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Dossier : 2003-3021(IT)G

ENTRE :

AXA CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu les 26, 27 et 28 septembre 2005, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Dominic C. Belley

Avocats de l'intimée :

Me Richard Gobeil

Me Carole Benoit

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 60990091 et est en date du 26 mars 1999 à l'égard de l'année d'imposition 1993 est admis, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de janvier 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


Référence : 2006CCI4

Date : 20060111

Dossier : 2003-3021(IT)G

ENTRE :

AXA CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la Partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), pour l'année d'imposition 1993 de l'appelante.

[2]      La question en litige est de savoir si un avantage d'au moins 22 M$ a été conféré par l'appelante à une société française soit Abeille Réassurance S.A, ( « Abeille Ré » ) au sens du paragraphe 15(1) de la Loi.

[3]      Le cas échéant, et ceci n'est pas contesté par les parties, l'appelante est assujettie à l'impôt de la Partie XIII en vertu du paragraphe 212(1) de la Loi. Elle serait réputée avoir versé le susdit montant, à Abeille Ré, une société non résidante, à titre de dividende provenant d'une société résidant au Canada en vertu du paragraphe 214(3) de la Loi et serait tenue à une retenue d'impôt en tant que payeur résidant en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi. En vertu de la Convention fiscale de 1975 entre le Canada et la France, le taux de retenue est de 10%.

[4]      Les événements de la présente affaire se sont déroulés entre le 18 juin 1990 et le 17 novembre 1993.

[5]      Le 18 juin 1990, est passé un « Mémoire d'entente relatif à une prise de participation de la Compagnie financière Victoire dans la Société de gestion La Laurentienne Générale, compagnie d'assurance » , (onglet 1 de la pièce A-1), entre la Corporation du Groupe La Laurentienne, par monsieur Jacques A. Drouin et la Compagnie Financière Du Groupe Victoire, par monsieur Jean A. Arvis.

[6]      La « Convention de souscription » fut conclue le 28 septembre 1990, (onglet 2 de la pièce A-1). Les parties sont 2844-2267 Québec Inc. à titre de souscripteur. Cette société portait le nom de Victoire Canada au cours des événements. Elle est par la suite devenue Axa Canada Inc. Du même bord, il y a la partie la Compagnie Financière du Groupe Victoire ou Victoire France. La partie émettrice est Gestion Laurentienne Générale Inc. ou Gestion Laurentienne. Du même bord, il y a la partie la Corporation du Groupe La Laurentienne ou CGL.

[7]      Préalablement à la signature de l'entente de souscription, CGL a transféré à Gestion Laurentienne, la totalité des actions qu'elle détenait dans Laurentienne Générale ou Boréal Assurances Inc. ( « Boréal » ) et Victoire France a procédé à la constitution du souscripteur, Victoire Canada, dont un des actionnaires est Abeille Ré.

[8]      Dans l'entente, Victoire France cède au souscripteur, Victoire Canada, les droits et obligations qu'elle peut avoir aux termes de l'entente. C'est une des dispositions importantes de cette affaire.

[9]      Le souscripteur souscrit 1 250 actions du capital de l'émetteur pour un prix de 125 M$. Le paiement est fait le jour même. Les dites actions, une fois émises, représentent 50% des actions émises du capital de l'émetteur. Victoire Canada et CGL deviennent alors actionnaires à 50% des actions de Gestion Laurentienne, société détentrice de la Laurentienne Générale.

[10]     Les garanties données lors de la passation de l'entente du 28 septembre 1990, sont de l'essence de cette affaire. La première garantie, l'article 6.3, concerne l'avoir des actionnaires :

6.3        Par les présentes, Corporation Laurentienne s'engage à verser au Souscripteur la différence entre d'une part 143 000 000 $ et d'autre part l'avoir des actionnaires ordinaires tel qu'il apparaîtra au Bilan de clôture si celui-ci est inférieur à 143 000 000 $. Ce versement s'effectuera comptant, dans un délai de 30 jours suivant le dépôt du Bilan de clôture.

[11]     CGL garantit que l'avoir des actionnaires est de 143 M$ à la date du bilan de clôture, soit le 30 septembre 1990.

[12]     Il y avait une deuxième catégorie de garantie, soit celle concernant la suffisance des réserves que l'on retrouve à l'article 7.3 :

7.3       Limite. Les excédents de sinistres et de tout poste du bilan faisant l'objet de la garantie par Corporation Laurentienne seront couverts dans l'ordre :

...

iii)          dans le cas où cette réserve sera épuisée, Corporation Laurentienne indemnisera Victoire pour des déficiences dépassant 30 millions $ des chiffres portés au bilan jusqu'à concurrence d'un maximum de 50 millions $.

[13]     La clause 7.4 prévoit que ces garanties seront pour une durée maximale de deux ans après le 28 septembre 1990 et l'analyse des déficiences s'il en est s'effectuera annuellement à la satisfaction des deux parties :

7.4        Paiement de l'indemnité. Ces garanties seront pour une durée maximale de deux (2) ans après le 28 septembre 1990 et l'analyse des déficiences, s'il en est, s'effectuera annuellement à la satisfaction des deux (2) parties.

[14]     Nous verrons par la suite que Victoire France a accepté de prolonger le délai pour la détermination des déficiences.

[15]     La partie appelante a fait entendre quatre témoins. Monsieur Alain Lessard, un actuaire, qui au moment des événements était à l'emploi de la Laurentienne Générale et est maintenant un employé de l'appelante. Il a décrit la situation de la Laurentienne générale à partir de septembre 1990 et de la nécessité presque immédiate de passer des ententes avec Abeille Ré aux fins de maintenir la situation financière de la Laurentienne Générale au niveau indiqué dans l'entente de septembre 1990. Ces ententes sont un traité de quote-part stop loss et la prise en charge du secteur de la réassurance internationale de la Laurentienne Générale. Le deuxième témoin a été monsieur Pierre Bourrassa, un actuaire qui travaillait pour la Laurentienne Générale au moment des événements. Il a présenté une analyse des pertes subies par Abeille Ré relativement aux deux ententes de sauvetage mentionnées ci-dessus. Le troisième témoin a été un témoin expert. Il s'agit de monsieur André Racine, actuaire, qui a préparé un rapport voulant que la méthodologie qui a été suivie, tant par monsieur Lessard que monsieur Bourassa, pour déterminer les pertes subies par Abeille Ré, est une méthodologie adéquate et acceptable. Le quatrième témoin a été monsieur Patrick Werner qui lors de la deuxième partie des événements était un directeur financier du groupe Victoire France. Il était devenu l'acteur principal lors de la transaction de 1993. Il a expliqué ce qui a motivé Abeille Ré dans ses négociations pour faire l'acquisition de l'autre 50 % du capital de Gestion Laurentienne et pourquoi c'est Abeille Ré et non pas Victoire Canada qui a fait cette acquisition.

Témoignage de monsieur Alain Lessard et description des événements

[16]     Le premier témoin de l'appelante, monsieur Alain Lessard est présentement vice-président principal, actuariat et réassurance, Groupe Axa au Canada. Au cours de la période en litige, il avait la charge de tout le département d'actuariat. Le témoin relate que la Laurentienne Générale, ou Boréal, faisait uniquement de l'assurance I.A.R.D., c'est-à-dire incendie, accident et risques divers, par opposition à de l'assurance-vie. Elle faisait aussi de la réassurance assumée, c'est-à-dire qu'elle protégeait d'autres compagnies contre des risques provenant de catastrophes, tant au niveau international qu'au niveau canadien.

[17]     Le témoin a expliqué la clause 6.3 (ci-dessus) de la Convention de souscription du 28 septembre 1990. Les discussions de vente qui ont eu lieu au printemps 1990 ont été sur la base des chiffres qui étaient connus au 31 décembre 1989. L'achat s'est fait le 30 septembre 1990. L'avoir des actionnaires au 31 décembre 1989 était de l'ordre de 143 M$.

[18]     Selon les états financiers présentés en preuve, l'avoir des actionnaires tout au long des événements s'est au moins situé à ce montant, ceci, selon le témoin, grâce aux ententes passées entre la Laurentienne Générale et Abeille Ré.

[19]     Le témoin explique la clause 7.3 (ci-dessus) de la même Convention. On évalue un bilan à une certaine date, mais la difficulté avec une compagnie d'assurance est de savoir si ce chiffre est exact. En effet, on connaît très bien les actifs de la compagnie, comme les actions et les obligations détenues par la compagnie, mais l'évaluation des passifs demeure un estimé. Au moment où on évalue une compagnie d'assurance, on fait la meilleure lecture possible sur les passifs de la compagnie, et par définition le capital s'ensuit, parce que le capital c'est les actifs moins les passifs. Mais on sait que ces passifs peuvent coûter un montant différent de celui qu'on a estimé, donc seul le temps dira si le montant mis de côté pour les engagements est suffisant ou insuffisant. C'est ce qui est l'objet de la garantie. Si le montant net est excédentaire, CGL versera une indemnité pour les déficiences dépassant 30 M$ jusqu'à concurrence d'un maximum de 50 M$.

[20]     Après le 30 septembre 1990, Boréal commence à découvrir que les montants mis en provision pour la réassurance assumée internationale seront insuffisants. Boréal n'avait pas acheté assez de protection. Les deux groupes soit CGL et Victoire France s'entendent qu'il ne faut pas affecter négativement le bilan de La Laurentienne Générale. Ce qui explique la lettre de monsieur Drouin à monsieur Arvis en date du 14 décembre 1990 (onglet 5 de la pièce A-1). Il y aura un traité « stop loss » avec Abeille Ré pour étaler la perte dans le temps.

[21]     Lesdeuxième et troisième paragraphes de cette lettre se lisent ainsi : « Nous souhaitons mettre en oeuvre un traité « stop loss » comportant un risque maximum pour Abeille Ré de $5 millions. Ce risque serait compensé par les voies usuelles et tout excédent de sinistre au delà de $5 millions sera compensé selon l'échéancier proposé par La Laurentienne Générale. » « S'il arrivait que les revenus de Laurentienne Générale étaient insuffisants pour compenser Abeille Ré de déficiences dépassant les $5 millions, Laurentienne Générale émettrait du capital sous forme d'actions ordinaires ou privilégiées à Abeille Ré ... » .

[22]     Selon le témoin, il est à peu près certain au 31 décembre 1990 que le traité « stop loss » serait déficitaire. C'est pour ça qu'a été ajouté à ce traité une quote-part de 15 % des affaires canadiennes de la Laurentienne Générale. La prime est reçue immédiatement, mais les sinistres sont payés plus tard. Cela faisait en sorte qu'il y avait un « stop loss » sur lequel le réassureur perdait de l'argent mais il y avait une quote-part sur laquelle il faisait de l'argent. Seul le temps dira s'il y aura perte ou gain d'argent, mais au moment de la passation, le traité devait être neutre. Selon le témoin, le temps a prouvé que l'équilibre n'a pas été là, mais au moment de la négociation, cela s'est fait de bonne foi.

[23]     Cette cession ou ce traité est intervenu entre la Laurentienne Générale, à titre de cédante et Abeille Ré, à titre de réassureur. La date d'effet est le 31 décembre 1990. À l'onglet 6 de la pièce A-1, se trouve une note concernant le traité quote-part stop loss mais il ne s'agit pas du traité lui-même que l'on peut trouver à l'onglet 21 de la pièce I-1.

[24]     À l'onglet 7 de la pièce A-1, il y a une lettre de monsieur Guy Rivard de CGL en date du 14 janvier 1991 à madame Jacqueline Simon, directeur général adjoint de Abeille Ré. Il s'agit d'un engagement de la part de CGL voulant que dans l'éventualité où des sommes dues aux diverses échéances du traité par la Laurentienne Générale ne pourraient être remboursées sans affecter de façon importante la situation financière de cette dernière, la créance d'Abeille Ré serait transformée à due concurrence en un apport de fonds propres par la voie d'une augmentation de capital.

[25]     Cette lettre se lit en partie comme suit : « Dans l'éventualité peu probable où des sommes dues aux diverses échéances du traité par Générale ne pourraient être remboursées sans affecter de façon importante la situation financière de Générale, la créance d'Abeille serait transformée à due concurrence en un apport de fonds propre par la voie d'une augmentation de capital réservé selon la forme décrite par monsieur Jacques Drouin dans sa lettre du 14 décembre dernier. ... »

[26]     Le témoin relate, qu'en 1991, la réassurance internationale se détériore encore plus. À l'onglet 10 de la pièce A-1, il y a une lettre d'entente de monsieur Jacques A. Drouin de CGL à monsieur Jean Albert Arvis, PDG de Victoire France en date du 19 décembre 1991. Ce qui y est proposé est accepté ce même jour par monsieur Arvis. Cette lettre fait état des problèmes que La Laurentienne Générale rencontre concernant la réassurance internationale. Il est décidé de vendre les passifs et actifs de la réassurance internationale à une filiale de Victoire France, soit Abeille Ré, ou toute autre compagnie nommée par Victoire France.

[27]     Dans une autre lettre d'entente en date du 19 décembre 1991, (onglet 9 de la pièce A-1), il y a un engagement de la part de CGL voulant que si l'effet du transfert n'est pas neutre, il y aura une compensation en actions de la part de CGL tel que décrit dans la précédente lettre du 19 décembre 1991.

[28]     À l'onglet 11 se trouve l'entente du transfert des actifs et des passifs de la réassurance internationale conclue le 19 décembre 1991 entre la Laurentienne Générale et Abeille Ré. Selon le témoin, le fait de vendre les actifs et les passifs à Abeille Ré a créé instantanément une amélioration du bilan de la Laurentienne Générale. Elle se débarrasse d'un plus gros montant de passifs que les actifs qu'elle transfère.

[29]     À l'onglet 12 de la pièce A-1 se trouve une lettre d'entente également en date du 19 décembre 1991 entre CGL et Victoire France. CGL convient d'une injection de capital-actions privilégié de l'ordre de 125 M$ avant le 1er janvier 1992. Il y a aussi l'énoncé d'une possibilité d'une augmentation de capital advenant l'insuffisance de fonds. De plus, il y a une entente voulant que les deux examens à conduire au titre des accords de septembre 1990 seront retardés d'un an et menés en 1992 et 1993. Aucune conséquence financière ne sera tirée avant décembre 1993.

[30]     Cette lettre se lit comme suit :

1.          Une injection de capital-actions privilégié, sans droit de vote, de l'ordre de 25 millions $ sera effectuée avant le 1er janvier 1992 par Laurentienne tel que décrit dans la souscription de Laurentienne préparée à cet effet.

2.          Le traité stop-loss souscrit en 1990 comportait au profit de Victoire des garanties exposées notamment au paragraphe 1 de la page 2 de la lettre du 14 janvier 1991 de M. Rivard à Mme Simon. L'équilibre de la convention de cession bénéficiera des mêmes garanties. S'il s'avérait que le passif au 31 décembre 1991 transféré était insuffisant, cette insuffisance serait traitée comme une créance de Victoire et serait transformé, à due concurrence, en un apport de fonds propres par la voie d'une augmentation de capital réservée.

3.          Par ailleurs, les deux examens à conduire au titre des accords de Septembre 1990 seront retardés d'un an et menés en 1992 et 1993, aucune conséquence financière n'en étant tirée avant décembre 1993.

[31]     En 1993, il y a eu une restructuration considérable de CGL dont le contrôle passe entre les mains de la Société financière Desjardins. CGL devait au préalable se départir de sa part des actions détenues dans Gestion Laurentienne, soit 50% des actions totales. Cette part sera acquise par Abeille Ré. Ainsi, tout Boréal passera sous l'égide du groupe Victoire France, 50% Victoire Canada et 50% Abeille Ré, une société française du groupe Victoire France.

[32]     Le 17 juin 1993, un comité spécial est formé pour superviser la réorganisation de CGL dans le cadre de la fusion avec le Groupe Desjardins. On demande à monsieur Lessard de préparer un rapport à la date du 30 juin 1993 sur la situation des réserves relativement à l'entente du 30 septembre 1990. Selon le témoin, cette évaluation doit se faire sans tenir compte de la mise en place des traités. Il évalue le montant des insuffisances à 104 694 000 $. Le rapport en date du 25 octobre 1993 se trouve à l'onglet 23 de la pièce A-1. Le témoin explique qu'en prenant en compte l'élément impôt, cela signifie que l'avoir des actionnaires aurait été déficitaire d'environ 62 M$.

[33]     En prenant en compte les traités, le témoin affirme qu'il arrivait à une certaine insuffisance mais d'un montant qui ne permettait pas de réclamation en vertu de l'article 7 de la Convention de souscription.

[34]     Il explique qu'on lui a demandé de faire une évaluation des insuffisances sans tenir compte du traité quote-part stop loss ni de la vente du secteur de la réassurance internationale, sans doute parce qu'Abeille Ré pouvait facilement déterminer pour elle-même les pertes engendrées par ces traités et que d'autre part, il était important de savoir quelles auraient été les insuffisances n'eussent été les traités.

[35]     En date du 6 juillet 1993, il y a une lettre d'intention entre la compagnie financière du Groupe Victoire et CGL. Elle est signée, pour Victoire, par monsieur Patrick Werner et pour CGL, par monsieur Jacques A. Drouin (onglet 46 de la pièce I-1). Le paragraphe 2 à la page 2 se lit comme suit:

LES PARTIES s'entendent sur les intentions suivantes relatives à la propriété de Laurentienne Générale et aux compensations financières entre elles :

...

2)          En compensation des insuffisances de réserves de Laurentienne Générale au 30 septembre 1990 et en compensation des garanties accordées par Laurentienne relativement aux traités de réassurance contractés par LAURENTIENNE GÉNÉRALE auprès de Victoire et ses affiliées, Laurentienne céderait à Victoire 40 % des actions ordinaires de Laurentienne Générale présentement en circulation.

[36]L'entente en date du 8 octobre 1993 est un autre document essentiel au litige. Il s'agit d'un Mémoire de Convention entre Victoire France, Victoire Canada et Abeille Ré passé en préparation de l'acquisition par Abeille Ré des 50% du capital-actions de Gestion Laurentienne détenu par CGL (onglet 20 de la pièce A-1 ou onglet 52 de la pièce I-1). La clause de cession est l'élément qui a déterminé la cotisation :

1.          Cession

En raison (a) des obligations prises à charge par Abeille-RE décrites au préambule, (b) des pertes encourues par Abeille RE sur le portefeuille de réassurance internationale acquis de Laurentienne Générale et (c) des effets positifs des traités de réassurance et de la cession du portefeuille de réassurance internationale sur l'avoir des actionnaires de Laurentienne Générale et sur les réserves et provisions pour sinistres de Laurentienne Générale, Victoire Canada et Victoire France cèdent à Abeille RE tout droit, réclamation, intérêt, bénéfice de quelque nature que ce soit que chacun d'eux détient ou pourrait détenir (d) aux termes de la Convention et (e) en vertu de la garantie accordée par CGI dans le cadre de la cession de portefeuille de réassurance internationale.

[37]     Les 3e, 4e, 5e et 6e paragraphes du préambule de ce Mémoire se lisent comme suit :

Suite à la signature de la Convention, des discussions ont eu lieu entre les parties quant à l'établissement du bilan au 30 septembre 1990 et quant à la suffisance des réserves et provisions pour sinistres. CGL a procédé à la préparation d'un projet de bilan qui devait constater l'avoir des actionnaires de Laurentienne Générale au 30 septembre 1990; des divergences d'interprétation ont empêché les parties d'en venir à un accord sur la situation financière de Laurentienne Générale au 30 septembre 1990. Victoire Canada et Victoire France soutenaient alors que l'avoir des actionnaires de Laurentienne Générale au 30 septembre 1990 était inférieur à 143 000 000 $ et que les réserves et provisions pour sinistres au bilan consolidé de Laurentienne Générale au 31 décembre 1989 étaient insuffisantes.

Afin de pallier à une insuffisance éventuelle de ses réserves et provisions, Laurentienne Générale, avec l'accord de Victoire Canada et Victoire France, concluait certains traités de réassurances avec Abeille RE en décembre 1990 et Laurentienne Générale cédait à Abeille RE les passifs et actifs reliés à son portefeuille de réassurance internationale en décembre 1991.

Dans le cadre de la cession du portefeuille de réassurance internationale, CGL s'est engagée à indemniser Victoire France pour toute insuffisance des actifs cédés par rapport aux passifs pris à charge par Abeille RE.

Les traités de réassurance, ainsi que la cession du portefeuille de réassurance internationale ont eu pour effet de redresser l'avoir des actionnaires de Laurentienne Générale et d'améliorer ses réserves et provisions.

[38]     Monsieur Lessard explique la clause de cession en litige par le fait que CGL et le Groupe Desjardins voulaient régler avec certitude l'ensemble des garanties données par CGL au Groupe Victoire que ce soit par la convention du 28 septembre 1990 et que ce soit par les lettres d'entente concernant les divers traités.

[39]     Le témoin affirme, en s'appuyant sur les états financiers, qu'avec la mise en place du traité quote-part stop loss et la vente de la réassurance internationale, l'insuffisance a été transférée à Abeille Ré. Au départ, la Laurentienne Générale avait cru qu'avec ces deux traités, la position d'Abeille Ré serait en équilibre mais la réalité est qu'Abeille Ré a perdu énormément d'argent. La Laurentienne Générale a bénéficié de ces traités.

[40]     En date du 17 novembre 1993, il y a la Convention de vente et d'achat d'actions du capital de Gestion Laurentienne Générale Inc., entre La Corporation du groupe La Laurentienne et Abeille Réassurance S.A., (onglet 24 de la pièce A-1).

[41]     Le prix d'achat est de 75 M$. Les modalités de paiement sont décrites à l'article 2.2, à la page 5 :

2.2        Modalités de paiement. Le prix d'achat est acquitté comme suit :

(a)         60 000 000 $ en opérant compensation, à la date de clôture, entre d'une part le prix d'achat, à concurrence de ce montant, et d'autre part le montant de toute réclamation de quelque nature que ce soit que peut avoir l'Acheteur à l'encontre du Vendeur (exception faite des droits, recours et réclamations que pourrait faire valoir l'Acheteur aux termes de cette convention), le montant de ces réclamations étant déterminé d'un commun accord par le Vendeur et l'Acheteur à 60 000 000 $; et

...

[42]     En contre interrogatoire, l'avocat de l'intimée demande au témoin si selon sa compréhension, le montant de 60 M$ était pour compenser les pertes subies par Abeille Ré à la suite des traités. Il répond « Tout à fait » . Mais, questionne l'avocat, cette compensation ne découle d'aucun contrat. Le témoin n'est pas de cet avis et se réfère à l'échange de lettres entre messieurs Drouin et Arvis. Ces lettres sont des ententes et elles contiennent des garanties accordées par CGL au groupe Victoire France. Selon le témoin, c'est ainsi que le comprenaient les négociateurs de la transaction de 1993, que CGL s'était engagé auprès de Victoire France à compenser Abeille Ré pour les pertes qu'elle subirait.

[43]     À l'onglet 57 de la pièce I-1, se trouve la « Circulaire du Conseil d'administration » relative à l'offre publique d'échange. La Circulaire comprenait une recommandation faite aux actionnaires minoritaires. Elle inclut un rapport de la firme comptable Wood Gundy. À la page 76, les comptables disent ce qui suit :

Fairness of Saleto Victoire

Based on the foregoing, we believe that the agreed upon sale price of $75 million for LGC's 50% interest in Laurentian General is a reasonable price as it represents the mid-range of our valuation range

However, as the consideration received is not in cash but rather:

                  $60

million set off for claim arising from initial 50% purchase

                    15

million note bearing interest at 7% and repayable in 3 years

                  $75

million

− we must therefore assess the fairness of this consideration

Adjustment to initial purchase price (September 30, 1990)

    (MM)

− the September 30, 1990 provisions' insufficiency as of June 30, 1993 is

Canadian operations

      $ 32

Assumed international

reinsurance

     $ 72

    $105

− the after-tax cost is equal to 60% of this amount: $105 x 60% = $63 million

[44]     À une question de l'avocat de l'intimée, lui demandant où se trouve la mention des traités, monsieur Lessard admet qu'il n'y a pas de mention des traités ou des pertes de Abeille Ré dans cet avis aux actionnaires.

[45]     Il explique ainsi le contexte de la négociation (aux pages 163 à 165 et 174, 175, et 180 à 182) :

... Il n'y a pas de la part de la Corporation du Groupe Laurentienne un engagement moral. Il y a un engagement écrit clair dans les lettres. De la part de Laurentienne Générale, quand on négocie le traité, on a présenté un traité, et je l'ai bien dit, on a présenté un traité équilibré à Abeille au moment où on a fait la négociation en 1991, et on a aussi présenté à Abeille, lors de la vente de l'assumé international, quelque chose qui nous apparaissait équilibré.

            Donc, on est allés voir Abeille et on leur a dit : On sait que vous allez faire une perte sur le traité « stop-loss » , on est convaincus, et à cette époque-là, on est convaincus que vous allez faire un profit sur le traité quote-part. Les deux ensemble, ça va-t-il faire une perte ou un profit? On ne le sait pas. Mais on pense que c'est équilibré, on pense que vous allez être correct.

            Donc, quand on négocie les traités de façon générale en réassurances, on négocie avec des gens qui vont être encore là dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans. On ne peut pas brûler nos ponts et faire perdre de l'argent continuellement à quelqu'un. Donc, il y a toujours de la part d'une cédante, qui négocie avec un réassureur, la notion que c'est un partenaire d'affaires avec qui il va falloir avoir des relations par la suite.

            Donc, on n'est pas là pour lui faire faire des pertes, on est là pour partager une situation et échanger. Donc, il y a un engagement moral ou un engagement commercial, je pense que c'est probablement le mot qui serait le plus juste, de dire, on fait des affaires pour que tout le monde y tire son épingle du jeu et que tout le monde soit correct.

            Mais il n'y a pas de la part de Corporation du Groupe la Laurentienne un engagement moral, parce que la Corporation du Groupe la Laurentienne n'est pas partie prenante des discussions au niveau des traités, donc de la mise en place du traité quote-part « stop-loss » avec Abeille, elle n'est pas en discussion comme cédante avec Abeille, mais elle émet une lettre par la suite à Abeille et à la Corporation, en fait à Victoire, pour lui dire : Bien, regarde, là, j'ai une cédante ici qui s'appelle Laurentienne Générale qui a fait plein d'ententes avec Abeille, et je te dis que si ces ententes-là sont déficitaires pour Abeille, moi, Corporation du Groupe La Laurentienne, je te garantis une compensation et je garantis ta créance que tu pourrais avoir en vertu de ces ententes-là. C'était l'esprit dans lequel toute cette négociation-là s'est faite à l'époque.

...

            R. C'est de dire que le fait qu'on a donné la pleine compensation du 60 M$ à Abeille Réassurances, c'est par le fait même une volonté de la part de Abeille de dire que c'est Abeille Réassurances qui a subi les pertes, et c'est là que doit aller la compensation. Donc, pour moi, il y avait par le fait même une allocation qui a été faite puisqu'on a donné la totalité à Abeille.

[46]     Monsieur Patrick Werner est présentement le directeur général délégué de la Poste en France. Il a quitté le groupe Victoire en juillet 1995. Il relate qu'il s'est joint au groupe Victoire en septembre 1991 à titre de directeur général finance. Avant son arrivée, le groupe Victoire avait procédé à l'acquisition de plusieurs sociétés d'assurance. Le président, Jean Arvis, lui parle d'une acquisition difficile soit les 50% dans la Laurentienne Générale. Selon le témoin, la situation de la société s'avère extrêmement différente de celle escomptée au moment de l'acquisition. Le président du groupe Victoire qui a fait cet investissement se trouve dans une situation délicate puisque la société ne ressemble pas à ce qu'il pensait et ce qu'il avait dit à ses actionnaires, d'où la nécessité de la secourir et cela très rapidement tout de suite après l'acquisition, pour éviter qu'elle n'affiche une situation grave. Ceci explique les différentes techniques successivement utilisées pour que les comptes de la Laurentienne Générale présentent un visage convenable.

[47]     Il explique que la date à laquelle le point devait être fait relativement au bilan de clôture a été reportée en 1993 pour permettre à la société de se rétablir. La réassurance internationale était le principal foyer de pertes. À la fin de 1992, à Paris, on croit qu'il y a plus de 100 M$ de pertes liées à cet investissement. C'est alors qu'intervient l'hypothèse d'une cession. Il faut que ce soit vendable. Finalement c'est le Groupe Victoire qui en fera l'acquisition totale. C'est sur le capital de la Laurentienne Générale que le Groupe Victoire considère qu'il a une garantie ultime. On exerce la garantie ultime, vu qu'il n'y a pas d'argent pour payer. C'était bien Abeille Ré qui était titulaire de cette garantie :

            Q.         Pourquoi est-ce qu'on a décidé de procéder par voie de Abeille Ré qui fait l'acquisition plutôt que de procéder par Victoire Canada?

            R.          Pour plusieurs raisons. La première, je le répète, c'est que c'était Abeille Ré qui était titulaire des créances ou de la garantie, de la garantie ultime dont je parlais tout à l'heure. Ça c'est quand même un élément majeur parce que si on n'avait pas fait comme ça, on va dire les choses comme elles sont, on aurait dû payer en bel et bon argent.

            Dans un cas, on a une société Abeille Ré qui a donc cette garantie et qui a des créances sur Corporation La Laurentienne ultimement. Donc, on peut faire cette compensation. Si on ne la fait pas comme ça, il faut payer le prix. Il faut payer le prix. Donc, c'est l'intérêt du Groupe Victoire de procéder comme ça.

            Deux : faire remonter le dossier Laurentienne Générale à Paris entre les mains des dirigeants de Abeille Ré et de Victoire. D'ailleurs, j'ai fait à cette occasion-là équipe pendant toute l'année 93 avec Michel Laparat, président d'Abeille Ré ici à Montréal pour toute la suite des opérations. Donc, ça il fallait, si vous voulez qu'on ait la gestion directe du dossier à Paris.

            Donc, ces deux raisons ... mais la première se suffit à elle-même, mais ces deux raisons sont les deux raisons majeures pour lesquelles c'est Victoire à travers Abeille Ré qui a fait cette opération.

...

            Si nous n'avions pas fait ça, Abeille Ré aurait dû passer 60 M$ d'abord, 115 M$ de pertes dans ses comptes. La moindre des choses, c'est que cette société qui donc en plus disposait de ces textes de 90 et 91 lui permettant de capter les actions de Laurentienne Générale, la moindre des choses, c'est qu'en face de ces pertes, on lui mette, si j'ose dire, ce qui reste d'actifs sur la société canadienne.

...

            Q. Et le Ministère, dernière question, l'Agence ici des douanes, le ministère du Revenu, prétend que Victoire Canada a accordé ici un avantage de 60 M$ à Abeille Ré. De votre point de vue?

            R. Je ne vois vraiment pas à quel titre. Je ne vois vraiment pas à quel titre. Je ne vais pas reprendre toute la séquence mais très franchement, les 60 M$, si on parle de ceux qui ont fait l'objet d'une compensation, ils étaient chez Abeille Ré au titre des deux éléments du sauvetage de 90 et de 91. Ça c'est ma totale conviction.

[48]     Monsieur Pierre Bourassa, un actuaire, a commencé à travailler en 1987 à la Laurentienne Générale. En 1993, il est directeur-adjoint à l'actuariat corporatif. En septembre 1997, il a fait une évaluation du coût pour Abeille Ré des deux ententes, soit le traité quote-part stop loss et l'achat de la partie réassurance internationale en 1993. Sa conclusion est que Abeille Ré a fait des pertes de 59 679 000 $. Exprimé sous forme d'intervalle, le montant minimal pourrait être de 54 M$ et le montant maximal de 71 M$ :

Ainsi, Abeille Re a subi des pertes d'environ 60 000 000 $ mais considérant la volatilité de ce portefeuille, ces pertes pourraient varier entre 54 000 000 $ et 71 000 000 $.

...

En conclusion, je peux dire qu'Abeille Re subissait des pertes évaluées à 60 000 000 $ en décembre 1993 et que l'expérience ultérieure a démontré que les pertes encourues se sont avérées grandement plus élevées par rapport à l'évaluation en date de décembre 1993.

[49]     Monsieur André Racine, actuaire, a témoigné comme témoin expert. Il est Fellow de l'Institut Canadien des actuaires et de la Casualty Actuarial Society. Son rôle principal actuellement est d'agir comme actuaire désigné de plusieurs assureurs et réassureurs. Il est également membre des Normes de pratique de l'Institut canadien des actuaires. Son rapport a été déposé comme pièce A-6 et son curriculum vitae comme pièce A-7.

[50]     Il a révisé les rapports de messieurs Bourassa et Lessard pour déterminer si ces rapports étaient conformes aux normes actuarielles et si les conclusions qui en étaient tirées étaient raisonnables et justifiées. Il a répondu par l'affirmative :

            R. Oui. Ce qu'on m'a demandé, c'était de réviser des estimations qui ont été faites par d'une part monsieur Bourassa en 1997 qui s'appuyait sur un rapport d'évaluation des sinistres qui avait été fait par monsieur Lessard en date du trente et un (31) décembre 93. J'ai également révisé même si ce n'est pas indiqué dans mon opinion, un rapport qui avait été fait sur les passifs au trente (30) juin 93 pour les mêmes affaires et qui a également été déposé. Et le but était de m'assurer que dans ces cas-là, et le travail de monsieur Bourassa et le travail de monsieur Lessard étaient conformes aux normes actuarielles et que les conclusions qui en étaient tirées étaient raisonnables et justifiées.

            Q. Pour les fins du dossier, on pourrait peut-être identifier les documents. Il s'agit des documents A-3 et de l'onglet 23, ce sont les deux rapports actuariels finalement que nous avons dans les pièces.

...

            ... mon opinion est que la méthodologie employée est conforme à la pratique actuarielle reconnue et aux normes de pratique applicable, et que les hypothèses sont raisonnables et reflètent de façon adéquate les données, et que les données sont suffisamment crédibles et adéquatement catégorisées pour les fins d'évaluation.

Position du Ministre

[51]     À l'occasion de la transaction de 1993, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) est d'avis qu'un avantage a été conféré par Victoire Canada à Abeille Ré.

[52]     Selon le Ministre, Abeille Ré a reçu 60 M$ en n'ayant pas à payer une partie du prix d'achat. Ce 60 M$ lui a été remis parce que Victoire Canada lui a cédé, sans contrepartie, ses droits de créance à l'encontre de CGL. Donc, un avantage a été conféré à Abeille Ré. En fait, l'avantage aurait été de 60 M$, mais la cotisation finalement a été de 22 M$.

Arguments

[53]     L'avocat de l'appelante plaide que la question à se poser relativement à la cotisation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Loi est de savoir si le 8 octobre 1993, lorsque Victoire Canada cède ses droits au terme de la Convention de souscription de septembre 1990 à Abeille Ré, si elle avait des droits à l'encontre de CGL? Selon la Convention, Victoire Canada pourrait avoir des droits à l'encontre de CGL, uniquement si l'avoir des actionnaires et les réserves étaient moindres que ceux prévus à la Convention. L'avocat de l'appelante fait valoir qu'en tout temps cet avoir et ces réserves ont été maintenus au niveau garanti par la Convention grâce aux actions de sauvetage et dépenses engagées par Abeille Ré.

[54]     L'avocat de l'appelante rappelle que par des ententes postérieures à la Convention de 1990, cette dernière a été modifiée en ce qui concerne la date de l'examen de la suffisance de l'avoir des actionnaires et des réserves. De plus, ces ententes ont prévu des accords spécifiques entre CGL et Victoire France qui sont : a) l'injection d'un 25 M$ additionnels par CGL pour soutenir l'avoir des actionnaires; b) le traité de quote-part stop loss; et c) celui concernant la vente de la section de la réassurance internationale. Ces ententes sont décrites dans les lettres échangées entre CGL et le Groupe Victoire France.

[55]     L'avocat plaide que pour qu'il y ait un avantage conféré par une société à un actionnaire il faut qu'il y ait appauvrissement de la société et enrichissement corrélatif de l'actionnaire. Il n'y a pas eu appauvrissement de Victoire Canada car elle n'a jamais eu droit à une réclamation à l'encontre de CGL en vertu de la Convention de septembre 1990. Les efforts de sauvetage faits par Victoire France par l'entremise d'Abeille Ré ont fait que la Laurentienne Générale, a toujours présenté une image financière convenable.

[56]     L'avocat de l'appelante se réfère à la jurisprudence suivante, l'affaire Canada (Procureur général) c. Hoefele, [1995] A.C.F. no 1340 (QL) :

6           Ainsi, la Cour doit tout d'abord déterminer si un « avantage » a été accordé.

7           L'arrêt La Reine c. Savage de la Cour suprême du Canada est l'arrêt clé aux fins de déterminer ce qu'est un avantage imposable.    Dans cette affaire, le juge Dickson explique clairement et simplement ce qui distingue une rentrée imposable d'une rentrée non imposable :

S'il s'agit d'une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l'objet d'une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l'art. 3.

Par conséquent, selon la Cour suprême, pour qu'elle soit imposable à titre d' « avantage » , une rentrée doit conférer un avantage économique. En d'autres termes, pour qu'elle soit imposable, la rentrée doit avoir pour effet d'augmenter la valeur nette du patrimoine du bénéficiaire. À l'inverse, la rentrée qui n'augmente pas celle-ci n'est pas un avantage et n'est pas imposable.    Le remboursement d'une dépense n'est donc pas imposable, car la valeur nette du patrimoine du bénéficiaire ne s'en trouve pas accrue.

[57]     L'avocat de l'intimée fait valoir que c'est en fonction des termes de la Convention de souscription de septembre 1990 que le montant de 60 M$ a été calculé.

[58]     L'avocat admet que le calcul du 60 M$ n'a pas pris en compte l'injection de capital et les traités de sauvetage, mais il suggère que ces éléments ne sont pas pertinents pour résoudre la présente affaire. Lorsque les ententes ont été signées, ce n'était pas dans le but de transférer des pertes à Abeille Ré ni de transférer des profits, c'était dans un but à peu près neutre ou équilibré. Cela fait partie de l'entreprise d'une société d'assurance de prendre des risques. Elle les a pris et elle a perdu. La seule modification qui a été faite à l'entente de 1990 concerne le terme de l'examen pour déterminer le bilan au 30 septembre 1990. Selon lui, il n'y a pas eu d'ententes spécifiques entre CGL et Abeille Ré créant un droit au 60 M$.

[59]     L'avocat fait valoir que les parties à la transaction de 1993 reconnaissaient qu'il y avait insuffisance des réserves en septembre 1990. L'avocat se réfère à cet égard à une lettre d'intention en date du 6 juillet 1993, entre la compagnie financière du Groupe Victoire et CGL (onglet 46 de la pièce I-1). Elle est signée, pour Victoire, par monsieur Patrick Werner et pour CGL, par monsieur Jacques A. Drouin. Il se réfère au paragraphe 2, à la page 2 :

LES PARTIES s'entendent sur les intentions suivantes relatives à la propriété de Laurentienne Générale et aux compensations financières entre elles :

...

2)          En compensation des insuffisances de réserves de Laurentienne Générale au 30 septembre 1990 et en compensation des garanties accordées par Laurentienne relativement aux traités de réassurance contractés par LAURENTIENNE GÉNÉRALE auprès de Victoire et ses affiliées, Laurentienne céderait à Victoire 40 % des actions ordinaires de Laurentienne Générale présentement en circulation.

[60]     Il se réfère également au paragraphe 4 du Mémoire de convention entre Compagnie financière du Groupe Victoire, ( « Victoire France » ), Financière Victoire Canada Inc., ( « Victoire Canada » ) et Abeille Réassurances S.A., en date du 8 octobre 1993 (onglet 52 de la pièce I-1) :

(4)         Afin de pallier à une insuffisance éventuelle de ses réserves et provisions, Laurentienne Générale, avec l'accord de Victoire Canada et Victoire France, concluait certains traités de réassurances avec Abeille RE en décembre 1990 et Laurentienne Générale cédait à Abeille RE les passifs et actifs reliés à son portefeuille de réassurance internationale en décembre 1991.

[61]     L'avocat se réfère à la clause de cession, que l'on trouve à la même entente (clause reproduite au paragraphe 36 de ces motifs) et fait valoir que les seuls droits qui peuvent avoir été cédés par Victoire Canada sont les droits relatifs à l'entente de 1990. La valeur est de 60 M$.

[62]     L'avocat se réfère aussi au rapport de la firme Wood Gundy, que l'on trouve à l'onglet 57 de la pièce I-1 et dont le texte est reproduit au paragraphe 43 de ces motifs. Ce rapport, selon lui, démontre bien que le montant de 60 M$ est relatif à la Convention de souscription de 1990.

[63]     L'avocat lit la clause 2.2 de la Convention de vente et d'achat d'actions en date du 17 novembre 1993 (onglet 58 de la pièce I-1) : « Modalités de paiement. Le prix d'achat est acquitté comme suit : (a) 60 000 000 $ en opérant compensation, de toute réclamation de quelque nature que ce soit que peut avoir l'Acheteur à l'encontre du Vendeur ... » . L'acheteur est Abeille Ré. Elle vient d'acquérir les droits que Victoire Canada avait à l'encontre de CGL et il n'y a aucune autre entente qui prévoit quelque droit que ce soit d'Abeille Ré à l'encontre de CGL.

[64]     Il soumet que les pertes qu'Abeille Ré a pu subir par suite des traités de réassurance et de quote-part stop loss n'est pas un élément pertinent au litige. Ce sont les pertes et les risques d'Abeille Ré. Selon l'avocat, il n'y a pas de liens de droit entre Abeille Ré et CGL.

[65]     L'avocat de l'intimée ne croit pas que le sens d'avantage au paragraphe 15(1) de la Loi demande un élément d'appauvrissement et d'enrichissement corrélatif. Il se réfère à la décision du juge Jérôme de la Cour fédérale (première instance) dans Helen Vine, in her capacity as Executrix of the Last Will and Testament of William J. Vine v. The Queen, 89 DTC 5528, à la page 5532 :

[TRADUCTION]

L'affaire Youngman c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 475; 86 DTC 6584; 7 F.T.R. 141 (C.F. 1re inst.) portait sur un contribuable qui vivait dans une maison construite pour lui et sa famille par une compagnie dont il était l'actionnaire majoritaire. La Cour a statué que le contribuable avait reçu de la compagnie un avantage imposable dont la valeur correspondait à l'investissement de la compagnie dans la propriété, c'est-à-dire, au coût d'achat de la luxueuse demeure. Au sujet de l'alinéa 15(1)c), sur lequel la cotisation était fondée, le juge McNair déclare, à la page 6587 (DTC) :

La Loi ne contient pas de définition des termes « avantage » ou « bénéfice » et ils sont donc susceptibles d'être interprétés de la façon la plus large possible. Il n'y a pas davantage de formule simple pour trancher de l'existence d'un avantage reçu par l'actionnaire au sens de l'alinéa 15(1)c). Essentiellement, chaque cas doit être décidé selon ses propres faits particuliers.

Analyse et conclusion

[66]     Le paragraphe 15(1) de la Loi se lit en partie comme suit :

15(1)     Avantages aux actionnaires - La valeur de l'avantage qu'une société confère, à un moment donné d'une année d'imposition, à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir est incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année ...

[67]     Pour donner raison au Ministre et conclure que l'appelante, Victoire Canada, a en 1993 conféré un avantage de 60 M$ et d'au moins 22 M$ à Abeille Ré, il me faudrait avoir la certitude qu'en 1993, Victoire Canada détenait une créance de 60 M$ à l'encontre de CGL. Il faudrait pour cela mettre de côté ce qui s'est passé dans les faits. Ce qui s'est passé dans les faits a été admis par l'intimée, mais l'avocat de l'intimée propose que je ne doive pas en tenir compte parce que les parties n'en n'ont pas tenu compte dans le calcul de la créance.

[68]     La réclamation de 60 M$ a été calculée comme si les traités de sauvetage n'avaient pas eu lieu. C'était la base de calcul. Cela ne peut signifier pour autant que l'appelante avait droit à cette réclamation alors que la situation financière de la Laurentienne Générale avait été maintenue. Les efforts de sauvetage avaient eu lieu avec leurs effets positifs relativement à cette dernière et les pertes ou les frais de sauvetage se trouvaient chez Abeille Ré. En d'autres mots la perte financière n'était pas chez la Laurentienne Générale mais chez Abeille Ré. C'est ce que la preuve a révélé.

[69]     Il est vrai que les pertes d'Abeille Ré ne pouvaient pas être réclamées à l'encontre de la Laurentienne Générale et qu'il s'agissait des pertes d'Abeille Ré. Les traités de sauvetage n'avaient pas été ainsi libellés. S'ils l'avaient été ainsi, la Laurentienne Générale aurait dû tenir compte de ces risques dans la présentation de ses états financiers. Cela les aurait affectés négativement.

[70]     Toutefois, les efforts de sauvetage avaient été entrepris avec l'assentiment de CGL qui s'était engagé à compenser Abeille Ré si ces efforts de sauvetage s'avéraient à perte. C'est ainsi que doivent se lire les diverses lettres d'entente échangées entre CGL et Victoire France et rapportées au début de ces motifs. C'est également la compréhension des différents témoins ayant participé à ces ententes et à la transaction de 1993.

[71]     La Convention de septembre 1990 et les diverses lettres d'entente avaient créé une situation juridique complexe. Les mémoires des conseillers juridiques de Victoire France, en date de décembre 1992, que l'on trouve à l'onglet 18 de la pièce A-1 en font état. Il était malaisé d'établir avec certitude le droit de réclamer les pertes engagées par Victoire France.

[72]     En 1993, CGL désirait se départir de la Laurentienne Générale. Le seul acheteur acceptable était le groupe Victoire. Les négociations ont eu lieu avec ce groupe. Tel que mentionné dans une des lettres, ces négociations ont été longues et ardues. Elles se sont étalées sur une période de six mois. CGL a accepté qu'elle avait des obligations au regard des diverses lettres échangées entre messieurs Drouin et Arvis. Ces obligations ont été calculées comme si les efforts de sauvetage n'avaient pas eu lieu. On a calculé la créance de Victoire France non sur la base des pertes engagées par Abeille Ré mais en fonction de ce à quoi l'appelante aurait eu droit s'il n'y avait eu l'action coûteuse d'Abeille Ré.

[73]     L'avocat de l'intimée a fait beaucoup de cas du rapport des comptables présenté aux actionnaires (paragraphes 43 et 62 de ces motifs) qui ne mentionne que le montant de l'insuffisance en septembre 1990 sans faire état des traités de sauvetage. C'est cette image qui a été présentée aux actionnaires. La présentation de cette image ne peut à elle seule lier l'appelante. Il faut faire la part des choses et prendre en compte la réalité des faits : la situation économique de l'entreprise, les pourparlers entre les deux groupes principaux et les actions prises pour régler les graves problèmes, et accepter les ententes, si ces ententes sont raisonnablement fondées.

[74]     Pourquoi avoir rédigé une clause de cession de droit, s'il n'y avait rien à céder? De la part du vendeur, soit CGL, cela lui accordait la sécurité d'un règlement final de toutes les parties en cause dans une situation juridique complexe. Il me paraît normal dans des ententes de ce genre de vouloir mettre une finalité à toutes sources possibles de litiges.

[75]     L'avocat de l'intimée propose qu'il ne soit pas nécessaire qu'il y ait appauvrissement et enrichissement corrélatif dans le cas d'un avantage en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Il donne comme exemple l'usage d'un bien de la société comme une maison ou un bateau, mis à l'usage d'un actionnaire.

[76]     Il faudrait voir sur quelle base se calcule l'avantage dans ces cas. Je ne veux pas faire une analyse de toutes les situations d'avantage en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi, mais il me paraît certain que dans le cas d'un avantage cotisé en fonction de la cession d'une créance, cette créance doit avoir existé dans le bilan de la société cédante. Il faut faire la preuve d'une créance valide.

[77]     Or, la preuve a révélé que selon les états financiers de la Laurentienne Générale, grâce à l'action d'Abeille Ré, il n'y a jamais eu matière à réclamation relativement à l'insuffisance de l'avoir des actionnaires et des réserves. Ce qui donne comme résultat, qu'il n'y a jamais eu de créance appartenant à l'appelante à l'encontre de CGL.

[78]     Le mode de calcul d'une créance est une chose. Le droit à la créance en est une autre. Ce qui s'était réellement passé empêchait la création d'une créance valide en faveur de l'appelante à l'encontre du vendeur, CGL.

[79]     En conséquence, je conclus qu'il n'y a pas eu d'avantage conféré à un actionnaire de l'appelante lors de l'entente du 8 octobre 1993. L'appel est accordé avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de janvier 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI14

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2003-3021(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               AXA CANADA INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  les 26, 27 et 28 septembre 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                    le 11 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Dominic C. Belley

Avocats de l'intimée :

Me Richard Gobeil

Me Carole Benoit

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelante:

                   Nom :                              Me Wilfrid Lefebvre

                   Étude :                             Ogilvy Renault

                                                          Montréal (Québec)

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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