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Dossier : 2005-285(IT)I

ENTRE :

MARY McKENNA,

appellante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appels entendus le 21 juillet 2005 à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard).

Devant : l'honorable juge en chef D.G.H. Bowman

Comparutions :

Pour l'appelante :             l'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :       Me Edward Sawa

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2002 et 2003 soient rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'octobre 2005.

« D.G.H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2006.

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2005CCI599

Date : 20051003

Dossier : 2005-285(IT)I

ENTRE :

MARY McKENNA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Bowman

[1]      Ces appels concernent des cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 2002 et 2003.

[2]      Au cours de ces deux années, l'appelante a reçu des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada ( « RPC » ) aux montants de 11 690 $ en 2002 et de 11 877 $ en 2003. Toutefois, elle n'a pas reçu le crédit d'impôt pour personnes handicapées prévu par l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[3]      L'appelante et son époux ont tous les deux reçu des prestations d'invalidité du RPC, et ces prestations semblent être essentiellement leur seule source de revenu.

[4]      Mme McKenna a invoqué la Constitution pour contester le traitement de son revenu de pension aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. En particulier, elle soutient que le fait d'assujettir à l'impôt une personne comme elle qui touche un revenu qui, à vrai dire, est assez faible sans lui accorder le crédit d'impôt pour personnes handicapées équivaut à de la discrimination, laquelle est défendue en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui est libellé comme suit :

15.    (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous,

et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

        (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[5]      Mme McKenna a envoyé au Procureur général du Canada et au procureur général de la province l'avis exigé selon l'article 19.2 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

[6]     Des douzaines de causes ont été tranchées en application de l'article 15 de la Charte. Je ne pense pas qu'il soit utile de les passer toutes en revue.

[7]      Je vais commencer par essayer de déterminer la nature de la discrimination. Je ne pourrais faire mieux que de reproduire un passage de l'argumentation écrite de l'appelante. Le voici :

[TRADUCTION]

Comme mon appel est fondé sur la nature discriminatoire de cette loi fiscale et sur son application inégale aux bénéficiaires qui se trouvent dans cette catégorie, je vais essayer de montrer l'incidence qu'une loi composée de cette façon peut avoir sur ces personnes.

        Cette loi fiscale semble reposer sur l'idée que, d'après la gravité de leurs déficiences individuelles, certains pensionnés seulement ont droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées (CIPH), alors que les autres, comme nous, doivent continuer de payer de l'impôt malgré que nous sommes tous dans la catégorie des personnes ayant une déficience, n'étant plus capables de gagner notre vie en raison de nos diverses circonstances personnelles. L'application de cette loi fiscale a également pour résultat qu'il n'est pas tenu compte de la source de ce « revenu imposable » , les pensionnés « à revenu plus élevé » , c'est-à-dire ceux dont les revenus d'autrefois font qu'ils touchent des revenus de pension supérieurs à l'exemption personnelle de base permise, étant traités comme si nous faisions toujours partie de la population active, ce qui fait que nous sommes assujettis à l'impôt comme si ces revenus de pension constituaient un « revenu gagné et imposable » pour les besoins de l'impôt au lieu d'être considérés comme des composantes d'un montant de pension prédéterminé qui « dépasse » l'exemption personnelle de base dans nos cas.

        En résumé, cette loi fiscale, telle qu'elle existe actuellement, donne lieu à un traitement discriminatoire des bénéficiaires de pensions d'invalidité sur deux plans : d'abord, en utilisant la gravité de la déficience comme condition préalable pour obtenir le CIPH tout en faisant abstraction de l'incapacité de TOUS les bénéficiaires faisant partie de cette catégorie de gagner leur vie, ce qui fait qu'ils sont obligés de s'accommoder d'une indemnité d'un montant fixe; ensuite, en utilisant l'échelle de salaires différente des années d'activité comme moyen de continuer d'imposer ceux parmi nous qui touchons des prestations de pension supérieures, ce qui fait que nous dépassons l'exemption personnelle de base et que nous sommes vus comme ayant des revenus qui constituent un « revenu gagné et imposable » sans qu'il ne soit tenu compte du fait que ces montants sont en fait l'équivalent d'une indemnité fixe et prédéterminée. C'est ici qu'entre en jeu le manque de cohérence avec la définition du RPC concernant le but à l'origine de « l'assurance-salaire » , le résultat final étant que cette loi imparfaite cause, ironiquement, encore plus de difficultés financières et de stress en imposant un fardeau fiscal supplémentaire aux personnes les moins en mesure de le payer - ou de le réfuter. Ce régime de prestations et d'assurance-salaire a été payé d'avance au moyen des cotisations au RPC, tant par les anciens salariés « à faible revenu » que par les anciens salariés « à revenu élevé » (maintenant des bénéficiaires), par définition, pour remplacer partiellement l'argent que nous ne pouvons plus gagner grâce à un emploi rémunéré en raison de maladie ou de blessures, et il s'agit également de montants fixes, ne faisant l'objet d'aucune augmentation par suite de promotions, par exemple, comme le sont les salaires. Je soutiens que nous devrions tous, tous les bénéficiaires d'une pension d'invalidité, être mis sur un pied d'égalité si ce programme de pension existe effectivement selon une forme unique et dans un seul but. En réalité, nous sommes pénalisés pour avoir payé des cotisations au RPC plus élevées pendant toutes les années où nous avons travaillé - dans certains cas, comme le mien, pendant trente ans - pour que cela joue contre nous un jour quand nous arrivons à un moment de notre vie où nous devrions pouvoir profiter du travail que nous avons fait.

        Je fais cet appel dans l'espoir qu'il en résultera un effort sérieux et opportun pour créer une situation juste, équitable et raisonnable pour les Canadiens qui doivent s'accommoder d'une pension à laquelle ils ont eux-mêmes cotisé pendant toutes les années où ils ont travaillé et de laquelle ils doivent maintenant vivre en raison de circonstances imprévues.

[8]      Si j'ai bien compris l'argumentation de Mme McKenna, elle appartient à une catégorie ou à un groupe de personnes que la loi défavorise. La discrimination à laquelle elle fait allusion est celle à laquelle sont soumises les personnes à faible revenu (comme elle) qui souffrent d'une déficience telle qu'elles ont droit à une pension d'invalidité du RPC mais qui n'est pas suffisamment grave ou qui n'est pas d'une nature qui leur permette de recevoir un crédit d'impôt pour personnes handicapées aux termes de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[9]      Mme McKenna a présenté son argumentation de manière avisée et avec conviction. Elle soutient que constitue une inéquité manifeste le fait d'imposer une personne qui se trouve dans des circonstances financières difficiles en raison de l'allocation plutôt faible qu'elle reçoit à titre de pension d'invalidité du RPC et ensuite de lui en enlever une partie sous forme d'impôt, sans même lui accorder l'avantage que représente le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Je suis d'accord avec elle pour dire qu'il semble exister une certaine inéquité. Malheureusement, la Charte n'est pas un remède universel pour toutes les inéquités qui existent dans nos lois fiscales.

[10]     J'ai demandé à Mme McKenna ce que je devais faire si je trouvais qu'il y avait eu discrimination du genre envisagé par l'article 15 de la Charte. Son but serait réalisé semble-t-il si une ou plusieurs des mesures ci-dessous (ou une combinaison de certaines parties de ces mesures) étaient adoptées :

          a)        exonérer d'impôt les prestations d'invalidité du RPC;

b)                 hausser les exemptions personnelles;

c)                  accorder le crédit d'impôt pour personnes handicapées aux personnes qui reçoivent une pension d'invalidité du RPC.

[11]      Avant de remédier à la situation, cependant, il faut décider s'il y a eu discrimination du genre envisagé par l'article 15 de la Charte. La question liminaire est de déterminer si l'un ou l'autre des quatre droits fondamentaux garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte a été violé. Autrement dit, est-ce que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant le crédit d'impôt pour personnes handicapées et les dispositions du RPC concernant les pensions d'invalidité ont, seules ou en combinaison, comme but ou effet la discrimination contre Mme McKenna en tant que membre d'une catégorie énumérée ou analogue. La décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Law c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 497, renferme une analyse qui est pertinente en l'espèce. Voici ce que l'on trouve à la page 27, au paragraphe 88 :

        Avant de me pencher sur l'application aux faits de l'espèce des principes que je viens d'aborder, j'estime utile de résumer certaines des principales lignes directrices de l'analyse relative au par. 15(1) qui découlent des arrêts de notre Cour examinés dans le cadre des présents motifs. Comme je l'ai déjà dit, ces lignes directrices ne doivent pas être perçues comme des critères stricts, mais plutôt comme des points de repère pour les tribunaux appelés à décider s'il y a eu atteinte au droit à l'égalité d'un demandeur, indépendamment de toute discrimination, au sens de la Charte. Il est bien entendu que les lignes directrices résumées en l'espèce devront être enrichies, en pratique, par les explications que l'on retrouve dans les présents motifs et dans les arrêts antérieurs, et par l'étude approfondie du contexte de l'allégation particulière fondée sur le par. 15(1) dont il est question. Il va sans dire qu'au fur et à mesure de l'évolution de notre jurisprudence sur l'art. 15, de nouveaux raisonnements et de nouvelles modifications peuvent fort bien se dégager.

La démarche générale

(1)    Il est inapproprié de tenter de restreindre l'analyse relative au par. 15(1) de la Charte à une formule figée et limitée. Une démarche fondée sur l'objet et sur le contexte doit plutôt être utilisée en vue de l'analyse relative à la discrimination pour permettre la réalisation de l'important objet réparateur qu'est la garantie d'égalité et pour éviter les pièges d'une démarche formaliste ou automatique.

(2)    La démarche que notre Cour a adoptée et qu'elle applique régulièrement relativement à l'interprétation du par. 15(1) repose sur trois questions primordiales :

(A)      La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d'imposer une différence de traitement entre le demandeur et d'autres personnes?

(B)      La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

(C)      La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d'égalité?

La première question vise à déterminer si la loi entraîne une différence de traitement. Les deuxième et troisième visent à déterminer si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle au sens du par. 15(1).

(3)    Par conséquent, le tribunal ayant à se prononcer sur une allégation de discrimination fondée sur le par. 15(1) doit se poser trois grandes questions :

(A)      La loi contestée : a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

(B)      Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

et

(C)      La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

L'objet

(4)      En termes généraux, l'objet du par. 15(1) est d'empêcher qu'il y ait atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles au moyen de l'imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de promouvoir une société dans laquelle tous sont également reconnus dans la loi en tant qu'êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération.

(5)      Il doit absolument y avoir un conflit entre l'objet ou les effets de la loi contestée et l'objet du par. 15(1) pour fonder une allégation de discrimination. L'existence d'un tel conflit doit être établie au moyen de l'analyse de l'ensemble du contexte entourant l'allégation et le demandeur.

La méthode comparative

(6)      La garantie d'égalité est un concept relatif qui, en dernière analyse, oblige le tribunal à cerner un ou plusieurs éléments de comparaison pertinents. C'est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l'analyse relative à la discrimination. Cependant, lorsque la qualification de la comparaison par le demandeur n'est pas suffisante, le tribunal peut, dans le cadre du ou des motifs invoqués, approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsqu'il estime justifié de le faire. Pour déterminer quel est le groupe de comparaison pertinent, il faut examiner l'objet et les effets des dispositions législatives et tenir compte du contexte dans son ensemble.

Le contexte

(7)      Les facteurs contextuels qui déterminent si les dispositions législatives ont pour effet de porter atteinte à la dignité du demandeur doivent être interprétés et analysés dans la perspective de ce dernier. Le point central de l'analyse est à la fois subjectif et objectif. Le point de vue approprié est celui de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents.

(8)      La personne qui invoque le par. 15(1) peut s'appuyer sur une série de facteurs pour démontrer que les dispositions législatives portent atteinte à sa dignité. La liste de ces facteurs n'est pas restrictive. On peut trouver des indications sur la nature de ces facteurs dans la jurisprudence de la Cour et en faisant une analogie avec des facteurs reconnus.

(9)      Voici certains des facteurs contextuels servant à déterminer s'il y a eu atteinte au par. 15(1) :

(A)      La préexistence d'un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité subis par la personne ou le groupe en cause. Les effets d'une loi par rapport à l'objectif important du par. 15(1) pour ce qui est de la protection des personnes et des groupes qui sont vulnérables, défavorisés ou qui sont membres de « minorités distinctes et isolées » , doivent toujours constituer une considération majeure. Bien que l'appartenance du demandeur à un ou plusieurs groupes historiquement favorisés ou défavorisés ne signifie pas, en soi, qu'il y a eu atteinte à un droit, la présence de ces facteurs préexistants portera à conclure qu'il y a eu violation du par. 15(1).

(B)      La correspondance, ou l'absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l'allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d'autres personnes. Bien que le simple fait que les dispositions législatives contestées tiennent compte des caractéristiques et de la situation personnelles du demandeur ne suffira pas nécessairement pour faire rejeter une allégation fondée sur le par. 15(1), il sera généralement plus difficile de démontrer l'existence de discrimination lorsque la loi prend en considération la situation véritable du demandeur d'une manière qui respecte sa valeur en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, et il sera moins difficile de le faire lorsque la loi fait abstraction de la situation véritable du demandeur.

(C)      L'objet ou l'effet d'amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société. Un objet ou un effet d'amélioration conforme à l'objet du par. 15(1) de la Charte ne portera vraisemblablement pas atteinte à la dignité humaine de personnes favorisées lorsque l'exclusion de ces dernières correspond en grande partie aux besoins plus grands ou à la situation différente propres au groupe défavorisé visé par les dispositions législatives. Ce facteur a une plus grande pertinence lorsque l'allégation fondée sur le par. 15(1) est faite par un membre favorisé de la société.

et

(D)      La nature et l'étendue du droit touché par la loi contestée. Plus les effets des dispositions législatives sont graves et localisés pour le groupe touché, plus il est probable que la différence de traitement à la source de ces effets soit discriminatoire au sens du par. 15(1).

(10)      Bien qu'il incombe à la personne qui invoque le par. 15(1) de démontrer, en fonction de l'objet visé, qu'il y a eu atteinte à ses droits à l'égalité à la lumière d'un ou de plusieurs facteurs contextuels, le demandeur n'est pas nécessairement tenu de produire des éléments de preuve pour démontrer l'existence d'une atteinte à la dignité ou à la liberté humaines. Souvent, le simple fait que la différence de traitement soit fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues sera suffisant pour établir qu'il y a eu violation du par. 15(1), puisqu'il sera évident au vu de la connaissance d'office et du raisonnement logique que la distinction est discriminatoire au sens de ce paragraphe.

[12]      Il n'est pas exagéré de dire que les dispositions relatives aux prestations d'invalidité que renferment les articles 42 et 56 du RPC et les dispositions relatives au crédit d'impôt pour personnes handicapées que renferme l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu ont un but semblable, soit l'octroi d'un certain allégement aux personnes ayant une déficience physique ou mentale grave et prolongée, le RPC au moyen d'une pension, la Loi de l'impôt sur le revenu au moyen d'un crédit d'impôt. Néanmoins, les critères sont différents, et il est possible qu'une personne soit admissible aux fins d'une pension d'invalidité et non aux fins du crédit d'impôt pour personnes handicapées. Certaines personnes trouveront cela peut-être anormal, mais je ne vois pas en quoi cela consiste en de la discrimination au sens de l'article 15 de la Charte. Pour conclure à de la discrimination du genre affirmé par l'appelante, il faudrait que je conclue qu'elle a fait l'objet d'une discrimination parce qu'elle appartenait à une catégorie de personnes ayant une déficience mentale ou physique qui donne droit à une pension d'invalidité du RPC, mais que la nature de sa déficience est telle qu'elle n'a pas droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées aux termes de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cela ne constitue pas, à mon avis, de la discrimination fondée sur une déficience physique ou mentale. Soit dit en passant, je dois faire observer que lorsqu'on compare une déficience qui donne droit à une pension du RPC à une déficience qui donne droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées, la différence peut en être une de genre ou de nature ou elle peut en être une de degré.

[13]     L'avocat de l'intimée s'est référé longuement à l'arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429. La juge en chef McLachlin, lorsqu'elle a prononcé le jugement de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, a dit aux paragraphes 20 et 21 :

[20]    Nous devons examiner le caractère discriminatoire du régime par rapport à l'objet de la garantie d'égalité accordée par l'art. 15, qui consiste à garantir que les gouvernements respectent la dignité inhérente égale de chaque personne sans discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue : Law, précité, par. 51. L'aspect de la dignité humaine visée par le par. 15(1) est le droit de chaque personne de participer pleinement à la société et d'être traitée comme un membre égal de la société, indépendamment des caractéristiques personnelles non pertinentes ou des caractéristiques attribuées à une personne en raison de son appartenance à un groupe particulier sans égard à sa situation réelle. Comme l'affirme le juge Iacobucci dans l'arrêt Law, par. 51 :

[L]e par. 15(1) a pour objet d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l'existence d'une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération.

[21]    Il y a discrimination lorsque des personnes sont marginalisées ou traitées comme des personnes de moindre valeur en raison de caractéristiques personnelles non pertinentes, sans égard à leur situation réelle. Les motifs énumérés et analogues visés à l'art. 15 servent d' « indicateurs législatifs de l'existence de motifs suspects, associés à des processus décisionnels discriminatoires et fondés sur des stéréotypes » ; la différence de traitement fondée sur ces motifs appelle un examen judiciaire : Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 7, les juges McLachlin et Bastarache. Toutefois, toute distinction préjudiciable fondée sur un motif énuméré ou analogue ne constitue pas une mesure discriminatoire : voir Corbiere. Certaines disctinctions fondées sur des caractéristiques de groupe peuvent être appropriées ou en fait promouvoir l'égalité réelle, comme le prévoit le par. 15(2) : voir l'arrêt Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, 2000 CSC 37.

Au paragraphe 28, elle a dit :

[28]    Le Règlement en litige établissait une distinction fondée sur un motif énuméré, en l'occurrence l'âge. Les personnes de moins de 30 ans étaient assujetties à un régime d'aide sociale différent de celui applicable aux 30 ans et plus. Il faut déterminer si l'objet ou l'effet de cette distinction créait une inégalité réelle à l'encontre de l'objet du par. 15(1), qui consiste à garantir que les gouvernements traitent toutes les personnes comme dignes du même intérêt, du même respect et de la même considération. Plus précisément, la question est de savoir si une personne raisonnable placée dans la situation de Mme Gosselin conclurait, compte tenu de l'ensemble des circonstances et du contexte de la mesure législative, que le Règlement, de par son objet ou son effet, traitait les bénéficiaires d'aide sociale de moins de 30 ans comme s'ils étaient moins dignes de respect que ceux de 30 ans et plus, en les marginalisant sur le fondement de leur jeunesse.

Au paragraphe 37 :

[37]       Le rapport entre, d'une part, le motif de distinction (l'âge) et, d'autre part, la situation et les caractéristiques véritables du groupe auquel appartient la demanderesse est le deuxième facteur contextuel que nous devons examiner pour déterminer si la distinction est discriminatoire, en ce sens qu'elle porte atteinte à la dignité et à la valeur égale de tout être humain : Law, par. 70. Une mesure législative adaptée spécifiquement à la réalité du groupe concerné risque peu d'être discriminatoire au sens du par. 15(1). À l'opposé, une mesure qui impose des restrictions ou refuse des avantages sur le fondement de caractéristiques présumées ou attribuées à tort risque de porter atteinte à la valeur humaine essentielle des personnes visées et d'être discriminatoire. Tant l'objet que l'effet de la mesure législative sont pertinents, dans la mesure où ils influent sur la perception d'une personne raisonnable placée dans la situation de la demanderesse : voir l'arrêt Law, par. 96.

Et au paragraphe 59 :

[59]       Pour déterminer si l'on a établi, au regard de l'art. 15, l'atteinte à la valeur humaine sur le fondement de caractéristiques de groupe, il faut examiner un troisième facteur, soit le fait que la distinction contestée ait été ou non conçue pour améliorer la situation d'un groupe plus défavorisé. Dans Law, notre Cour a tenu compte du fait que le versement de pensions réduites aux veuves et veufs plus jeunes avait un lien avec le versement de pensions plus élevées aux veuves et veufs plus nécessiteux, moins favorisés : Law, par. 103.

La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gosselin s'est référée longuement à l'arrêt Law c. Canada, précité.

[14]      Après avoir appliqué ces critères, je ne pense pas qu'il y ait lieu de dire qu'il y a eu discrimination. Le fait que l'appelante réponde à un ensemble de critères mais pas à l'autre n'a pas pour effet de la ranger dans une catégorie de personnes qui, en raison de considérations non pertinentes, sont marginalisées ou traitées différemment des autres Canadiens. Elle ne fait pas partie d'une catégorie de personnes qui font l'objet d'une discrimination fondée sur des motifs énumérés ou analogues. L'on pourrait, sûrement, créer une catégorie à laquelle elle appartient. Cette catégorie pourrait comprendre les personnes qui :

           a)           ont un faible revenu,

b)                          ont une déficience suffisamment grave pour avoir droit à une

             pension d'invalidité du République populaire de Chine,

c)                          mais n'ont pas le genre ou le degré de déficience nécessaire pour avoir

             droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu de la

             Loi de l'impôt sur le revenu.

Je ne pense pas que l'effet combiné du RPC et de la Loi de l'impôt sur le revenu sur les personnes qui répondent à ces critères constitue de la discrimination au sens de la Charte. La situation dans laquelle l'appelante se trouve résulte non pas d'une discrimination quelconque mais du fait qu'elle ne répond pas aux critères applicables aux deux genres de dispositions législatives conçues pour aider les personnes qui ont une déficience.

[15]      Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'octobre 2005.

« D.G.H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2005.

Joanne Robert, traductrice

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