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Dossier : 2003-2293(GST)I

ENTRE :

MOHINDER BAINS et HARBHAJAN BAINS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appel entendu le 18 mai 2004, à Victoria (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge A.A. Sarchuk

Comparutions :

Avocat des appelants :

Me Kim E. Johnson

Avocat de l'intimée :

Me Stacey Michael Repas

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JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'égard de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 30 septembre 2002 et porte le numéro 11CU2000886, pour la période allant du 1er janvier 1993 au 31 décembre 2000, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2005.

« A.A. Sarchuk »

Juge Sarchuk

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2005.

Sara Tasset


Référence : 2005CCI156

Date : 20050224

Dossier : 2003-2293(GST)I

ENTRE :

MOHINDER BAINS et HARBHAJAN BAINS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Sarchuk

[1]      Mohinder Bains et Harbhajan Bains interjettent appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national le 30 septembre 2002 relativement à un montant de taxe nette non déclarée, à une pénalité et à des intérêts s'élevant respectivement à 22 501,59 $, 6 466,60 $ et 5 306,97 $ en date du 27 septembre 2002. La cotisation se fonde sur les revenus annuels imposables provenant de la location commerciale qui excèdent le plafond de 30 000 $ et qui ont été déclarés depuis la fin de 1991 aux fins de l'impôt sur le revenu, ce qui a mené le ministre à inscrire les appelants à titre de société de personnes le 1er octobre 2001 sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi) avec effet rétroactif au 1er janvier 1993 et à attribuer un numéro d'inscription à cette société.

Contexte factuel

[2]      Pendant un certain nombre d'années avant l'acquisition du bien en cause, Harbhajan travaillait comme agent immobilier. En 1979, il a acheté une participation de 50 % dans un bien immobilier à usage commercial situé au 801, rue Deloume, à Mill Bay, en Colombie-Britannique (le « bien » ). En 1980, lui et Mohinder ont acquis l'autre moitié du bien et en novembre 1980, ils étaient enregistrés au bureau d'enregistrement des titres fonciers en qualité de tenants conjoints du bien. Au moment de l'achat, le bien consistait en deux « unités » , l'une occupée par une épicerie, l'autre par un bureau de poste. L'achat visait à acquérir l'épicerie afin d'en continuer l'exploitation à titre d'entreprise à laquelle les membres de la famille pourraient participer. Il ressort des témoignages de Harbhajan et de Mohinder que leurs rôles et leurs fonctions dans la poursuite des activités de l'épicerie étaient pour ainsi dire interchangeables et que chacun d'eux faisait [TRADUCTION] « ce qu'il y avait à faire, là où on avait besoin de nous » . Au cours de la période allant de 1980 à 1989, ils s'intéressaient principalement à l'exploitation de l'épicerie et à l'entretien de la portion du bien louée au bureau de poste. Vers 1989, un important centre commercial a été construit à proximité et cette concurrence a eu pour effet d'obliger l'épicerie à fermer ses portes. De même, à un certain moment pendant cette année-là, le bureau de poste a cessé d'être locataire. Le témoignage de Harbhajan était loin d'être clair quant à la chaîne des événements qui ont suivi, mais il semble que, pendant un certain temps, le local de l'épicerie a été loué à un tiers qui y exploitait un restaurant. À une autre occasion pendant son témoignage, Harbhajan a affirmé qu'après le déménagement du bureau de poste, l'ensemble de l'immeuble a été divisé en trois unités, dont l'une était occupée. De même, à un certain moment au cours de cette période, la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) s'est montrée intéressée à louer une partie de l'immeuble. Au moment opportun, une entente a été conclue, un espace de 2 500 pieds carrés situé dans l'immeuble a été rénové pour répondre aux exigences de la banque et un bail[1] d'une durée de cinq ans débutant le 1er août 1992 a été signé par les parties. Ce bail a été renouvelé pour une autre période de cinq ans en 1997. Dans son témoignage, Mohinder a déclaré qu'elle et son mari avaient discuté de la possibilité de louer le bien à la CIBC et qu'ils avaient pris une décision en ce sens. Ils ont tous deux confirmé que tous les loyers reçus de la CIBC étaient déposés dans leur compte bancaire conjoint et que toutes les dépenses liées à ce bien, y compris l'emprunt hypothécaire, les taxes foncières, l'entretien et les réparations, étaient également payées au moyen de ce compte. Harbhajan a en outre mentionné que, s'il utilisait son propre [TRADUCTION] « compte distinct » pour payer des dépenses quelconques, la somme était remboursée par le truchement du compte conjoint[2].

Thèse des appelants

[3]      Au début de ses observations, l'avocat a renvoyé à plusieurs dispositions de la Loi jugées pertinentes au regard des questions soumises à la Cour. Premièrement, la définition du terme « personne » prévue dans la Loi. Cette définition est ainsi rédigée :

« personne » Particulier, société de personnes, personne morale, fiducie ou succession, ainsi que l'organisme qui est un syndicat, un club, une association, une commission ou autre organisation; ces notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis.

Pour les besoins du présent appel, une personne consiste donc en un particulier ou une société de personnes. L'avocat a signalé que, selon l'article 240, toute personne, sauf un petit fournisseur, qui effectue une fourniture taxable est tenue d'être inscrite pour les besoins de la taxe sur les produits et services et, dans ce contexte, il a renvoyé à la définition donnée dans les Canadian Goods & Services Tax Reports, dont voici le texte :

[TRADUCTION]

Coentreprises

Une coentreprise n'est pas une personne morale et n'est pas définie comme une « personne » sous le régime de la Loi sur la taxe d'accise. Par conséquent, ce sont les participants à la coentreprise, et non la coentreprise elle-même,

·         qui doivent s'inscrire s'ils exercent des activités commerciales;

·         qui doivent percevoir la part proportionnelle de la taxe sur les fournitures taxables;

·         qui peuvent demander la part proportionnelle des CTI admissibles au titre de la taxe payée sur les dépenses.

Il a soutenu que les contribuables en l'espèce sont des particuliers, qu'ils sont donc visés par la « règle relative au petit fournisseur » et qu'ils ne sont pas tenus de déclarer la TPS, d'être inscrits pour les besoins de cette taxe ni d'effectuer des remises de TPS. Il est donc nécessaire d'examiner la Partnership Act[3] provinciale pour décider si une société de personnes existe dans la présente affaire. Ce texte législatif prévoit ce qui suit :

            [TRADUCTION]

            « société de personnes » Relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.

Quant à l'affaire dont la Cour est saisie, l'avocat fait valoir que les relations existant entre Mohinder et Harbhajan relèvent davantage de celles entre époux que de celles entre associés d'une société de personnes. Mohinder n'était pas courtier en immeubles autorisé et les Bains ne se présentaient nullement au grand public comme des personnes exploitant une société de personnes. Ils n'avaient pas de dénomination sociale enregistrée, ils n'avaient conclu aucun contrat de société et leurs locataires ne croyaient pas traiter avec une société de personnes[4]. L'avocat a en outre mentionné que les documents présentés à la Cour, notamment les divers baux et prêts hypothécaires, étaient signés par les deux appelants, mais que rien dans ces documents ne reflète l'existence d'une société de personnes. Il a renvoyé à la décision Robert Cornforth v. The Queen[5], qui a été rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale, pour affirmer qu'il est courant pour des conjoints de détenir des biens à titre de tenants conjoints et qu'en l'espèce, comme dans l'affaire Cornforth, l'apport de Mme Bains découlait du mariage et non d'une société de personnes.

[4]      Pour les motifs qui précèdent, M. et Mme Bains, qui étaient propriétaires du bien en cause longtemps avant l'adoption de la Loi sur la taxe d'accise, doivent être traités de manière distincte comme copropriétaires du bien, et non comme des membres d'une société de personnes, et ils doivent être assujettis à la taxe à titre de petits fournisseurs, donc exonérés de la perception et de la remise de la TPS.

Thèse de l'intimée

[5]      Selon l'intimée, les relations entre M. et Mme Bains pendant toute la période où ils ont été propriétaires de l'immeuble en cause étaient celles qui existent entre les associés d'une société de personnes. Plus précisément, l'examen de la nature de l'entreprise, de la conduite des parties et d'autres circonstances liées à l'arrangement justifie cette conclusion même en l'absence d'une convention écrite. Certes, le fait d'être des tenants conjoints, de partager les rendements bruts ou de recevoir une partie des bénéfices à titre de particulier, pris individuellement, n'établit pas nécessairement l'existence d'une société de personnes. Cependant, examinés dans le contexte de la preuve présentée en l'espèce, tous ces facteurs, à commencer par l'exploitation de l'épicerie jusqu'à l'utilisation, en fin de compte, de l'immeuble comme immeuble à usage locatif ne peuvent que mener à la conclusion qu'il existait une société de personnes et, plus précisément, une société de personnes exploitant une entreprise de location, pendant la période pertinente. L'avocat a explicitement signalé que chacun des deux participants avait contribué des ressources devant être utilisées dans la poursuite des activités de la société. Cet apport n'avait pas à être nécessairement de nature pécuniaire; il pouvait s'agir du travail accompli ou, comme en l'espèce, du rôle actif joué par chacun dans la gestion et l'exploitation de l'épicerie puis, de même, dans l'exploitation de l'entreprise de location.

[6]      L'intimée avance également que chacun avait une espérance égale de tirer un bénéfice de cette société de personnes et qu'en réalité, il y avait partage en parts égales entre eux des dépenses et des bénéfices, ce qui est diamétralement opposé à une coentreprise. De plus, d'autres facteurs permettent de croire qu'il existait une société de personnes, comme l'apport sous forme de travail, de connaissances, d'habiletés et de biens. Selon l'avocat, il importe de mentionner qu'un droit de propriété conjointe constituait en réalité l'objet de la société de personnes, que les associés assumaient une responsabilité solidaire et que chacun a déclaré 50 % du revenu brut tiré de l'entreprise de location aux fins de l'impôt sur le revenu. Compte tenu des critères habituellement appliqués pour décider s'il existait une société de personnes, l'avocat soutient que tous les faits étayent la conclusion tirée par le ministre voulant que Mohinder et Harbhajan aient exploité une entreprise commune en vue de réaliser un bénéfice à titre d'associés.

Conclusion

[7]      Dans ses observations, l'avocat des appelants a laissé entendre que les relations entre les Bains équivalaient à une « coentreprise » , laquelle, par définition, n'est pas une personne morale, c.-à-d. pas une « personne » , et qu'à ce titre, seuls les participants étaient tenus de s'inscrire s'ils exerçaient des activités communes sans être des « petits fournisseurs » . Les faits dont la Cour est saisie n'étayent pas la conclusion relative à l'existence d'une coentreprise. Pour décider si une coentreprise existe pour l'application de l'article 273 de la Loi, il faut prendre en compte la conduite des parties, la nature de leurs intentions, les faits et les circonstances propres à leur situation ainsi que l'entente intervenue entre elles. À mon avis, la conduite des parties dans le présent appel est loin d'établir l'existence d'une coentreprise.

[8]      Les appelants font valoir qu'au cours de la période pertinente, ils exploitaient une entreprise de location à titre de conjoints et non d'associés commerciaux. L'avocat a repris les propos tenus par le juge Cattanach dans la décision Cornforth pour affirmer que l'apport de Mohinder à l'entreprise tenait non pas à une relation entre associés, mais plutôt à une relation entre conjoints. Dans cette décision, le juge Cattanach a fait observer que « [...] les efforts de Mme Cornforth ainsi que le temps qu'elle a consacré sans compter au succès de l'entreprise s'expliquent mieux par le rapport entre mari et femme que par le rapport entre associés vénaux » . Il m'est impossible d'appliquer le même raisonnement aux faits dont je suis saisi parce qu'il existe en l'espèce un certain nombre d'éléments qui n'étaient pas présents dans l'affaire Cornforth et qui établissent l'existence d'une société de personnes entre Mohinder et Harbhajan. Je remarque en particulier que les recettes du cabinet de M. Cornforth n'étaient pas déposées dans un compte appartenant à la société, mais en partie dans le compte de M. Cornforth et en partie dans celui de son épouse, avec son approbation. La Cour mentionne :

[...] Cela serait conforme tant au régime de la communauté de biens qu'à la répartition des recettes d'une société. Il est difficile de déterminer s'il s'agissait d'une participation dans les profits, parce que les profits ne peuvent être déterminés avant le calcul des coûts d'exploitation. Cela pourrait se faire plus tard, mais rien n'établit qu'on l'ait jamais fait ou qu'il y ait eu rationalisation par voie de compensation ou autrement.

De plus, dans l'affaire Cornforth, le mari déclarait à titre de revenu personnel la totalité du revenu tiré de son entreprise et il déclarait invariablement son épouse comme une personne à charge. Tous ces éléments s'opposent directement aux faits du présent appel.

[9]      Dans l'arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada[6], la Cour a formulé les observations suivantes au sujet de l'existence d'une société de personnes :

23         L'existence d'une société en nom collectif est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Elle est également fonction de l'intention véritable des parties. Comme il est indiqué dans Lindley & Banks on Partnership (17e éd. 1995), à la p. 73: [TRADUCTION] « pour déterminer l'existence d'une société en nom collectif [. . .] il faut tenir compte du contrat et de l'intention véritables des parties ressortant de l'ensemble des faits de l'affaire » .

24         [...] Parmi ces indices, mentionnons les suivants: apport des parties à l'entreprise commune sous forme de numéraire, biens, travail, connaissances, habiletés ou autres éléments; droit de propriété conjointe dans l'objet de l'entreprise; partage des profits et des pertes; droit mutuel de contrôle ou de gestion de l'entreprise; production de déclarations de revenus à titre de société en nom collectif et comptes bancaires conjoints.

                                                           [Non en caractères gras dans l'original.]

À la lumière de ces principes, je suis arrivé à la conclusion qu'il existait une société de personnes pendant la période pertinente. La preuve a révélé que les deux associés a) avaient un droit de propriété conjointe; b) avaient un droit mutuel de gestion de l'entreprise; et c) avaient le pouvoir de lier la société de personnes. Je signale en outre que l'alinéa 4c) de la Partnership Act applicable précise en partie que [TRADUCTION] « la réception par une personne d'une quote-part des bénéfices d'une entreprise constitue la preuve, en l'absence de preuve contraire, qu'elle est un associé dans cette entreprise [...] » . C'est le cas en l'espèce puisque le revenu tiré de l'immeuble à usage locatif était partagé également entre les deux appelants et était déposé dans un compte bancaire conjoint. De plus, ils produisaient des déclarations de revenus distinctes dans lesquelles ils déclaraient ce revenu après avoir tenu compte de leurs parts respectives des dépenses. Il n'est pas possible dans les circonstances de conclure qu'il n'y a eu aucune distribution des fonds de la société.

[10]     Pour les motifs qui précèdent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2005.

« A.A. Sarchuk »

Juge Sarchuk

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2005.

Sara Tasset



[1]           Pièce R-1.

[2]           La preuve présentée à la Cour est muette sur ce qu'il est advenu des deux autres unités pendant cette période, à l'exception de documents produits, selon lesquels il y avait au moins un locataire du 1er décembre 2001 au 31 décembre 2002.

[3]           R.S.B.C. 1996, ch. 348.

[4]           Aucun témoignage des appelants ou de quiconque n'étaye la dernière assertion.

[5]           82 DTC 6058.

[6]           [1998] 2 R.C.S. 298.

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