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Dossier : 2002-33(IT)G

ENTRE :

SANDRA BURROWS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Ottawa (Ontario), les 18 et 19 janvier 2005

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Andrew Raven et Me Lise Leduc

Avocats de l'intimée :

Me Richard Gobeil et Me Jade Boucher

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2000 est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 2005.

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de septembre 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur


Référence : 2005CCI761

Date : 20051215

Dossier : 2002-33(IT)G

ENTRE :

SANDRA BURROWS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Lamarre

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), laquelle incluait dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 2000 les intérêts antérieurs au jugement accordés en vertu d'une décision sur l'équité salariale.

L'exposé conjoint des faits

[2]      Les faits qui ont donné lieu au présent appel sont résumés dans l'exposé conjoint des faits que les parties ont déposé sous la cote A-7. Cet exposé est en partie reproduit ci-dessous :

[TRADUCTION]

1.          En 1984 et en 1990, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l' « AFPC » ) a déposé des plaintes en matière de droits de l'homme pour le compte de certains employés qu'elle représentait dans des groupes professionnels à prédominance féminine. Selon les plaintes, le Conseil du Trésor, en sa qualité d'employeur, avait agi et agissait en violation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP » ) en omettant d'assurer la parité salariale pour des fonctions équivalentes (l' « équité salariale » ).

[...]

2.          Le 29 juillet 1998, le Tribunal canadien des droits de la personne (le « tribunal » ) a accueilli les plaintes et a conclu que le Conseil du Trésor avait agi en violation de l'article 11 de la LCDP. Il a ordonné au Conseil du Trésor d'accorder à l'appelante et à d'autres fonctionnaires un rajustement fondé sur l'équité salariale rétroactif au 8 mars 1985. L'ordonnance du tribunal prévoyait également le paiement d'intérêts sur le montant net des salaires directs, calculés comme étant dus chaque année de la période rétroactive, ainsi que le paiement d'intérêts postérieurs au jugement.

[...]

3.          Le 19 octobre 1999, la Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande que le procureur général avait présentée en vue de faire annuler l'ordonnance du tribunal en date du 29 juillet 1998.

[...]

4.          Le 29 octobre 1999, l'AFPC et le Conseil du Trésor ont conclu un protocole d'entente (l' « entente » ) en vue de régler les autres questions qui se posaient à la suite de l'ordonnance rendue par le tribunal. Le 16 novembre 1999, le tribunal a rendu une ordonnance définitive sur consentement mettant en oeuvre les conditions de l'entente.

[...]

5.          Conformément à cette ordonnance et à l'entente, divers paiements (le salaire rétroactif, les intérêts antérieurs au jugement et les intérêts postérieurs au jugement) ont été versés aux employés touchés aux fins de l'observation de l'ordonnance du tribunal.

[...]

6.          Ces paiements comprenaient un montant au titre des intérêts antérieurs au jugement comme le prévoyait l'ordonnance du tribunal.

[...]

7.          L'entente donnait des précisions au sujet du calcul des intérêts à verser à l'appelante. La clause 3.1 de l'entente prévoyait expressément ce qui suit :

3.1 Les parties conviennent que les taux d'intérêt suivants s'appliqueront pour chaque période de six mois :

85         11,25 %

86         10,00 %

87         7,75 %

88         9,00 %

89         10,50 %

90         10,50 %

91         10,75 %

92         7,50 %

93         6,00 %

94         4,25 %

95         7,50 %

96         5,25 %

97         5,25 %

98         3,50 %

99         4,00 %

[...]

8.          L'appelante, Sandra Burrows ( « Mme Burrows » ), est fonctionnaire fédérale. Elle travaille à Bibliothèque et Archives Canada (autrefois la Bibliothèque nationale du Canada) depuis 1977.

9.          Dans l'exercice de son emploi, Mme Burrows était membre d'un groupe professionnel à prédominance féminine représenté par l'AFPC. En tant que telle, Mme Burrows était l'une des personnes visées par l'ordonnance du tribunal.

10.        Conformément à l'ordonnance du tribunal et à l'entente consécutive, Mme Burrows a reçu un montant de 113 301,67 $ du Conseil du Trésor au cours de l'année d'imposition 2000. Le montant susmentionné comprenait un rajustement de 79 272,34 $ fondé sur l'équité salariale et des intérêts de 34 029,33 $.

[...]

11.        En produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2000, l'appelante a présenté un feuillet de renseignements T5 délivré par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada indiquant des intérêts de source canadienne de 34 029,33 $. Le montant est composé des intérêts antérieurs et postérieurs au jugement, le jugement ayant été rendu le 16 novembre 1999. Le montant des intérêts antérieurs au jugement est de 32 637,50 $ et le montant des intérêts postérieurs au jugement est de 1 391,88 $.

[...]

12.        Le 25 mai 2001, Mme Burrows a reçu pour l'année d'imposition 2000 un avis de cotisation confirmant l'inclusion et l'imposition des intérêts antérieurs au jugement dans son revenu total.

[...]

13.        Le 4 juillet 2001, Mme Burrows a présenté une opposition à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ci-après l' « ADRC » ou « Revenu Canada » ) en vue de s'opposer à la cotisation relative aux intérêts antérieurs au jugement de 34 029,33 $ à titre de revenu imposable.

[...]

14.        Le 30 juillet 2001, Mme Burrows a reçu de Linda Matteau, chef d'équipe, Division des appels, ADRC, une lettre confirmant qu'elle avait reçu l'avis d'opposition. Dans sa lettre, Mme Burrows mentionnait également ce qui suit :

Comme vous le savez peut-être, cette question intéresse de nombreux clients qui ont reçu des avis de cotisation ou de nouvelle cotisation semblables au vôtre.

Le traitement de ces dossiers fait actuellement l'objet d'un examen et lorsqu'une décision aura été rendue, nous vous en informerons. Dans l'intervalle, votre dossier sera mis en suspens tant qu'une décision définitive n'aura pas été rendue.

[...]

15.        Le 29 mars 2001, le Siège social, Direction générale des appels, a envoyé une note de service interne à l'ensemble des bureaux des services fiscaux et des centres fiscaux pour les informer de la procédure à suivre en traitant (c'est-à-dire en codant et en repérant) les oppositions présentées par les membres de l'AFPC ayant droit à un rajustement fondé sur l'équité salariale.

[...]

16.        Le 27 août 2001, la Division des appels en matière d'impôt a distribué une note de service interne dans laquelle elle répétait la procédure à suivre lors de la réception d'une opposition portant sur la nature imposable des intérêts reçus par les membres de l'AFPC par suite du règlement fondé sur l'équité salariale. La note de service mentionnait également ce qui suit :

Cette question est actuellement à l'étude. Par conséquent, nous tenons à vous rappeler qu'il faut mettre toutes ces oppositions en suspens tant que l'ADRC n'aura pas pris position.

[...]

17.        L'ADRC a également fait circuler d'autres notes de service portant sur la parité salariale.

[...]

18.        Le 18 septembre 2001, la Division des appels en matière d'impôt a distribué une note de service interne en vue de faire savoir que la « question de la nature imposable des intérêts reçus par suite du rajustement fondé sur l'équité salariale est actuellement à l'étude » .

[...]

19.        Dans ses notes du 12 octobre 2001, Michel Carbonneau, directeur à l'ADRC, a écrit ce qui suit : « Impact - Harris - re : traitement favorable à un groupe particulier » .

[...]

20.        Le 18 octobre 2001, les représentants de l'ADRC se sont réunis pour discuter de la politique de l'ADRC à l'égard des intérêts antérieurs au jugement.

[...]

21.        Le 8 novembre 2001, le Sous-comité technique de Politique et de législation s'est réuni pour discuter de sa politique concernant les intérêts antérieurs aux jugements et les intérêts antérieurs aux règlements pour les dommages-intérêts accordés pour lésions corporelles, décès, renvoi injustifié et sur les indemnités d'accident du travail, compte tenu de la position que l'AFPC prenait sur la question de l'imposition des intérêts antérieurs au jugement payés par suite du règlement fondé sur l'équité salariale.

[...]

22.        Le 16 novembre 2001, l'avocat de Mme Burrows a soumis à l'ADRC des observations écrites au sujet de la nature imposable des intérêts antérieurs au jugement versés par suite de l'ordonnance sur l'équité salariale rendue par le tribunal.

[...]

23.        Le 7 décembre 2001, l'ADRC a ratifié la cotisation et a informé Mme Burrows que la somme de 34 029,33 $ représentait des intérêts en vertu de l'alinéa 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et qu'elle était incluse dans le calcul de son revenu conformément à l'article 3 et à l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[...]

24.        Le 21 décembre 2001, Mme Burrows a déposé un avis d'appel en vue de s'opposer à l'inclusion dans le revenu et à l'imposition des intérêts antérieurs au règlement qui lui avaient été versés conformément à l'ordonnance du tribunal. Aux sous-alinéas e)(ii) et f)(iii) de l'avis d'appel, Mme Burrows alléguait que l'imposition des intérêts avant règlement, tel qu'il en est ci-dessus fait mention, était contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[...]

25.        Madame Burrows a donné d'autres précisions à l'intimée au moyen d'une lettre datée du 28 février 2002, dans laquelle elle confirmait ce qui suit par l'entremise de son avocat :

En ce qui concerne votre lettre du 28 février 2002, nous pouvons confirmer que nous avons l'intention de nous fonder sur les articles 2, 5, 7 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme l'indique l'avis d'appel qui a été déposé dans chacune des affaires susmentionnées, la position prise par les appelants est fondamentalement que le traitement fiscal des paiements en question est discriminatoire. À notre avis, le traitement de ces paiements va directement à l'encontre des articles 5 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et il n'est pas conforme au libellé et au but des articles 2 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[...]

26.        Par une lettre en date du 7 décembre 2001, Mme Burrows a été informée que son opposition avait été rejetée et qu'elle serait donc tenue de payer de l'impôt sur le revenu sur les intérêts antérieurs au jugement afférents à son indemnité relative à l'équité salariale. L'ADRC a terminé la rédaction, le 10 janvier 2002, de son rapport sur l'opposition, dans lequel elle disait ce qui suit :

-Le montant reçu est décrit, défini et calculé à titre d'intérêts dans la décision du tribunal en date du 29 juillet 1998 et la mise en oeuvre a été effectuée conformément à l'entente conclue par l'Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor le 29 octobre 1999;

-Le montant reçu constituait une indemnité pour la réception tardive de l'indemnité globale à laquelle les plaignants avaient droit aux termes de la décision du tribunal et de l'entente conclue avec l'Alliance de la Fonction publique du Canada.

[...]

27.        Dans une note de service en date du 3 février 2000, l'ADRC a pris la position selon laquelle les intérêts afférents au règlement fondé sur l'équité salariale constituent « des intérêts ordinaires, payables à titre de dédommagement par suite de l'utilisation de l'argent en attente du règlement, imposables au titre des intérêts » . « Étant donné que les versements fondés sur l'équité salariale ne représentent pas des dommages-intérêts pour lésions corporelles ou pour renvoi injustifié, les intérêts y afférents sont imposables à titre de revenu d'intérêts, conformément à l'alinéa 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour l'année où le paiement est reçu. »

[...]

[3]      Le reste de l'exposé conjoint des faits (du paragraphe 28 au paragraphe 68) renferme l'historique de la politique de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) de ne pas imposer les intérêts antérieurs au jugement se rapportant aux montants adjugés pour lésions corporelles ou décès, aux indemnités rétroactives d'accident du travail et, jusqu'au 1er janvier 2004, aux montants adjugés à la suite d'un renvoi injustifié.

Les arguments de l'appelante

[4]      Devant la Cour, l'appelante a uniquement contesté le traitement fiscal des intérêts antérieurs au jugement en affirmant qu'il était discriminatoire aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ). À l'instruction, l'avocat de l'appelante a informé la Cour qu'il ne contestait plus le fait que les intérêts antérieurs au jugement constituent des intérêts pour l'application de l'alinéa 12(1)c) de la Loi. Il a déclaré que la contestation constitutionnelle ne visait pas l'alinéa 12(1)c) de la Loi en soi, mais qu'elle visait plutôt la décision de l'ADRC d'imposer les intérêts antérieurs au jugement dans le cas de l'appelante, alors que l'ADRC exonérait de l'impôt d'autres montants accordés avant jugement. De fait, au fil des ans, l'ADRC a pris la position selon laquelle les intérêts antérieurs au jugement qui sont payables par suite de l'octroi de dommages-intérêts pour lésions corporelles ou décès, ou sur les indemnités d'accident du travail, sont exonérés d'impôt. La même politique d'exonération d'impôt a également été appliquée jusqu'au 1er janvier 2004 aux intérêts antérieurs au jugement qui étaient payables par suite de l'octroi de dommages-intérêts fondés sur un renvoi injustifié.

[5]      Il semble que la politique fiscale ait été basée sur le principe selon lequel les intérêts antérieurs au jugement payables par suite de l'octroi de dommages-intérêts devaient être traités, aux fins de l'impôt sur le revenu, de la même façon que l'indemnité elle-même. Par conséquent, l'imposition des intérêts antérieurs au jugement suivait le traitement fiscal de l'indemnité à laquelle ils étaient associés. Lorsque l'indemnité n'était pas imposable, l'ADRC considérait que les intérêts antérieurs au jugement y afférents qui étaient payables n'étaient également pas imposables. Cette politique a été adoptée indépendamment du fait que les intérêts antérieurs au jugement se rapportant à tout type d'indemnité devraient être inclus dans le revenu à titre d'intérêts aux termes de l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[6]      En outre, en ce qui concerne la cessation d'une charge ou d'un emploi qui a eu lieu après le 12 novembre 1981, les dommages-intérêts pour renvoi injustifié sont inclus dans la définition d' « allocation de retraite » au paragraphe 248(1) de la Loi et sont imposables conformément au sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi. Néanmoins, la politique de l'ADRC de ne pas imposer les intérêts antérieurs au jugement reçus par suite de l'octroi de dommages-intérêts fondés sur un renvoi injustifié a été maintenue jusqu'au 1er janvier 2004; l'ADRC a alors modifié sa politique, de façon à exclure de l'exception administrative les intérêts antérieurs au jugement se rapportant aux indemnités découlant d'un renvoi injustifié et, par conséquent, à les imposer à titre de revenu d'intérêts. Essentiellement, au 1er janvier 2004, la nouvelle position prise par l'ADRC était que tous les intérêts antérieurs au jugement qui sont expressément désignés comme étant des intérêts dans une ordonnance judiciaire ou dans un règlement à l'amiable seraient imposés à titre de revenu en intérêts, sauf les intérêts antérieurs au jugement sur les indemnités accordées pour lésions corporelles ou en raison d'un décès, ou les intérêts sur une indemnité rétroactive d'accident du travail. Selon cette nouvelle position administrative, il est encore reconnu que les intérêts antérieurs au jugement se rapportant à des indemnités non imposables accordées pour lésions corporelles ou en raison d'un décès, ou les intérêts sur une indemnité rétroactive d'accident du travail, ne sont pas assujettis à l'impôt (voir la copie de l'annonce concernant le changement de politique qui a été faite à la conférence de l'Association canadienne d'études fiscales du mois de septembre 2003, à Montréal, pièce A-3, onglet 6).

[7]      De l'avis de l'appelante, il n'y a rien dans la Loi qui étaye la politique de l'ADRC de ne pas imposer les intérêts afférents aux indemnités lorsque le capital n'est pas imposé. Cette exonération d'impôt à l'égard des intérêts antérieurs au jugement, qui sont par ailleurs imposables en vertu de l'article 12 de la Loi, résulte d'une position administrative. L'appelante fait valoir que la protection fournie par la Charte aux personnes qui sont dans la même situation qu'elle s'étend à la façon dont la loi est appliquée et interprétée, et notamment aux positions administratives prises par le fisc dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'exclure certains groupes d'une obligation fiscale, alors que d'autres groupes ne sont pas ainsi exclus. L'appelante affirme que la discrimination dont font l'objet les personnes victimes d'un acte discriminatoire illicite est aggravée du fait qu'elles sont traitées différemment et qu'elles n'ont pas droit à la même exonération d'impôt que celle qui est accordée aux personnes exerçant un emploi qui ont été victimes d'un acte délictuel, qui ont obtenu une indemnité d'accident du travail ou dont les droits contractuels n'ont pas été respectés. Par conséquent, il devrait être jugé en l'espèce que l'imposition des intérêts antérieurs au jugement va à l'encontre de la Charte.

[8]      De l'avis de l'appelante, la Charte est violée du fait que l'ADRC a décidé que les personnes qui sont victimes d'une violation des droits de l'homme reconnus par la Loi canadienne sur les droits de la personne n'ont pas droit à la même protection et au même bénéfice de la loi que les employés dont le contrat de travail a été violé, parce qu'ils n'ont pas reçu d'avis de cessation d'emploi adéquat, ou que les employés qui font face à des retards lorsqu'il s'agit de recevoir une indemnité d'accident du travail ou encore que les personnes à qui des intérêts sont versés sur une indemnité pour lésions corporelles. D'après elle, il n'existe aucun fondement rationnel justifiant cette distinction. De fait, selon les explications que l'ADRC a données à l'appui de la distinction, l'imposition des intérêts devrait suivre l'imposition du principal (et ce, bien qu'il n'y ait aucun fondement juridique à l'appui dans la Loi). Cependant, si tel est le principe applicable, comment l'ADRC peut-elle justifier la non-imposition des intérêts antérieurs au jugement se rapportant aux indemnités accordées à la suite d'un renvoi injustifié jusqu'au 1er janvier 2004, alors que ces indemnités étaient imposables depuis 1981? Il existe clairement une différence de traitement dans ce cas-ci, en l'absence de quelque preuve d'un objectif ou d'un but rationnel. Or, cela est discriminatoire.

[9]      L'appelante a également mis l'accent sur le fait que les paiements que le Tribunal canadien des droits de la personne (le « tribunal » ) a ordonné d'effectuer visaient à remédier à la discrimination fondée sur le sexe à laquelle le Conseil du Trésor se livrait. Les intérêts antérieurs au règlement dont le tribunal a ordonné le paiement visaient en partie à indemniser les victimes de cette discrimination du fait qu'elles avaient été illicitement privées, pendant une longue période, du revenu représenté par les paiements.

[10]     L'appelante affirme que la décision d'imposer le paiement des intérêts antérieurs au règlement mine donc directement la réparation accordée par le tribunal - une réparation qui visait à indemniser les victimes à l'égard de la discrimination dont elles avaient fait l'objet. En réduisant la valeur de cette réparation, l'ADRC a privé ces victimes des sommes que le tribunal estimait nécessaires pour les indemniser. Les actions de l'ADRC ont donc eu un effet discriminatoire illicite sur ces personnes, ce qui va à l'encontre de la Charte.

[11]     L'appelante affirme que les intérêts visaient à indemniser les personnes qui ont été victimes de la discrimination en question par suite du retard à verser des taux de rémunération non discriminatoires. L'impôt qui a été perçu par suite des actions de l'ADRC reviendra en fin de compte au gouvernement fédéral. L'appelante fait valoir que, dans une large mesure, le gouvernement récupère donc simplement les paiements que le tribunal lui a ordonné d'effectuer. À son avis, toute action qui réduit la valeur des paiements visant à indemniser les victimes de discrimination a pour effet d'exacerber les actes discriminatoires initiaux commis à l'endroit de ces personnes.

[12]     L'appelante soutient que l'application de toute loi qui n'est pas compatible avec la Charte est inopérante. La Charte peut être violée non seulement par la loi elle-même (dans ce cas-ci, l'appelante ne cherche pas à obtenir une déclaration portant que l'alinéa 12(1)c) de la Loi est inconstitutionnel), mais elle peut aussi l'être par les actes d'un décideur à qui on a délégué l'application de la loi (voir l'arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, p. 644). En pareil cas, la loi demeure valide, mais il y a violation du droit à l'égalité dans l'application de la loi. Selon l'appelante, l'application discriminatoire de la loi donne lieu à l'application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui prévoit que les dispositions incompatibles avec la Charte sont inopérantes. Une réparation peut être demandée, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte, par suite de cette action inconstitutionnelle. L'appelante demande comme réparation une décision portant que les intérêts antérieurs au jugement ne sont pas à inclure dans le revenu. Elle sollicite une déclaration portant qu'elle doit être traitée de la même façon que les personnes qui ont fait l'objet d'un renvoi injustifié, les personnes qui ont subi des blessures en milieu de travail, les personnes qui ont subi des lésions corporelles ou encore les personnes dont le décès est causé par un acte fautif.

[13]     L'appelante se fonde sur les décisions que la Cour a rendues dans les affaires Campbell c. Canada, 2004 CCI 460, no 2002-4718(IT)I, 7 octobre 2004, [2004] A.C.I. no 514 (QL), inf. par 2005 CAF 420, et O'Neill Motors Limited c. La Reine, no 94-820(IT)G, 9 novembre 1995, [1995] A.C.I. no 1435 (QL), conf. par [1998] 4 C.F. 180, [1998] A.C.F. no 835 (QL) (C.A.F.), afin de soutenir que la Cour a compétence pour accorder une réparation convenable en cas de violation de la Charte. En l'espèce, soutient-elle, la Cour a le pouvoir de déclarer qu'il ne convient pas d'imposer les intérêts antérieurs au jugement pour le motif que la décision administrative de l'ADRC d'imposer en fait les victimes de violations de droits de l'homme est discriminatoire et inconstitutionnelle.

Les arguments de l'intimée

[14]     L'avocat de l'intimée fait remarquer que l'appelante ne conteste pas qu'en l'espèce, les intérêts antérieurs au jugement sont des intérêts au sens de l'alinéa 12(1)c) de la Loi. Il fait également remarquer que l'appelante a limité son argumentation à l'inconstitutionnalité de la politique de l'ADRC d'imposer les intérêts antérieurs au jugement dans certains cas, mais pas dans d'autres. Selon l'avocat, l'appelante limite son argumentation à la question de la discrimination visée à l'article 15 de la Charte dans l'application de la politique de l'ADRC et elle cherche à obtenir une réparation aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et du paragraphe 24(1) de la Charte.

[15]     Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 est rédigé comme suit :

PARTIE VII

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

52(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

[16]     L'avocat de l'intimée fait valoir que, selon le paragraphe 52(1), est inconstitutionnelle ou inopérante une disposition d'une loi particulière incompatible avec les dispositions de la Constitution (ce qui comprend la Charte). L'intimée soutient que le paragraphe 52(1) ne s'applique pas aux actions administratives du gouvernement.

[17]     Dans l'arrêt Eldridge, précité, le juge La Forest a dit ce qui suit à la page 644 :

[...] Premièrement, une loi peut être jugée inconstitutionnelle suivant son texte même parce qu'elle porte atteinte à un droit garanti par la Charte et que sa validité n'est pas sauvegardée par l'article premier. En pareil cas, la loi est invalide et le tribunal est tenu de la déclarer inopérante en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Deuxièmement, il est possible que la Charte soit violée non pas par la loi elle-même, mais par les actes d'un décideur à qui on a délégué son application. Dans un tel cas, la loi reste valide, mais une réparation peut être demandée en vertu du par. 24(1) de la Charte à l'égard de l'acte inconstitutionnel.

[18]     Dans ce cas-ci, l'alinéa 12(1)c) de la Loi n'est pas contesté. Ce qui est contesté, c'est une politique de l'ADRC, c'est-à-dire la façon dont l'ADRC applique cette disposition sur le plan administratif. Comme le juge La Forest l'a dit, en pareil cas, la loi demeure valide et une réparation peut être demandée, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, par suite de l'acte inconstitutionnel. Une politique administrative ne peut donc pas être déclarée invalide en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[19]     Le paragraphe 24(1) de la Charte est rédigé comme suit :

Recours

Recours en cas d'atteinte aux droits et libertés

24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[20]     De l'avis de l'intimée, la Cour n'a pas compétence, eu égard aux circonstances de l'espèce, pour annuler une cotisation en se fondant sur le paragraphe 24(1) de la Charte. L'appelante affirme être victime de discrimination parce qu'elle n'a pas l'avantage de bénéficier de l'exonération d'impôt dont d'autres personnes bénéficient conformément à la politique de l'ADRC. Elle demande donc l'annulation de sa cotisation pour le motif que l'ADRC l'a établie d'une façon inappropriée, non pas parce qu'elle est incompatible avec les dispositions de la Loi, mais plutôt parce qu'elle est inéquitable. L'intimée déclare que la Cour d'appel fédérale a conclu qu'il était clair et manifeste que la présente cour n'a pas compétence pour annuler une cotisation d'impôt valide en se fondant sur une contestation de la procédure par laquelle cette cotisation a été établie, ou sur la façon dont les autres contribuables sont traités. L'avocat a mentionné les arrêts Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, [2004] A.C.F. no 2030 (QL), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 5 mai 2005, no 30739, et Sinclair c. La Reine, 2003 CAF 348, 2003 D.T.C. 5624, 2003 A.C.F. no 1381 (QL) (C.A.F.).

[21]     L'avocat mentionne plus particulièrement l'arrêt Sinclair, dans lequel la Cour d'appel fédérale a conclu qu'il n'est pas loisible à la présente cour de modifier une cotisation d'impôt par ailleurs valide pour le motif que le contribuable n'a pas bénéficié du traitement fiscal favorable accordé à d'autres. L'arrêt Sinclair a été cité avec approbation dans l'arrêt Main Rehabilitation Co., précité, où la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit au paragraphe 8 :

8           Il en est ainsi parce que l'appel interjeté sur le fondement de l'article 169 met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l'établir (voir à titre d'exemple Canada c. The Consumers' Gas Company Ltd., 87 D.T.C. 5008 (C.A.F.), à la page 5012). Autrement dit, il ne s'agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l'ADRC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi (Ludco Enterprises Ltd. c. R., [1996] 3 C.T.C. 74 (C.A.F.), à la page 84).

[22]     L'intimée affirme que l'appelante propose d'étendre la compétence de la Cour en sollicitant une ordonnance modifiant sa cotisation d'impôt, et ce, même si la cotisation est correcte en fait et en droit. Le droit d'appel est un droit de fond dont la portée ne doit pas être étendue au-delà du but dans lequel il a été conféré. Or, le législateur a conféré à la Cour une compétence précise lui permettant d'examiner le bien-fondé d'une cotisation d'impôt et les pouvoirs de réparation accordés à la Cour sont énoncés au paragraphe 171(1) de la Loi.

[23]     L'avocat de l'intimée fait valoir que la Cour n'est pas un tribunal compétent autorisé, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, à accorder la réparation demandée par l'appelante. Il se fonde sur l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, de la Cour suprême du Canada, où le juge Lamer a défini, à la page 890, « un tribunal compétent » en vertu du paragraphe 24(1) comme étant un tribunal compétent ratione personae et ratione materiae et qui a compétence pour accorder la réparation.

[24]     Dans ce cas-ci, la Cour n'est pas compétente ratione materiae, puisqu'elle n'a pas la compétence voulue pour examiner la procédure d'établissement des cotisations en vue de déterminer si une cotisation est valide. La compétence de la Cour est limitée à la détermination de la question de savoir si la cotisation d'impôt est fondée en fait et en droit, conformément aux dispositions de la Loi. La Cour ne peut pas prendre en considération la façon dont les autres contribuables ont été traités.

[25]     L'avocat de l'intimée affirme que la demande de l'appelante, à savoir que la Cour examine les actions des fonctionnaires de l'ADRC comme motif d'annulation de la cotisation, constitue en fait une demande de contrôle judiciaire des actions administratives de la Couronne fédérale. Il est soutenu que la Cour n'a pas compétence en vertu de la loi pour procéder à un tel contrôle. Comme l'a dit la Cour d'appel fédérale au paragraphe 8 de l'arrêt Sinclair, précité, l'appelante pourrait demander réparation à la Cour fédérale, mais cette réparation ne peut pas être accordée par la présente cour.

[26]     L'intimée déclare en outre que, si la Cour conclut qu'elle a la compétence voulue pour annuler la cotisation pour le motif que d'autres contribuables ont été traités différemment, ce traitement ne constitue pas de la discrimination au sens de l'article 15 de la Charte.

[27]     L'article 15 de la Charte ne vise pas à protéger une personne contre toute forme de traitement différent. L'application de l'article 15 dépend de la conclusion selon laquelle une personne est traitée d'une façon différente en raison d'une caractéristique personnelle énumérée ou pour un motif de discrimination analogue reconnu en vertu de l'article 15. Dans ce cas-ci, l'appelante compare la façon dont elle a été traitée du point de vue de l'impôt à celle dont sont traités les contribuables qui ont obtenu des indemnités pour lésions corporelles ou décès, des indemnités rétroactives d'accident du travail ou des indemnités résultant d'un renvoi injustifié, soit des cas dans lesquels les intérêts antérieurs au jugement ne sont pas imposés. Elle affirme que l'omission de l'ADRC de lui accorder la même exonération d'impôt sur le montant des intérêts antérieurs au jugement équivaut à un traitement différent fondé sur son sexe. De l'avis de l'intimée, cette comparaison n'est pas appropriée, puisque l'appelante et les groupes comparés ne partagent pas les caractéristiques pertinentes pour ce qui est de l'avantage recherché. Les intérêts antérieurs au jugement se rapportant à une indemnité accordée pour lésions corporelles ou décès ou se rapportant aux paiements effectués au titre d'une indemnité rétroactive d'accident du travail ne sont pas considérés comme imposables, et ce, indépendamment du sexe du bénéficiaire. Ils ne sont pas considérés comme imposables parce que le principal y afférent n'est pas imposable. Le traitement des intérêts antérieurs au jugement en vertu de la Loi est donc fondé sur la source de revenu. Or, le revenu de l'appelante auquel les intérêts antérieurs au jugement se rattachent est un revenu d'emploi. Par contre, les indemnités pour lésions corporelles ou pour décès, les indemnités d'accident du travail et celles résultant d'un renvoi injustifié sont considérées comme des sources de revenu différentes. L'intimée affirme que la comparaison proposée par l'appelante doit être rejetée parce que son fondement, la source de revenu, ne constitue pas une caractéristique personnelle reconnue comme motif de discrimination en vertu de l'article 15. Une distinction entre les contribuables qui est établie sur la base de la source de revenu n'est pas fondée sur un motif de discrimination prohibé par l'article 15 de la Charte (voir l'arrêt Kasvand c. Canada, no A-321-93, 14 avril 1994, [1994] A.C.F. no 510 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 3).

[28]     En outre, de l'avis de l'intimée, rien dans la preuve ne montre que l'application de l'alinéa 12(1)c) de la Loi a des incidences défavorables différentes pour l'appelante du fait de son sexe. À cet égard, l'avocat fait valoir qu'il ne suffit pas de démontrer que l'application de cette disposition peut avoir des incidences défavorables pour un plus grand nombre de femmes que d'hommes; il faut également démontrer que cette disposition a pour l'appelante des incidences qualitatives différentes de celles qu'elle a pour les groupes comparés, et ce, à cause de son sexe (voir les observations écrites de l'intimée, au paragraphe 63, où il est fait mention de l'arrêt Thibaudeau c. M.R.N., [1994] 2 C.F. 189 (C.A.F.)).

[29]     L'avocat de l'intimée conclut que l'alinéa 12(1)c) de la Loi et les politiques de l'ADRC concernant l'application de cette disposition sont neutres quant au sexe et que l'appelante n'a pas démontré que l'ADRC applique l'alinéa 12(1)c) d'une façon différente sur la base d'une caractéristique personnelle, et notamment du sexe.

[30]     En outre, l'intimée affirme que si la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 15 de la Charte, une telle violation est justifiée en vertu de l'article premier.

[31]     Enfin, l'avocat de l'intimée affirme que la question ne se rapporte plus au fait que l'employeur de l'appelante maintenait des écarts de salaire entre les employées femelles et les employés mâles. L'ADRC n'est pas l'employeur de l'appelante. L'ADRC est chargée d'administrer la Loi et, ce faisant, elle a appliqué les dispositions de la Loi aux intérêts antérieurs au jugement que l'appelante a reçus par suite de l'ordonnance rendue par le tribunal. L'appelante allègue qu'imposer les intérêts se rapportant à une réparation accordée par le tribunal aggraverait et continuerait la discrimination à l'existence de laquelle le tribunal a conclu. Dans l'arrêt Sveinson c. Canada (Procureur général), [2003] 4 C.F. 927 (C.A.F.), au paragraphe 17, le juge Evans a conclu qu'un tel argument « équivaut, en effet, à prétendre que la législation qui ne rectifie pas toutes les conséquences indirectes d'une discrimination illégale faite par un employeur est elle-même incompatible avec la [Loi canadienne sur les droits de la personne]. À [s]on avis, ce n'est pas ce genre d'incohérence qui fait en sorte qu'on doive rendre une législation par ailleurs valide inopérante » .

Analyse

[32]     L'appelante ne demande pas à la Cour d'annuler ou de modifier la cotisation pour le motif qu'elle est invalide compte tenu de la Loi et elle ne demande pas non plus à la Cour d'annuler l'alinéa 12(1)c) de la Loi pour le motif qu'il est inconstitutionnel. L'appelante demande plutôt à la Cour d'annuler la cotisation pour le motif que le ministre, en raison d'une politique administrative, n'applique pas l'alinéa 12(1)c) lorsque des intérêts antérieurs au jugement sont accordés sur des indemnités d'accident du travail, à la suite d'un renvoi injustifié ou en cas de lésions corporelles ou de décès et qu'il choisit pourtant d'appliquer cette disposition lorsque des intérêts antérieurs au jugement sont accordés à un groupe dont les membres ont été jugés victimes d'une violation des droits de l'homme. L'appelante fait valoir qu'en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, la Cour a le pouvoir d'accorder cette réparation.

[33]     La Cour a le pouvoir d'accorder une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte lorsqu'elle est compétente ratione personae et ratione materiae et a compétence pour accorder la réparation (voir l'arrêt Mills, précité, mentionné par l'avocat de l'intimée).

[34]     Il a été admis que la Cour est compétente ratione personae, mais il a été contesté que la Cour soit compétente ratione materiae ou qu'elle ait compétence pour accorder la réparation demandée.

[35]     La compétence de la Cour est limitée par la Loi et par la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (la « Loi sur la CCI » ). L'article 12 de la Loi sur la CCI prévoit que la Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels découlant de l'application de la Loi. Le principal droit d'appel est énoncé à l'article 169 de la Loi et c'est la validité de la cotisation et non le processus par lequel la cotisation a été établie qui est en litige. De fait, je suis d'accord avec l'intimée pour dire que la jurisprudence établit que le droit d'en appeler devant la Cour est limité aux appels concernant l'impôt exigible et qu'il ne s'étend pas à la façon dont le montant a été établi. Si l'impôt exigible est calculé correctement, à la lumière de dispositions de la Loi qui ont été validement édictées, la cotisation doit être confirmée et l'appel doit être rejeté (voir les arrêts Canada c. Consumers' Gas Co., [1987] 2 C.F. 60 (C.A.F.), Webster c. Canada, 2003 CAF 388, [2003] A.C.F. no 1569 (QL), Lassonde c. La Reine, 2005 CAF 323).

[36]     Aux termes du paragraphe 171(1) de la Loi, la compétence de la Cour est donc limitée à la détermination du bien-fondé d'une cotisation. Cette disposition est rédigée comme suit :

ARTICLE 171 : Règlement d'un appel

(1) La Cour canadienne de l'impôt peut statuer sur un appel :

a) en le rejetant;

b) en l'admettant et en :

(i) annulant la cotisation,

(ii) modifiant la cotisation,

(iii) déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

[37]     En l'espèce, l'appelante a expressément limité son argumentation à une contestation de la procédure que le ministre a suivie pour décider que les intérêts antérieurs au jugement qu'elle a gagnés étaient imposables.

[38]     Dans la décision Sinclair c. Canada, no 2002-1480(IT)G, 17 juillet 2002, [2002] A.C.I. no 388 (QL), conf. par 2003 CAF 348, [2003] A.C.F. no 1381 (QL), où une contestation similaire relative à la Charte avait été faite et où la plainte se rapportait à la façon dont l'ADRC avait traité le contribuable plutôt qu'à la validité de la cotisation établie en application de la Loi, le juge Bowie de notre cour a dit ce qui suit :

[6]         La décision de la Cour d'appel fédérale dans Ludmer c. Canada établit clairement que, dans un appel contre une cotisation d'impôt sur le revenu, on ne peut admettre une preuve selon laquelle d'autres contribuables se trouvant dans des circonstances identiques ont fait l'objet de cotisations plus favorables. Dans cette affaire, la Cour a cité et approuvé les passages suivants du jugement rendu par le juge Rothstein, titre qu'il portait alors, dans l'affaire Andrew N. Hokhold c. Canada :

Le demandeur semble se préoccuper de ce que d'autres contribuables ont connu un traitement différent de celui que Revenu Canada lui a réservé. Quels que soient les motifs de l'action de Revenu Canada à l'égard d'autres contribuables, ils ne se rapportent pas au cas du demandeur. [...]

[...]

[...] Bien qu'on comprenne que le demandeur trouve injuste le fait que Revenu Canada semble avoir traité différemment les contribuables se trouvant dans des circonstances semblables, cela ne peut constituer le fondement de l'appel du demandeur. Le demandeur ou bien a droit, selon une interprétation raisonnable du texte [...] de la Loi [...], à la déduction d'assistance sociale ou bien n'y a pas droit.

La Cour d'appel a rejeté l'appel contre la décision de la section de première instance, a radié la partie irrégulière de l'avis d'appel et a, ce faisant, dit qu'il ne conviendrait absolument pas de permettre l'instruction d'une question qui deviendrait inévitablement une enquête sur le traitement fiscal de personnes n'étant pas parties aux appels soumis à la Cour.

[39]     En appel, le juge Evans a fait remarquer ce qui suit, aux paragraphes 7 et 8 de ses motifs :

7           À notre avis, il n'est pas loisible à la Cour de l'impôt d'annuler une nouvelle cotisation fiscale au motif que le contribuable aurait dû avoir droit au même traitement de faveur que d'autres qui sont dans la même situation. La question dont la Cour de l'impôt est saisie est de savoir si Mme Sinclair a droit à une exonération fiscale en vertu de l'article 87. La Cour de l'impôt doit rendre sa décision en fonction de l'interprétation de cet article et de son application à la situation de l'appelante. Le fait que d'autres personnes aient bénéficié d'une exemption n'a aucune incidence sur l'appel de Mme Sinclair. Voir Hokhold c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 99 (C.F. 1re inst.); Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.); Hawkes c. La Reine, [1997] 2 C.T.C. 5060 (C.A.F.). À part l'allégation voulant que des contribuables dans une situation semblable à la sienne aient eu droit à un traitement plus favorable, Mme Sinclair ne donne pas à entendre que l'article 87 est inconstitutionnel dans la façon dont il a été interprété ou appliqué à sa cause.

8           Si Mme Sinclair souhaite contester la validité des lignes directrices publiées par le ministre pour ce qui est de l'interprétation et de l'application de l'article 87, au motif qu'elles sont contraires à l'article 15 en raison de leur caractère trop limitatif, elle peut demander une déclaration d'invalidité devant la Cour fédérale.

[40]     Dans l'arrêt Main Rehabilitation Co., précité, une formation unanime a affirmé ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 :

7           [...] il est de jurisprudence constante qu'on ne peut tenir compte des actions de l'ADRC dans le cadre d'appels interjetés à l'encontre d'un avis de cotisation.

8           Il en est ainsi parce que l'appel interjeté sur le fondement de l'article 169 met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l'établir (voir à titre d'exemple Canada c. The Consumers' Gas Company Ltd., 87 D.T.C. 5008 (C.A.F.), à la page 5012). Autrement dit, il ne s'agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l'ADRC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi (Ludco Enterprises Ltd. c. R., [1996] 3 C.T.C. 74 (C.A.F.), à la page 84).

[41]     En outre, dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a examiné l'argument selon lequel la décision rendue dans l'affaire O'Neill Motors, précitée, mentionnée par l'appelante en l'espèce, appuie « la proposition voulant qu'une cotisation puisse être annulée par la Cour de l'impôt dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'article 169 s'il est établi que le processus ayant conduit à l'établissement de la cotisation est vicié par suite de la violation d'un droit garanti par la Charte » (voir le paragraphe 11 du jugement). Dans l'arrêt Main Rehabilitation Co., précité, la Cour d'appel fédérale n'a pas retenu cet argument; elle a signalé que la décision rendue dans l'affaire O'Neill Motors Ltd. étayait la proposition voulant qu'une cotisation puisse être annulée parce que la preuve n'appuie pas les hypothèses émises par le ministre, et non sur la base des actions de l'ADRC. Voici ce que la Cour d'appel fédérale a dit au paragraphe 13 :

13         [...] O'Neil [sic] ne fait qu'étayer la proposition voulant qu'un avis de cotisation puisse être annulé dans le cadre d'un appel fondé sur l'article 169 faute de justification par suite de l'exclusion des éléments de preuve concernant les circonstances dans lesquelles il a été établi.

[42]     Comme il a été dit au paragraphe 15 de l'arrêt Main Rehabilitation Co., précité, il existe une série de décisions qui confirment nettement que la présente cour possède une compétence limitée. La décision O'Neill Motors Ltd., précitée, doit donc être considérée comme faisant uniquement autorité à l'égard du principe voulant que la Cour peut utiliser l'article 24 de la Charte lorsqu'elle est un tribunal compétent (c'est-à-dire lorsqu'elle est compétente ratione personae et ratione materiae et qu'elle a compétence pour accorder la réparation), mais non à l'égard du principe selon lequel elle a compétence sur les actions de l'ADRC. En fait, dans l'affaire O'Neill Motors Ltd., le juge Bowman de la présente cour (tel était son titre) et le juge Linden de la Cour d'appel fédérale ont bien dit qu'il fallait procéder à un examen minutieux avant d'accorder une réparation en vertu de l'article 24.

[43]     En outre, l'appelante s'est aussi appuyée sur la décision Campbell, précitée, dans laquelle le juge Hershfield, de la présente cour, qui se fondait de son côté sur l'arrêt O'Neill Motors, précité, a dit que la Cour d'appel fédérale avait reconnu le pouvoir général conféré à la présente cour par le paragraphe 24(1) de la Charte d'accorder les réparations qu'elle estime convenables et justes. Au paragraphe 27, le juge Hershfield a conclu qu' « il est clair que la présente cour a compétence pour entendre les questions liées à la Charte qui mettent en cause des dispositions contestées de la LIR ou du Règlement ou les modalités d'application d'une disposition contestée, [...] il est également clair que la réparation qui peut être accordée est celle qui est prévue par la Charte » . La Cour d'appel fédérale a récemment annulé la décision rendue par le juge Hershfield dans l'affaire Campbell, précitée, mais le juge Evans, qui a rédigé les motifs au nom d'une formation unanime, a dit ce qui suit au paragraphe 23 :

Par ailleurs, il est clair, à la lumière de l'arrêt Nouvelle-Écosse (Worker's Compensation Board) c. Martin, [2003] R.C.S. 504, que, conformément au paragraphe 52(1) de la Charte, la Cour de l'impôt a compétence pour examiner la constitutionnalité d'une disposition de la LIR ou l'application de la disposition à des faits en particulier ou encore une mesure administrative qui aurait été prise en conformité avec la disposition, lorsque l'examen s'avère nécessaire afin de trancher un appel qui relève de sa compétence.

À mon avis, lorsque le juge Evans parle de la compétence de la présente cour de statuer sur la contestation, en vertu de la Charte, de la validité d' « une mesure administrative qui aurait été prise en conformité avec [une disposition de la Loi] » , cela ne comprend pas le processus par lequel la cotisation a été établie ou la question de savoir si les fonctionnaires de l'ADRC ont exercé leurs pouvoirs d'une façon appropriée. C'est ce que le juge Evans a lui-même inféré dans l'arrêt Sinclair, précité, et ce que la Cour d'appel fédérale a décidé dans l'arrêt Main Rehabilitation Co., précité, où la position qui avait été prise dans l'arrêt O'Neill Motors Ltd., précité, a été expliquée. Étant donné que l'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Main Rehabilitation Co., précitée, a été refusée, cet arrêt énonce donc l'état actuel du droit sur ce point précis.

[44]     Le présent appel vise la politique du ministre selon laquelle certains intérêts antérieurs au jugement sont exonérés d'impôt, alors que les intérêts antérieurs au jugement afférents à une décision sur l'équité salariale ne bénéficient pas d'une exonération similaire. Il s'agit d'une contestation du processus sous-tendant une cotisation par ailleurs valide. Aucune disposition de la Loi n'a été contestée et la seule matière, dans cet appel, se rapporte à la conduite et aux politiques du ministre. Or, ces questions ne relèvent pas de la compétence de la présente cour, qui n'est pas compétente ratione materiae. Dans ce cas-ci, la Cour ne peut donc pas accorder, en vertu du paragraphe 24(1), une réparation fondée sur la violation de l'article 15 de la Charte que le ministre a commise en sa qualité administrative de percepteur d'impôt.

[45]     Cela étant, je n'ai pas à dire quoi que ce soit de plus afin de régler l'appel. Toutefois, je ferai quelques remarques supplémentaires au sujet de l'argument fondé sur la Charte. L'appelante alléguait, en ce qui concerne l'imposition des intérêts antérieurs au jugement conformément à l'alinéa 12(1)c) de la Loi, que les autres contribuables n'étaient pas imposés aux termes de cette disposition. Il est clair que la Loi n'exonère pas d'impôt les intérêts antérieurs au jugement. Dans l'arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. La Reine, no 688-96, 21 décembre 1994, [1996] 3 C.T.C. 74 (C.A.F.), en parlant de l'obligation d'équité, de l'obligation du ministre de suivre ses propres politiques et de la question du traitement uniforme des contribuables qui sont dans des situations similaires, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit à la page 15 :

[...] Ni le ministre du revenu ni ses préposés n'ont quelque discrétion que ce soit dans l'application qu'ils doivent faire de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ils sont tenus de la suivre d'une manière absolue comme d'ailleurs les contribuables sont obligés d'y obéir telle qu'elle est. L'institution des « commissioners » dotés de vastes pouvoirs et d'une généreuse discrétion pour régler chaque cas d'espèce n'existe pas ici. En conséquence, il n'est pas possible de juger leur conduite selon des critères mouvants et variables comme le sont ceux que dicte le principe de la justice naturelle. Pour déterminer si leurs décisions sont valides ou non il ne s'agit pas de se demander s'ils ont exercé leurs pouvoirs d'une façon correcte ou abusive, mais bien s'ils ont agi comme la loi qui les gouverne leur prescrit d'agir.

[46]     Dans le cas de l'appelante, le ministre a de fait agi comme l'exigeait la Loi. Toute différence de traitement entre les contribuables ne résulte pas d'une distinction formelle de la Loi, mais découle plutôt de l'application de la Loi par le ministre. L'appelante affirme qu'elle devrait bénéficier, à l'égard des intérêts antérieurs au jugement, de la même exonération d'impôt que celle qui est accordée aux contribuables qui reçoivent d'autres genres d'indemnités. S'il y a discrimination dans ce cas-ci, la réparation convenable consisterait à contraindre le ministre à appliquer la Loi selon son sens littéral. L'exonération fiscale des intérêts antérieurs au jugement que l'appelante a reçus ne constitue certes pas une réparation convenable, puisque cela va à l'encontre des dispositions de la Loi.

[47]     Enfin, l'appelante a soutenu qu'en sa qualité de femme qui a reçu une indemnité fondée sur l'équité salariale parce qu'elle était victime d'une discrimination illicite, elle était déjà un membre défavorisé de la société canadienne. L'appelante a laissé entendre que la décision d'imposer les intérêts antérieurs au jugement dans son cas minait directement la réparation prévue par le tribunal. Je suis d'accord avec l'intimée pour dire que le tribunal a remédié à la discrimination et à la violation des droits de l'appelante conformément à l'article 11 de la Charte. Toutefois, l'affaire dont je suis saisie porte sur le traitement fiscal, en vertu de la Loi, des intérêts antérieurs au jugement afférents à une indemnité fondée sur l'équité salariale. Comme le juge Evans l'a dit au paragraphe 17 de l'arrêt Sveinson, précité, « ce n'est pas ce genre d'incohérence qui fait en sorte qu'on doive rendre une législation par ailleurs valide inopérante » . J'aimerais également ajouter que l'ordonnance finale rendue sur consentement par le tribunal le 16 novembre 1999 mettait en oeuvre les dispositions de l'entente conclue par l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l' « AFPC » ) et le Conseil du Trésor. Étant donné que les deux parties à cette ordonnance savaient que les intérêts antérieurs au jugement sont imposables en vertu de la Loi, il leur était loisible de négocier une autre forme de règlement, comme des dommages-intérêts. Puisqu'elle a consenti à un règlement comprenant des intérêts antérieurs au jugement, il faut considérer que l'AFPC a reconnu que ces intérêts étaient imposables en vertu de la Loi.

[48]     Je conclus donc que l'appelante ne peut pas avoir gain de cause dans la demande qu'elle a présentée en vue de faire modifier la cotisation, par l'application du paragraphe 24(1) de la Charte, pour le motif que l'imposition des intérêts antérieurs au jugement va à l'encontre de la Charte.

[49]     Étant donné que les intérêts antérieurs au jugement ont été inclus dans le revenu conformément à l'alinéa 12(1)c) de la Loi, la cotisation est donc valide.

[50]     L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 2005.

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de septembre 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI761

No DU DOSSIER DE LA COUR :       2002-33(IT)G

INTITULÉ :                                        SANDRA BURROWS c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Les 18 et 19 janvier 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                L'honorable Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                              Le 15 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Andrew Raven et Me Lise Leduc

Avocats de l'intimée :

Me Richard Gobeil et Me Jade Boucher

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

          Pour l'appelante :

                   Nom :                               Me Andrew Raven et Me Lise Leduc

                   Cabinet :                         

          Pour l'intimée :                           John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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