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Dossier : 2001-4125(IT)G

ENTRE :

EDDIE MARQUIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus le 17 février 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Avocate de l'appelant :

Me Yolaine Lindsay

Avocat de l'intimée :

Me Mounes Ayadi

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JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'avril 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


Référence : 2004CCI224

Date : 20040415

Dossier : 2001-4125(IT)G

ENTRE :

EDDIE MARQUIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

[1]      Il s'agit d'appels, selon la procédure informelle, à l'encontre de cotisations établies à l'égard de monsieur Eddie Marquis pour les années d'imposition 1994 et 1995. Ces cotisations ont été établies après la fin de la période normale de cotisation. En produisant ses déclarations de revenus pour ces années, monsieur Marquis avait omis de déclarer ses revenus d'emploi gagnés en Algérie ainsi que les impôts payés pour son compte par son employeur au gouvernement algérien. L'intimée a allégué que monsieur Marquis avait ainsi fait une déclaration erronée dans ses déclarations de revenus pour ces années et ce, par négligence.

[2]      Dans le présent dossier, la seule question en litige est de déterminer si la présentation erronée des faits qu'a faite monsieur Marquis en produisant ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1994 et 1995 a été faite par négligence, inattention ou omission volontaire au sens de l'alinéa 152(4)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]      Monsieur Marquis en appelle de la ratification par l'Agence des douanes et du revenu du Canada des avis de cotisation pour les motifs suivants, énoncés au paragraphe 6 de l'avis d'appel :

-            Les avis de nouvelle cotisation émis par l'Agence des douanes et du revenu du Canada pour les années 1994 et 1995 sont hors délai;

-            En effet, il n'y a eu aucune fausse représentation de la part de l'appelant, par incurie ou omission volontaire, ni commission d'une fraude permettant de passer outre le délai prévu par la Loi pour l'établissement d'un avis de nouvelle cotisation;

-            Au surplus, en tout temps pertinent aux présentes, il a été représenté à l'appelant par son employeur de l'époque, un employeur étranger au sens de la Loi, que les revenus qu'il recevait pour ses services rendus en Algérie n'étaient pas imposables au Canada d'autant plus que des impôts étaient payables directement par cet employeur;

-            En tout temps pertinent aux présentes, l'appelant ne croyait pas devoir déclarer des revenus gagnés à l'étranger alors qu'il résidait effectivement à l'étranger.

[4]      Pour établir et ratifier les cotisations faisant l'objet du présent litige, le ministre du Revenu national s'est notamment appuyé sur les hypothèses de fait suivantes, énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel :

a)          Dans ses déclarations de revenus produites au Canada pour les années 1994 et 1995, l'appelant a indiqué qu'il était résident du Canada et qu'il n'avait pas cessé d'être résident canadien durant ces années.

b)          Au cours des années d'imposition 1994 et 1995, l'appelant était à l'emploi de Kellogg International Services Ltd. ( « Kellogg » ).

c)          Kellogg est une société étrangère basée aux Iles Caymans.

d)          Kellogg et l'appelant ont conclu un contrat d'emploi par lequel l'appelant s'engageait à travailler pour Kellogg en Algérie.

e)          Pour les années en litige, l'appelant a reçu de Kellogg les revenus d'emploi suivants:

Montant en dollars

américains

Montant en dollars

canadiens

1994

31 883 $

43 457 $[1]

1995

87 355 $

119 677 $[2]

[...]

g)          Le contrat conclu entre Kellogg et l'appelant prévoyait spécifiquement que l'appelant était responsable de produire ses déclarations de revenus dans son pays de résidence.

h)          Le contrat d'emploi prévoyait aussi que Kellogg se chargeait de payer les impôts payables par l'appelant en Algérie mais pas au Canada.

i)           Kellogg a payé aux autorités fiscales algériennes les montants suivants, à titre d'impôts dus par l'appelant :

Montant en dollars

américains

Montant en dollars

canadiens

1994

3 178 $

4 331 $[3]

1995

19 827 $

27 163 $[4]

[...]

k)          Dans ses déclarations de revenus pour les années en litige, l'appelant n'a déclaré ni les revenus d'emploi reçu de Kellogg, ni les impôts payés par Kellogg au gouvernement algérien pour le compte de l'appelant.

l)           Dans ses déclarations de revenus pour les années en litige, l'appelant n'a déclaré que les montants suivants :

1994

1995

Prestations du Régime de rentes du Québec

5 887 $

5 887 $

Pension de la sécurité de la vieillesse

1 184 $

5 887 $

7 071 $

[...]

Analyse

[5]      Le sous-alinéa 152(4)a) de la Loi est ainsi rédigé :

[...]

a)          le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i)          soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi.

[...]

[6]      Dans le présent litige, l'intimée avait le fardeau de démontrer que monsieur Marquis, en produisant ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1994 et 1995, avait omis de déclarer ses revenus d'emploi gagnés en Algérie ainsi que les impôts payés pour son compte par Kellogg au gouvernement algérien, et ce, par négligence, inattention ou omission involontaire. Autrement dit, l'intimée avait le fardeau de démontrer que monsieur Marquis n'avait pas agi avec une diligence raisonnable, soit la diligence qu'aurait un contribuable normal, averti et prudent.

[7]      Il convient de souligner immédiatement que dans ses avis d'opposition et son avis d'appel, monsieur Marquis avait soutenu que Kellogg lui avait affirmé que son revenu d'emploi gagné en Algérie n'étant pas imposable au Canada. Toutefois, il a admis lors de l'interrogatoire préalable et de l'audition que Kellogg ne lui avait pas fait cette affirmation.

[8]      La preuve a révélé qu'il y a presque 20 ans, une Société étrangère avait embauché monsieur Marquis pour rendre des services à une Société papetière française. Son conjoint et lui avaient alors quitté le Canada pour s'établir en France. Il fut alors à l'emploi de cette Société papetière française pendant plus de deux ans. Pendant cette période, il n'avait pas produit de déclaration de revenus au Canada parce qu'on lui avait affirmé qu'il était non-résident du Canada. Il avait alors ouvert un compte de banque en Écosse dans lequel la société étrangère versait ses revenus d'emploi gagnés en France. Les explications données par monsieur Marquis lors du contre-interrogatoire de l'avocat de l'intimée au sujet des raisons de l'ouverture de ce compte de banque écossais et de la non-déclaration des intérêts sur les montants déposés dans ce compte méritent d'être citées :

Q.         O.K. Quand est-ce que vous avez ouvert votre compte en Écosse?

R.          Bien, en fait, c'est quand je suis allé en France.

Q.         Pourquoi vous avez ouvert un compte en Écosse?

R.          Bien, pour les mêmes raisons, parce que la paye se faisait par transfert à partir d'ici jusqu'à un autre compte. Alors nous, la compagnie qui nous a engagés nous a suggéré de faire ça soit en Écosse ou à un endroit comme ça, là.

Q.         Pourquoi? Pour s'éloigner du fisc?

R.          Non, c'est pour faire travailler l'argent un peu, parce qu'à ce moment-là il y avait des intérêts intéressants.

Q.         Puis ça, c'est vers quelle période, ça, cette épisode de travailler en France?

R.          En 85, 86.

Q.         85, 86.

R.          Quelque chose comme ça.

Q.         O.K. Donc puis par la suite, vous êtes retourné au Canada?

R.          Oui.

Q.         Puis vous avez parlé que l'argent travaillait, donc je présume que dans votre compte en Écosse, il y avait de l'argent qui est resté dans ce compte?

R.          Oui, il y a un peu d'argent qui est resté, oui, tout à fait.

Q.         Qui produisait des revenus d'intérêt?

R.          Oui. Pas énormément mais enfin, oui.

Q.         Puis vous n'avez pas déclaré ces revenus d'intérêts au Canada.

R.          Non.

Q.         Pourquoi?

R.          Bien, je ne le sais pas parce que ce n'est jamais venu sur le tapis, ça.

Q.         Non, non, mais je vous pose une question, là, je vous dis...

R.          Bien, je ne le sais pas.

Q.         Vous avez un compte à l'étranger, vous avez des revenus, là, vous êtes retourné vivre au Canada, je vous pose la question.

R.          Oui.

Q          Pourquoi vous n'avez pas déclaré vos revenus d'intérêts?

R.          Bien, ça ne m'est jamais venu à l'idée que j'étais tenu à payer. De toute façon, je n'avais aucune déclaration officielle de la Banque qui m'avait payé les intérêts.

Q.         Ah! Sauf que vous, vous savez que vous avez gagné de l'intérêt puis vous connaissez le montant à peu près.

R.          Non, je ne connais pas le montant.

Q.         Ah, O.K. Peut-être que vous n'avez pas fait d'effort pour le connaître.

R.          Non, pas vraiment.

[9]      La preuve a révélé que l'appelant a produit lui-même ses déclarations de revenus. Il a déclaré ne pas avoir senti la nécessité de consulter un tiers pour l'aider à déterminer le traitement fiscal canadien de son revenu d'emploi gagné en Algérie. Les explications de monsieur Marquis pour ne pas avoir déclaré de tels revenus au Canada méritent d'être aussi citées :

Q.         Pour quelle raison les revenus que vous avez gagnés en Algérie ne sont pas inclus dans vos déclarations fiscales 94, 95?

R.          Bon. Bien, moi, dans mon esprit, dans ma tête, là, j'avais pas à déclarer ça. Je peux expliquer pourquoi?

Q.         Oui, c'est ça que je vous demande.

R.          Bon. Premièrement, j'allais travailler en Algérie où on peut facilement se faire tuer. J'ai été recruté, donc ce n'est pas ici, c'est ailleurs, j'ai été recruté par une société américaine, donc pas ici, c'est ailleurs. J'étais payé à partir d'un troisième pays, donc toujours pas ici puis l'argent était déposé dans un quatrième pays, toujours pas ici. Là, on est assez loin du fisc canadien. Moi, je ne me voyais pas tenu de déclarer ces revenus.

[10]     Le contrat de travail conclu par Kellogg et monsieur Marquis portait spécifiquement que l'appelant était responsable du paiement des impôts dans son pays de résidence permanente (clause L du contrat d'emploi à l'onglet 10 de la pièce I-1). La même clause portait que Kellogg se chargeait de payer les impôts payables par monsieur Marquis en Algérie mais non pas dans son pays de résidence permanente. Lors du contre-interrogatoire de l'avocat de l'intimée, monsieur Marquis a admis ne pas se souvenir d'avoir lu cette clause. Toutefois, il a admis, très candidement d'ailleurs, après avoir lu la clause lors de l'audience, en comprendre le sens et se rendre compte qu'il aurait dû déclarer ses revenus d'emploi au Canada.

[11]     Il faut admettre que la crédibilité de monsieur Marquis a été affectée par son aveu que Kellogg ne lui avait jamais affirmé qu'il n'avait pas à déclarer au Canada son revenu d'emploi gagné en Algérie, bien qu'il l'ait allégué à la fois dans ses avis d'opposition et son avis d'appel, et par son témoignage quant à l'ouverture du compte de banque en Écosse et la non-déclaration des intérêts par les montants déposés dans ce compte.

[12]     Il devient alors difficile de croire, comme l'a soutenu l'avocate de monsieur Marquis dans sa plaidoirie, que ce dernier était de bonne foi et donc bien fondé de croire que le traitement fiscal de son revenu d'emploi gagné en Algérie devait être le même que celui de ses revenus d'emploi gagnés 20 ans plus tôt en France. En fait, elle a soutenu que son client n'avait pas été négligent en ne consultant pas un expert pour l'aider à déterminer le traitement fiscal canadien de ses revenus d'emploi ou en ne lisant pas les clauses de son contrat avec Kellogg puisqu'il était bien fondé de croire que la situation qu'il avait connue 20 ans plus tôt en France se reproduisait.

[13]     Les explications de monsieur Marquis me sont apparues tout simplement peu crédibles compte tenu de l'ensemble de son témoignage et peu vraisemblables étant donné que les faits qui distinguaient la situation française de la situation algérienne étaient innombrables. À mon avis, monsieur Marquis avait tout simplement fait preuve d'aveuglement volontaire.

[14]     Je conclus donc que l'intimée a su satisfaire au fardeau de la preuve en démontrant que monsieur Marquis avait fait une présentation erronée des faits en produisant ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1994 et 1995, et ce, par négligence. Elle a su démontrer que monsieur Marquis n'avait pas agi avec une diligence raisonnable, soit la diligence qu'aurait un contribuable normal, averti et prudent.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'avril 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2004CCI224

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-4125(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Eddie Marquis et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 17 février 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 avril 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Yolaine Lindsay

Pour l'intimée :

Me Mounes Ayadi

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Yolaine Lindsay

Étude :

Lindsay Lévesque

St-Hyacinthe (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Taux de 1,363

[2] Taux de 1,37

[3] Taux de 1,363

[4] Taux de 1,37

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