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Dossier : 2001-2285(IT)G

ENTRE :

LENCY TURNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 29 mai 2003 à Chicoutimi (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Éric Le Bel

Avocat de l'intimée :

Me Martin Gentile

____________________________________________________________________

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 sont rejetés, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'octobre 2003.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2003CCI631

Date : 20031016

Dossier : 2001-2285(IT)G

ENTRE :

LENCY TURNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Le ministre du Revenu national (le « ministre » ), par des avis de nouvelle cotisation en date du 20 mars 2001 relatifs aux années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 de l'appelante, lesquels avis ont été ratifiés le 24 mai 2001, a ajouté aux revenus de l'appelante des sommes à titre de revenus d'entreprise non déclarés et des sommes à titre de revenus d'intérêts non déclarés pour chacune de ces années, comme il est indiqué ci-après :

1994

Revenus d'entreprise non déclarés

33 000 $

1995

Revenus d'entreprise non déclarés

Intérêts non déclarés

5 000 $

2 492 $

1996

Revenus d'entreprise non déclarés

Intérêts non déclarés

4 000 $

3 058 $

1997

Revenus d'entreprise non déclarés

Intérêts non déclarés

3 085 $

2 300 $

[2]      Le ministre a également imposé des pénalités pour les années d'imposition en litige en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). L'appelante interjette donc appel des nouvelles cotisations.

[3]      Ces nouvelles cotisations ont été établies à la suite d'une enquête dirigée par M. Roland Pelletier de la section des enquêtes spéciales de l'Agence des douanes et du revenu du Canada. À l'automne de 1998, ce dernier s'est vu remettre deux dossiers dans lesquels un remboursement considérable avait été accordé au niveau fédéral alors qu'on n'en avait pas fait autant au niveau de la province de Québec. Son enquête lui a permis de constater que les remboursements en question n'étaient pas justifiés, qu'ils avaient été inscrits à l'écran à l'interne et qu'il s'agissait sûrement d'une fraude interne commise au Centre fiscal de Jonquière. Son enquête a également révélé quatre autres dossiers semblables. Selon l'enquêteur, les noms qui revenaient souvent étaient ceux de Réjean Simard, de Mario Boucher, qui est le conjoint de l'appelante, et de l'appelante elle-même.

[4]      Cette dernière et son conjoint, Mario Boucher, étaient alors des employés du Centre fiscal de Jonquière. L'appelante y travailllait à titre d'agente de bureau et son conjoint était affecté aux remboursements.

[5]      Des mandats de perquisition ont donc été exécutés chez ces trois personnes et, par la suite, 42 contribuables au total ont été questionnés sur ces remboursements frauduleux. L'enquête a révélé que les contribuables étaient sollicités par Réjean Simard ou Mario Boucher et que une fois le remboursement reçu par le contribuable, ce dernier le partageait également entre Simard, Boucher et lui-même. Sur les 42, 15 ont déclaré n'avoir rien remis à Simard et Boucher, seize autres ont remis de l'argent comptant à Mario Boucher et le reste ont fait des transferts bancaires ou des chèques en faveur de Simard ou de Boucher ou ont remis de l'argent comptant à l'un d'eux. Dans un seul dossier, soit celui de Luc Gauthier, le contribuable avait fait deux chèques dont un était payable au conjoint de l'appelante et l'autre à l'appelante. Les deux avaient été remis au conjoint de l'appelante.

[6]      À la suite de l'enquête, des accusations ont été déposées contre Réjean Simard et Mario Boucher et les deux ont plaidé coupable relativement à ces accusations. Aucune accusation n'a été déposée contre l'appelante.

[7]      L'enquête a permis à l'enquêteur, Roland Pelletier, d'apprendre que dans les années d'imposition en litige, l'appelante avait déposé chez Lévesque Beaubien Geoffrion, à l'époque Lévesque Beaubien, et maintenant la Financière Banque Nationale Inc., les sommes d'argent comptant suivantes aux dates suivantes :

Le 28 octobre 1994

31 000 $

Le 30 décembre 1994

2 000 $

Le 12 décembre 1995

5 000 $

Le 16 décembre 1996

3 000 $

Le 1er décembre 1997

3 085 $

[8]      Ces mêmes placements ont généré des revenus d'intérêt qui sont les montants faisant l'objet des cotisations pour 1995, 1996 et 1997. Lesdits montants correspondent donc à ceux des nouvelles cotisations en litige. Le témoin Pelletier avait des bonnes raisons de croire, et il a allegué, que l'appelante avait reçu les fonds en question à la suite des remboursements frauduleux effectués par son conjoint et Réjean Simard et qu'elle avait dû recevoir des fonds, puisque Luc Gauthier lui avait déclaré avoir fait un chèque au nom de l'appelante.

[9]      Parmi les contribuables qu'il a questionnés lors de son enquête et qui auraient reçu des remboursements, monsieur Pelletier a appris que certains, dont le père et le frère de l'appelante, n'auraient rien remis à celle-ci malgré qu'ils aient retiré les deux tiers de leur remboursement de leur compte de banque. Deux autres contribuables visés par l'enquête qui ont payé les deux tiers du remboursement reçu ont déclaré à monsieur Pelletier ne connaître que l'appelante et encore deux autres étaient des amis de l'appelante. N'ayant pu trouver, au cours de l'enquête, la provenance des fonds ayant servi aux dépôts d'argent comptant faits par l'appelante chez Lévesque Beaubien, il en a déduit qu'elle avait donc participé à la fraude. Non seulement l'appelante a fait l'objet d'une cotisation, mais elle a été congédiée et la question de ce congédiement est toujours devant les tribunaux administratifs.

[10]     En contre-interrogatoire, le témoin Pelletier a précisé davantage le cas de Luc Gauthier en affirmant que c'était à la demande de Mario Boucher que ce dernier avait fait un chèque à l'ordre de l'appelante et que le chèque a été remis à Mario Boucher. Il a reconnu ne pas savoir qui avait endossé le chèque fait payable à l'appelante. Il s'agit d'un chèque de 3 685 $ et il ne fait pas partie de l'argent visé par les cotisations dans les appels en 'espèce. Monsieur Pelletier a réaffirmé qu'il soupçonnait les fonds servant au dépôt chez Lévesque Beaubien provenaient de la participation de l'appelante aux remboursements frauduleux.

[11]     L'intimée a fait témoigner Luc Gauthier. Ce dernier a raconté avoir été sondé en 1994 par son copain Mario Boucher, qui lui a parlé d'un stratagème de remboursement d'impôt en disant qu'il suffisait de lui donner son numéro d'assurance sociale. Il a témoigné que, selon l'entente avec Mario Boucher, il séparait le remboursement en trois parts égales, soit un tiers pour Mario, un tiers pour le prétendu supérieur de ce dernier et un tiers pour lui. Après avoir reçu le remboursement, il voulait payer par chèque mais Mario Boucher insistait que cela se fasse en argent comptant. Il a finalement fait deux chèques; un à l'ordre de Mario Boucher et l'autre à l'ordre de l'appelante. Selon le témoin, ces chèques ont été encaissés. Il a déclaré toutefois n'avoir jamais discuté de cette affaire avec l'appelante et ne sait pas qui a encaissé le chèque payable à celle-ci.

[12]     L'appelante, de son côté, a témoigne que les fonds qui ont servi au dépôt chez Lévesque Beaubien appartenaient à sa mère et qu'elle détenait les placements en son propre nom pour son propre bénéfice et pour le bénéfice de ses frères et sa soeur, avec qui elle devait partager cet argent au décès de sa mère. Elle a déclaré qu'il s'agissait en partie d'argent que sa mère a reçu entre 1977 et 1980 à la suite d'une blessure subie dans un accident d'automobile et que le reste consistait en des économies faites par sa mère durant sa vie. Elle a affirmé que sa mère dépense très peu.

[13]     En 1994, l'appelante et sa mère ont convenu que l'appelante allait gérer ses biens. Étant donné que sa mère gardait chez elle une certaine somme d'argent, elles se sont entendues sur le placement susmentionné chez Lévesque Beaubien. Elles se sont donc rendues ensemble chez Lévesque Beaubien et y ont rencontré Stéphane Labbé. Le placement a été fait au nom de l'appelante parce que sa mère ne voulait plus gérer ses affaires mais l'appelante devait partager l'argent avec ses frères et sa soeur après le décès de sa mère. Le premier dépôt, d'un montant de 31 000 $ a été effectué le 28 octobre 1994, et le deuxième, de 2 000 $ a été fait le 30 décembre 1994. Les deux dépôts ont été faits en argent comptant.

[14]     Quelques jours plus tard, soit le 6 janvier 1995, la mère de l'appelante, madame Marie Bouchard, signait devant notaire une procuration en faveur de l'appelante, de même qu'un mandat d'inaptitude, toujours en faveur de l'appelante. Le 21 avril 1987, l'appelante s'était engagée à partager en parts égales avec ses frères et sa soeur le produit d'une assurance de 5 000 $ sur la vie de sa mère. Un document a été produit pour établir ce fait.

[15]     L'appelante a témoigné qu'elle déclarait dans ses déclarations de revenus les intérêts provenant du placement. Elle préparait deux déclarations de revenus, soit l'une comprenant les intérêts et l'autre sans les intérêts, et la différence entre les deux lui donnait le montant exact d'impôt qu'elle payait à cause des intérêts et ce montant lui était remboursé par sa mère. Elle a témoigné avoir fait cela en 1998 et peut-être quelque chose de semblable en 1994. L'appelante a reconnu ne pas avoir déclaré les intérêts sur le placement pour les années 1995, 1996 et 1997, mais a prétendu que la raison en était qu'elle n'avait pas reçu de T5 de Lévesque Beaubien. Elle a affirmé, cependant, que les intérêts perçus par sa mère ont toujours été déclarés depuis 1989.

[16]     Selon la pièce I-1, une somme de 14 000 $ a été retiré par l'appelante de chez Lévesque Beaubien en mai 1997 par l'appelante. L'appelante a témoigné que sa mère a acheté une maison pour son frère et que le retrait a servi à payer cet achat. Un contrat d'achat au nom de la mère de l'appelante a été produit indiquant que cette dernière a acheté le 13 mai 1997 une maison mobile au prix de 15 865 $.

[17]     Le 14 septembre 1999, l'appelante a été suspendue par son employeur parce qu'on la soupçonnait d'être impliquée dans un stratagème frauduleux. Elle a donc retiré l'argent de chez Lévesque Beaubien et l'a remis à sa mère. Elle n'a pas vidé ses autres comptes en banque. Sa mère est maintenant âgée de 73 ans et serait, selon l'appelante, très atteinte par la maladie.

[18]     En contre-interrogatoire, l'appelante a reconnu que sa mère était divorcée depuis 1973 et qu'elle a été prestataire de l'aide sociale, n'ayant pas travaillé, jusqu'à ce qu'elle reçoive sa pension de vieillesse. L'appelante a affirmé que sa mère gardait son argent dans un bas de laine, mais n'a pu expliquer pourquoi elle le faisait. Questionnée sur la somme d'argent que sa mère aurait reçue à la suite d'un accident d'automobile, l'appelante a soutenu qu'il s'agissait d'une somme d'entre 15 000 $ et 20 000 $ et que c'est là que sa mère a commencé à ramasser des sous. Or, un jugement de la Cour provinciale du Québec en date du 21 octobre 1977 octroyait à sa mère une somme de 1 035,15 $ à titre de compensation pour les dommages causés à l'automobile de cette dernière.

[19]     En ce qui concerne la question des contribuables qui, lors de l'enquête, avaient dit connaître l'appelante, cette dernière a reconnu les connaître depuis longtemps. Elle a ajouté que ces gens-là étaient ses amis et qu'elle les avait présenté à son conjoint, Mario Boucher. L'appelante a reconnu avoir le code d'accès au système de Revenu Canada mais a dit qu'elle n'était allée que dans le dossier de son père. Elle a ajouté qu'à l'époque où elle l'avait fait, il y avait plus d'indulgence et son acte n'était pas nécessairement grave. L'appelante a affirmé ne s'être pas vu infliger de sanction par son employeur pour avoir fait cela.

[20]     En contre-preuve, l'appelante a dit n'avoir jamais encaissé de chèque provenant de Luc Gauthier et a indiqué qu'elle n'était pas au courant des dossiers de son conjoint. Elle a nié avoir touché des commissions à la suite des remboursements frauduleux et s'y être impliquée à cause de son conjoint. Aucune accusation n'a été déposée contre elle.

[21]     Il s'agit donc de déterminer si le ministre était justifié en ajoutant aux revenus de l'appelante pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 respectivement les montants de 33 000 $, de 5 000 $, de 4 000 $ et de 3 085 $, en y ajoutant pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 respectivement des intérêts de 2 492 $, de 3 058 $ et de 2 300 $ et en imposant une pénalité pour chacune des années d'imposition en litige.

[22]     Il incombe à l'appelante d'établir selon la prépondérance des probabilités que le ministre n'était pas justifié en ajoutant à ses revenus les sommes de 33 000 $, de 5 000 $, de 4 000 $ et de 3 085 $ pour les années 1994 à 1997 respectivement et des intérêts non déclarés de 2 645 $, de 2 972 $ et de 2 498 $ pour les années 1995, 1996 et 1997 respectivement. L'appelante, dans sa version des faits, a témoigné que cet argent appartenait à sa mère et que les intérêts lui sont également imputables même si les placements étaient faits au nom de l'appelante. Selon l'appelante, il ne s'agit donc pas d'argent provenant d'une fraude fiscale quelconque, puisqu'elle n'était pas impliquée dans la fraude.

[23]     L'intimée n'a pas à justifier les cotisations portées en appel devant la Cour, même si l'appelante soutient que les fonds déposés à la Financière Banque Nationale ne provenaient pas de la fraude perpétrée par son conjoint. L'appelante doit présenter une preuve suffisante pour établir que l'argent déposé n'est pas un revenu imposable.

[24]     L'appelante a témoigné que la majeure partie de l'argent constituant le premier dépôt, celui de 31 000 $ fait le 28 octobre 1994, chez Lévesque Beaubien Geoffrion provenait d'un règlement d'environ 15 000 $ ou 20 000 $ fait en faveur de sa mère entre 1977 et 1980 à la suite d'un accident d'automobile. Le seul document pouvant confirmer l'implication de sa mère dans un accident d'automobile est la copie du jugement de la Cour provinciale du Québec accordant à la mère de l'appelante des dommages-intérêts de 1 035,15 $ par suite d'une collision d'automobiles survenue le 19 août 1977. Ces dommages-intérêts étaient pour les réparations faites à son automobile. Aucune preuve documentaire concernant l'indemnisation des dommages corporels n'a été présentée.

[25]     L'argent aurait été gardé par la mère de l'appelante chez elle pendant toutes ces années et, finalement aurait servi, avec d'autre argent, à faire le dépôt en question. Les dépôts subséquents, selon l'appelante, représentaient des économies additionnelles faites par sa mère dans le courant de l'année. La preuve a révélé que la mère de l'appelante était prestataire d'aide sociale depuis un bon nombre d'années.

[26]     L'appelante nous dit également être chargée de l'administration des affaires de sa mère. Elle a produit à ce sujet un document en date du 21 avril 1987 indiquant qu'elle conservait une police d'assurance sur sa la vie de sa mère pour le bénéfice de ses frères et sa soeur. Pourtant, le document dit que c'est l'appelante qui a pris l'assurance-vie et non sa mère. Il me semble qu'il aurait été plus facile de nommer tous les enfants bénéficiaires sur la police que de le faire par le truchement du document en question.

[27]     L'appelante a produit également un deuxième document, une procuration en date du 6 janvier 1995, afin de confirmer son implication dans l'administration des affaires de sa mère. Ce document a été signé après le dépôt initial de 31 000 $ effectué le 28 octobre 1994. Néanmoins, la procuration en question ne me permet pas de conclure qu'elle enlevait au mandant le pouvoir de continuer à gérer ses propres affaires. D'autant plus que, le 13 mai 1997, soit plusieurs mois après la signature de la procuration, la mère de l'appelante a acheté par contrat en son propre nom une maison mobile pour plus de 15 000 $. Il me semble donc très évident, vu ce contrat, que la mère de l'appelante avait en mai 1997 la capacité de contracter et celle d'administrer ses affaires. Même si on tente de démontrer par ce contrat que l'argent en cause appartenait à la mère de l'appelante et que le retrait fait à la même époque le prouve, il faut s'interroger sur la raison pour laquelle la mère de l'appelante devait déposer son argent au nom de sa fille. Elle me semble être en pleine possession de ses capacités et apte à administrer ses propres affaires.

[28]     J'aurais peut-être compris que la mère de l'appelante n'ait pas voulu que cet argent lui soit attribué, car elle recevait des prestations d'aide sociale. Cela aurait pu expliquer le dépôt de l'argent au nom de l'appelante, mais cette preuve-là n'a pas été présentée à l'audience. Comment expliquer qu'une personne sur l'aide sociale puisse avoir autant d'argent et faire autant d'économies - 5 000 $ en 1995, 4 000 $ en 1996 et 3 085 $ en 1997, sans oublier les 31 000 $ en 1994, même si j'y inclus le règlement intervenu à la suite de l'accident d'automobile?

[29]     La mère de l'appelante n'a pas témoigné. Il se serait agi là, à mon avis, d'un témoin important qui aurait pu sans doute confirmer la version de l'appelante et élucider bien des questions sur les points en litige. Même si son état de santé semble avoir été la raison de son absence, il m'est difficile de la justifier. Les conséquences de l'omission de faire comparaître un témoin sont bien connues. Depuis l'arrêt Lévesque et al. c. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010, et même avant, pareille omission de produire une preuve qu'une partie était en mesure de produire et qui aurait pu élucider les faits force la Cour à en déduire que cette preuve aurait été défavorable à cette partie.

[30]     À mon avis, en l'espèce, le témoignage de la mère de l'appelante aurait sans aucun doute élucidé les faits en fournissant des précisions sur la source des fonds, sa façon d'économiser (afin de justifier le montant des dépôts), sur les retraits, sur l'achat de la maison mobile et sur le rôle de l'appelante dans l'administration des biens de sa mère.

[31]     L'absence d'une telle preuve ainsi que l'invraisemblance des faits relatés par l'appelante me convainquent que la preuve produite est nettement insuffisante pour me permettre de conclure que l'appelante s'est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

Pénalités

[32]     L'intimée a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Je vais donc me référer à Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (Q.L.), où le juge Strayer analyse la faute lourde dans les termes suivants :

[...] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable.    Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. [...]

[33]     L'ancien juge en chef Couture de cette Cour affirmait dans l'affaire Morin c. M.R.N., 88 DTC 1592, aux pages 1593 et 1594 :

Pour échapper aux pénalités prévues aux dispositions du paragraphe 163(2) de la Loi il est nécessaire, à mon avis, que l'attitude et le comportement général du contribuable soient tels qu'aucun doute quant à sa bonne foi et sa crédibilité ne puissent [sic] être sérieusement entretenus [sic] et cela pendant toute la période couverte par la cotisation ...

[34]     J'ai déjà conclu que les explications avancées par l'appelante étaient invraisemblables. L'admission par cette dernière, sans explication plausible, qu'elle n'a pas déclaré les intérêts dans ses revenus pour trois années de suite doit aussi être considérée dans l'examen de cette question. Le fait qu'elle ait été à l'époque employée de Revenu Canada aurait dû suffire pour aiguiser d'avantage son sens de l'obligation qu'elle avait de respecter les lois. Toute cette affaire révèle une attitude qui traduit une certaine indifférence relativement à ses obligations fiscales. Comme elle a été incapable de démontrer la provenance des fonds utilisés pour les placements, il faut en conclure que l'appelante n'a pas déclaré tous ses revenus.

[35]     En l'espèce, je suis convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, l'intimée était justifiée en imposant des pénalités pour les années en litige.

Années prescrites

[36]     Tout comme dans le cas des pénalités, il incombe à l'intimée de faire la preuve justifiant les cotisations pour les années prescrites. L'intimée doit convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelante a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou u'elle a commis quelque fraude en produisant sa déclaration ou en fournissant quelque renseignement, selon les termes du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[37]     Dans un autre extrait tiré de l'arrêt Venne, cité plus haut, le juge Strayer décrit ce fardeau de la preuve de la façon suivante par:

Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4) a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée.    Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable.    C'est sûrement là le sens des termes "présentation erronée des faits, par négligence", en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. Sauf si ces termes étaient superflus dans cet article, hypothèse que je ne puis accepter, le terme "négligence" impose un critère moins strict de faute, semblable à celui qui est utilisé dans les autres domaines du droit, comme la responsabilité délictuelle.

[38]     J'ai déjà traité de la preuve et de la conduite de l'appelante. Comme j'ai conclu que les explications de celle-ci étaient invraisemblables, la provenance des fonds demeure inexpliquée. J'en conclus qu'il y a donc eu présentation erronée des faits quant au revenu de l'appelante durant les années prescrites, ce qui justifient les cotisations établies pour ces années.

[39]     Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'octobre 2003.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :

2003CCI631

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2285(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Lency Turner et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 29 mai 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

le 15 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :

Me Éric LeBel

Pour l'intimé(e) :

Me Martin Gentile

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant(e) :

Nom :

Me Éric Le Bel

Étude :

Fradette, Gagnon, Têtu, Le Bel, Potvin

Saguenay (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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