Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : 2006CCI35

Date : 20060119

Dossier : 2001-2007(IT)G

ENTRE :

HENRY MARK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] ________________________________________________________________

Pour l'appelant : l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée : Me Carol Calabrese

________________________________________________________________

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario), le 5 février 2004.)

Le juge McArthur

[1]      L'appelant interjette appel de cotisations par lesquelles le ministre du Revenu national a augmenté son revenu d'entreprise de 120 000 $ et de 5 000 $ pour les années d'imposition 1993 et 1994 respectivement, ainsi que du refus d'autoriser la déduction de dépenses s'élevant à environ 50 000 $ en 1993. De plus, le ministre a imposé pour 1993 une pénalité fédérale d'un montant de 23 297 $, conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      L'appelant, qui venait de la Chine, a émigré au Canada en 1969 lorsqu'il avait 20 ans. Il a travaillé dans des restaurants jusqu'en 1991 ou 1992; il a ensuite ouvert un commerce de revente de produits à base d'herbes au 793, rue Dundas Ouest, à Toronto. En plus de ce commerce, l'appelant a reçu un montant de 60 000 $ de Manny Fashion Contractors Inc., au moyen d'un chèque daté du 21 janvier 1993, et un autre montant de 60 000 $ de Ling May Fashion, au moyen d'un chèque daté du 28 décembre 1993. Je désignerai ces sociétés sous le nom de « Fashion » . Ces montants sont décrits comme étant des paiements de redevances pour des contrats de couture conclus avec Alfred Sung Clothing que l'appelant a obtenus pour les deux sociétés Fashion. Les deux montants, s'élevant à 120 000 $ en tout, ont été ajoutés au revenu d'entreprise de 1993 de l'appelant.

[3]      Je retiens le témoignage de l'appelant selon lequel il avait travaillé très fort afin de gagner ces montants et que les 60 000 $ qui lui ont été versés au mois de janvier 1993 se rapportaient à des services fournis en 1992. L'appelant a témoigné avoir déclaré ce montant dans sa déclaration de revenus de 1992, en l'amalgamant au revenu tiré de l'entreprise de vente d'herbes.

[4]      L'appelant agissait pour son propre compte dans le présent appel. Les services d'un interprète cantonais-anglais ont été fournis par la Cour pour assurer l'interprétation à l'intention de l'appelant, même si celui-ci a parfois réussi à bien s'exprimer en anglais.

[5]      Il ne m'est pas difficile de retenir son témoignage selon lequel le paiement du 21 janvier 1993 se rapportait à des services fournis en 1992. L'avocate de l'intimée a également reconnu que les premiers 60 000 $, en 1993, se rapportaient à des services fournis en 1992 et que ce montant n'était pas à inclure dans le revenu de 1993 de l'appelant. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si le montant a été inclus dans le revenu de 1992 de l'appelant, comme cela avait été le cas pour un montant de 25 000 $ reçu de Fashion, qui avait été inclus dans son revenu de 1991. Je n'ai pas été saisi de cette question.

[6]      Selon une entente conclue oralement par l'appelant et Fashion, l'appelant devait recevoir de l'argent en fonction des ventes conclues par Fashion à l'égard du contrat passé avec Alfred Sung. De toute évidence, ce calcul n'aurait pas pu être effectué pour les ventes conclues au cours des trois premières semaines du mois de janvier 1993. Il est plus raisonnable et évident de conclure que le montant en cause se rapportait à l'exercice 1992. Il s'agissait d'un revenu d'entreprise gagné en 1992 et, selon la méthode de la comptabilité d'exercice, ce montant était à inclure dans le revenu d'entreprise de l'année 1992. L'appelant déclare qu'en fait, il a été inclus dans son revenu de 1992. L'année d'imposition 1992 n'est pas ici en cause et je ne suis pas en mesure de traiter de ce sujet.

[7]      Quant à l'année d'imposition 1993, il s'agit de savoir si le chèque de Fashion du 28 décembre 1993 devrait être ajouté au revenu d'entreprise de 1993 de l'appelant et si la perte qui a été subie à l'égard des stocks de produits à base d'herbes de l'appelant s'élevait à 65 000 $, comme l'a déclaré l'appelant, ou à 15 150 $, comme l'a déclaré le ministre, ou encore à un montant se situant entre les deux.

[8]      Stefan Miskovsky, enquêteur à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a témoigné pour le compte du ministre. Pour les motifs ci-dessous énoncés, je retiens son témoignage et je conclus que l'appelant a omis de son revenu un montant de 60 000 $ en 1993 et que la perte d'entreprise que l'appelant a subie cette année-là à l'égard des stocks s'élevait à 15 150 $ comme l'a admis le ministre, et non au montant de 65 000 $ qui avait été déduit.

[9]      Les actes de procédure de l'appelant ont été préparés pour le compte de celui-ci par une amie qui a assisté à l'audience tenue par la Cour et qui parlait couramment l'anglais et le cantonais. Cette amie a été invitée à témoigner, mais elle ne l'a pas fait; pourtant, elle a donné des conseils à l'appelant de loin. L'appelant a eu le loisir de faire connaître sa position sans interruption procédurale.

[10]     L'appelant a parfois témoigné d'une façon embrouillée, mais il a dans l'ensemble présenté ses arguments d'une façon cohérente. Il a fermement maintenu que les 60 000 $, au mois de décembre 1993, avaient été inclus dans le revenu de l'entreprise de vente d'herbes dans sa déclaration de 1993. Dans cette déclaration, il déclarait être herboriste et le chiffre d'affaires brut indiqué était de 72 541 $. L'appelant maintient que, sur ce montant, un montant de 60 000 $ provenait de Fashion et qu'un montant de 12 500 $ environ provenait de la vente d'herbes.

[11]     Les chiffres suivants sont tirés de la déclaration de 1993 de l'appelant et plus précisément de l'état des résultats produit sous la cote R-1, onglet 2. Le chiffre d'affaires brut qui a été déclaré était de 72 541 $. Je déduis de ce montant les 60 000 $ provenant de Fashion, de sorte qu'il reste 12 500 $ pour la vente de produits à base d'herbes, qui ont coûté 73 700 $ à l'appelant, selon la déclaration. Pour accepter la position de l'appelant, il me faudrait conclure qu'il a vendu ses produits à base d'herbes d'une valeur de 73 700 $ pour la somme de 12 500 $. Comme M. Miskovsky l'a dit, c'est « incroyable » , et je suis d'accord. L'appelant n'a fourni aucune explication, sauf pour dire que l'entreprise faisait de mauvaises affaires, en partie parce qu'elle était située dans un quartier portugais plutôt que dans le quartier chinois, et qu'il dirigeait seul deux entreprises. L'appelant n'a pas laissé entendre qu'il vendait ses produits à perte.

[12]     Dans la déclaration de 1993, il n'était pas fait mention des 60 000 $ provenant de Fashion. Je conclus que l'appelant n'a pas déclaré, dans son revenu de 1993, ce montant qu'il avait reçu de Ling May Fashion au moyen d'un chèque daté du 28 décembre 1993.

[13]     J'examinerai maintenant les dépenses associées à la perte de stocks en 1993. L'appelant a déduit un montant de 65 000 $. Le ministre a admis un montant de 15 150 $, soit le montant que l'appelant avait indiqué pour le rapport de police préparé immédiatement après l'introduction par effraction. En effet, le 30 octobre 1993, il y avait eu introduction par effraction dans le commerce d'herbes de l'appelant. Certaines marchandises et des articles personnels avaient été volés. Le rapport de police qui avait été rédigé le jour où l'effraction avait été commise était fondé sur les renseignements fournis par l'appelant et indiquait un montant de 15 150 $ pour la perte de stocks.

[14]     L'appelant n'a pas fourni de documents ou de relevés bancaires et ainsi de suite pour justifier le montant de 65 000 $ qui avait subséquemment été déduit. Il n'a pas pu fournir de factures pour justifier la perte de stocks. Il a déclaré que sa déclaration de 1993 avait été préparée par un ami, M. Yung (orthographe phonétique), qui habite maintenant à Hong Kong. Les factures qui ont été fournies à l'appui du montant de 65 000 $ se rapportaient dans l'ensemble à l'année 1992, sauf pour une facture datée du 9 octobre 1993 s'élevant à 15 470 $ américains. La valeur des articles invendus achetés en 1992 s'élevait à 8 000 $, comme le montre le stock de clôture au 31 décembre 1992. Les factures, encore une fois, ne justifient pas un montant de 65 000 $. Je retiens la position du ministre selon laquelle le montant le plus raisonnable est celui qui figure dans le rapport de police, soit 15 150 $.

[15]     Quant au montant de 5 000 $ se rapportant à l'année d'imposition 1994, l'appelant souscrit à l'hypothèse de fait énoncée dans la réponse du ministre à l'avis d'appel, à savoir que l'appelant avait souscrit une police d'assurance auprès de Dominion of Canada, Compagnie d'Assurance Générale. Cette police comprenait un avenant pour les crimes, avec un plafond de 5 000 $ pour les stocks volés, et l'appelant a de fait reçu un montant de 5 000 $ de la société d'assurance. L'appelant n'a pas réussi à réfuter l'hypothèse du ministre selon laquelle il n'avait pas inclus le produit de l'assurance dans son revenu de 1994 et je retiens donc la position du ministre selon laquelle, en fait, ce montant n'avait pas été inclus.

[16]     Quant à la question des pénalités, le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu est rédigé comme suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à son règlement, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse [...] rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition [...] ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité [...]

Le ministre s'est appuyé sur la décision de M. Miskovsky. Dans le rapport qui a été produit sous la cote R-1, onglet 12, M. Miskovsky a conclu que l'appelant répondait aux critères prévus au paragraphe 163(2) et qu'il était passible d'une pénalité. La façon dont l'appelant a déclaré son revenu de 1993 était loin d'être exacte. L'appelant n'avait apparemment pas conservé de dossiers pouvant l'aider. Il blâme son spécialiste en déclarations pour les inexactitudes et, dans son avis d'appel, il déclare ce qui suit :

[traduction]

Étant donné que je faisais face à de gros déficits, je n'avais pas les moyens d'embaucher un représentant pour préparer mes déclarations pour mon compte. Malheureusement, cela a été une autre erreur. Étant donné que je ne peux pas lire ni écrire l'anglais, j'ai demandé, de 1992 à 1994, à un ami qui étudiait alors la comptabilité et à un membre de ma famille de préparer la déclaration à ma place. Toutefois, je sais maintenant que l'aide qu'ils m'ont apportée était loin d'être « professionnelle » . Depuis lors, diverses erreurs ont été décelées dans la déclaration. L'appendice C renferme une comparaison entre les déclarations qui ont été produites et les montants qui auraient dû être indiqués. Veuillez noter que certaines dépenses n'ont pas été déduites, par exemple les impôts fonciers, les frais d'avocat et ainsi de suite.

L'appelant n'a présenté aucune preuve à l'appui de ce qui précède, si ce n'est pour dire que M. Yung, qui avait préparé ses déclarations, n'était plus au Canada. Ses compétences, lorsqu'il s'agit de lire l'anglais, sont certes restreintes.

[17]     L'avocate de l'intimée a mentionné la décision Venne c. Canada, no T-815-82, 9 avril 1984, [1984] A.C.F. no 314, de la Section de première instance de la Cour fédérale et les remarques suivantes que le juge Strayer a faites :

[...] Qui plus est, il est difficile de croire qu'il surveillait consciemment et effectivement ses teneurs de livres puisque bon nombre des erreurs commises dans ses déclarations étaient en fait en sa défaveur, bien que la plupart d'entre elles aient été à son avantage. Je ne puis donc conclure que les faux énoncés dans les déclarations aient été faits sciemment par le demandeur.

Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. Je ne conclus pas à l'existence d'un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n'a pas fait preuve de la prudence d'un homme raisonnable et [...] il aurait au moins dû réviser ses déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n'allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

[18]     Je trouve la décision susmentionnée utile en l'espèce et elle s'applique également aux faits de la présente affaire. Dans ce cas-ci, nous avons un contribuable dont l'entreprise de vente d'herbes était en difficulté. Le contribuable a été victime d'une grave introduction par effraction et de nombreux produits ont été volés; il n'avait pas la capacité nécessaire de communiquer en anglais pour se défendre en exprimant parfaitement ses pensées et sa position. Il s'en est remis à un ami pour préparer ses déclarations.

[19]     Il s'agit d'un cas limite, mais je conclus que le ministre n'a pas réussi à s'acquitter de l'obligation qui lui incombait d'établir une faute lourde et il n'a pas réussi à me convaincre que l'appelant avait intentionnellement omis de déclarer 60 000 $ en 1993. Cela n'est pas incompatible avec la conclusion antérieure selon laquelle l'appelant n'avait pas déclaré les 60 000 $, parce que sa capacité de comprendre ses déclarations de revenus était restreinte ou limitée et qu'il s'en était remis à d'autres pour préparer les déclarations à sa place. Je lui laisse le bénéfice du doute.

[20]     L'appel est admis et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant a omis de son revenu d'entreprise 60 000 $ en 1993 et 5 000 $ en 1994. De plus, l'appelant n'a pas le droit de déduire des dépenses pour la perte de stocks en sus des 15 150 $ que le ministre a admis pour l'introduction par effraction qui avait été commise dans le magasin au cours de l'année d'imposition 1993. En outre, aucune pénalité ne doit être imposée pour l'année d'imposition 1993.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 2006.

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2007.

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :

2006CCI35

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2007(IT)G

INTITULÉ :

Henry Mark c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 février 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge C.H. McArthur

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 février 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Carol Calabrese

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.