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Dossier : 2005‑1312(EI)

ENTRE :

ANTONIO MONTAGNESE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

COMMERCIAL PAVING LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Calgary (Alberta), le 7 février 2006

 

Devant : L’honorable juge D.W. Beaubier

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

 

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

 

Pour l’intervenante :

Me Marla Teeling

 

Personne n’a comparu

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel est accueilli et la décision rendue par le ministre est annulée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

       Signé à Saskatoon (Saskatchewan), ce 16e jour de février 2006.

 

 

 

« D.W. Beaubier »

Juge Beaubier

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de décembre 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


 

 

 

Référence : 2006CCI91

Date : 20060216

Dossier : 2005‑1312(EI)

ENTRE :

ANTONIO MONTAGNESE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

COMMERCIAL PAVING LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Beaubier

 

[1]     Le présent appel a été entendu à Calgary, en Alberta, le 7 février 2006. L’appelant a témoigné et a appelé à témoigner la personne qui était son contremaître lors de l’exécution des travaux d’asphaltage sur les chantiers, Robert Bennett. L’intimée a appelé à témoigner l’agente des décisions qui s’occupe du dossier, Dianne Bailey, et l’intervenante, Commercial Paving Ltd. (« CP »), a appelé à témoigner son fondateur et administrateur, le père de l’appelant, Salvatore (« Sam ») Montagnese.

 

[2]     Les paragraphes 5 à 9 inclusivement de la réponse à l’avis d’appel exposent les points en litige et se lisent comme suit :

 

                   [TRADUCTION]

 

5.         Dans une lettre datée du 14 mars 2005, le ministre a informé l’appelant de la décision qu’il avait rendue selon laquelle :

 

a)         l’appelant et la payeuse avaient un lien de dépendance pendant la période allant du 26 avril 2004 au 30 novembre 2004 (ci‑après appelée « la période »);

 

b)         le ministre n’était pas convaincu que l’appelant et la payeuse auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

6.         Pour rendre une telle décision, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         la payeuse exploitait une entreprise d’asphaltage et la plupart des travaux exécutés étaient de nature commerciale;

 

b)         l’entreprise de la payeuse était saisonnière et, normalement, elle n’était exploitée que lorsque le sol n’était pas gelé;

 

c)         la payeuse a commencé à effectuer des travaux d’asphaltage le 19 mars en 2003 et le 12 avril en 2004;

 

d)         la structure du capital social de la payeuse était la suivante :

 

            Salvatore Montagnese  34 % (ci‑après appelé « l’actionnaire »)

            Joe Montagnese           33 %

            l’appelant                     33 %

 

e)         l’appelant était le fils de l’actionnaire et le frère de M. Joe Montagnese;

 

f)          l’appelant et la payeuse étaient des personnes liées entre elles au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »);

 

g)         l’appelant a été engagé en tant qu’ouvrier et la majorité de ses fonctions étaient liées à l’utilisation du matériel d'asphaltage routier et au râtelage de l'asphalte;

 

h)         l’appelant faisait également des achats et des estimations;

 

i)          l’appelant travaillait sur divers chantiers et dans les locaux de la payeuse;

 

j)          M. Bennett était un contremaître de chantier et il avait travaillé pour la payeuse pendant de nombreuses années;

 

k)         pendant la période, l’appelant touchait un salaire mensuel de 5 000 $, qui était basé sur une semaine de travail de 44 heures;

 

l)                    la payeuse a émis les chèques suivants (après retenues) à l’ordre de l’appelant :

 

Date de l’encaissement

Montant

Montant brut

2004-05-17

900,74 $

1 000,00 $

2004-06-04

3 525,65 $

5 000,00 $

2004-07-02

3 525,65 $

5 000,00 $

2004-08-09

3 525,65 $

5 000,00 $

2004-09-07

3 525,65 $

5 000,00 $

2004-10-12

3 525,65 $

5 000,00 $

2004-11-03

3 525,65 $

5 000,00 $

2004-12-02

12 009,07 $

19 000,00 $

 

m)        au cours de l’année 2003, l’appelant a reçu un salaire mensuel de 2 600 $;

 

n)         la payeuse a délivré à l’appelant des T4 comportant le revenu suivant :

 

            2003    15 600 $          (6 mois de travail)

            2004    50 000 $          (7 mois de travail)

 

o)         les employés de la payeuse qui n’avaient pas de lien de dépendance avec celle‑ci étaient rémunérés selon un taux horaire qui variait entre 10,00 $ et 19,50 $;

 

p)         la payeuse a délivré à Bennett des T4 comportant le revenu suivant :

 

2002        15 522 $

2003        19 527 $

2004        23 145 $

 

q)         la payeuse a fait des gros paiements forfaitaires à l’appelant, à l’actionnaire et à M. Joe Montagnese le 30 novembre 2004;

 

r)          le taux de rémunération de l’appelant n’était pas raisonnable;

 

s)         l’augmentation de salaire de l’appelant entre 2003 et 2004 n’était pas raisonnable;

 

t)          l’appelant travaillait normalement de 7 h 30 à 16 h 30, du lundi au vendredi;

 

u)         les heures de travail dépendaient du temps qu’il faisait;

 

v)         de temps à autre, des heures de travail étaient effectuées le soir ou la fin de semaine;

 

w)        l’appelant ne comptabilisait pas les heures de travail qu’il faisait sur les chantiers;

 

x)         M. Bennett comptabilisait les heures de travail que l’appelant faisait sur les chantiers;

 

y)         les employés de la payeuse qui n’avaient pas de lien de dépendance avec celle‑ci devaient comptabiliser leurs heures de travail et remplir des feuilles de temps;

 

z)         l’appelant a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi dans laquelle il a mentionné qu’il était un conducteur de finisseuse, qui travaillait normalement 44 heures par semaine, cinq jours par semaine, et qui recevait un salaire mensuel de 5 000 $;

 

aa)       la payeuse a délivré à l’appelant un RE, lequel comportait les renseignements suivants :

 

            profession – conducteur de finisseuse/râteleur d'asphalte

            période de travail – du 26 avril 2004 au 30 novembre 2004

            rémunération assurable – 50 000 $

            heures assurables – 1 276

 

bb)       M. Bennett travaillait en moyenne 39 heures par semaine;

 

cc)       il n’est pas raisonnable que la payeuse ait effectué des travaux d’asphaltage jusqu’à la fin du mois de novembre;

 

dd)       l’actionnaire s’occupait activement des activités de l’entreprise;

 

ee)       l’actionnaire conduisait la finisseuse et s’occupait d’une grande partie du travail de gestion de projet;

 

ff)         l’actionnaire, l’appelant et M. Joe Montagnese étaient les administrateurs de la payeuse;

 

gg)       les administrateurs, y compris l’appelant, prenaient les décisions les plus importantes ensemble;

 

hh)       l’appelant était employé par la payeuse aux termes d’un contrat de louage de services;

 

ii)         l’appelant avait déjà travaillé pour la payeuse au cours des années 1980;

 

jj)         l’appelant a été mis à pied par Unicus Data Systems Ltd. (ci‑après appelée « Unicus ») en mars 2003;

 

kk)       l’appelant était un programmeur pour Unicus;

 

ll)         l’appelant a travaillé dans le domaine de la programmation informatique pendant plus de six ans;

 

mm)     la payeuse a donné de la formation à l’appelant concernant l’utilisation du matériel d'asphaltage routier;

 

nn)       le ministre a examiné tous les faits pertinents qui avaient été portés à sa connaissance, y compris la rétribution versée, les modalités d’emploi, ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli;

 

oo)       le ministre a acquis la conviction qu’il était raisonnable de conclure que l’appelant et la payeuse n’auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

B.        LA QUESTION À TRANCHER

 

7.         Il s’agit de savoir si le ministre a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a décidé que l’appelant exerçait un emploi exclu pour la payeuse.

 

C.        LES DISPOSITIONS DE LA LOI, LES MOYENS INVOQUÉS ET LA MESURE DE REDRESSEMENT SOLLICITÉE

 

8.         L’intimée se fonde sur l’article 93, les paragraphes 2(1) et 5(3) ainsi que les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi, de même que sur l’article 251 de la Loi.

 

9.         L’intimée allègue que le ministre a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a rendu sa décision selon laquelle l’appelant et la payeuse n’auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance. Par conséquent, l’appelant exerçait un emploi exclu pour la payeuse, pendant la période allant du 26 avril 2004 au 30 novembre 2004, au sens de l’alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

 

[3]     Les hypothèses 6a), c), d), e), f), i), j), l), n), o), p), q), v), w), x), y), z), aa), bb), dd), ff), gg), hh), ii), jj), kk) et ll) n’ont pas été réfutées. Elles doivent toutefois être lues à la lumière des commentaires qui suivent dans les présents motifs.

 

[4]     En ce qui concerne le reste des hypothèses :

 

6(b)   La payeuse pouvait effectuer des travaux d’asphaltage après la prise de la glace sur le sol sec et gelé ou sur des surfaces même si elle ne le faisait pas normalement.

 

6(g)    L’appelant n’a pas été engagé en tant qu’ouvrier en 2004. À ce moment‑là, Sam avait plus de 60 ans et avec l’âge, les affaires commençaient à ralentir. Tony, Joe et Sam se sont rencontrés et ont convenu qu’à partir de 2004, chacun d’eux serait payé 50 000 $ par année pour chaque saison d’asphaltage, que Sam travaillerait moins et que Tony ainsi que Joe seraient les gestionnaires de projet chargés d’obtenir des contrats pour la payeuse, achèteraient le nouveau matériel, feraient les estimations pour les travaux de moins de 100 000 $, s’occuperaient de la gestion de l’entreprise et travailleraient à titre d’ouvriers sur les chantiers sous l’autorité de M. Robert Bennett, qui resterait le contremaître. Sam superviserait le tout et ferait les estimations pour les travaux de plus de 100 000 $. Sam ne sait pas vraiment lire ni écrire en anglais et Tony ainsi que sa sœur avaient rédigé des soumissions pour lui quand ils étaient des écoliers. Tony et Joe (Gio) ont également travaillé dans l’entreprise pendant leurs études. M. Bennett a confirmé les déclarations selon lesquelles, à partir de 2004, lorsque Tony et Joe sont devenus des gestionnaires de projet, les affaires ont progressé, alors qu’avant cela, elles commençaient à baisser.

 

6h)     Tony supervisait les achats de la payeuse et faisait les estimations pour les travaux de moins de 100 000 $. Sam supervisait l’exploitation de l’entreprise et faisait les estimations pour les travaux de plus de 100 000 $.

 

6k)     Le salaire de Tony était de 50 000 $ par année pour la saison d’asphaltage, comme celui de Joe et de Sam.

 

6m)    L’hypothèse est exacte, mais Tony était seulement un ouvrier en 2003.

 

6r)     Le taux de rémunération de Tony était raisonnable. Dans son ancien emploi, un poste de supervision, il gagnait plus de 50 000 $ par année. Sam a mentionné dans son témoignage que, selon ce qu’il comprenait au sujet des salaires, quand il a conclut l’accord avec les garçons, les employés dans le secteur de la construction qui exerçaient des fonctions semblables gagnaient de 60 000 $ à 80 000 $ par année. Pour quitter ces emplois et se faire embaucher par une petite entreprise d’asphaltage en difficulté, comme c’était le cas pour la payeuse en 2003, en vue de la remettre sur pied et de prendre la direction de la payeuse, un salaire d’au moins 50 000 $ par année serait nécessaire. De plus, Tony connaissait l’entreprise, il avait déjà rédigé des estimations pour son père, il avait déjà occupé un poste de supervision dans une autre entreprise et il avait déjà gagné un salaire plus élevé. Pour la payeuse, l’embauche d’une telle personne dans la situation dans laquelle elle se trouvait en 2003 et en 2004 nécessitait au moins un salaire annuel de 50 000 $.

 

6s)     L’augmentation de salaire entre 2003 et 2004 était raisonnable, parce que les fonctions avaient bien plus changé que le salaire.

 

6t) et u)        Les hypothèses sont exactes, mais les estimations, les soumissions, les achats, la gestion et la publicité pour l’entreprise étaient des tâches qui pouvaient être exécutées lorsque les conditions climatiques étaient défavorables, en dehors de la saison et après 16 h 30, du lundi au vendredi.

 

6cc)   L’hypothèse est inexacte. Il est raisonnable d’effectuer des travaux d’asphaltage tant que les conditions climatiques le permettent. Certaines années, les travaux peuvent se poursuivre après le mois de novembre à Calgary, en Alberta, où la payeuse était, et est toujours, située.

 

6ee)   En 2004, Sam, l’actionnaire, a réduit sa charge de travail quand Tony et Joe ont commencé à gérer les projets, à utiliser le matériel et à faire des estimations ainsi que des soumissions pour l’entreprise.

 

6mm) Tony et Joe utilisaient ce matériel depuis leur jeunesse. Ils n’avaient besoin que d’une mise à jour de leurs connaissances. Cependant, tout le monde a pris soin de garder M. Bennett en tant que contremaître, étant donné qu’il avait commencé à travailler pour l’entreprise de la payeuse quand il était adolescent.

 

6nn) et oo)   Dans ces alinéas, on exprime ce qui est mentionné au paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance‑emploi. Ils seront abordés ci‑dessous. Toutefois, dans les réponses aux questions 18, 23 et 25 du questionnaire du ministre (A‑2), il est déclaré que Tony n’était pas un simple ouvrier et le ministre avait ces renseignements en sa possession. La réponse à la question 11 indiquait la formation scolaire de Tony dans le domaine des affaires. Dans d’autres réponses, les fonctions non manuelles que Tony exerçait pour la payeuse étaient mentionnées.

 

[5]     La payeuse devrait donc payer 50 000 $ par saison pour engager quelqu’un possédant la formation ainsi que l’expérience de Tony à titre de gestionnaire de projet et qui mettrait la main à la pâte sur les chantiers où les travaux d’asphaltage étaient effectués, et ce, pour un petit entrepreneur en asphaltage en difficulté à Calgary, en Alberta, en 2004, compte tenu des modalités de l’emploi ainsi que sa durée et de son importance pour la survie à long terme de l’entreprise. La payeuse et Tony auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[6]     Ce que la payeuse a fait en engageant quelqu’un avec l’expérience, la scolarité et la formation de Tony, c’est assurer son avenir. Sans cela, la payeuse n’existerait probablement plus en 2006. Il n’y avait eu aucun poste de ce genre avant. Sam était l’unique dirigeant de l’entreprise, il exploitait la payeuse sur cette base et les affaires de la payeuse déclinaient.

 

[7]     L’appel est accueilli. Le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire correctement quand il a décidé que l’appelant exerçait un emploi exclu pour la payeuse pendant la période allant du 26 avril 2004 au 30 novembre 2004.

 

 

       Signé à Saskatoon (Saskatchewan) ce 16e jour de février 2006.

 

 

« D.W. Beaubier »

Juge Beaubier

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de décembre 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI91

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2005‑1312(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Antonio Montagnese c. La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 février 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge D.W. Beaubier

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 février 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

Avocat de l’intervenante :

Me Marla Teeling

Personne n’a comparu

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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