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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-113(IT)I

ENTRE :

JOHN MACINNIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 19 février 2003 à Belleville (Ontario)

Devant : L'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Tony Chambers

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2003.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2003CCI94

Date : 20030228

Dossier : 2002-113(IT)I

ENTRE :

JOHN MACINNIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Teskey, C.C.I.

[1]      Dans son avis d'appel relativement à la cotisation d'impôt sur le revenu de 1999, l'appelant a choisi le régime de la procédure informelle.

[2]      La question à trancher en l'espèce est de savoir si le coût du déménagement de Trenton, en Ontario, pour revenir à Sydney, en Nouvelle-Écosse, lequel coût a été remboursé par les Forces armées canadiennes, constitue un avantage imposable en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]      Les faits, qui ne sont pas en litige, peuvent se résumer comme suit :

(i)       l'appelant vivait à Sydney, en Nouvelle-Écosse, au moment où il s'est enrôlé;

(ii)       tout au long de sa carrière militaire, les Forces armées pouvaient, à leur gré, muter l'appelant d'un endroit à l'autre, et elles ont ainsi fait. Si l'appelant n'avait pas obéi aux ordres, il aurait pu se retrouver en prison;

(iii)      l'appelant était stationné à Trenton, en Ontario, au moment de sa retraite;

(iv)      quoique la politique des Forces armées consiste à rembourser tous les frais liés au déménagement d'un militaire retraité à l'endroit de son choix n'importe où au Canada, l'appelant en l'espèce voulait retourner à Sydney, en Nouvelle-Écosse, au moment qui lui semblerait bon;

(v)      les Forces armées ont calculé le coût total du déménagement de l'appelant à Sydney, en Nouvelle-Écosse, et l'appelant a accepté un versement forfaitaire représentant 80 pour cent du montant calculé, soit 12 394 $;

(vi)      l'appelant a reçu un chèque de 12 394 $ et il a défrayé des dépenses légitimes excédant ce montant;

(vii)     si l'appelant avait déménagé immédiatement à Sydney, les Forces armées auraient payé tous les frais, mettant fin à la question en ce qui les concernait;

(viii)    en l'espèce, les Forces armées ont remis un feuillet T4 montrant 12 394 $ à titre de revenu d'emploi, ce qu'elles n'auraient pas fait si elles avaient défrayé tous les frais réellement engagés;

(ix)      les actions de l'appelant en l'espèce ont permis aux Forces armées d'économiser de l'argent.

[4]      La disposition d'inclusion générale à l'alinéa 6(1)a) de la Loi est pertinente en l'espèce parce que les frais de déménagement remboursés par l'employeur ne sont pas mentionnés explicitement ailleurs dans la Loi. Les passages pertinents de l'article 6 se lisent comme suit :

6(1)       Éléments à inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi - Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

a)          Valeur des avantages - la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages suivants [...]

Le critère

[5]      Dans l'arrêt La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, 83 D.T.C. 5409, la Cour suprême du Canada a examiné deux éléments de l'alinéa 6(1)a) séparément l'un de l'autre, de façon à élaborer un critère à deux volets. Ce critère peut s'énoncer comme suit :

1.        Il doit y avoir un avantage.

2.        L'avantage doit être reçu au titre de l'emploi.

[6]      Il est clair que le versement a été reçu au titre de l'emploi, de telle sorte que la question à trancher par cette cour consiste à savoir s'il y a un avantage.

Analyse

[7]      Les Forces armées remboursent les frais de déménagement d'un militaire à la retraite n'importe où au Canada, mais, en l'espèce, l'appelant voulait simplement retourner à Sydney, en Nouvelle-Écosse, son lieu d'origine. Si le montant est imposable, il n'a pas les moyens de déménager à Sydney, alors qu'il a déjà vendu sa maison à Trenton et acheté un terrain à bâtir à Sydney.

[8]      Dans l'arrêt Savage, la Cour suprême du Canada déclare que les termes « avantages de quelque nature que ce soit » ont manifestement une portée très large. Il est néanmoins possible de discerner un avantage en examinant son impact sur la situation économique de l'employé. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt M.R.N. c. Phillips, [1994] 2 C.F. 680, 94 D.T.C. 6177, explique qu'un avantage économique conféré est imposable, tandis que le remboursement d'une perte ne l'est pas.

[9]      Un motif relatif aux politiques à l'appui de l'analyse de la position économique est énoncé dans l'arrêt Ransom v. M.N.R., [1968] 1 Ex. C.R. 293, à la page 310 :

                   [TRADUCTION]

Quand son employeur lui rembourse une telle perte, on ne peut considérer qu'il s'agit de rémunération, car si c'était tout ce qu'il avait reçu en vertu de son contrat d'emploi, il n'aurait reçu aucun montant pour ses services. Du point de vue économique, tout ce qu'il aurait reçu aurait été le montant déboursé dans le cadre de son emploi.

[10]     La Cour d'appel fédérale a mentionné un autre motif relatif aux politiques dans l'affaire Phillips, précitée, à la page 701 (D.T.C. : à la page 6183), en reprenant les propos du juge Brulé dans l'affaire Greisinger c. M.R.N., C.C.I., no 85-1076(IT), 16 octobre 1986, à la page 7, 86 D.T.C. 1802 à la page 1805 :

[...] il faut maintenir l'unité et l'équilibre entre l'employé qui est muté dans une autre ville et celui qui ne l'est pas. De fait, le premier risque de subir des pertes tandis que la situation du second est stable. Pour rendre les mutations plus invitantes au point de vue économique, une société accepte d'indemniser son employé. Ainsi, un équilibre économique est réalisé et, pour cette raison, le montant remboursé ne doit pas être assujetti à l'impôt.

[11]     La position de l'intimée est que le montant de 12 394 $ représente un avantage imposable et elle a référé la Cour à deux arrêts de la Cour fédérale, soit Phillips, précité, et Canada (Procureur général) c. Hoefele, [1996] 1 C.F. 322.

[12]     Dans l'arrêt Phillips, la Cour s'est penchée sur un versement de 10 000 $ effectué par l'employeur de M. Phillips, le Canadien National, afin de compenser les coûts de logement plus élevés à Winnipeg, où M. Phillips avait été muté, comparativement à ceux de Moncton.

[13]     La Cour a statué que le montant de 10 000 $ était imposable car il conférait un avantage économique à M. Phillips.

[14]     Dans l'affaire Hoefele, la majorité des juges de la Cour d'appel fédérale a statué que l'allocation relative à l'hypothèque et aux intérêts qui avait été versée par l'employeur, Petro-Canada, aux employés mutés à Toronto ne constituait pas un avantage en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi.

[15]     Le juge Linden affirme, au paragraphe 7 de cette affaire (p. 330) :

L'arrêt R. c. Savage de la Cour suprême du Canada est l'arrêt clé aux fins de déterminer ce qu'est un avantage imposable. Dans cette affaire, le juge Dickson [citant R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727, à la p. 738], tel était alors son titre, explique clairement et simplement ce qui distingue une rentrée imposable d'une rentrée non imposable :

S'il s'agit d'une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l'objet d'une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l'art. 3.

Par conséquent, selon la Cour suprême, pour qu'elle soit imposable à titre d' « avantage » , une rentrée doit conférer un avantage économique. En d'autres termes, pour qu'elle soit imposable, la rentrée doit avoir pour effet d'augmenter la valeur nette du patrimoine du bénéficiaire. À l'inverse, la rentrée qui n'augmente pas celle-ci n'est pas un avantage et n'est pas imposable. Le remboursement d'une dépense n'est donc pas imposable, car la valeur nette du patrimoine du bénéficiaire ne s'en trouve pas accrue.

et de nouveau, aux paragraphes 8 (p. 330-331) et 11 (p. 332), il déclare :

Notre jurisprudence accepte depuis longtemps que l'accent soit mis sur le gain net pour déterminer si une rentrée constitue un « avantage » et si elle est, par conséquent, imposable. Dans une décision rendue en 1967 par la Cour de l'Échiquier du Canada, Ransom, Cyril John v. Minister of National Revenue, le juge Noël applique la notion de gain net à des circonstances qui sont assez semblables à celles de la présente affaire. Un employé muté par son employeur dans une autre ville avait été remboursé par ce dernier des pertes subies lors de la vente de sa maison. Pour conclure que les sommes remboursées ne constituaient pas un revenu, le juge Noël dit ce qui suit :

[TRADUCTION] Si, comme en l'espèce, l'employé risque d'être déplacé d'un endroit à un autre, les montants qu'il doit lui-même payer à cause de ces déplacements doivent être traités exactement comme des frais de déplacement ordinaires. L'employé est désavantagé au point de vue financier à cause de cet aspect particulier de son contrat de travail. Quand son employeur lui rembourse la perte ainsi subie, le montant versé ne peut être considéré comme une rémunération, car si l'employé ne recevait rien d'autre en vertu de son contrat de travail, il n'aurait rien reçu pour ses services. Au point de vue économique, il n'aurait reçu que le montant qu'il a dû payer à cause de son emploi.

Il s'agit simplement d'une autre façon de formuler la notion de gain net selon laquelle une rentrée n'est pas imposable si elle n'a pas pour effet d'améliorer la situation financière du contribuable. Le seul remboursement d'une somme que l'employé aurait dû autrement « lui-même payer » ne constitue pas un « avantage » . Le juge assimile les frais de réinstallation à des frais de déplacement ordinaires. Selon le juge Noël, le remboursement de dépenses engagées en raison d'un déplacement ne peut être considéré comme un avantage, car il n'a pas vraiment pour effet d'améliorer la situation financière du bénéficiaire. Il ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION] Il me semble bien clair que le remboursement d'une somme à un employé par un employeur au titre de dépenses engagées ou de pertes subies en raison de l'emploi (remboursement qui, comme l'a déclaré lord McNaughton dans l'affaire Tenant v. Smith [1892] A.C. 150, n'enrichit pas le bénéficiaire, mais le compense tout simplement) n'est pas une rémunération comme telle ni un avantage « de quelque nature que ce soit » [...]

[...]

La Cour doit donc trancher la question de savoir si, dans chacune des présentes affaires, le contribuable a été rétabli dans la situation où il se trouvait auparavant ou s'il a réalisé un gain. Bien qu'un certain nombre d'expressions puissent être utilisées à cet égard - comme rembourser, restituer, indemniser, dédommager, rétablir, soustraire à une dépense - le principe sous-jacent demeure le même. Si, dans le cadre de l'opération globale, la situation financière de l'employé n'est pas améliorée, c'est-à-dire s'il s'agit d'une opération où les différents éléments s'annulent lorsqu'on les considère dans leur ensemble, la rentrée n'est pas un avantage et, par conséquent, elle n'est pas imposable en vertu de l'alinéa 6(1)a). Peu importe que la dépense soit engagée relativement à des frais occasionnés par l'accomplissement du travail, un déplacement lié à l'emploi ou l'emménagement dans un nouveau lieu de travail, tant que l'employeur ne paie pas les dépenses quotidiennes ordinaires de l'employé.

[16]     Une situation hypothétique peut aider à jeter de la lumière sur cette affaire. Supposons que deux frères s'enrôlent dans les Forces armées à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Après cela, l'un des frères reçoit différentes affectations qui l'amènent en fin de compte à Trenton, en Ontario, tandis que l'autre, après plusieurs affectations, se retrouve à Sydney. Après 25 ans, l'armée règle les frais de déménagement du frère qui se trouve à Trenton pour le ramener à Sydney. Ce règlement devrait être non imposable pour maintenir l'uniformité et l'équilibre économiques entre les deux frères.

[17]     En l'espèce, l'armée ne faisait que transférer l'appelant à l'endroit où il était quand il s'est enrôlé, et il n'a reçu aucun gain ou avantage économique.

[18]     L'appel est admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2003.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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