Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2002-3520(IT)G

ENTRE :

RICHARD R. MARTEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 23 et 24 juin 2005, à Ottawa (Ontario).

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Peter Annis et

Me François Landry

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoît

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) pour l'année d'imposition 1998 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit à une perte au titre d'un placement d'entreprise au montant de 140 000 $, le montant de la perte déductible s'établissant aux ¾ de la perte, soit à 105 000 $, le tout aux termes des paragraphes 38(1)c) et 39(1)c) de la Loi.

          L'appelant a droit à ses frais judiciaires et dépens selon les tarifs A et B de l'Annexe II des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 2006.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


Référence : 2006CCI556

Date : 20061020

Dossier : 2002-3520(IT)G

ENTRE :

RICHARD R. MARTEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      L'appelant en appelle d'une cotisation établie pour l'année d'imposition 1998 par laquelle le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) lui a refusé une perte au titre de placement d'entreprise de 216 839,31 $. Au début de l'audition, un des avocats de l'appelant a mentionné que de ce montant, seul un montant de 140 000 $, dont les ¾, soit 105 000 $, était maintenant réclamé par l'appelant comme perte déductible au titre d'un placement d'entreprise, aux termes des alinéas 38(1)c) et 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ).

Résumé sommaire du litige

[2]      L'appelant explique son droit à une perte de 140 000 $ de la façon suivante. Au cours de l'année 1994, il aurait avancé une somme de 200 000 $ à deux entreprises du nom de Services Environnementaux E.G. Plus Inc. ( « E.G. Plus » ) et 9003-5924 Quebec Inc., devenue par la suite Biagen Technologies Inc. ( « Biagen » ), avec lesquelles l'appelant n'avait aucun lien de dépendance, et toutes deux des sociétés privées sous contrôle canadien. Ces deux entreprises se disaient en voie de commercialiser une nouvelle technologie, soit l'invention d'un déshydrateur faisant l'objet d'une demande de brevet sous le nom de DEC2000, ayant pour fonction la déshydratation de déchets de toute nature, mais plus particulièrement de lisier de porc.

[3]      L'appelant avait alors investi une première somme de 100 000 $ dans E.G. Plus en contrepartie d'un certificat de 256 actions de cette société (pièce A-1, onglet 2). Il avait investi l'autre 100 000 $ sous forme de prêt sans intérêt à Biagen, remboursable à l'intérieur d'un délai de six mois. Biagen s'engageait à remettre à l'appelant 40 000 actions de son capital-actions (pièce A-1, onglet 3). Ce dernier prêt ne fut jamais remboursé à l'appelant par Biagen.

[4]      Le 2 mai 1996, l'appelant disposait de ses 256 actions dans E.G. Plus et de ses droits qu'il détenait à l'égard de Biagen en faveur de la société DEC Technologies Inc. ( « DEC Technologies » ), société représentée par monsieur Pierre Joré, et avec laquelle l'appelant n'a aucun lien de dépendance de droit, en considération d'une somme de 200 000 $ (pièce A-1, onglet 9). DEC Technologies s'engageait à faire un premier versement de 60 000 $ le jour même, ce qui fut fait. Un deuxième versement de 40 000 $ devait être fait avant le 1er juillet 1996 et un troisième versement de 100 000 $ devait être remis au vendeur avant le 31 décembre 1996. Cette convention d'achat-vente précisait que le solde du prix de vente ne portait pas intérêt. L'appelant remettait par le fait même son certificat d'actions dans E.G. Plus à l'acheteur et donnait quittance pour toute somme due à lui par E.G. Plus et Biagen. Dans un document séparé signé par l'appelant également le 2 mai 1996, ce dernier renonçait à tout recours et à tout revenu pouvant découler du « déshydrateur projet de DEC Technologies » (pièce I-1, onglet 15).

[5]      Le solde de 140 000 $ ne fut jamais remboursé à l'appelant et c'est précisément cette somme qu'il tente de réclamer comme une perte au titre d'un placement d'entreprise subie au cours de son année d'imposition 1998, au motif que cette somme est devenue, selon lui, irrécouvrable au cours de l'année 1998.

Faits

[6]      DEC Technologies faisait partie d'un groupe de sociétés (le « groupe DEC » ), dont plusieurs ont été créées au cours de l'année 1996, afin de profiter de subventions gouvernementales pour la recherche et le développement reliées au même projet. Vers la fin de l'année 1996 et au début de l'année 1997, les sociétés du groupe DEC, les concepteurs du projet et certains investisseurs se retrouvèrent entraînés dans de multiples poursuites judiciaires. L'appelant était un investisseur passif et n'était pas partie dans ces litiges. DEC Technologies et Pierre Joré faisaient notamment l'objet de requêtes en dommages. Malgré les sommes qui lui étaient encore dues, l'appelant aurait apparemment avancé une somme de 10 000 $ à monsieur Joré pour payer ses frais judiciaires dans le but, a dit l'appelant, de protéger sa propre créance. Le 13 février 1997, la Cour supérieure du Québec a rendu une ordonnance de sauvegarde dans laquelle les différents intervenants se voyaient ordonner d'agir selon certains paramètres en attendant le dénouement final des différents litiges (pièce A-1, onglet 16).

[7]      Le 12 mai 1997, les différentes parties impliquées dans les poursuites judiciaires en sont venues à une entente par laquelle on répartissait les droits et intérêts de chacun dans l'invention. Cette entente prévoyait le paiement de royautés pour chaque déshydrateur vendu, après paiement de toutes les dettes. Selon l'annexe A de cette entente, l'appelant apparaissait alors comme un des créanciers du groupe DEC pour un montant de 161 000 $, avec intérêts (pièce A-1, onglet 22, annexe A, page A-3). Selon cette même annexe, l'état des comptes fournisseurs au 1er mai 1997 s'élevait à 502 012 $ pour DEC Technologies seulement, et à 611 752 $ au total pour tout le groupe DEC. Le découvert bancaire au 31 mars 1997 se chiffrait à 336 333 $ pour tout le groupe DEC, dont 78 332 $ pour DEC Technologies. Les emprunts aux banques s'élevaient à 380 000 $, dont 80 000 $ pour DEC Technologies. Le total des montants dus aux créanciers se chiffrait à ce moment à 1 943 444 $ (pièce A-1, onglet 22, annexe A, page A-5).

[8]      Malgré cette entente, l'une des parties à l'entente et le concepteur de l'invention, monsieur Philippe Varvat, cédait le 19 juin 1997 tous les droits dans l'invention à une entreprise du nom de Métacor International Inc. ( « Métacor » ) et à monsieur Roland Chrétien, en contrepartie d'une avance de fonds de 75 000 $ (pièce A-1, onglet 24). Si cette somme n'était pas remboursée avant le 19 décembre 1997, Métacor et monsieur Chrétien (les cessionnaires) devenaient propriétaires de tous les droits et intérêts dans l'invention. Dans cet acte de cession, monsieur Varvat se représentait comme le seul et unique propriétaire de l'invention, de même que de tous les droits, titres et intérêts dans les demandes de brevet reliées à l'invention. Comme monsieur Varvat a disparu sans laisser de trace avec le montant de 75 000 $ en poche, le groupe Métacor-Chrétien devenait officiellement titulaire de tous les droits dans l'invention à compter du 19 décembre 1997 (pièce A-1, onglet 26).

[9]      Entre-temps, monsieur Joré, qui croyait toujours au succès de cette technologie, a fait des démarches pour récupérer les droits sur l'invention, cédés par monsieur Varvat en fraude de l'entente du 12 mai 1997. Avec un peu de financement supplémentaire, il s'est mis en devoir de régulariser le statut de chacune des sociétés du groupe DEC qui avait été négligé pendant les poursuites judiciaires. Ainsi, au mois de septembre 1997, il a produit les états financiers non vérifiés de DEC Technologies pour l'année se terminant le 31 mars 1996 avec la documentation qu'il avait obtenue par suite de l'ordonnance de sauvegarde. Dans la déclaration de revenu de DEC Technologies produite le 30 septembre 1997 pour l'année 1996, une demande de crédit d'impôt à l'investissement relié à la recherche et au développement était faite pour un montant de 64 804 $ (pièce I-1, onglet 37). Pour l'année se terminant le 31 mars 1997, monsieur Joré n'était pas au courant qu'une déclaration de revenu avait été produite pour DEC Technologies, mais l'agent des appels de l'Agence des douanes du revenu du Canada, monsieur Huges Ouimet, a confirmé qu'aucun crédit n'avait été alloué pour cette année. Pour les années subséquentes, ce n'est qu'en février 2000 que DEC Technologies a recommencé à produire des déclarations de revenu et à réclamer des crédits d'impôt à l'investissement (pièce I-1, onglets 50 à 53).

[10]     Si l'on se replace à nouveau en 1997, monsieur Joré a mis à jour le montant total de la dette du groupe DEC au 24 novembre 1997, laquelle s'élevait maintenant à 2 347 316 $ (pièce A-1, onglet 28). À la même époque, il se faisait poursuivre solidairement avec DEC Technologies, Philippe Varvat et E.G. Plus, par la Banque de Montréal pour un montant de 99 748,91 $, selon une procédure judiciaire déposée devant la Cour supérieure du Québec en date du 18 décembre 1997 (pièce A-1, onglet 29).

[11]     L'appelant, de son côté, a demandé à son avocat de l'époque, Me Jean-Robert Turcotte, au début de l'année 1998, de s'informer de l'état de la situation. Après avoir consulté les registres publics corporatifs et judiciaires, Me Turcotte était d'avis que l'appelant n'avait plus aucune chance de récupérer sa créance. De fait, les sociétés étaient toutes en défaut dans leurs déclarations annuelles, certaines n'étant tout simplement plus enregistrées auprès de l'inspecteur général des institutions financières ou d'Industrie Canada, Corporations Canada (voir pièce I-1, onglets 24 et 25). Le groupe de sociétés n'avait pas produit d'états financiers pour l'année 1997, et n'avait pas de place d'affaires. Selon Me Turcotte, il s'agissait d'une « pagaille totale » . De plus, Me Turcotte avait vu de la correspondance qui établissait qu'on avait surévalué les capacités du prototype afin d'obtenir un financement de la banque (lettre de monsieur Joré en date du 25 avril 1997 à deux actionnaires et administrateurs du groupe DEC, pièce A-2). Me Turcotte avait également discuté avec l'ingénieur à l'emploi de DEC Technologies qui avait aussi constaté que le prototype de conservation du lisier de porc fonctionnait avec un rendement trop faible pour être commercialisé.

[12]     Malgré tout, et parce que monsieur Joré semblait croire véritablement à la possibilité de se refinancer pour récupérer les droits dans l'invention et tenter d'essayer à nouveau de la commercialiser, Me Turcotte a accepté à la demande de l'appelant de faire des démarches dans ce sens. D'ailleurs, le 13 août 1997, une étude d'avocats avait écrit à monsieur Joré sur les possibilités de remédier au problème du rendement trop faible et d'apporter des améliorations à l'appareil de déshydratation aux fins de la brevetabilité de l'appareil (pièce A-1, onglet 27). Ainsi, le 5 février 1998, Me Turcotte écrivait au groupe conseil, Roche Ltée, afin de solliciter une rencontre entre eux, monsieur Joré, un ingénieur de DEC Technologies, l'appelant, un conseiller financier et un comptable afin d'obtenir leur appui pour une étude de faisabilité de la commercialisation de l'invention (pièce A-1, onglet 30). Les 31 mars et 2 avril 1998, Me Turcotte écrivait à Métacor, laquelle était une entreprise manufacturière qui aurait pu fabriquer le prototype, pour leur faire part d'un plan de relance de l'invention de concert avec l'appelant et le groupe Roche. Il proposait du même coup la création d'une nouvelle entité juridique qui serait détenue à 70 % par l'appelant et de nouveaux investisseurs, laquelle entité aurait mainmise complète sur cette technologie, l'autre 30 % serait détenu par le groupe Métacor (pièce A-1, onglets 32 et 33).

[13]     Selon Me Turcotte, l'appelant était prêt à ce moment à investir une somme importante dans la relance de ce projet. Le 13 avril 1998, monsieur Gérald Calixte, au nom de Métacor, répondait directement à l'appelant, lui demandant de bonifier son offre de façon substantielle (pièce A-1, onglet 34), ce à quoi Me Turcotte répondait le 16 avril 1998 en disant que vu l'incompréhension entre les discussions qu'ils avaient eues et leur correspondance, l'appelant ne voyait plus l'utilité de continuer l'étude du plan de relance proposé. Il fermait en conséquence le dossier (pièce A-1, onglet 36). Me Turcotte avisait la même journée le groupe Roche de cette décision (pièce A-1, onglet 35). Me Turcotte suggérait alors à l'appelant de mettre une croix sur son investissement et de réclamer une perte fiscale. Il lui aurait alors recommandé d'obtenir une lettre de monsieur Joré, au nom du groupe DEC, établissant l'état de la situation afin que l'appelant démontre qu'il n'avait plus espoir de récupérer son investissement.

[14]     Dans deux lettres datées du 16 avril et du 15 juin 1998, monsieur Joré confirme que le groupe DEC et les corporations qui lui sont liées sont inopérantes depuis plusieurs mois, de même que la technologie qui devait faire l'objet d'une commercialisation. Il ajoute que des institutions financières ont entrepris des procédures de recouvrement des sommes dues (pièce A-1, onglets 37 et 38). Ceci n'empêche pas Pierre Joré, toutefois, de signer le 15 juin 1998, une reconnaissance de dette au nom de DEC Technologies envers l'appelant pour un montant de 140 000 $, aux termes de la convention d'achat-vente du 2 mai 1996, de même qu'une somme additionnelle de 60 000 $ qui était également due à l'appelant (pièce A-1, onglet 39). DEC Technologies s'engage par ce document à rembourser la somme de 200 000 $ à l'appelant au plus tard le 15 décembre 2000, sans que cette dette ne porte intérêt avant cette date. L'entente prévoit un délai additionnel de trois ans par la suite, à 10 % d'intérêt l'an. Monsieur Joré devait également se porter garant personnellement (pièce A-1, onglet 40). Les 19 avril et 19 juillet 1999, Me Turcotte relançait monsieur Joré à ce sujet (pièce A-1, onglets 43 et 44). Le 18 décembre 2000, l'appelant recevait un chèque de 30 000 $ de DEC Technologies, lequel fut retourné le 19 décembre 2000 parce qu'il était sans provision (pièce A-1, onglet 48). Le montant de 200 000 $ n'a jamais été remboursé à l'appelant. Monsieur Joré a expliqué qu'il avait offert lui-même de signer une reconnaissance de dette envers monsieur Martel, bien que celui-ci n'y croyait plus. Monsieur Joré était et est toujours persuadé qu'il remboursera ses dettes un jour.

[15]     En ce sens, le 28 août 1998, monsieur Joré signait une convention de recherche et de développement entre lui-même, la société J.P. Partenaires Inc. ( « J.P. Partenaires » ), dont il était le président et DEC Technologies (pièce I-1, onglet 54). Il ressort de cette convention que DEC Technologies poursuivait la recherche et le développement du projet DEC2000 avec des fonds de 600 000 $ par année versés par J.P. Partenaires. La preuve est nébuleuse quant à la provenance de ces fonds, et s'ils ont été réellement versés par J.P. Partenaires à DEC Technologies. Selon monsieur Joré, c'était une entente personnelle, qu'il n'avait pas divulguée aux investisseurs. Ni l'appelant, ni Me Turcotte n'ont été mis au courant de cette convention. Tout ce que l'on constate, c'est que dans les états financiers produits pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2001 de DEC Technologies, on voit subitement un chiffre d'affaires de 3 040 000 $ (pièce I-1, onglet 52). Monsieur Joré a expliqué vaguement qu'il aurait signé une entente avec Ressources naturelles Canada qui était favorable au développement de la désydratation et de la thermodynamique et qu'il avait apparemment trouvé des nouveaux investisseurs. L'argent aurait été investi dans J.P. Partenaires car aucun investisseur n'aurait accepté d'injecter de l'argent dans DEC Technologies, qui était, selon monsieur Joré, clairement en situation de faillite (voir notes sténographiques, volume 2, page 406). Monsieur Joré a bien expliqué que l'appelant n'était pas au courant et n'était pas du tout impliqué dans cette nouvelle tentative de reprise d'activités. L'appelant n'était pas au courant non plus que DEC Technologies avait reçu un montant de 3 040 000 $ dans son exercice financier 2001. Monsieur Joré a également reconnu qu'à ce jour environ 10 000 000 $ ont été investis dans ce projet sans qu'aucun investisseur n'ait récupéré son investissement.

[16]     Par la suite, le 26 octobre 1998, le groupe Métacor-Chrétien cédait ses droits dans l'invention à monsieur Joré. En contrepartie, monsieur Joré s'engageait à ce que DEC Technologies verse une redevance de 30 000 $ pour chaque machine vendue issue de l'invention, laquelle redevance servirait à rembourser en premier lieu l'avance de 75 000 $ qui avait été faite par le groupe Métacor-Chrétien à monsieur Varvat le 19 juin 1997, puis ensuite les autres créanciers et fournisseurs (pièce A-1, onglet 42). L'appelant n'était pas visé par cette convention puisque monsieur Joré avait déjà signé une reconnaissance de dette envers lui le 15 juin 1998. Monsieur Joré a témoigné que l'appelant n'a pas été mis au courant de cette convention avec le groupe Métacor-Chrétien.

Arguments des parties

[17]     L'appelant a réclamé une perte au titre de placement d'entreprise au cours de l'année d'imposition 1998, puisque lui et son avocat, Me Turcotte, étaient d'avis que la créance de 140 000 $ qui lui était encore due à la fin de cette année d'imposition s'était révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable. De fait, selon leur perception de la situation, DEC Technologies et le groupe DEC étaient excessivement endettés, aucune des sociétés n'était opérationnelle, le déshydrateur non fonctionnel et les tentatives de restructuration et de commercialisation de l'invention qu'ils ont faites au cours de l'année 1998 avec monsieur Pierre Joré se sont soldées par un échec. Malgré la reconnaissance de dette signée par ce dernier en juin 1998, à sa demande, l'appelant s'est rallié à l'avis de son avocat que c'était peine perdue et qu'objectivement, il n'y avait plus d'issue. Quant à engager des procédures de recouvrement à l'encontre de DEC Technologies et de monsieur Joré, outre la reconnaissance de dette qu'il avait consenti à signer, l'appelant a réalisé sur les conseils de son avocat qu'il perdrait encore plus de temps et d'argent dans de telles poursuites sans y gagner au change, puisque ni DEC Technologies, ni monsieur Joré n'avait d'actifs ou de liquidités pour acquitter leur dette.

[18]     Le Ministre a refusé cette perte puisqu'il était d'avis que cette dette n'était pas irrécouvrable en 1998. DEC Technologies a produit ses déclarations de revenu jusqu'en 2003 en réclamant pour chaque année, à l'exception de 1997, des crédits d'impôt à l'investissement qui lui ont été accordés. De plus, selon les états financiers produits pour les années 1998 et suivantes, on y retrouvait une série de prêts intercorporatifs sans intérêt ou modalités de paiement. Par ailleurs, selon le Ministre, l'appelant n'avait fait aucune tentative de recouvrer sa dette.

[19]     Dans sa Réponse à l'avis d'appel, l'intimée allègue que si l'on peut conclure à l'existence d'une perte, l'appelant est préclus en vertu de la doctrine de l'estoppel de prétendre à l'existence de la transaction du 2 mai 1996, puisqu'il n'en a pas fait état dans sa déclaration de revenu 1996. Dans ses soumissions écrites, l'avocate de l'intimée n'a soumis aucun argument à ce sujet et je dois donc comprendre qu'elle abandonne cet argument.

[20]     Par ailleurs, l'intimée avait également plaidé, dans sa Réponse à l'avis d'appel, l'argument non invoqué au moment d'établir la nouvelle cotisation, que la perte s'il y a, est nulle aux termes du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, puisque la créance que l'on dit irrécouvrable en 1998, n'avait pas été acquise en vue de tirer un revenu d'entreprise ou de bien. L'appelant répond à ceci qu'il ne conteste pas que la créance n'avait pas été acquise en vue de tirer un revenu d'entreprise ou de bien mais argumente que la créance en question a été acquise en contrepartie de la disposition d'une immobilisation en faveur d'une personne avec qui l'appelant n'avait aucun lien de dépendance. Dans un tel cas, le sous-alinéa 40(2)g)(ii) ne peut être invoqué pour dire que la perte est nulle même si la créance n'a pas été acquise dans le but de tirer un revenu d'entreprise ou de bien.

[21]     Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, se lit comme suit :

40(2)

(2) Restrictions. Malgré le paragraphe (1) :

[...]

g) est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure où elle est :

[...]

(ii) une perte résultant de la disposition d'une créance ou d'un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n'est pas un revenu exonéré) d'une entreprise ou d'un bien, ou en contrepartie de la disposition d'une immobilisation en faveur d'une personne avec qui le contribuable n'avait aucun lien de dépendance.

[22]     Les avocats de l'appelant soutiennent dans leur argumentation écrite que :

31.        Dans le cas présent, la créance ou le droit de recevoir une somme a été acquis en contrepartie des actions de Services Environnementaux E.G. Plus Inc., d'une créance de Biagen Technologies Inc. et du droit de recevoir des actions de cette dernière. Par conséquent est-ce que ces 3 biens constituent des « immobilisations » ?

            Immobilisations - Article 54 de la LIR

29.        Le terme « immobilisations » est défini à l'article 54 de la LIR comme étant : « Tous biens dont la disposition se traduirait par un gain gain [sic] ou une perte en capital »

30.        Dans le cas des actions de Services Environnementaux E.G. Plus Inc, nous soumettons que leur disposition à un produit de disposition différent de leur PBR aurait donné lieu à un gain ou une perte en capital. Quant à la créance de Biagen Technologies Inc. et du droit de recevoir des actions qui y était rattaché, nous soumettons que ces « droits » , soit la créance et le droit de recevoir des actions, auraient aussi donné lieu à un gain ou une perte en capital si leur produit de disposition aurait [sic] été différent de leur PBR.

31.        Ainsi, nous soumettons que les biens dont l'appelant a disposé en 1996 étaient des immobilisations au sens de l'article 54 de la LIR. Le droit de recevoir les paiements (le solde de 140 000,00 $) constituait une créance acquise en contrepartie de la disposition de ces biens en immobilisations en vertu de l'article 40(2)(g)(ii) de la LIR. Cette créance a été établie par l'appelant comme étant irrécouvrable au cours de l'année 1998 en vertu de l'article 50(1)(a). Il y a donc eu perte en capital et PTPE puisque le débiteur était une société privée sous contrôle canadien exerçant une petite entreprise. Par conséquent, tous les critères et conditions de déductibilité sont rencontrés.

[23]     L'intimée, dans son argumentation écrite, rétorque à ceci non seulement en argumentant de nouveau que la créance n'a pas été acquise en vue de tirer un revenu d'entreprise ou de bien (ce qui est concédé par l'appelant), mais soutient que la deuxième exception du sous-alinéa 40(2)g)(ii), soulevée par l'appelant, est inapplicable, puisque plusieurs éléments démontrent que les parties ne transigeaient pas à distance. Les éléments soulevés à la page cinq des « soumissions écrites de l'intimée » , sont les suivants :

•            les termes de l'entente;

•            malgré la créance de 140,000 $ impayée, le maintien des relations personnelles et professionnelles entre les parties :

i)        le fait qu'un montant de 10 000 $ sans intérêt et sans billet promissoire ait été avancé par l'appelant;

ii)       le fait que l'appelant ait garanti le paiement des frais juridiques de Joré;

iii)       le fait que des argents aient été avancés pour aider Joré à subvenir à ses besoins essentiels;

iv)      le fait que l'appelant ait été impliqué dans cette tentative de remettre sur pied le projet;

v)       le fait que l'appelant était au courant que Joré a été assigné à comparaître (à cet effet, l'intimée soutient que ces parties ont discuté avant le procès. Sinon, comment expliquer que l'appelant - qui n'a jamais vu les états financiers - savait que les états financiers ainsi que les déclarations d'impôt n'avaient été produites qu'en 2000;11

vi)      le fait que l'appelant et Joré aient lunché ensemble le jour du procès alors que l'appelant refuse de faire témoigner Joré;

•         le fait que Me Turcotte représentait le groupe Dec en 199812, qu'il ait été retenu pour la relance du projet par un groupe d'investisseurs; et

•         le fait que Me Turcotte ait reçu le mandat de Joré de remettre une somme d'argent à l'appelant13.

___________________________

11        Témoignage de l'appelant, aux pp. 141-143.

12        Témoignage de Turcotte, à la p. 264.

13        Témoignage de Turcotte, à la p. 294.

Analyse

La créance est-elle devenue irrécouvrable en 1998 ?

[24]     L'appelant invoque l'alinéa 50(1)a) de la Loi pour soutenir qu'il a disposé de sa créance de 140 000 $ à perte et ainsi réclamer une perte au titre d'un placement d'entreprise, telle que définie à l'alinéa 39(1)c) de la Loi. Les parties pertinentes de ces dispositions législatives se lisent comme suit :

ARTICLE 39: Sens de gain en capital et de perte en capital.

(1) Pour l'application de la présente loi:

[...]

c) une perte au titre d'un placement d'entreprise subie par un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien quelconque s'entend de l'excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l'année résultant d'une disposition, après 1977:

(i) soit à laquelle le paragraphe 50(1) s'applique,

(ii) soit en faveur d'une personne avec laquelle il n'avait aucun lien de dépendance,

d'un bien qui est:

(iii) soit une action du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise,

(iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est:

(A) une société exploitant une petite entreprise,

[...]

ARTICLE 50: Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d'une société en faillite.

         (1) Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas:

a) un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;

[...]

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l'action à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action.

[25]     La seule question en litige est de savoir si l'appelant avait raison d'établir que la créance de 140 000 $ qui lui était due à la fin de l'année d'imposition 1998, s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable.

[26]     Dans l'arrêt Rich c. Canada (C.A.), [2003] 3 C.F. 493, 2003 CAF 38, le juge Rothstein, tel qu'il était alors, réitère ce qui a été souvent dit par les tribunaux, que pour savoir si une créance est devenue irrécouvrable à une date donnée, le créancier doit de façon honnête et raisonnable, analyser certains facteurs. Le juge Rothstein résume les facteurs qui, à son sens, devraient en général être pris en compte. Le juge Rothstein s'exprime ainsi aux paragraphes 13, 14, 15, 23, 24, 28 et 29 :

[13] Je résumerais ainsi les facteurs qui, à mon sens, devraient en général être pris en compte lorsqu'on veut savoir si une créance est devenue irrécouvrable:

1. l'histoire et l'âge de la créance;

2. la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne-t-il un revenu ou essuie-t-il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

3. l'évolution du chiffre d'affaires total par rapport aux années antérieures;

4. l'encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l'époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

5. les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l'époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

6. les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l'ensemble des débiteurs et dans la branche d'activités du débiteur; et

7. l'expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables.

Cette liste n'est pas limitative et, selon les circonstances, un facteur ou un autre pourra prendre une importance accrue.

[14] Les perspectives de la société débitrice peuvent présenter un intérêt dans certains cas, mais les considérations premières seraient en général liées au passé ou au présent. S'il est établi qu'un événement se produira probablement dans l'avenir et que cet événement donne à penser que la créance sera recouvrable lorsqu'il surviendra, alors l'événement en question devra être pris en compte. Si les considérations futures ne sont que des conjectures, elles n'interviendront pas lorsqu'on se demandera si une créance exigible est recouvrable.

[15] Il n'est pas nécessaire non plus pour un créancier d'épuiser tous les moyens possibles de recouvrement. Ce qu'il faut, c'est une évaluation honnête et raisonnable. D'ailleurs, lorsqu'une créance irrécouvrable est par la suite recouvrée en totalité ou en partie, la somme recouvrée est considérée comme un revenu de l'année du recouvrement.

[...]

[23] Cependant, il n'y a pas d'obligation légale de prendre des mesures proactives dans tous les cas. Le créancier ne sera tenu de prendre de telles mesures que s'il y a lieu de croire que le remboursement du prêt est envisageable. Tel sera évidemment le cas lorsque le ministre estime que le recouvrement est envisageable et que le contribuable ne fait rien en ce sens, ou pas suffisamment.

[24] Ici, il s'agit de savoir s'il était honnête et raisonnable pour l'appelant de dire que sa créance était irrécouvrable le 31 décembre 1995. Si des faits avaient donné à entendre qu'un sauvetage ou un refinancement pouvait faciliter le recouvrement d'une partie ou de la totalité du prêt, j'admettrais que l'appelant, avec sa connaissance intime de l'entreprise, eût dû alors montrer qu'il avait au moins tenté certaines démarches proactives avant de déclarer la créance irrécouvrable.

[...]

[28] Le critère auquel l'appelant devait satisfaire, c'était l'obligation pour lui de décider d'une manière franche et raisonnable que sa créance était irrécouvrable. Il s'ensuit que, en l'absence d'éléments donnant à entendre que des mesures proactives pouvaient raisonnablement conduire au remboursement de la totalité ou d'une partie du prêt, de telles mesures n'avaient aucun lien rationnel avec la question de savoir si le jugement de l'appelant était franc et raisonnable.

[29] Naturellement, il appartient au contribuable de réfuter les suppositions énoncées par le ministre dans sa réponse à l'avis d'appel. Ici, aucune supposition expresse ne posait que le prêt serait sans doute remboursé si certaines démarches étaient faites. Cependant, même devant une telle supposition, le contribuable ne sera pas tenu d'envisager mille et un moyens imaginables et de montrer qu'aucun d'eux ne donnera de résultat. Il lui suffira de prouver la situation financière du débiteur et l'incapacité de celui-ci, à la date pertinente, de rembourser le prêt en totalité ou en partie. C'est la preuve qui a été produite ici.

[27]     Dans le cas présent, il est important de se rapporter à l'année 1998. Au 31 décembre 1998, l'appelant ne pouvait présager que DEC Technologies vivrait un second soubresaut à compter de l'année 2000. Il faut bien se remettre en situation et reconnaître qu'au 31 décembre 1998, le dernier exercice financier de DEC Technologies pour lequel des états financiers avaient été produits, était celui qui se terminait le 31 mars 1996. Selon ces états financiers non vérifiés et préparés en septembre 1997 avec la documentation que monsieur Joré avait pu récupérer par l'effet du jugement de sauvegarde du 13 février 1997, la société ne montrait aucun revenu, mais plutôt une perte nette de 147 536 $. La société avait déjà subi une perte nette de 98 103 $ en 1995 et de 72 730 $ en 1994. Les seuls éléments d'actifs étaient constitués d'un peu d'équipement de bureau (10 512 $), de frais de développement qui avaient été capitalisés (598 248 $) et d'un crédit d'impôt à l'investissement à recevoir de 240 194 $. La société devait une somme de 597 598 $ à ses créditeurs et montrait une dette à long terme de 387 581 $, dont un montant de 345 682 $ à une filiale, sans intérêt ni modalité de remboursement. Même en soustrayant cette dette interfiliale, la société était endettée à ce moment d'au moins 660 000 $ (si l'on se fie au bilan de DEC Technologies que l'on retrouve à la pièce I-1, onglet 37), et pouvait espérer un crédit d'impôt de 240 194 $, ce qui laisse une dette d'au moins 420 000 $. En 1998, Me Turcotte avait analysé la situation et découvert que DEC Technologies faisait partie d'un groupe qui s'était entredéchiré pour réclamer un droit sur l'invention. Alors qu'une entente hors-cour avait été signée en mai 1997, le concepteur de l'invention vendait par la suite les droits dans l'invention, en contravention de l'entente du mois de mai 1997. Devant l'enthousiasme encore présent de monsieur Joré, et toujours dans l'espoir de récupérer son investissement, l'appelant et son avocat ont tenté de faire renaître le projet en 1998. Face à la discorde des mêmes protagonistes, le projet de relance s'est évanoui. Déjà en mai 1997, DEC Technologies devait 502 012 $ à ses fournisseurs, avait un découvert bancaire de 78 332 $ et avait un emprunt bancaire de 80 000 $. Le total dû par tout le groupe DEC se chiffrait à 1 943 444 $ en mai 1997 et à 2 347 316 $ au 24 novembre 1997.

[28]     Au moment de tenter la relance du projet au début de l'année 1998, l'appelant s'est donné une autre chance de récupérer son investissement. L'appelant, qui travaille dans le domaine des assurances, a candidement dit qu'il n'était pas un expert en investissement. Mais devant l'évidence, c'est-à-dire, la discorde et la mésentente entre les différentes personnes impliquées, il a fini par abandonner ce projet. Il a fini par écouter son avocat qui l'a convaincu qu'il n'y avait plus espoir de recouvrer sa créance.

[29]     Le fait que monsieur Joré ait accepté de lui signer une reconnaissance de dette ne change rien à mon avis au fait que l'appelant avait réalisé à ce point qu'il avait perdu son argent. Selon moi, il a signé cette reconnaissance de dette à la demande de monsieur Joré, sans conviction, comme on peut agir quand l'on se dit que l'on n'a plus rien à perdre. D'ailleurs, il n'était pas au courant que monsieur Joré essayait à nouveau de donner vie à son projet, cette fois avec sa propre entreprise J.P. Partenaires. L'appelant n'était, à ce moment, plus impliqué là-dedans. Il n'a jamais été mis au courant par la suite que monsieur Joré était allé rechercher du financement, en impliquant le ministère des Ressources naturelles. Il l'aurait été que cela n'aurait pas changé grand-chose, puisque monsieur Joré, encore une fois, n'a pu livrer la marchandise. Monsieur Joré a continué à réclamer des crédits d'impôt à l'investissement au nom de DEC Technologies, sans jamais être capable de faire démarrer son projet et de rembourser les nombreux investisseurs qui y ont englouti leur argent, alors que le principal intéressé n'avait pas l'envergure nécessaire pour bien mener à terme son plan d'affaires.

[30]     À mon avis, l'appelant a démontré, qu'en 1998, il a pris des mesures proactives dans l'espoir de récupérer éventuellement son investissement, mais sans succès.

[31]     Il est faux de prétendre que la dette était trop récente pour dire qu'elle était devenue irrécouvrable. Il ne faut pas oublier que c'est depuis 1994, que l'appelant avait investi la somme de 200 000 $. En 1998, quatre ans plus tard, il n'avait toujours pas revu la couleur de son argent, et n'a jamais récupéré depuis la somme de 140 000 $ qu'il réclame aujourd'hui.

[32]     Il s'agit à mon avis d'une situation où toutes les considérations futures que monsieur Joré pouvait faire miroiter à l'appelant, n'étaient que pures conjectures. J'estime que l'appelant a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a fait à la fin de l'année 1998 une évaluation honnête et raisonnable que sa créance était devenue irrécouvrable et que le recouvrement de sa créance n'était plus envisageable.

Sous-alinéa 40(2)g)(ii)

[33]     L'appelant invoque de plus que la perte n'est pas nulle puisqu'elle résulte de la disposition d'une créance qui avait été acquise en contrepartie de la disposition d'une immobilisation en faveur d'une personne avec qui il n'avait aucun lien de dépendance.

[34]     Selon la preuve, l'appelant a acquis une créance de 200 000 $ (laquelle inclut la créance de 140 000 $ en litige qui n'a jamais été remboursée) en contrepartie de la disposition d'actions de la société E.G. Plus et de la disposition d'une créance qu'il détenait à l'égard de Biagen. Il s'agit de déterminer si les actions et la créance dont l'appelant a disposé constituent des immobilisations au sens du sous-alinéa 40(2)g)(ii). L'article 54 de la Loi définit le terme « immobilisations » comme suit :

ARTICLE 54: Définitions.

         Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« immobilisations » - « immobilisations » S'agissant des immobilisations d'un contribuable:

a)     tous biens amortissables du contribuable;

b)     tous biens (autres que des biens amortissables) dont la disposition se traduirait pour le contribuable par un gain ou une perte en capital.

[35]     Le terme « biens » est défini au paragraphe 248(1) comme suit :

ARTICLE 248: Définitions.

            (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« biens » - « biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède:

a)    les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b)    à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c)    les avoirs forestiers;

d)    les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

[36]     Il est clair que les actions de E.G. Plus dont a disposé l'appelant constituent des immobilisations au sens de la Loi, puisque ces actions sont des biens qui ont été acquis par l'appelant en considération d'un investissement de 100 000 $, et que si l'appelant en avait disposé pour une valeur supérieure ou inférieure à son coût d'acquisition, il en serait résulté un gain ou une perte en capital.

[37]     Quant à la créance, il s'agit d'un droit qui constitue également un bien dont la disposition pour une valeur supérieure ou inférieure à son coût aurait donné lieu à un gain ou une perte en capital. En effet, une créance est définie comme suit par Hubert Reid dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien, 2e édition, Cowansville (Qc), Éditions Wilson & Lafleur, 2001, définition de « créance » , page 147 :

Droit personnel en vertu duquel une personne, appelée créancier, peut exiger d'une autre, appelée débiteur, l'exécution d'une obligation, le paiement d'une dette.                                                                                   [Nos soulignements.]

[38]     Comme l'appelant n'était clairement pas dans le commerce de la vente d'actions ou de créances, la disposition tant des actions que de la créance constituent la disposition d'une immobilisation pouvant donner lieu à un gain ou une perte en capital. Puisque l'appelant avait disposé des actions et de la créance en 1996 pour la valeur de leur coût d'acquisition, il n'a pas eu à déclarer de gain ou de perte en capital au cours de l'année 1996. Il n'en demeure pas moins que ces deux biens constituent des immobilisations au sens de la Loi.

[39]     Par ailleurs, l'intimée invoque que l'appelant avait un lien de dépendance de fait avec DEC Technologies, dont le président était monsieur Joré. Dans l'affaire Fournier c. M.N.R., 91 DTC 746 (TCC), [1991] A.C.I. No 7 (QL), le juge Dussault de cette Cour résumait ainsi la définition du concept de lien de dépendance entre personnes non liées :

      C'est donc l'alinéa 251(1)b) [maintenant l'alinéa 251(1)c)] de la Loi qui peut s'appliquer dans la mesure où les éléments de preuve établissent un lien de dépendance dans les faits.

      Le concept de lien de dépendance entre personnes non liées entre elles a fait l'objet de plusieurs décisions de nos tribunaux [Footnote appended to judgment.]. Lorsque les parties à une transaction agissent de concert, qu'ils ont des intérêts économiques similaires ou encore qu'ils agissent selon une volonté commune, il est généralement admis qu'ils ont alors un lien de dépendance.

      Je me permettrai de citer, à cet égard, le juge Cattanach de la Cour de l'Échiquier (tel qu'il était alors) qui affirmait dans l'affaire Minister of National Revenue v. Estate of Thomas Rodman Merritt, 69 DTC 5159 à la page 5165:

In my view, the basic premise on which this analysis is based is that, where the "mind" by which the bargaining is directed on behalf of one party to a contract is the same "mind" that directs the bargaining on behalf of the other party, it cannot be said that the parties are dealing at arm's length. In other words where the evidence reveals that the same person was "dictating" the "terms of the bargain" on behalf of both parties, it cannot be said that the parties were dealing at arm's length.

      Pour sa part, le juge Thurlow de la Cour de l'Échiquier (tel qu'il était alors) s'exprimait ainsi dans l'affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 71 DTC 5235, à la page 5241:

To this would add that where several parties - whether natural persons or corporations or a combination of the two - act in concert, and in the same interest, to direct or dictate the conduct of another, in my opinion the "mind" that directs may be that of the combination as a whole acting in concert or that of any one of them in carrying out particular parts or functions of what the common object involves.

_____________________________

M.N.R. v. Sheldons Engineering Ltd., (C.S.C.) 55 DTC 1110;

Gatineau Westgate Inc. v. M.N.R., 66 DTC 560;

M.N.R. v. Estate of Thomas Rodman Merritt, 69 DTC 5159

Swiss Bank Corporation and Swiss Credit Bank v. M.N.R., (C.S.C.) 72 DTC 6470;

G. Sayers v. M.N.R., 81 DTC 790;

Special Risks Holdings Inc. v. The Queen, 86 DTC 6035;

Noranda Mines Limited v. M.N.R., 87 DTC 379.

[40]     Peut-on dire que l'appelant et monsieur Joré ont agi de concert, qu'ils avaient des intérêts économiques similaires ou encore qu'ils agissaient selon une volonté commune ? Les faits soulevés par l'avocate de l'intimée dans son argumentation écrite ne reflètent pas tout à fait ce qui a été divulgué en preuve. L'appelant ne connaissait pas monsieur Joré au moment où il a investi dans E.G. Plus et Biagen en 1994. Ce sont les actionnaires de Biagen qui l'ont incité à investir dans ce projet. Ensuite, l'appelant et monsieur Joré ne se sont rencontrés que quelques fois jusqu'à ce que l'appelant dispose de ses actions et de sa créance en faveur de DEC Technologies en 1996. Par la suite, l'appelant a tenté de préserver sa propre créance en aidant partiellement monsieur Joré dans ses poursuites judiciaires. Quand en 1998, l'appelant a fait des démarches pour restructurer et tenter à nouveau de commercialiser l'invention, il avait certainement des intérêts économiques communs avec monsieur Joré dans le sens que tous deux avaient intérêt à ce que le projet fonctionne. Toutefois, leurs intérêts économiques n'étaient pas similaires. Monsieur Joré voulait aller chercher des royautés de ce projet et l'appelant voulait tout simplement récupérer sa créance. À mon avis, le fait que l'appelant ait gardé des contacts sporadiques ou qu'il ait partagé le repas du midi le jour de l'audition avec monsieur Joré, ne sont pas des motifs sérieux à invoquer pour conclure à un lien de dépendance entre personnes non liées. Par ailleurs, même si les liens entre l'appelant et monsieur Joré ont pu se développer en 1997 et 1998, c'est en 1996, au moment où il a disposé de ses actions et de sa créance en faveur de DEC Technologies qu'il faut établir s'il existait un lien de dépendance. Or la preuve, sinon muette, n'abonde certainement pas dans ce sens au moment de la transaction du 2 mai 1996. Tous les éléments soulevés par l'avocate de l'intimée sont postérieurs à cette entente. Je ne retiens donc pas les prétentions de l'intimée et je considère que la perte ne peut être considérée nulle aux termes du sous-alinéa 40(2)g)(ii).

Décision

[41]     L'appel est admis sur la base que l'appelant a droit à une perte au titre d'un placement d'entreprise au montant de 140 000 $, dont les ¾, soit un montant de 105 000 $, est déductible, aux termes des paragraphes 38(1)c) et 39(1)c) de la Loi.

[42]     Quant aux dépens, l'appelant ayant concédé quelques points en litige au début de l'audience, et l'intimée n'étant pas complètement injustifiée de mettre en doute la déduction de la perte de 140 000 $, l'appelant aura droit à ses dépens


selon le tarif prévu aux Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), sans plus.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 2006.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI556

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2002-3520(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               RICHARD R. MARTEL et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  les 23 et 24 juin 2005

ARGUMENTATIONS DE L'APPELANT : le 22 juillet 2005

ARGUMENTATIONS DE L'INTIMÉE : le 19 août 2005

RÉPLIQUE DE L'APPELANT :         le 2 septembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                    le 20 octobre 2006

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelant :

Me Peter Annis et

Me François Landry

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoît

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                   Nom :                              Me Peter Annis et

                                                          Me François Landry

                   Étude :                             Vincent Dagenais Gibson

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.