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Dossier : 2004-4668(EI)

ENTRE :

AUTO ROY DÉBOSSELAGE INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GRACIA ROY,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Gracia Roy (2004-4669(EI)), le 12 octobre 2005,

à Rivière-du-Loup (Québec).

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

Avocat de l'intimé :

Avocat de l'intervenante :

Me Jean Lavigne

Me Jérôme Carrier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels pour les périodes du 28 juin au 24 septembre 1999 et du 6 avril au 22 septembre 2000 sont accueillis et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

          Les appels pour les périodes du 15 janvier au 26 octobre 2001, du 17 décembre 2001 au 20 septembre 2002 et du 16 juin au 3 octobre 2003 sont rejetés et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), ce 2e jour de décembre 2005.

« François Angers »

Juge Angers


Dossier : 2004-4669(EI)

ENTRE :

GRACIA ROY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

AUTO ROY DÉBOSSELAGE INC.,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Auto Roy Débosselage inc. (2004-4668(EI)), le 12 octobre 2005,

à Rivière-du-Loup (Québec).

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

Avocat de l'intimé :

Avocat de l'intervenante :

Me Jean Lavigne

Me Jérôme Carrier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels pour les périodes du 28 juin au 24 septembre 1999 et du 6 avril au 22 septembre 2000 sont accueillis et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

          Les appels pour les périodes du 15 janvier au 26 octobre 2001, du 17 décembre 2001 au 20 septembre 2002 et du 16 juin au 3 octobre 2003 sont rejetés et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), ce 2e jour de décembre 2005.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2005CCI760

Date : 20051202

Dossier : 2004-4668(EI)

ENTRE :

AUTO ROY DÉBOSSELAGE INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GRACIA ROY,

intervenante.

Dossier : 2004-4669(EI)

ENTRE :

GRACIA ROY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

AUTO ROY DÉBOSSELAGE INC.,

intervenante.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Ces deux appels ont été entendus sur preuve commune. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) soutient que l'emploi de madame Gracia Roy (la travailleuse) auprès d'Auto Roy Débosselage inc. (le payeur) pour les périodes du 28 juin au 24 septembre 1999, du 6 avril au 22 septembre 2000, du 15 janvier au 26 octobre 2001, du 17 décembre 2001 au 20 septembre 2002 et du 16 juin au 3 octobre 2003 n'est pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) car le ministre a été convaincu qu'il n'était pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que la travailleuse et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[2]      Le payeur a été constitué en société le 21 mars 1986, année où un nouveau garage a été construit. Durant les périodes en litige, les détenteurs des actions avec droit de vote du payeur étaient Réjean Roy soit, le conjoint de la travailleuse, et leurs deux fils Gino et Ricko Roy. Le lien de dépendance n'est pas contesté. Le payeur exploite un garage de mécanique, de peinture et de débosselage automobile avec un service de remorquage et un poste d'essence. Il a toutefois cessé de vendre de l'essence en juin de cette année. L'entreprise du payeur était ouverte toute l'année, 7 jours par semaine. Les heures d'exploitation étaient de 8 heures à 18 heures, sauf l'été où on fermait à 21 heures. Le payeur avait un chiffre d'affaires d'environ 800 000 $ par année.

[3]      La travailleuse est au service du payeur depuis le début de son exploitation. Ses tâches consistent à servir de l'essence aux pompes, à répondre au téléphone, à commander des pièces d'automobile, à tenir la comptabilité à jour, à faire les paies des employés et à faire l'entretien du bureau et de la salle de bain. Il est à noter que la résidence de la travailleuse est attenante au garage de l'entreprise.

[4]      La travailleuse est inscrite au journal des salaires pour des semaines de 5 heures de travail ou pour des semaines complètes de travail. Elle reçoit 40 $ par semaine pour les semaines de 5 heures et 348,75 $ ou 362,70 $ pour les semaines à temps plein. La travailleuse a cessé d'occuper son emploi environ 2 mois avant l'audience en raison de son état de santé. Elle travaillait à temps plein depuis 2 ans parce que l'entreprise est devenue certifiée par la Société de l'assurance automobile du Québec pour faire des inspections mécaniques. Ce travail supplémentaire, et particulièrement la documentation nécessaire, justifiait sa présence à temps plein. Son fils effectue ce travail depuis le départ de la travailleuse en attendant que l'on embauche quelqu'un.

[5]      Selon Réjean Roy, le conjoint de la travailleuse, le travail à la pompe d'essence occupait un peu plus de la moitié de son temps; il a ajouté que c'était beaucoup plus tranquille durant les mois d'hiver. La travailleuse faisait des semaines de 45 heures de travail, 5 jours par semaine. S'il lui arrivait de travailler le samedi ou le dimanche, elle prenait une journée de congé pendant la semaine pour compenser. La travailleuse et son fils Gino s'occupaient tous les deux de commander des pièces. La travailleuse s'occupait de faire les paies et la comptabilité, mais l'entreprise retenait les services d'un comptable pour les remises de la taxe de vente du Québec (TVQ) et de la taxe sur les produits et services (TPS) et pour faire les relevés de fin d'année. Selon M. Roy, lui et la travailleuse étaient autorisés à signer les chèques du payeur.

[6]      Le taux horaire de la travailleuse, selon M. Roy, est d'environ 8 $. Son salaire brut par semaine était de 375 $, mais la travailleuse était payée à la semaine et non pas en fonction des 45 heures de travail. Ses périodes d'emploi dépendaient de la demande et de la saison touristique. Selon M. Roy, la travailleuse ne travaillait pas lorsqu'elle recevait des prestations d'assurance-emploi. Il reconnaît qu'elle venait au garage à l'heure de la pause-café et lorsqu'elle faisait des marches rendues nécessaires par son état de santé, lorsque le climat était favorable. Il lui est arrivé de faire le plein d'essence pour des clients lorsqu'elle était présente. Toujours selon M. Roy, le seul service que la travailleuse ait pu rendre sans rémunération est la préparation de la paie, qui nécessite environ une heure de travail par semaine.

[7]      En 1997, le payeur était redevable d'une dette envers les deux paliers de gouvernement pour la TPS et la TVQ. Il a réussi à négocier un règlement de l'ordre de 40 000 $. Les deux fils ont alors emprunté 10 000 $ chacun. La travailleuse aurait aussi emprunté 20 000 $, qu'elle a par la suite prêté à ses deux fils. Selon le témoignage de M. Roy et de la travailleuse, ce sont les fils qui ont remboursé cette somme à la travailleuse et non le payeur. Aucune documentation corroborant cet état de choses n'a été déposée en preuve. M. Roy reconnaît aussi que la travailleuse a effectué des avances de fonds au payeur de l'ordre de 4 000 à 5 000 $ durant les années 2001, 2002 et 2003. Cela se serait produit de 2 à 3 fois et il explique que cela était nécessaire en raison du fait que les cartes de crédit de la travailleuse, sa conjointe, permettaient de faire des retraits d'argent alors qu'avec les siennes, il ne pouvait pas le faire. Le payeur a remboursé ces avances, qui étaient nécessaires pour faire des achats et exploiter l'entreprise.

[8]      En contre-interrogatoire, M. Roy a reconnu que la travailleuse a signé des factures alors qu'elle était en chômage. Ces situations se produisaient lorsque la travailleuse était présente au garage. D'ailleurs, des centaines de factures signées ou paraphées par la travailleuse à l'extérieur de ses périodes d'emploi ont été déposées en preuve pour les années 2001, 2002 et 2003.

[9]      La travailleuse, de son côté, a raconté son cheminement dans l'entreprise du payeur depuis 1980. Elle a appris comment faire la tenue des livres et relate qu'en 1992, son emploi était assurable selon une détermination du ministre à l'époque. En 2001, elle a travaillé 5 heures par semaine de la mi-janvier à la fin juin. Elle effectuait la comptabilité de la semaine. Son fils ou son conjoint décidait quand elle reprenait le service à temps plein. Elle a travaillé à plein temps jusqu'à la fin août, puis 5 heures par semaine jusqu'à la fin octobre, puis 2 semaines à temps plein en décembre. En 2002, elle a fait deux semaines à temps plein en janvier et a travaillé à temps plein de la mi-juin à la mi-septembre. Il n'y a aucune semaine de 5 heures de travail en 2002. Les livres de paie de 2003, de 1999 et de 2000 n'ont pas été déposés en preuve.

[10]     La travailleuse reconnaît qu'elle a rendu des services au payeur durant des périodes où elle recevait des prestations d'assurance-emploi. Elle croyait à l'époque qu'elle était la seule qui pouvait signer les chèques du payeur. Elle préparait aussi les chèques du payeur. Cet exercice n'exigeait pas plus d'une heure de son temps par semaine. Elle faisait ce travail, tout comme la signature des factures, sous prétexte que son conjoint et son fils ont toujours les mains souillées et qu'elle était présente à l'occasion de visites à la pause-café ou lors de ses marches. Il lui est aussi arrivé de faire le plein d'essence pour un client lorsqu'elle était présente chez le payeur. Dans son témoignage, elle affirme qu'elle s'était trompée dans sa déclaration à l'agent du ministre et qu'elle n'allait donc pas au garage du payeur 5 fois par jour. Elle dit maintenant qu'elle y allait le matin à la pause-café et lorsque le climat le permettait, à l'occasion de ses marches. La travailleuse ne s'occupait plus des remises de TVQ et de TPS. Ce travail avait été délégué au comptable du payeur.

[11]     La travailleuse confirme avoir prêté 20 000 $ en 1997 à ses deux fils, car ce sont eux qui lui ont remboursé ce montant et non le payeur. Elle reconnaît également avoir fait des avances de fonds au payeur par le truchement de ses cartes de crédit personnelles. Elle faisait cela parce que les cartes de crédit de son conjoint ne permettaient pas de faire de retrait en espèces. Ces avances ont été comptabilisées dans les états financiers du payeur et apparaissent comme une dette due à l'administrateur. La travailleuse n'est pas administratrice du payeur et ne peut dire si l'argent qui apparaît sous cette rubrique lui est dû. Elle admet avoir quand même été remboursée par le payeur. Ces avances étaient nécessaires pour permettre à l'entreprise de payer ses comptes.

[12]     En contre-interrogatoire, la travailleuse fut confrontée avec une quantité de factures signées ou paraphées par elle alors qu'elle ne travaillait pas à temps plein pour le payeur. On a produit 132 factures en 2001, 250 en 2002 et 300 en 2003. La travailleuse explique cet état de choses par le fait que dans certains cas, elle était présente ou encore que le fournisseur livrait tôt le matin et venait à la maison faire signer la facture, ou que lors de son magasinage, elle faisait des commissions pour le payeur. Elle a reconnu aussi qu'elle inscrivait les données au journal livres des salaires qu'elle faisait des chèques et qu'elle s'occupait de la remise des retenues à la source durant toute l'année. Elle explique qu'elle faisait ce travail en raison des mains souillées de son conjoint et de son fils à cause de leur travail. Dans sa déclaration du 26 novembre 2003, la travailleuse a déclaré que ce travail lui demandait environ 5 heures par semaine. Dans son témoignage, elle dit maintenant que les 5 heures étaient exagérées et que le travail ne prend pas tout ce temps-là. Il en va de même dans sa deuxième déclaration, où elle déclare aller au garage du payeur 5 à 6 fois par jour alors que c'est moins fréquent que ça. Elle corrige aussi la déclaration voulant qu'elle soit la seule qui, depuis 6 ans, peut signer les chèques, car elle se rend compte que son conjoint a aussi ce pouvoir. Selon la travailleuse, il ne signe pas de chèques au motif qu'il a toujours les mains souillées.

[13]     Daniel Michaud est agent d'enquête. Il a préparé un tableau pour les années 2001, 2002 et 2003 indiquant le nombre de jours où la travailleuse a signé des factures à l'extérieur des périodes d'emploi à temps plein. Il y en a presque toutes les semaines, et pendant plusieurs semaines où la travailleuse ne déclarait pas 5 heures de travail par semaine, du moins en 2001 et en 2002. Le nombre de factures ainsi examinées à l'extérieur de périodes de travail à temps plein se chiffre à 132 pour 2001, à 250 pour 2002 et à 300 pour 2003. Il n'a pas demandé les factures de 1999 et 2000 et n'a donc pas fait une étude semblable pour ces deux années. En contre-interrogatoire, il reconnaît ne pas avoir fait de distinction selon la nature des factures ni en fonction du fait que plusieurs factures auraient pu être signées en même temps. Par contre, rien dans la preuve ne semble indiquer que tel serait le cas.

[14]     L'agent des appels Roger Dufresne a déposé son rapport. De son côté, il a examiné toutes les factures des années 2001, 2002 et 2003. Il a comparé le nombre de factures signées par la travailleuse au chiffre des ventes du payeur. On constate que durant les périodes les plus achalandées, où elle travaille à temps plein, la travailleuse n'a pas signé de factures pendant 6 mois sur 8. On constate que durant les mois où elle n'est pas rémunérée par le payeur, elle a signé des factures tous les mois et que durant au moins 8 mois, le nombre de factures excède trente, et atteint 55 en mai 2002. Il n'a pas vérifié la nature des factures, ni vérifié si plusieurs auraient pu être signées plusieurs en même temps. Il a accepté le fait que ce travail avait été fait de façon bénévole en se fiant en grande partie aux déclarations de la travailleuse dans lesquelles elle reconnaît avoir fait du bénévolat régulièrement à raison de 5 heures par semaine.

[15]     Les faits saillants, qui ont tous été niés par les appelants et qui ont amené l'agent des appels à conclure que le contrat d'emploi entre le payeur et la travailleuse ne saurait être à peu près semblable à celui entre deux parties sans lien de dépendance, sont les suivants : la travailleuse était la seule personne autorisée à signer les chèques du payeur, elle rendait des services au payeur durant les semaines où elle n'était pas inscrite au journal des salaires, elle a admis faire du travail bénévole lorsqu'elle recevait des prestations d'assurance-emploi et elle a admis que les semaines de travail où elle était inscrite au journal des salaires ne correspondent pas aux semaines les plus achalandées du payeur. À ces faits, s'ajoutent la présence de la travailleuse au garage du payeur pendant ses mises à pied 5 à 6 fois par jour et le fait que les prétendues heures de travail ne correspondent pas avec les heures de travail réelles, de sorte que les relevés d'emploi ne sont pas conformes à la réalité quant aux périodes de travail ni quant au nombre de travail. Finalement, les avances de fonds grâce aux cartes de crédit et le prêt de 20 000 $ ne sont pas compatibles avec des modalités d'emploi entre des personnes sans lien de dépendance.

[16]     En ce qui concerne les cas où le ministre doit déterminer si un emploi est exclu des emplois assurables en raison de l'existence d'un lien de dépendance, son rôle et celui que doit jouer la Cour ont été définis par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada, no A-392-98, 28 mai 1999, [1999] A.C.F. no 878 (QL). Le juge Marceau a résumé l'approche dans les termes suivants au paragraphe 4 :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.    L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.    Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.    La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.    La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.    Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[17]     La Cour d'appel fédérale a d'ailleurs réitéré sa position dans l'arrêt Pérusse c. Canada, no A-722-97, 10 mars 2000, [2000] A.C.F. no 310 (QL). Le juge Marceau, se référant au passage ci-dessus de l'arrêt Légaré, a ajouté ce qui suit au paragraphe 15 :

Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner.    Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur).    La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.    Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[18]     Les dispositions de la Loi qui excluent des emplois assurables les emplois où l'employeur et l'employé ont un lien de dépendance et les dispositions visant la situation où il n'y aurait plus ce lien de dépendance sont rédigées comme suit :

5. [...]

Restriction

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

Personnes liées

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

[...]

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[19]     Le juge Archambault de notre Cour, dans l'affaire Louis-Paul Bélanger c. M.R.N., 2005 CCI 36, a fait l'analyse d'un ensemble de décisions tant de la Cour d'appel fédérale que de notre cour sur la question du lien de dépendance et sur l'exercice que doit faire la Cour lors de l'appel d'une décision du ministre en fonction des dispositions légales citées ci-dessus. C'est en fonction de toutes ces directives que je vais donc analyser les faits de ces appels.

[20]     Il me paraît évident, en premier lieu, que l'analyse des circonstances entourant les modalités, la durée de l'emploi et la rétribution versée à la travailleuse ne s'est faite que pour les périodes d'emploi de 2001, 2002 et 2003. Toute l'information recueillie et analysée tant par l'agent des appels que par l'agent d'enquête vise les trois années en question. Le journal des salaires, les factures et les états financiers réfèrent tous aux années 2001, 2002 et 2003, et l'examen qu'ils en ont fait ne s'étend pas aux deux années antérieures. L'information qu'ils ont obtenue de la travailleuse par le truchement de ses déclarations est trop générale pour englober la totalité des périodes et examiner la situation de façon globale. Quant aux questions plus précises, l'information divulguée traite des questions visant les mêmes trois années, sur lesquelles ils ont, à mon avis, réellement fait enquête.

[21]     Pour ce qui est des années 2001, 2002 et 2003, l'enquête a permis aux agents de recueillir suffisamment d'information, à mon avis, pour leur permettre de faire une analyse objective des faits entourant les modalités et les conditions de l'emploi de la travailleuse pour le payeur. Même si certains faits sur lesquels le ministre s'est appuyé peuvent avoir été inexacts, ce sont des informations qu'il a obtenues soit de la travailleuse, soit du payeur. Je pense en particulier au fait que seule la travailleuse avait le pouvoir de signer les chèques du payeur, alors que selon le conjoint de la travailleuse, il était aussi autorisé à le faire. Les agents ont obtenu cette information de la part de la travailleuse qui, dans sa déclaration, avouait être la seule personne autorisée à signer les chèques depuis 6 ans. Un fait demeure, c'est la travailleuse qui signait les chèques en tout temps et qui, durant toute l'année, s'occupait du journal des salaires et, faisait la paie et la remise des retenues à la source. La travailleuse a été rémunérée pour 5 heures par semaine seulement durant l'année 2001, soit de janvier à juin et en septembre et octobre. Sauf pour les semaines où elle a travaillé à temps plein, la travailleuse n'a pas été rémunérée pour le travail effectué pour le payeur.

[22]     Il est évident aussi que la travailleuse faisait plus que la tenue des livres de paie et la remise des retenues à la source. La compilation des factures qu'elle a signées ou paraphées à l'extérieur des périodes de travail à temps plein et leur fréquence fait en sorte que la travailleuse n'a jamais vraiment cessé de rendre des services. Je veux bien croire que de tels services puissent être rendus à l'occasion dans le contexte d'une entreprise familiale, mais la fréquence et la quantité des gestes qu'elle a posés indiquent clairement qu'il s'agit ici de services rendus de façon régulière. Il va donc de soi que la travailleuse rendait des services à l'appelante lorsqu'elle n'était pas inscrite au journal des salaires et qu'elle n'était pas rémunérée pour ses services. Le juge Archambault, au paragraphe 74, de l'affaire Louis-Paul Bélanger, (précitée), a d'ailleurs bien résumé les conséquences que peut présenter une telle situation :

[74] À mon avis, ne pas tenir compte du fait qu'un employé travaille sans rémunération pour le même employeur constitue une invitation flagrante à l'abus. Une belle illustration se trouve dans la décision que j'ai rendue dans l'affaire Massignani ([2004] A.C.I. no 127 (QL), 2004 CCI 75). Dans cette affaire, les membres de la famille n'avaient pas été les seuls à abuser de la Loi. Des employés n'ayant aucun lien de dépendance avec l'employeur avaient été incités à participer au stratagème mis en place. Ne pas tenir compte des heures travaillées sans rémunération permettrait essentiellement que des employés soient en quelque sorte rémunérés au moyen de l'assurance-emploi pendant qu'ils travaillent pour leur employeur. Tel n'est certainement pas le but poursuivi par le législateur dans le cas du régime d'assurance-emploi

[23]     Le fait que les heures de travail de la travailleuse n'ont pas été comptabilisées durant les périodes où elle travaillait à temps plein soulève également la question de savoir si elle a réellement travaillé pendant les 45 heures par semaine qui correspondent à son salaire hebdomadaire. Puisque le nombre d'heures de travail doit correspondre au nombre d'heures assurables, il s'agit encore d'une situation qui invite à l'abus. D'ailleurs, le nombre d'heures de travail durant les périodes de travail à temps plein n'est pas indiqué dans le journal des salaires.

[24]     Le ministre a également pris en considération le fait que la travailleuse a prêté la somme de 20 000 $ au payeur et qu'elle a fait des avances de fonds en 2001, 2002 et 2003. Le prêt de 20 000 $ a été fait avant les périodes en litige, d'une part, et il y a la question de savoir si le prêt a été fait au payeur ou aux deux fils de la travailleuse. D'autre part, à l'exception du témoignage de la travailleuse, aucune preuve pouvant jeter de la lumière sur ce prêt n'a été avancée. Chose certaine, il s'agissait d'un prêt pouvant permettre au payeur de payer sa dette envers les gouvernements impliqués, de sorte que cet argent s'est rendu dans les mains du payeur, soit par une mise de fonds de la travailleuse et de ses deux fils, soit par les deux fils seulement. Dans un cas ou l'autre, le payeur en a bénéficié, tout comme il a bénéficié des avances de fonds faites par le truchement de la carte de crédit de la travailleuse. Il n'est pas défendu pour un membre d'une famille de faire des prêts ou des avances de fonds à l'entreprise familiale, mais lorsque la même entreprise lui fournit un emploi dont il faut comparer les modalités, la durée, l'importance et la rétribution à celles qui existeraient dans le cas d'un employé sans lien de dépendance, ces prêts ou avances deviennent un facteur à considérer, puisque le manque de fonds du payeur pour pouvoir satisfaire à ses obligations peut avoir une incidence sur la rémunération versée à la travailleuse en tant qu'employée.

[25]     Le tableau préparé par l'agent des appels et qui indique les ventes totales par mois permet de constater qu'il arrivait à la travailleuse de travailler pendant moins d'heures que durant les années suivantes, où elle travaillait pendant plus d'heures avec un revenu mensuel semblable.

[26]     Pour ces motifs, la conclusion à laquelle est arrivé le ministre pour les périodes du 15 janvier au 26 octobre 2001, du 17 décembre 2001 au 20 septembre 2002 et du 16 juin au 3 octobre 2003 me paraît donc raisonnable, et l'emploi de la travailleuse n'est donc pas un emploi assurable au sens de la Loi. Pour ce qui est des périodes allant du 28 juin au 24 septembre 1999 et du 6 avril au 22 septembre 2000, la conclusion du ministre ne me paraît pas raisonnable dans les circonstances, puisqu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments pour l'appuyer. Les appels sont donc rejetés pour les périodes de 2001, 2002 et 2003 et accueillis pour les périodes de 1999 et 2000.

Signé à Ottawa (Canada), ce 2e jour de décembre 2005.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI760

N º DES DOSSIERS DE LA COUR : 2004-4668(EI) et 2004-4669(EI)

INTITULÉS DES CAUSES :              Auto Roy Débosselage inc. et M.R.N. et Gracia Roy

                                                          Gracia Roy et M.R.N. et Auto Roy Débosselage inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Rivière-du-Loup (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 12 octobre 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                    le 2 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Avocat des appelantes :

Me Jérôme Carrier

Avocat de l'intimé :

Avocat des intervenantes :

Me Jean Lavigne

Me Jérôme Carrier

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

       Pour les appelantes :

                   Nom :                              Me Jérôme Carrier

                   Étude :

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

       Pour les intervenantes :

                   Nom :                              Me Jérôme Carrier

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