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2001-3338(IT)G

ENTRE :

ORMAND W. BRAISHER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 9 et 10 février 2006 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Mes Steven M. Cook et Richard B. Wong

Avocat de l'intimée :

Me Ron D. F. Wilhelm

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996 sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 3e jour de mai 2006.

« C. H. McArthur »

Juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour d'octobre 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2006CCI268

Date : 20060503

Dossier : 2001-3338(IT)G

ENTRE :

ORMAND W. BRAISHER

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur

[1]      Les présents appels visent les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996 de l'appelant. Les questions en litige sont notamment de savoir si l'appelant a omis de déclarer des avantages visés au paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) qui lui ont été conférés par la société O.W. Braisher Contracting Ltd. (la « société » ) au cours des années en cause, si le droit du ministre du Revenu national (le « ministre » ) d'établir de nouvelles cotisations pour les années en question s'est éteint par voie de prescription, et si l'appelant est passible de pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi. Les articles pertinents de la Loi énoncent ce qui suit :

15(1)    La valeur de l'avantage qu'une société confère, à un moment donné d'une année d'imposition, à un actionnaire [...] est incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année [...]

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

           

            [...]

[2]      Les parties ont déposé l'exposé conjoint des faits suivant :

          [traduction]

1.          L'appelant est un particulier qui réside dans la province de la Colombie-Britannique.

2.          L'appelant est né le 1er février 1945.

3.          L'appelant est marié à Kathleen Margaret Braisher.

4.          Au cours des années visées par les présents appels :

a)          l'appelant était un employé, l'administrateur unique, le président, le principal actionnaire et l'âme dirigeante de O.W. Braisher Contracting Ltd. (la « société » );

b)          la société tirait un revenu de l'exploitation d'une entreprise d'exploitation forestière, de construction routière et de terrassement de mise à niveau;

c)          la société était titulaire de trois comptes bancaires respectivement à la Banque Canadienne Impériale de Commerce, à la Banque de Montréal et à la Edgewater Credit Union;

d)          la société déposait les paiements pour services fournis dans les trois comptes;

e)          la société n'a pas inclus dans le calcul de son revenu déclaré les montants des dépôts (les « montants non déclarés » ) faits dans les comptes de la Banque de Montréal et de la Edgewater Credit Union (les « comptes non dévoilés » ).

5.          Les montants non déclarés pour les années d'imposition 1993 à 1997 totalisaient 807 143,94 $.

6.          À un moment donné à la fin de l'année 1999, des poursuites judiciaires ont été intentées à l'encontre de la société et de l'appelant relativement aux fonds déposés dans les comptes non dévoilés et retirés de ceux-ci.

7.          Le 27 juin 2000, conformément à une transaction pénale qui a été conclue, une nouvelle dénonciation a été faite sous serment, et la société a été inculpée des infractions suivantes :

a)          avoir volontairement éludé ou tenté d'éluder le paiement de l'impôt sur le revenu en omettant de déclarer un revenu de 677 884,84 $ déposé dans les comptes non dévoilés entre le 31 août 1993 et le 22 novembre 1996 en contravention à l'alinéa 239(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu (le « premier chef d'accusation » );

b)          avoir volontairement éludé le versement de 18 301 $ en TPS perçue sur les revenus taxables déposés dans les comptes non dévoilés entre le 31 août 1992 et le 1er juin 1996 en contravention à l'alinéa 327(1)c) de la Loi sur la taxe d'accise (le « deuxième chef d'accusation » );

c)          avoir volontairement obtenu ou tenté d'obtenir sans y avoir droit le remboursement de 11 613,56 $ en vertu de la Loi sur la taxe d'accise entre le 31 août 1992 et le 1er juin 1996 en contravention à l'alinéa 327(1)d) de la Loi sur la taxe d'accise (le « troisième chef d'accusation » ).

8.          Par suite de la conclusion de la transaction pénale, les accusations portées contre l'appelant ont été retirées.

9.          Le 9 août 2000, l'appelant, à titre de représentant de la société, s'est déclaré coupable des premier, deuxième et troisième chefs d'accusation.

10.        La société a été condamnée à payer une amende de 282 974 $, qui représente 150 % de l'impôt fédéral et de la TPS qu'elle devait payer sur les montants non déclarés.

11.        L'amende a été payée en totalité.

12.        Selon des avis de nouvelle cotisation établis par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) et datés du 11 janvier 2000, la société devait payer pour ses années d'imposition 1993 à 1997 :

            a)          l'impôt sur les montants non déclarés;

            b)          87 091,17 $ à titre de pénalités fédérales brutes.

13.        Dans des avis de nouvelle cotisation datés du 16 décembre 1999, le ministre a fixé à 57 635,76 $ le montant de la taxe sur les produits et services (la « TPS » ) que la société devait payer relativement à la somme de 481 592,80 $, qui correspondait à la partie des montants non déclarés représentant les fournitures taxables. Le ministre a aussi imposé à la société les pénalités visées au paragraphe 280(1) et à l'article 285 de la Loi sur la taxe d'assise d'un montant total de 27 887,53 $ relativement à la TPS qu'elle devait payer.

14.        Les avis de nouvelle cotisation relatifs à l'impôt sur le revenu et à la TPS établis à l'égard de la société fixent à environ 583 369,29 $ le montant total des impôts sur le revenu fédéraux, des impôts sur le revenu provinciaux, de la TPS et des pénalités à payer par la société. Ce montant sera ajusté en fonction des consentements à jugement dont il est question au paragraphe 17 du présent exposé conjoint des faits.

15.        Le ministre a aussi ordonné à la société de payer des intérêts calculés sur la taxe, l'impôt sur le revenu et les pénalités additionnels.

16.        La société a interjeté appel des avis de nouvelle cotisation relatifs à l'impôt sur le revenu et à la TPS devant la Cour canadienne de l'impôt (les « appels interjetés par la société » ).

17.        Le 6 février 2006, les consentements à jugement à l'égard des appels interjetés par la société ont été déposés devant la Cour canadienne de l'impôt [...]

18.        Le ministre a entrepris une vérification de la situation financière de l'appelant en 1998.

19.        Dans des avis de nouvelle cotisation datés du 5 janvier 2000 (les « nouvelles cotisations » ), le ministre a établi des cotisations d'impôt sur le revenu à l'égard de l'appelant pour chacune de ses années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 (les « années visées par les nouvelles cotisations » ). Les nouvelles cotisations visant les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation prévue à l'alinéa 152(4)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

20.        Le ministre a ajouté les montants suivants au revenu total de l'appelant, qui avait fait antérieurement l'objet d'une cotisation pour les années visées par les nouvelles cotisations. Le ministre a déterminé que ces montants représentaient la partie des montants non déclarés de la société qui avait été attribuée à un actionnaire (les « attributions » ) tombant sous le coup du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et que l'appelant avait omis de déclarer.

1992

       8 156 $

1993

160 028

1994

131 530

1995

87 232

1996

423 765

Total

    810 711 $

21.        Dans les nouvelles cotisations visant les années d'imposition 1995 et 1996 de l'appelant, le ministre a calculé l'impôt sur le revenu que l'appelant devait payer en se fondant sur les montants suivants, que le ministre a jugé être des revenus non déclarés tirés d'une entreprise :

1995

   16 493 $

1996

15 833

Total

   32 326 $

22.        Dans les nouvelles cotisations, l'appelant s'est également fait imposer des pénalités provinciales et fédérales pour faute lourde (les « pénalités » ) équivalant aux montants totaux suivants pour chacune des années visées par les nouvelles cotisations :

1992

     1 659 $

1993

40 817

1994

34 803

1995

28 008

1996

119 019

Total

    224 306 $

23.        Les nouvelles cotisations portent à environ 672 922 $ le montant total de l'impôt sur le revenu fédéral et provincial et des pénalités que doit payer l'appelant.

24.        Le ministre a aussi ordonné à l'appelant de payer des intérêts calculés sur la taxe, l'impôt sur le revenu et les pénalités additionnels.

25.        L'appelant reconnaît que :

a)          dans le calcul de son revenu pour ses années d'imposition 1995 et 1996, il n'a pas inclus les montants indiqués au paragraphe 21 ci-dessus;

b)          il a retiré des comptes non dévoilés des fonds dont le montant correspondait à celui des attributions (810 711 $).

26.        L'annexe B jointe à la présente indique les montants des fonds qui ont été retirés des comptes non dévoilés et qui ont été utilisés au bénéfice de Horns Peak Ranch. [L'annexe B est reproduite ci-dessous].

27.        Le dernier retrait fait par l'appelant des comptes non dévoilés a eu lieu le 10 décembre 1996. Les comptes non dévoilés sont inactifs depuis décembre 1996.

28         L'intimée admet que les montants suivants, qui ont été inclus à tort dans les attributions, doivent être soustraits des nouvelles cotisations qui visent les années d'imposition 1993 et 1994 de l'appelant :

            a)          28 000 $ pour l'année d'imposition 1993;

           

b)          21 000 $ pour l'année d'imposition 1994.

ANNEXE B

HORNS PEAK RANCH

du 1er JANVIER 1993 au 31 DÉCEMBRE 1996

Date

Compte bancaire

Bénéficiaire

   Dépenses

Immobilisation

      Encaisse

12 mai 1993

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

    15 000,00 $

6 août 1993

Banque de Montréal

Radium Building

        755,78 $

17 août 1993

Banque de Montréal

Harold Mandwill

1 200,00

25 nov. 1993

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

20 000,00

8 déc. 1993

Banque de Montréal

McBain Plumbing

2 053,70

9 déc. 1993

Banque de Montréal

Golden Hardware

1 047,02

17 déc. 1993

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

20 000,00

Total pour 1993

    5 056,50 $

    55 000,00 $

3 janv. 1994

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

20 000,00

7 avril 1994

Banque de Montréal

Golden Hardware

   811,03

18 avril 1994

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

10 000,00

11 mai 1994

Banque de Montréal

Dawson Seed Co.

1 964,29

5 juillet 1994

Banque de Montréal

Radium Building

2 458,50

7 juillet 1994

Banque de Montréal

Golden Hardware

3 104,31

Total pour 1994

    8 338,13 $

    30 000,00 $

29 mai 1995

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

2 000,00

29 mai 1995

Banque de Montréal

Golden Hardware

   733,34

Total pour 1995

       733,34 $

    2 000,00 $

2 mai 1996

Banque de Montréal

Hutchinson Fertilizer

5 261,25

4 mai 1996

Edgewater Credit Union

Biens-fonds Trescher

200 000,00

7 mai 1996

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

2 000,00

23 mai 1996

Edgewater Credit Union

Biens-fonds Trescher

190 000,00

6 déc. 1996

Banque de Montréal

Horns Peak Ranch

3 000,00

Total pour 1996

    5 261,25 $

    390 000,00 $

    5 000,00 $

Total**

      18 655,88 $[1]

    390 000.00 $

    90 000,00 $

**Les montants totaux de dépenses et d'encaisses n'incluaient pas les montants pour l'année 1995. Par conséquent, le montant total des dépenses doit être de 19 389,22 $ et celui de l'encaisse de 92 000,00 $.

Au moins 400 000 $ des fonds déposés dans les comptes bancaires de la Edgewater Credit Union ont servi à l'achat de terrains et des bâtiments connus sous le nom de biens-fonds Trescher. Les 100 000 $ qui restaient des 500 000 $ qui ont été déposés dans ce compte ont également été utilisés au bénéfice de Horns Peak.

[3]      L'appelant, qui est âgé de 61 ans, exploitait une entreprise prospère dans la région de Kootenay en Colombie-Britannique, à titre individuel depuis le début des années 1970, puis par l'entremise de la société depuis 1982. Pour chacune des années en cause, la société a dégagé un bénéfice brut de plus d'un million de dollars.

[4]      L'idée maîtresse de l'argument de l'appelant est présentée au paragraphe 18 de son avis d'appel modifié, lequel est rédigé ainsi :

[traduction]

18.        En 1996, des fonds ont été retirés du compte bancaire de la société à la Edgewater Credit Union pour financer l'acquisition de certains biens immeubles dans la région de Kootenay en Colombie-Britannique. Les fonds retirés représentaient des apports de capital faits par la société à une société de personnes dans laquelle elle avait une participation.

Le cahier de documents2 de l'appelant comprend la version des faits de l'appelant établie par son comptable et son avocat concernant le mode de distribution des fonds déposés dans les comptes non dévoilés. L'annexe B reproduite ci-dessus se trouve aussi à l'onglet 4 de la pièce A-1.

[5]      L'appelant soutient que Horns Peak Ranch était en réalité détenu et exploité par une société de personnes formée de lui-même, de son épouse Kathleen, de son fils Bud, de l'épouse de son fils, Alison, et de la société. L'appelant se fonde principalement sur son propre témoignage selon lequel la société était une associée de la société de personnes Horns Peak Ranch et qu'elle avançait des fonds à celle-ci.

[6]      Le principal argument de l'appelant est qu'en 1996 la société, à titre d'associée de la société de personnes Horns Peak Ranch, a fait un apport de capital d'environ 500 000 $ à Horns Peak Ranch, et que ce montant n'était pas imposable en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Ces paiements sont indiqués à l'annexe B de l'exposé conjoint des faits reproduite ci-dessus. L'appelant admet volontiers que le paragraphe 15(1) de la Loi s'applique à environ 307 144 $ des 807 144 $ représentant le revenu non déclaré de la société.

[7]      De plus, l'appelant soutient que, si je conclus que les fonds payés à Horns Peak Ranch correspondent à des attributions tombant sous le coup du paragraphe 15(1) de la Loi, les cotisations établies par le ministre sont frappées de prescription en application du paragraphe 152(3.1) de la Loi.

[8]      La dernière question en litige est de savoir si l'appelant est passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2). (Je le répète, la question la plus importante est de savoir s'il existait une société de personnes dont la société était une associée.) L'appelant admet avoir déposé des fonds appartenant à la société dans deux comptes non dévoilés pour éluder le paiement de l'impôt des sociétés. Son plan était fort simple. Il a déposé certains chèques de la société qui totalisaient environ 807 144 $ dans des comptes à deux banques avoisinantes.

[9]      La question relative au paragraphe 15(1) ne peut être résolue qu'après un examen de tous les faits pertinents. L'appelant exploite une entreprise d'exploitation forestière, de construction routière et de terrassement de mise à niveau depuis plus de 35 ans. Son entreprise a été constituée en société en 1982, et ses activités n'ont pas changé depuis qu'elle est en exploitation. La société de personnes Horns Peak Ranch semble avoir été créée en 1992, année où le fils de l'appelant Bud est rentré chez lui au Canada après avoir travaillé dans des fermes d'élevage en Nouvelle-Zélande. À partir de ce moment-là, les faits sont loin d'être clairs. Je crois que Bud a été le catalyseur de la formation d'une société de personnes avec son père et sa mère, et peut-être son épouse. L'appelant, son épouse et la société ont fourni des apports sous forme de biens-fonds à la société de personnes.

[10]     J'exposerai ci-dessous en résumé mon interprétation des faits. La société était très prospère. L'appelant a entrepris, en 1992, d'éluder le paiement de l'impôt des sociétés d'une manière grossière et simpliste. En plus du compte bancaire principal de la société à la CIBC, l'appelant a ouvert deux autres comptes à des banques différentes, mais dans la même petite collectivité. Dans le compte de la CIBC, il a déposé des revenus de plus d'un million de dollars annuellement pendant une période de cinq ans. Il a dévoilé ces revenus à son comptable et à l'ARC. Il a déposé plus de 807 144 $ dans deux autres comptes qui n'ont été dévoilés ni au comptable, ni à l'ARC, ni à qui que ce soit. La société a fait l'objet d'une vérification et son stratagème a été mis au jour. La société a payé une amende importante de 282 974 $ et elle paie l'impôt sur le revenu qu'elle aurait dû payer dont le montant s'élève à plus d'un million de dollars avec les intérêts et les pénalités.

[11]     Le ministre se penche maintenant sur le cas de l'appelant en qualité de particulier. L'appelant affirme que les cotisations établies à son égard et que les intérêts et les pénalités qui lui ont été imposés dépassent un million de dollars. Il a retenu les services d'un avocat compétent qui, tout comme le comptable de l'appelant, fait valoir que la société de personnes faisant affaire sous la raison sociale Horns Peak Ranch était formée de la société, de l'appelant et de sa famille. L'appelant soutient qu'environ 500 000 $ des 807 144 $ ont été investis par la société dans la société de personnes Horns Peak Ranch, et que ce montant ne devrait pas être considéré comme un avantage conféré à un actionnaire visé au paragraphe 15(1) de la Loi. L'appelant concède que le montant restant est imposable en vertu de cette disposition.

[12]     La question de savoir si la société était une associée de la société de personnes Horns Peak Ranch est principalement une question de fait. La plupart des faits ont été avancés par l'appelant. Il n'est pas contesté que l'appelant, Bud et peut-être leurs épouses formaient une société de personnes qui exploitait une entreprise d'élevage sous la raison sociale Horns Peak Ranch, bien qu'on ne puisse tirer que des conjectures sur la plupart des modalités financières. Pour que la Cour accueille l'appel de l'appelant, il doit être prouvé que la société a fait des apports de capital à Horns Peak Ranch à titre d'associée active de la société de personnes, et que ces paiements ne sont donc pas assujettis aux dispositions du paragraphe 15(1).

[13]     La définition simple de société de personnes à des fins fiscales est formulée par le juge Bastarache dans l'arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. La Reine3. Une société de personnes est la relation qui existe entre deux personnes ou plus4 qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.

[14]     La position de l'intimée est que la société n'a pas participé à l'exploitation en commun de la société de personnes Horns Peak Ranch en vue de réaliser un bénéfice.

Faits

[15]     Les contrats de société de personnes, liant principalement l'appelant et son fils Bud, ont été établis au gré du hasard lorsqu'ils étaient nécessaires. Il n'y a jamais eu de discussion à grande échelle ni de consensus sur la composition de la société de personnes Horns Peak Ranch et du rôle des associés dans celle-ci, à part l'accord de base entre l'appelant et Bud. Rien n'a été consigné par écrit. Il n'y a eu aucun plan ou budget d'entreprise. Il s'agissait d'un effort familial d'exploitation d'une entreprise d'agriculture et d'élevage. Comme l'a déclaré plusieurs fois l'avocat de l'appelant, M. Braisher avait une approche simpliste vis-à-vis des contrats de société de personnes, pourtant il est évident qu'il s'y connaissait en affaires puisqu'il exploitait une entreprise très prospère dans un marché, semble-t-il, concurrentiel.

[16]     La pièce A-1 est un document établi rétrospectivement par le comptable de l'appelant. (Le comptable n'a pas témoigné.) Ce document a pour objet de présenter les conséquences économiques auxquelles s'exposerait la société si elle était une associée de la société de personnes et de prouver que l'appelant et son épouse avaient fourni des apports sous forme de biens-fonds à la société de personnes. Il n'est pas contesté que Bud s'occupait de la gestion courante. L'appelant se chargeait de la gestion de la société, mais aidait à l'exploitation du ranch lorsqu'il le pouvait. La société a avancé du capital pour l'achat de biens-fonds qui n'étaient pas enregistrés à son nom, mais aux noms de l'appelant, de son épouse et de Bud. Le seul avantage que la société a pu tirer des biens-fonds était qu'elle a retiré du bois d'oeuvre et du gravier des terrains. Malheureusement, l'associé le plus actif, Bud, était parti en Nouvelle-Zélande, probablement en vacances, et il n'a pas témoigné. La date d'audience a été fixée le 11 août 2005 à la suite d'une demande conjointe, soit plus de cinq mois avant l'audience prévue. Je ne peux qu'en déduire que l'absence de Bud, l'associé le plus actif, était délibérée. Le seul témoin qui a tenté d'établir l'existence d'une société de personnes était l'appelant. Il ne manquait pas seulement de documentation corroborante, mais la plupart des documents déposés appuyaient la position de l'intimée.

[17]     Dans l'arrêt Backman c. Canada5, les juges Iacobucci et Bastarache ont affirmé ce qui suit concernant l'approche à utiliser pour déterminer s'il existe une société de personnes :


b) L'approche applicable pour statuer sur l'existence d'une société de personnes

25         Conformément à l'observation suivante, énoncée dans Lindley & Banks on Partnership,op. cit., p. 73, et adoptée dans Continental Bank, précité, par. 23 : [TRADUCTION] « pour déterminer l'existence d'une société en nom collectif [...] il faut tenir compte du contrat et de l'intention véritables des parties ressortant de l'ensemble des faits de l'affaire » . En d'autres termes, pour statuer sur l'existence d'une société de personnes, les tribunaux doivent se demander si la preuve documentaire objective et les circonstances de l'affaire, notamment les actes concrets des parties, sont compatibles avec l'existence d'une intention subjective d'exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice.

26         Les tribunaux doivent se montrer pragmatiques dans l'examen des trois éléments essentiels d'une société de personnes. Pour déterminer si une telle société a été établie dans une affaire donnée, il faut analyser et soupeser les facteurs pertinents eu égard à toutes les circonstances. Le fait que l'existence de la prétendue société de personnes doive être examinée au regard de l'ensemble des circonstances est incompatible avec l'application mécanique d'une liste de contrôle ou d'un critère comportant des paramètres définis de façon plus précise.

[18]     Application des faits

a)        Il n'existait aucune documentation écrite ou autre étayant l'existence d'une intention de faire en sorte que la société devienne une associée de Horns Peak.

b)       Environ 500 000 $ ont été retirés par l'appelant de comptes bancaires non dévoilés de la société pour acheter des terrains qui allaient être utilisés par Horns Peak. La société n'a reçu aucune confirmation écrite du fait qu'elle avait avancé les fonds en question. L'achat le plus important effectué au moyen des fonds de la société retirés des comptes non dévoilés était celui des biens-fonds Trescher pour 400 000 $, biens-fonds qui ont été enregistrés aux noms de l'appelant, de son épouse et de Bud.

         

c)        L'appelant s'est servi des fonds de la société pour son usage personnel.

d)       La société n'a pas participé aux bénéfices ni partagé les pertes de la société de personnes.

e)        Les états financiers ne font pas état du fait que la société était une associée. Ceci est compréhensible puisque l'existence de comptes bancaires secrets n'était pas connue du comptable de la société.

f)        Le témoignage intéressé et non corroboré de l'appelant constitue la seule preuve tendant à démontrer que la société était une associée de Horns Peak. Cette preuve est insuffisante.

g)        L'appelant ne pouvait dire avec certitude en quoi consistaient les ententes relatives au partage des bénéfices avec son fils. Ses propos au sujet du salaire de Bud et du seuil de partage des bénéfices étaient vagues. En fait, il ne savait pas quelles étaient les modalités de l'entente relative au partage des bénéfices, s'il y en avait une.

h)        Avant de présenter l'argument au sujet de la société de personnes, il a soutenu une position contradictoire selon laquelle les 500 000 $ représentaient un prêt qui lui avait été accordé à titre d'actionnaire.

i)         Les déclarations de revenus de la société n'indiquent pas que celle-ci était une associée de Horns Peak.

[19]     On ne saurait faire abstraction de tout ce qui précède. L'appelant n'était pas certain des modalités essentielles, notamment de la manière dont la société bénéficierait de l'apport de 500 000 $ et d'autres détails que j'ai mentionnés. Je ne souscris pas à l'argument qu'il fait valoir au paragraphe 18 de l'avis d'appel, selon lequel :

[traduction]

18.        En 1996, des fonds ont été retirés du compte bancaire de la société à la Edgewater Credit Union pour financer l'acquisition de certains biens immeubles dans la région de Kootenay en Colombie-Britannique. Les fonds retirés représentaient des apports de capital faits par la société à une société de personnes dans laquelle elle avait une participation.

[20]     L'avocat de l'appelant a été très direct. Tout comme le comptable de l'appelant, il a tenté de qualifier les retraits effectués par l'appelant des comptes secrets d'apports de capital faits par la société à Horns Peak. Il s'agit de voeux pieux et de planification fiscale rétrospective qui n'ont rien à voir avec la réalité. L'appelant a traité les comptes secrets de la société comme ses propres comptes personnels en faisant abstraction de la participation de la société dans la société de personnes Horns Peak.

[21]     Le paragraphe 15(1) de la Loi dispose qu'un contribuable doit inclure dans le calcul de son revenu tout avantage qu'une société lui a conféré en qualité d'actionnaire. Je considère comme étant un fait établi que la société a conféré à l'appelant des avantages équivalant au total des fonds déposés dans les deux comptes secrets. L'appelant savait qu'il devait payer de l'impôt sur les 807 144 $ et il n'a rien fait jusqu'au moment de la vérification et de l'établissement des nouvelles cotisations.

[22]     De plus, les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 ne sont pas frappées de prescription. L'appelant a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis une fraude en produisant sa déclaration de revenus pour les années en cause (sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi). Il a sciemment omis de déclarer les sommes déposées dans des comptes bancaires secrets dont il s'est servi pour son usage personnel.

[23]     Je me pencherai maintenant sur la question de la pénalité. Comme je l'ai mentionné ci-dessus, le paragraphe 163(2) de la Loi est rédigé en partie ainsi :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants [...]

Il n'y a aucun doute que l'appelant a fait de faux énoncés ou des omissions dans les déclarations en cause.

[24]     L'avocat de l'appelant a fait valoir que l'appelant avait admis avoir sciemment éludé le paiement de l'impôt des sociétés, que la société avait payé une amende de 282 924 $ et qu'elle s'était fait imposer les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi. L'avocat a également soutenu qu'il fallait tenir compte des conséquences économiques de l'imposition d'une pénalité additionnelle et de l'inclusion d'un montant supplémentaire dans le calcul du revenu en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Pour appuyer son argument, il a renvoyé à la décision Villeneuve v. The Queen6. L'avocat a ajouté qu'il y avait deux contribuables, la société et l'appelant. La société a plaidé coupable, et les accusations portées contre l'appelant ont été retirées. Selon l'avocat, l'appelant, qui était peu versé en comptabilité et en fiscalité, devait être puni par l'entremise de la société, mais non pas personnellement puisque ses actions n'avaient pas le caractère répréhensible auquel le juge Bowman a fait référence dans la décision Farm Business Consultants Inc. v. The Queen7.

[25]     Pour les motifs qui suivent, j'adhère à la position de l'avocat de l'intimée. L'appelant a intentionnellement omis de déclarer les sommes qu'il s'est appropriées. Il savait ou aurait dû savoir en produisant ses déclarations de revenus qu'il devait payer de l'impôt sur des fonds qu'il avait retirés de la société en tant que salaire ou dividendes.

[26]     Ni la Loi, ni le paragraphe 163(2) de la Loi ne disposent qu'il faut tenir compte des conséquences économiques de la pénalité. L'appelant a agi sciemment en espérant que ses actions ne seraient jamais mises à jour. Les pénalités pour faute lourde sont applicables en l'espèce en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, dont on ne saurait faire abstraction. L'appelant ne fait pas l'objet d'une double imposition. Il y a deux contribuables différents. La société a dû payer l'impôt et les pénalités applicables, et l'appelant doit en faire de même étant donné qu'il a fait de faux énoncés et des omissions.


[27]     Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2006.

« C. H. McArthur »

Juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour d'octobre 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2006CCI268

N º DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-3338(IT)G

INTITULÉ :

Ormand W. Braisher c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 9 et 10 février 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge C. H. McArthur

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 mai 2006

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelant :

Mes Steven M. Cook et Richard B. Wong

Avocat de l'intimée :

Me Ron D.F. Wilhelm

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Steven M. Cook

Cabinet :

Thorsteinssons s.r.l.

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



2           Pièce A-1.

3.           [1998] 2 R.C.S. 298.

4.           Y compris une société par actions.

5           2001 CSC 10.

6           2004 DTC 2258.

7           95 DTC 200 (C.C.I.).

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