploiter son entreprise à Belleville après que l’appelant eut vendu ses actions. La société DEL appartenait par la suite à M. DeBruyn et à 114 Co. À mon avis, la vente des actions de l’appelant à 114 Co avait un objet principalement commercial. L’appelant a rompu les liens qu’il entretenait avec M. DeBruyn qui, de son côté, voulait continuer à exploiter l’entreprise de DEL avec sa femme. Il ne s’agissait pas d’une opération d’évitement.

 

[45]    La troisième opération visée par l’intimée est le dividende que DEL a déclaré en faveur de 114 Co. Le fait qu’en vertu de l’article 112 de la Loi, 114 Co n’avait pas à payer d’impôt sur ce dividende intersociétés ne veut pas dire pour autant que l’objet principal du dividende était de conférer un avantage fiscal à l’appelant. Cela permettait sans aucun doute à Linda DeBruyn, par l’entremise de 114 Co, d’acquérir 50 p. 100 des actions de DEL sans qu’il lui en coûte quoi que ce soit. Cette opération particulière était peut‑être avantageuse pour 114 Co ou pour Linda DeBruyn, mais je ne puis voir comment elle aurait pu l’être pour l’appelant. M. Parker a témoigné qu’il avait cru que 114 Co emprunterait l’argent pour acheter les actions de l’appelant. Une fois que l’appelant n’était plus en cause dans la société, il ne prenait plus part aux décisions relatives à la déclaration d’un dividende.

 

[46]    Enfin, la quatrième et dernière opération mentionnée par l’intimée comme étant visée au paragraphe 245(3) de la Loi se rapporte à la cession, par 114 Co à l’appelant, du montant de 150 000 $ que DEL devait lui verser en paiement du prix d’achat de ses actions. De l’avis de l’intimée, l’objet principal de cette opération était de conférer un avantage fiscal à l’appelant parce que cette opération avait pour effet de mettre entre les mains de l’appelant un montant de 150 000 $ faisant partie des fonds de DEL et servait à égaliser les actifs par suite de la réorganisation effectuée dans le cadre du partage, tout en évitant un dividende réputé ou tout attribut fiscal découlant du versement de ce dividende. Ici encore, l’objet principal était à mon avis de permettre à l’appelant de mettre fin à son association avec M. DeBruyn. Linda DeBruyn était prête à acheter les actions de l’appelant par l’entremise de 114 Co, à leur juste valeur marchande. Toutefois, elle n’avait pas l’argent nécessaire pour le faire. Au lieu d’emprunter de l’argent à la banque, DEL a déclaré en faveur de 114 Co un dividende qui a servi au paiement du prix d’achat. Dès qu’un dividende a été déclaré, il est devenu une dette de DEL envers 114 Co. La société 114 Co pouvait à bon droit utiliser ce montant que DEL lui devait pour payer le prix d’achat des actions acquises de l’appelant. Cependant, sur le plan juridique, 114 Co n’a pas cédé le « dividende » à l’appelant, étant donné qu’une fois qu’un dividende est déclaré par la société, l’actionnaire ne peut pas céder ce dividende en tant que tel à qui que ce soit.

 

[47]    En outre, comme le disent les notes explicatives mentionnées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité, « [l]e paragraphe 245(3) ne permet pas de « requalifier » une opération afin de déterminer s’il s’agit d’une opération d’évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d’évitement parce qu’une autre opération, qui aurait pu permettre d’obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés ».

 

[48]    La Couronne a tenté de qualifier autrement la vente d’actions comme une distribution des fonds de DEL lors d’une réorganisation de DEL. J’ai déjà conclu qu’il n’y a pas eu réorganisation de l’entreprise de DEL ni attribution des fonds de la société à l’appelant. Les deux actionnaires ont mis fin à leurs relations et DEL a continué à exploiter son entreprise avec un nouvel actionnaire à la place de l’appelant. Selon l’entente qui avait été conclue, l’appelant devait acheter les actifs, à Kingston. Le prix d’achat était en partie compensé par le montant de 150 000 $ initialement déclaré au titre d’un dividende en faveur de 114 Co. Cependant, une contrepartie a été versée à cet égard : l’appelant a renoncé aux actions qu’il détenait dans DEL, d’une valeur de 150 000 $, en faveur de Linda DeBruyn, par l’entremise de 114 Co. Je ne considère pas cela comme un retrait libre d’impôt des fonds de la société. Je conclus plutôt qu’il est raisonnable de considérer que cette opération a été effectuée principalement pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal.

 

 

2.       Évitement fiscal abusif : paragraphe 245(4) de la Loi

 

[49]    J’ai conclu qu’il n’y avait pas d’opération d’évitement, mais je ferai néanmoins certaines observations au sujet de la condition en vertu du paragraphe 245(4) de la Loi qu’il doit y avoir évitement fiscal abusif. La Cour suprême du Canada a établi que le paragraphe 245(4) impose un examen en deux étapes lorsqu’il s’agit de trancher la question. La Cour a dit ce qui suit au paragraphe 55 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité :

 

55        En résumé, le par. 245(4) prescrit un examen en deux étapes. La première étape consiste à déterminer l’objet ou l’esprit des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui sont invoquées pour obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles. La deuxième étape consiste à examiner le contexte factuel de l’affaire pour déterminer si l’opération d’évitement contrecarrait l’objet ou l’esprit des dispositions en cause.

 

[50]    La nature abusive de l’opération doit être claire. L’analyse met l’accent sur l’objet des dispositions particulières qui, à première vue, donnent lieu à l’avantage, et sur la question de savoir si l’opération contrecarre l’objet ou l’esprit de ces dispositions (Hypothèques Trustco Canada, paragraphe 69).

 

[51]    Dans ce cas‑ci, à quelles dispositions de la Loi a‑t‑on eu recours pour obtenir le résultat souhaité par les deux anciens actionnaires, et ce, à un prix abordable? Les actionnaires voulaient mettre fin à leur association et chacun voulait exploiter sa propre entreprise avec sa femme en divisant en deux entreprises distinctes les deux succursales autrefois exploitées par DEL.

 

[52]    On s’est fondé sur l’article 112 pour déclarer un dividende intersociétés non imposable. On a eu recours aux articles 38 et 110.6 pour déclarer un gain en capital au moment de la vente des actions et une exonération de gains en capital compensatoire.

 

[53]    Dans la décision Evans c. Canada, [2005] A.C.I. no 581 (QL), le juge en chef Bowman a dit ce qui suit aux paragraphes 28, 29, 30 et 31 :

 

28        [...] Je ne vois pas comment on peut alléguer que le fait de se fonder sur une disposition permettant un transfert de biens en actions libre d’impôt, donnant lieu à un dividende non imposable versé à des sociétés, peut éventuellement contredire ou contrecarrer l’objet ou l’esprit de ces dispositions dans le contexte de la Loi lue dans son ensemble. Elles ont pour objet et pour esprit de permettre aux gens de faire exactement ce qui a été fait dans ce cas‑ci. À vrai dire, elles ne souffrent pas d’autre interprétation. Dans le même ordre d’idées, la Loi est très précise lorsqu’il est question des dividendes en actions. Le résultat global, c’était que les dividendes en actions, lorsqu’ils étaient émis à M. Evans, étaient inclus dans son revenu jusqu’à concurrence de 100 $, qui était son prix de base rajusté et l’augmentation du capital libéré (par. 21 de l’exposé conjoint des faits). Lorsqu’il a vendu les actions à la société en commandite, il a réalisé un gain en capital de 486 900 $, qui a été compensé par la déduction pour gains en capital. Il n’y a pas eu d’abus de la déduction pour gains en capital. Elle a simplement été utilisée. Lorsque les actions de catégorie B ont été rachetées, le dividende réputé n’a pas été assujetti à l’impôt entre les mains des enfants, tout simplement en raison du taux d’imposition dans lequel se situait leur revenu. L’article 74.5 excluait les règles d’attribution, parce qu’il a été conçu dans ce but si ses conditions sont respectées.

 

29        Je ne pense pas que l’on puisse affirmer qu’il y a abus des dispositions de la Loi lorsque chaque article est appliqué exactement comme il doit l’être. La position de la Couronne semble fondée sur le point de vue selon lequel, si tout allait comme sur des roulettes, il doit y avoir eu abus. Nous pouvons répliquer que, si tout n’était pas allé comme sur des roulettes, bien entendu nous ne serions pas ici.

 

30        Le seul fondement que je pourrais invoquer pour confirmer l’application de l’article 245 par le ministre serait de découvrir un principe déterminant du droit fiscal canadien exigeant que la répartition du revenu des sociétés aux actionnaires soit imposée à titre de dividendes, et que, dans les cas où elle ne le serait pas, le ministre soit autorisé à ne pas tenir compte d’une demi‑douzaine d’articles précis de la Loi. Selon les décisions de la Cour suprême du Canada, c’est précisément ce que nous ne pouvons pas faire.

 

31     Jusqu’ici, je me suis concentré uniquement sur les termes du paragraphe 245(4), « abus dans l’application des dispositions de la présente loi », et j’en ai conclu qu’aucun article de la Loi de l’impôt sur le revenu, examiné à titre individuel, n’avait été utilisé de manière abusive. Je suis toutefois conscient du fait que la Cour suprême du Canada a traité la question en vertu du paragraphe 245(4), comme une simple question, et qu’elle a déclaré que la première partie doit être lue à la lumière de la question qui est de savoir si les opérations ont entraîné un « abus dans l’application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble — compte non tenu du présent article [article 245] ».

 

[54]    Compte tenu de ces principes, je ne puis conclure que les opérations ici en cause contredisent ou contrecarrent l’objet ou l’esprit de l’une ou l’autre des dispositions susmentionnées de la Loi. Ces opérations ne manquent pas de substance économique. Elles étaient réelles et ont eu un effet juridique. Il n’y a pas eu de trompe‑l’œil. Il y a eu un changement véritable dans les rapports juridiques et économiques des deux anciens actionnaires de DEL. Comme le juge l’a dit dans la décision Evans, « considérer ces opérations comme abusives de façon à pouvoir requalifier leurs résultats ne concourrait pas à maintenir la prévisibilité, la certitude et l’équité, bien au contraire, et cela contrecarrerait l’intention du législateur voulant que les contribuables "profitent pleinement des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux" » (alinéa 35c)).

 

[55]    Le fait que l’appelant n’a pas eu recours aux dispositions de la Loi d’une façon qui maximisait l’impôt découlant des opérations ne veut pas dire qu’il y a eu abus des dispositions. L’appelant aurait pu faire racheter ses actions par DEL, qui aurait alors émis des actions en faveur de Linda DeBruyn à un prix donné, et peut‑être aurait-il ainsi obtenu le même résultat économique, mais à coup sûr de la façon la moins efficace possible sur le plan fiscal. De fait, DEL aurait procédé à une compensation entre le prix de rachat des actions et le prix d’achat des actifs, à Kingston, et l’appelant aurait été assujetti à l’impôt à l’égard du dividende réputé conformément au paragraphe 84(3) de la Loi. Cependant, tant que les opérations indiquent leur véritable effet juridique et respectent l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi, le contribuable n’est pas tenu de suivre la voie la moins efficace pour lui sur le plan fiscal. Comme la Cour suprême du Canada l’a dit dans l’arrêt Tsiaprailis c. Canada, 2005 DTC 5119, page 5124, [2005] 1 R.C.S. 113 :

 

39           Notre Cour a statué avec constance que les rapports juridiques établis par un contribuable devaient être respectés en matière fiscale, sauf disposition contraire de la Loi de l’impôt sur le revenu ou conclusion selon laquelle il s’agit d’un trompe‑l’œil. La juge McLachlin a expliqué ce principe dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [99 DTC 5669] [1999] 3 R.C.S. 622, par. 39 : […]

 

[N]otre Cour n’a jamais statué que la réalité économique d’une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu’en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe-l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

 

 

[56]    En conclusion, l’intimée n’a pas réussi à me convaincre ou n’a pas présenté de preuve établissant qu’il y a eu abus de la Loi, si elle est lue dans son ensemble, ou que la politique de la Loi, si elle est lue dans son ensemble, vise nécessairement à imposer entre les mains des actionnaires les sommes distribuées par les sociétés au titre de dividendes. Quoi qu’il en soit, comme la Cour suprême du Canada l’a dit, « [s]’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable » (Hypothèques Trustco Canada, précité, paragraphe 66, alinéa 3).

 


[57]    L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi pour l’année d’imposition 1995 est accueilli avec dépens et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que les paragraphes 84(2), 84.1(1) et 245(2) ne s’appliquent pas aux opérations en question.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 22e jour de janvier 2007.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’août 2008.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI16

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-1663(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ROBERT MCMULLEN

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 3 et 4 octobre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 janvier 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Terry D. McEwan

 

Avocats de l’intimée :

Me Ifeanyi Nwachukwu

Me Ernest Wheeler

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Terry D. McEwan

                   Cabinet :                         Gowling Lafleur Henderson

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]               Dans l’arrêt Kennedy v. M.N.R., 73 DTC 5359, la Cour d’appel fédérale a approuvé la conclusion tirée par le juge Cattanach sur ce point, mais elle a annulé la décision pour d’autres motifs.

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