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Référence : 2005CCI502

Date : 20050826

Dossiers : 2004‑4283(EI), 2004‑4285(CPP)

 

ENTRE :

DANIEL LESLIE McPHEE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Pour l’appelant : l’appelant lui‑même

Avocate de l’intimé : Me Marie‑Claude Landry

___________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[Rendus oralement à l’audience à

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 28 juillet 2005]

Le juge Bowie

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté à la suite d’une décision par laquelle le ministre du Revenu national a conclu que l’emploi exercé par l’appelant auprès d’Atlantic Forestry Services Ltd. (« Atlantic »), entre le 21 juillet et le 12 décembre 2003, n’était pas un emploi assurable en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi ni un emploi ouvrant droit à pension en vertu de l’alinéa 6(1)c) du Régime de pensions du Canada.

 

[2]     L’appel soulève une question dont la Cour est trop souvent saisie. Lorsqu’il travaillait pour Atlantic, l’appelant exerçait‑il un emploi aux termes d’un contrat de louage de services ou était‑il un entrepreneur indépendant régi par un contrat d’entreprise? De l’avis du ministre, l’appelant était un entrepreneur indépendant. Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à cet avis.

 

[3]     M. McPhee travaille dans les forêts du Nouveau‑Brunswick depuis environ 34 ans. Ce n’est pas un homme instruit. Il sait comment couper et transporter du bois, mais il ne connaît pas les distinctions subtiles que la loi fait entre le contrat de louage de services et le contrat d’entreprise. Il possède une débusqueuse et sait comment l’utiliser et comment en assurer l’entretien, mais il ne connaît rien aux décisions rendues par le Conseil privé dans l’affaire Montreal (City) v. Montreal Locomotive Works Ltd.[1] ou par la Cour suprême du Canada dans l’affaire 671122 Ontario Limited c. Sagaz Industries Canada Inc.[2]

 

[4]     M. McPhee s’est entendu avec un superviseur d’Atlantic, appelé Mark, au sujet de son emploi chez Atlantic. Les arrangements ont été conclus entre eux oralement. Ils ont parlé de l’endroit où le bois devait être coupé, du nombre d’heures de travail que M. McPhee devait effectuer chaque semaine et de la rétribution qui lui serait versée. Comme cela arrive souvent dans ce genre de travail, la rétribution était calculée à la pièce et, si je comprends bien, les heures à effectuer dépendaient essentiellement du montant de la rémunération que M. McPhee voulait gagner et dont il avait besoin, ainsi que du secteur qu’Atlantic voulait faire couper avant la fin de la saison. Ce genre de travail est exécuté par des équipes de deux personnes : un bûcheron et un opérateur de débusqueuse. M. McPhee possédait une débusqueuse et il a proposé à Mark d’avoir recours à son fils, aussi appelé Daniel, comme bûcheron. C’est ce qui a été fait. Il importe de noter que Daniel McPhee fils a été embauché par Atlantic à titre d’employé; la preuve ne donne pas à entendre le contraire. Mark était sans aucun doute libre de l’embaucher, lui ou quelqu’un d’autre s’il le voulait, mais il n’est pas surprenant qu’il ait accepté la recommandation de l’appelant.

 

[5]     Il arrive souvent que deux personnes forment une équipe pour ce type de travail, souvent pendant bien des années, même si elles sont des employés de l’entreprise pour laquelle elles exécutent le travail. Il est fréquent, aussi, que l’opérateur de la débusqueuse soit propriétaire de la machine utilisée; il serait inhabituel qu’il en soit autrement. L’appelant et son fils ont travaillé ensemble du 21 juillet au 12 décembre 2003 à couper et à transporter le bois qu’on leur avait demandé de couper et à l’empiler le long de la route, là où on le leur avait demandé, sur des terres appartenant à Atlantic ou louées par elle. Le fils de l’appelant s’occupait d’abattre et d’ébrancher les arbres. L’appelant les transportait ensuite jusqu’au bord de la route à l’aide de la débusqueuse, une douzaine à la fois, transportant une douzaine de charges par journée de dix heures. Il est malheureux que l’appelant et Atlantic n’aient pas conclu de contrat écrit, et ce, que ce soit à l’égard du travail effectué par l’appelant ou à l’égard de l’utilisation de la débusqueuse. Il n’existait pas non plus de contrat écrit entre Daniel McPhee fils et Atlantic. Je dois donc établir les conditions du contrat, ou des contrats, en me fondant sur le témoignage de M. McPhee et sur les quelques pièces qui ont été déposées à l’audience. Daniel McPhee fils et Mark n’ont pas témoigné.

 

[6]     La première des trois pièces qui ont été déposées est un questionnaire auquel l’appelant a répondu à la demande de l’intimé. Le questionnaire n’est pas daté. La deuxième pièce est le rapport rédigé par Mme Arseneau, l’agente des appels qui a témoigné devant moi pour le compte de l’intimé. La seule autre pièce est une copie d’un document de trois pages, apparemment téléchargé d’Internet, intitulé « CPP/EI Policy Manual Specific Employment – Forestry Industry – Tools, Equipment and Machinery » [Manuel de la politique concernant des emplois précis – Industrie forestière – Outils, équipement et machinerie, RPC/AE]. L’objet de ce document, peut-on y lire, est de clarifier la politique, celle de l’intimé je suppose, à l’égard des travailleurs de l’industrie forestière qui, en plus de fournir des services à un entrepreneur, lui louent leur matériel lourd. Je note les mots employés par le ministre, soit : [traduction] « fournir des services » par opposition à [traduction] « travailler aux termes d’un contrat de louage de services ». Il est difficile de savoir si cela indique un état d’esprit particulier.

 

[7]     Il est souvent difficile d’établir les conditions précises d’un contrat oral. Toutefois, je suis convaincu que M. McPhee était un témoin honnête et digne de foi et je retiens son témoignage sans réserve. Le problème, pour ce qui est d’établir les conditions du contrat, n’a rien à voir avec le fait d’avoir confiance en son témoignage, mais simplement que, comme on peut s’y attendre dans un contrat semblable entre des parties de ce type, il y bien des choses dont les parties ne discutent pas et qui ne font l’objet d’aucune entente précise. Toutefois, compte tenu de la preuve dans son ensemble, je conclus que les faits suivants sont établis. M. McPhee possédait une débusqueuse 1974 qui, pendant la période pertinente, valait environ 16 000 $. Il a utilisé cette débusqueuse pendant tout le temps où il a travaillé pour Atlantic et, en vertu de l’entente qui avait été conclue, il lui incombait d’en assurer l’entretien et de fournir le carburant nécessaire. M. McPhee a payé les frais initiaux associés au déplacement de la débusqueuse jusqu’au premier chantier. Par la suite, lorsqu’on changeait de chantier, Atlantic payait les frais de déplacement, et lorsque les travaux ont pris fin, au mois de décembre, elle a payé ce qu’il en coûtait pour retourner la débusqueuse à l’endroit d’où elle provenait initialement.

 

[8]     Le travail de M. McPhee et de son fils consistait à ébrancher les arbres, à les charger sur la débusqueuse, à les transporter jusqu’au bord de la route et à les y empiler. Il a certes été convenu que seul M. McPhee était autorisé à utiliser la débusqueuse. Atlantic ne pouvait pas attribuer cette tâche à quelqu’un d’autre. M. McPhee se préoccupait du fait qu’il s’agissait d’un bien de valeur et il ne voulait pas que quelqu’un d’autre qui en assurerait le fonctionnement risque de l’endommager.

 

[9]     M. McPhee était rémunéré chaque semaine au moyen de deux chèques, l’un pour son travail et l’autre pour [traduction] « la location de la débusqueuse ». Les chèques de location s’élevaient à 862,50 $, ce qui comprenait un montant de 750 $ par semaine pour la location et un autre de 112,50 $ pour la taxe de vente harmonisée (« TVH »), que M. McPhee remettait au receveur général. Contrairement à ce qu’il faisait auparavant, M. McPhee n’a pas souscrit une assurance-responsabilité pour la débusqueuse cette année‑là. La débusqueuse était couverte à l’égard de tout dommage qu’elle pouvait causer au moyen d’une police d’assurance-responsabilité commerciale de 2 millions de dollars qu’Atlantic avait achetée et payée pour couvrir toutes ses activités.

 

[10]    Mark donnait aux McPhee des instructions au sujet de l’endroit où ils devaient procéder à l’abattage, et les arbres précis à abattre étaient marqués. Il se rendait au chantier peut‑être deux fois par jour, au cours de la première semaine ou des deux premières semaines, mais une fois les travaux en cours, il n’y allait qu’une fois par jour environ.

 

[11]    Selon l’entente qui avait été conclue, 50 heures de travail devaient être effectuées chaque semaine. Comme je l’ai déjà dit, la rémunération de M. McPhee et de son fils, pour le travail à cet endroit, devait être calculée à la pièce. Toutefois, on leur remettait chaque semaine des chèques qui, dans le cas de l’appelant, s’élevaient à 544,28 $ pour chacune des trois premières semaines, et à 543,30 $ par la suite. L’appelant croyait comprendre que ces montants étaient en fait payés à titre d’avances. Si la quantité de bois coupé était inférieure à ce qui était nécessaire pour justifier la rémunération à ce niveau, croyait-il, un rajustement serait effectué à la fin des travaux de façon que le montant total payé pour les travaux corresponde au volume de bois coupé et transporté, selon la mesure finale. L’appelant a bel et bien dit que cela n’avait toujours pas été fait à l’été 2005, lorsque son appel a été entendu, mais il prévoyait néanmoins qu’un rajustement serait effectué.

 

[12]    J’examinerai maintenant les critères qui, selon la common law, doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit de différencier un contrat de louage de services et un contrat d’entreprise. Je parlerai d’abord de la propriété des instruments de travail.

 

[13]    M. McPhee et son fils possédaient chacun une scie à chaîne qu’ils utilisaient sur le chantier. Au moment et à l’endroit où ils travaillaient, et dans l’industrie pour laquelle ils œuvraient, les travailleurs de la forêt, qu’ils soient employés ou entrepreneurs, devaient fournir leur propre scie mécanique. De fait, ils n’auraient pas pu obtenir de travail s’ils n’avaient pas possédé de scie. M. McPhee a déclaré que sa scie valait environ 850 $. Il possédait également des outils d’une valeur d’environ 400 à 500 $ qu’il utilisait afin d’assurer l’entretien de la débusqueuse qui, comme je l’ai dit, valait environ 16 000 $.

 

[14]    En examinant la question de la propriété des instruments de travail, comme la jurisprudence m’oblige à le faire, je ne tiens pas compte de la débusqueuse ou des outils utilisés pour son entretien. Selon la façon dont je comprends la preuve, M. McPhee louait sa débusqueuse à Atlantic aux termes d’un contrat distinct de celui en vertu duquel il fournissait son travail. Un certain nombre de facteurs permettent d’arriver à cette conclusion. Premièrement, à l’alinéa 10j) de sa réponse, le ministre déclare supposer que les paiements hebdomadaires de 862,50 $ étaient [traduction] « attribués à la location de la débusqueuse ». À coup sûr, le ministre estimait qu’il s’agissait d’un contrat de location. Deuxièmement, Atlantic n’aurait eu aucune raison de remettre chaque semaine deux chèques à M. McPhee si la débusqueuse ne lui était pas louée séparément du contrat de travail que M. McPhee avait conclu avec elle. Troisièmement, M. McPhee n’avait pas d’assurance-responsabilité pour la débusqueuse pendant cette période, mais Atlantic estimait que la débusqueuse était couverte par sa propre police d’assurance‑responsabilité (voir la pièce R‑2, paragraphe 24). Enfin, lorsque M. McPhee a produit sa déclaration de revenus, il a apparemment traité les paiements effectués pour la location de la débusqueuse à titre de revenu tiré d’une entreprise. Cette déclaration de revenus n’a pas été produite en preuve, mais je crois que l’on peut tirer cette conclusion avec raison de la preuve fournie par Mme Arseneau, qui s’est occupée du dossier.

 

[15]    Je ne doute aucunement que l’hypothèse du ministre quant à l’existence d’un contrat de location était tout à fait exacte. À coup sûr, la preuve mise à ma disposition ne permet pas de réfuter cette hypothèse. L’avocate du ministre a fait valoir qu’il ne pouvait pas s’agir d’un contrat de location puisque Atlantic n’était pas libre de désigner quelqu’un d’autre pour conduire la débusqueuse. Toutefois, je ne vois pas pourquoi l’équipement n’aurait pas pu être loué à Atlantic en l’assortissant de cette condition ou de toute autre restriction concernant son utilisation sur lesquelles les parties auraient pu décider de s’entendre.

 

[16]    Les outils autres que la scie mécanique seraient à juste titre considérés comme des actifs de l’entreprise de location de M. McPhee. Je conclus qu’il existait un contrat de location de la débusqueuse à Atlantic à diverses conditions, dont l’obligation de M. McPhee d’assurer son entretien et de fournir le carburant, et celle qu’Atlantic ne désigne pas quelqu’un d’autre que M. McPhee pour conduire la débusqueuse. Les frais de location s’élevaient à 750 $ par semaine et, bien sûr, ils étaient assujettis à la taxe en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. L’appelant percevait et remettait cette taxe. Quant à la scie mécanique, dans de nombreuses industries, les employés possèdent habituellement leurs propres outils, comme c’est le cas des mécaniciens et des menuisiers. Dans l’industrie ici en cause, du moins à cet endroit, il en est toujours ainsi. Quiconque veut travailler dans les forêts du Nouveau‑Brunswick doit posséder sa propre scie mécanique. Il en a tout simplement toujours été ainsi dans cette industrie.

 

[17]    J’examinerai maintenant les chances de bénéfice et les risques de perte. La position prise par le ministre, si je la comprends bien en me fondant sur la pièce R‑2 et sur les arguments de l’avocate, est que le fait que la rémunération de l’appelant était d’un montant fixe et strictement calculée à la pièce militait en faveur de l’existence d’un contrat d’emploi, si ce n’est du risque de perte que M. McPhee courait, selon le ministre, à l’égard de la débusqueuse. Si celle-ci était endommagée ou détruite d’une façon ou d’une autre, la perte qu’en subirait M. McPhee serait désastreuse. Telle est, si je comprends bien, l’unique raison pour laquelle le ministre était d’avis que cette partie du critère de common law militait en faveur de l’existence d’un contrat d’entreprise. Toutefois, ce raisonnement est fallacieux en ce sens que tout risque de perte de la débusqueuse couru par M. McPhee n’était pas un risque associé au travail que celui‑ci exécutait pour Atlantic, mais bien au contrat de location qu’il avait conclu avec Atlantic. Toutefois, la question dont je suis saisi se rapporte uniquement à la relation de travail existant entre M. McPhee et Atlantic. Le ministre a tout à fait raison de dire qu’en ce qui concerne les questions autres que la location de la débusqueuse, cet élément du critère permet de conclure à l’existence d’un contrat de louage de services.

 

[18]    J’examinerai maintenant la question du contrôle. L’avocate du ministre fait valoir que l’appelant et son travail étaient peu supervisés et que je devrais considérer ce facteur comme militant en faveur de la conclusion selon laquelle l’appelant était un entrepreneur indépendant. L’aspect fallacieux le plus évident de cet argument se rapporte au fait que le degré de supervision assuré à l’égard de l’appelant, M. McPhee père, était exactement le même qu’à l’égard de M. McPhee fils, qui était fort clairement un employé d’Atlantic. Mais ce qui est peut‑être encore plus important, c’est qu’il va sans dire que, quant au contrôle, il ne s’agit pas tant de savoir quel degré de contrôle l’employeur exerçait en réalité sur l’employé, mais plutôt jusqu’à quel point l’employeur pouvait exercer un contrôle. Or, dans ce cas‑ci, il n’existe en fait aucun élément de preuve direct sur ce point. Cela n’est pas vraiment étonnant. M. McPhee avait travaillé pendant plus de 30 ans en forêt à faire exactement ce genre de travail. Il n’y avait pas lieu de discuter de supervision avec Mark, et il n’y avait pas lieu pour Atlantic de croire qu’elle devait assurer une supervision quelconque sur quelqu’un qui avait une si longue expérience du métier. Je ne crois pas qu’il faille accorder beaucoup de poids à cet aspect particulier du critère, eu égard aux circonstances, mais dans la mesure où un certain poids lui est accordé, cet aspect milite en faveur de l’existence d’un contrat de louage de services plutôt que d’un contrat d’entreprise, du simple fait que le contenu de la preuve que M. McPhee a présentée devant moi montrait que Mark était le patron et que M. McPhee ferait ce que son patron lui demanderait de faire.

 

[19]    L’intégration est également un facteur qu’il faut examiner en appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Sagaz, mais ce facteur doit être pris en compte du point de vue du travailleur. Les efforts de M. McPhee étaient pleinement intégrés aux activités d’Atlantic. Il travaillait exclusivement pour Atlantic une cinquantaine d’heures par semaine. Il n’avait pas le temps de travailler ailleurs tant que l’emploi n’aurait pas pris fin, au mois de décembre, et rien ne montre qu’il voulait travailler ailleurs ou qu’il cherchait un autre emploi, ou encore qu’il aurait pu accepter tout autre travail qui lui était offert. Ce facteur, dans la mesure où il a de l’importance, milite en faveur de l’existence d’un contrat de louage de services plutôt que d’un contrat d’entreprise.

 

[20]    En examinant l’affaire, si la représentante du ministre s’était posé la question de lord Wright, telle que le juge Cook l’a reformulée en 1968 dans l’arrêt Market Investigations v. Minister of Social Security[3] :

 

[traduction] La personne qui s’est engagée à accomplir ces tâches les accomplit‑elle en tant que personne dans les affaires à son compte?

 

et si elle avait examiné la question par rapport au travail que M. McPhee exécutait pour Atlantic plutôt que par rapport à la location de la débusqueuse, elle aurait été obligée à mon avis de répondre par la négative. Il faut se rappeler qu’au moment où elle a pris sa décision, elle croyait comprendre que la débusqueuse était assujettie à un contrat de location.

 

[21]    À mon avis, il est toujours utile de se demander comment l’observateur bien informé répondrait à la question du juge Cook, dont le libellé a été approuvé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[4], par le Conseil privé dans l’arrêt Lee Tuig Sang v. Cheung Chi Keung[5], et par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sagaz[6].

 

[22]    Si j’applique le critère de common law, tel qu’il a été réaffirmé par la Cour suprême dans l’arrêt Sagaz, et si je tiens compte du travail effectué par M. McPhee, pour lequel il touchait 543 ou 544 $ par semaine, mais non de la location de la débusqueuse, je conclus que les chances de bénéfice et les risques de perte, la propriété des instruments de travail et l’intégration du travail accompli par M. McPhee dans l’entreprise d’Atlantic militent tous en faveur de la conclusion à un contrat de travail. Je suis porté à accorder peu de poids, sinon aucun, à la question du contrôle simplement parce que la preuve concernant le droit d’exercer un contrôle était presque inexistante. Je répondrais à la question du juge Cook par la négative. Je ne puis croire qu’une personne qui est parfaitement au courant de toutes les circonstances entourant le travail effectué par M. McPhee pour Atlantic considérerait celui‑ci comme un entrepreneur, sauf à l’égard du contrat de location distinct.

 

[23]    L’avocate de l’intimé m’a renvoyé à un certain nombre de décisions de la Cour portant sur des situations factuelles à première vue similaires. Je n’en ai trouvé aucune qui soit particulièrement utile. Les principes à appliquer dans des cas comme celui‑ci ont à maintes reprises été énoncés et réitérés dans des arrêts comme Wiebe Door et Sagaz. Ce qu’il faut faire dans chaque cas, ce n’est pas se lancer dans une recherche de faits identiques, parce que les faits identiques n’existent jamais. Il faut plutôt examiner la preuve, déterminer les faits de l’affaire en cause et appliquer ensuite les principes bien établis aux faits uniques en leur genre de cette affaire.

 

[24]    Les décisions du Québec sont particulièrement inutiles lorsqu’il s’agit de statuer sur des affaires qui se présentent dans les provinces de common law, étant donné que le Code civil du Québec définit expressément les contrats de louage de services et les contrats d’entreprise compte tenu du droit de l’employeur d’exercer un contrôle sur les activités de l’employé à l’égard des modalités d’exécution du travail, ou de l’absence de contrôle. La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tremblay c. Canada[7] renferme un examen de l’application du bulletin du ministre dans lequel la politique est énoncée. Ce bulletin semble légèrement différent de la pièce R‑3 mise à ma disposition, bien qu’il soit similaire quant au contenu. Avec égards, je ne trouve pas ce bulletin particulièrement utile parce qu’on tente d’y établir les règles que les employés et les employeurs doivent suivre dans des cas où l’employé utilise une débusqueuse qui lui appartient dans l’exécution du travail pour l’employeur. Ce document est sans aucun doute utile aux membres de l’industrie qui sont parties à un contrat de travail, pour les guider lorsqu’ils concluent leurs contrats. S’ils suivent les lignes directrices qui y sont énoncées, ceux qui sont chargés d’appliquer la Loi pour le compte du ministre se conformeront probablement aux lignes directrices de sorte que les litiges pourront être évités. Cependant, une fois qu’un litige a pris naissance, les lignes directrices constituent simplement le point de vue du ministre quant au droit. La Cour est obligée d’appliquer les principes juridiques bien établis aux faits de chaque affaire, et elle est tenue d’établir ces faits à l’aide de la preuve. Je dois dire en passant que je suis étonné que l’avocate de l’intimé n’ait pas attiré mon attention sur cette décision de la Cour d’appel fédérale étant donné qu’elle a fait de l’exposé de principe l’un des principaux éléments de sa position à l’instruction. L’obligation de franchise qui incombait à l’avocate l’exigeait certes.

 

[25]    Je dois peut‑être ajouter pour conclure que les décisions récemment rendues par la Cour d’appel fédérale, par exemple dans les affaires Le Prieuré du Canada de l’Ordre très vénérable de l’hôpital de Saint‑Jean de Jérusalem c. Canada[8], Mayne Nickless Transport Inc. c. M.R.N.[9] et Wolf c. Canada[10] donnent toutes à entendre qu’il n’est pas hors de propos de tenir compte de l’intention des parties en décidant si leurs contrats sont des contrats de louage de services ou des contrats d’entreprise. La preuve telle qu’elle existe en l’espèce étaye certes l’avis selon lequel le contrat était un contrat de louage de services. M. McPhee a témoigné qu’il n’aurait accepté l’emploi auprès d’Atlantic qu’à titre d’employé, probablement parce que sa longue expérience lui a appris que le travail en forêt est saisonnier et que ce travail prendrait fin au mois de décembre, et parce qu’il avait besoin de prestations d’emploi entre le moment où il cesserait de travailler et la reprise du travail, au printemps ou à l’été. Il a également affirmé qu’un autre employeur avait refusé de l’embaucher parce qu’il n’engageait que des entrepreneurs indépendants, ce qui le rendait non admissible.

 

[26]    Il n’existait aucune preuve directe de l’intention d’Atlantic, mais certains éléments de preuve montrent qu’Atlantic a payé des cotisations d’accident du travail pour l’appelant et son fils. Bien sûr, Atlantic aurait su qu’elle était tenue d’effectuer ces paiements uniquement à l’égard d’employés engagés aux termes d’un contrat de louage de services. Si elle avait considéré l’appelant comme un entrepreneur au lieu d’un employé, elle n’aurait certes pas effectué ces paiements. En outre, Atlantic a payé la TVH sur les frais de location de la débusqueuse, comme elle était tenue de le faire. Si elle avait embauché M. McPhee comme opérateur aux termes d’un contrat d’entreprise, elle aurait été tenue de payer la TVH sur la totalité des sommes versées à M. McPhee. Or, elle ne l’a clairement pas fait. Il y a donc lieu de considérer, eu égard à la preuve mise à ma disposition, que ces parties croyaient toutes deux réellement et sérieusement que le contrat concernant le travail de M. McPhee, par opposition au contrat de location de la débusqueuse, était un contrat de louage de services et non un contrat d’entreprise. L’emploi de M. McPhee était donc assurable en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et il ouvrait droit à pension en vertu du Régime de pensions du Canada.

 

[27]    Les appels interjetés par M. McPhee sont donc accueillis et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’une décision soit à nouveau rendue en conséquence.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d’août 2005.

 

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI502

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2004‑4283(EI), 2004‑4285(CPP)

 

 

 

INTITULÉ :

Daniel Leslie McPhee

c.

Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juillet 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 8 août 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimé :

Me Marie‑Claude Landry

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

s.o.

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           [1947] 1 DLR 161.

[2]           [2001] 2 R.C.S. 983.

[3]           [1968] 3 All ER 732, pages 737 et 738.

[4]           [1986] 3 C.F. 553.

[5]           [1990] 2 A.C. 374.

[6]           Précité.

[7]           [2004] C.F. 175.

[8]           2004 CAF 345.

[9]           97‑1416‑UI, 26 février 1999 (CCI).

[10]          [2002] 4 C.F. 396.

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