Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2001-2301(IT)G, 2001-2302(IT)G,

2001-2303(IT)G, 2001-2304(IT)G,

2001-2305(IT)G, 2001-2307(IT)G,

2001-2308(IT)G, 2001-2309(IT)G,

2001-2318(IT)G, 2001-2319(IT)G,

2001-2320(IT)G, 2001-2321(IT)G.

ENTRE :

JOHN MacKAY, DEREK ROSS LEE,

ROBERT MACDONALD, ROBERT LEE LTD.,

AEBAG HOLDINGS LTD., BEACH AVENUE HOLDINGS COMPANY LTD.,

JOHN CASSILS, JOHN ZAYTSOFF,

TIMOTHY WALLACE, MARIA WONG,

ROBERT GLASS, BRIAN McGAVIN,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

 

Appels entendus du 3 au 11 avril 2006, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

Avocats des appelants :

Me Edwin G. Kroft et

Me Elizabeth Junkin

Avocats de l’intimée :

Me Robert Carvalho et

Me Ron Wilhelm

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1991, 1992, 1993, 1994, 1995, 1996 et 1998 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

          Si les parties n’arrivent pas à régler la question des dépens, elles pourront communiquer avec la Cour quant aux observations à soumettre sur ce point.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2007.

 

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de novembre 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

 

Référence : 2007CCI94

Date : 20070221

Dossiers : 2001-2301(IT)G, 2001-2302(IT)G,

2001-2303(IT)G, 2001-2304(IT)G,

2001-2305(IT)G, 2001-2307(IT)G,

2001-2308(IT)G, 2001-2309(IT)G,

2001-2318(IT)G, 2001-2319(IT)G,

2001-2320(IT)G, 2001-2321(IT)G.

ENTRE :

JOHN MacKAY, DEREK ROSS LEE,

ROBERT MACDONALD, ROBERT LEE LTD.,

AEBAG HOLDINGS LTD., BEACH AVENUE HOLDINGS COMPANY LTD.,

JOHN CASSILS, JOHN ZAYTSOFF,

TIMOTHY WALLACE, MARIA WONG,

ROBERT GLASS, BRIAN McGAVIN,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

I.       INTRODUCTION

 

[1]     Ces appels découlent d’une série d’opérations et d’événements qui ont eu lieu entre le mois d’août et le 31 décembre 1993, lesquels ont entraîné l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard des appelants pour diverses années d’imposition. Les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

 

[2]     Les appelants participent d’une façon ou d’une autre à des activités dans le cadre desquelles ils engagent des capitaux dans des immeubles, aménagent ces immeubles et les vendent. Au mois d’août 1993, plusieurs appelants se sont vu offrir l’occasion d’acheter le centre commercial Northills (le « centre commercial »), situé à Kamloops (Colombie‑Britannique). À ce moment‑là, la Banque Nationale du Canada (la « banque ») avait le centre commercial en sa possession par suite de procédures de forclusion engagées à l’égard d’une créance hypothécaire qu’elle détenait sur le centre commercial (la « créance »). Le prix de base de la banque pour la créance était 16 072 865 $.

 

[3]     Les appelants ont négocié la vente du centre commercial avec la banque au prix de 10 000 000 $. La vente a entraîné une perte autre qu’en capital, égale à la différence entre le prix de base de la créance (16 072 865 $) et la juste valeur marchande (10 000 000 $), laquelle a été transférée à une société de personnes et a finalement été attribuée à chaque appelant au pro rata de sa participation dans la société de personnes. La série fondamentale d’opérations qui a occasionné le transfert de cette perte peut être résumée comme suit :

 

i.        La banque a constitué en personne morale une filiale à 100 p. 100;

 

ii.      La banque a formé une société de personnes avec cette nouvelle société;

 

iii.    La banque a cédé le droit qu’elle avait à l’égard de la créance hypothécaire à la société de personnes;

 

iv.   Les appelants ont acheté des parts dans la société de personnes.

 

[4]     Après que le centre commercial eut été transféré à la société de personnes, dans laquelle les appelants possédaient des parts, les appelants ont réduit la valeur comptable du centre commercial et ont subi une perte de 5 820 875 $. Ils ont ensuite utilisé leur part proportionnelle de la perte pour compenser le revenu tiré d’autres sources. Le transfert et la réduction subséquente de la valeur du centre commercial étaient conformes aux paragraphes 18(13) et 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[5]     Les appelants ont fait l’objet de nouvelles cotisations compte tenu du fait que l’article 245 de la Loi, la règle générale anti‑évitement (la « RGAÉ »), s’appliquait et permettait de refuser la déduction des pertes à l’égard de la créance hypothécaire. L’intimée affirme que l’opération ou les opérations qui ont donné lieu à l’avantage fiscal étaient des opérations d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi parce qu’elles ont été effectuées de cette façon afin d’obtenir un avantage fiscal, à savoir le transfert des pertes autres qu’en capital, entraînant la réduction éventuelle de l’impôt sur le revenu payable par chaque appelant en fonction de la part proportionnelle qu’il avait dans la société de personnes.

 

[6]     Les appelants soutiennent que [traduction] « chaque opération et la série d’opérations dans son ensemble visaient principalement à permettre au vendeur du centre commercial (la banque), à l’acheteur (la société de personnes dont les appelants étaient membres) et à chacun des appelants de procéder à l’acquisition du centre commercial » [observations des appelants, paragraphe 3]. Les appelants affirment en outre que [traduction] l’« obtention de pertes fiscales n’était pas l’objet principal de l’une ou l’autre des opérations » [observations des appelants, paragraphe 3].

 

II.      LA QUESTION EN LITIGE

 

[7]     Les appelants ont abandonné l’argument selon lequel l’article 245 de la Loi violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[8]     Au paragraphe 4 de leur exposé préliminaire écrit, les appelants concédaient ce qui suit :

 

[traduction]

a)        Les opérations en question ont donné lieu à un « avantage fiscal » (selon la définition figurant au paragraphe 245(1) de la Loi);

 

b)        Eu égard aux circonstances, la Cour n’a pas à entreprendre l’examen du moyen de défense prévu au paragraphe 245(4) de la Loi.

 

[9]     En l’espèce, il s’agit uniquement de savoir si, en ce qui concerne l’application de l’article 245 de la Loi, il existait une opération d’évitement telle que celle qui est envisagée au paragraphe 245(3) de la Loi.

 

III.    LES FAITS

 

[10]    Les faits de l’affaire sont passablement longs. Au cours des sept journées qu’a duré l’audience, 14 témoins en tout ont été entendus. Il y avait notamment onze appelants; Bill Kennedy, représentant de la banque; Tony Letvinchuk, gérant du centre commercial; et Gilbert Lee, agent des appels à l’Agence du revenu du Canada. De plus, 226 documents ont été produits dans un cahier conjoint de documents.

 

[11]    Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, qui est joint à l’annexe A des présents motifs. J’ai également joint, à l’annexe B, un bref résumé de la preuve soumise par chacun des appelants, ou par une personne désignée dans le cas d’une société appelante. Les deux annexes sont pertinentes aux fins qui nous occupent et sont mentionnées dans mes motifs. Un bref résumé des faits essentiels suffira comme toile de fond aux fins de l’examen et de l’analyse de la question en litige.

 

[12]    Prospero International Realty Inc. (« Prospero ») appartient à Robert Lee (qui est le dirigeant de l’appelante Robert Lee Ltd.) ainsi qu’à la famille de celui‑ci (la « famille Lee »), et notamment à son fils, l’appelant Derek Lee. On a fait appel à Prospero, en 1991, pour qu’elle agisse à titre de gérant du centre commercial.

 

[13]    La famille Lee connaissait déjà le centre commercial étant donné qu’elle en avait brièvement été propriétaire avant de le revendre en 1992 aux propriétaires initiaux, York-Hannover Developments Ltd. (« York-Hannover »), à peu près au même prix que ce qu’elle avait payé pour l’acheter. De l’avis de Derek Lee, ce placement n’était ni bon ni mauvais; il s’agissait simplement d’un non‑événement.

 

[14]    Prospero employait comme gérant Tony Letvinchuk qui avait initialement eu connaissance de l’existence du centre commercial au moment où Prospero l’a acheté à York-Hannover. M. Letvinchuk est officiellement devenu gérant du centre commercial à la fin de l’année 1992.

 

[15]    Au cours de la période de 1990 à 1992, le centre commercial a été exploité à perte. Au mois de décembre 1992, la banque a déposé une requête (les « procédures de forclusion ») devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique contre York-Hannover, en vue de saisir en forclusion le centre commercial.

 

[16]    Au mois de février 1993, la Cour a rendu une ordonnance autorisant exclusivement la banque à procéder à la vente du centre commercial. Au 3 février 1993, un montant de 16 072 865 $ était dû à la banque. Le 9 février 1993, la banque et Prospero ont signé un mandat d’exclusivité en vue de vendre le centre commercial au prix de 12 500 000 $.

 

[17]    Derek Lee, principal responsable de la commercialisation et de la vente du centre commercial chez Prospero, a préparé une brochure de vente [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 38]. Plusieurs offres d’achat ont été soumises, mais aucune n’a été retenue. En tentant de vendre l’immeuble, Prospero a communiqué avec d’autres relations d’affaires et avec des clients que l’immeuble pouvait intéresser, et notamment avec l’appelant Robert Macdonald, dirigeant de Macdonald Development Corporation.

 

[18]    Robert Macdonald a témoigné avoir initialement été mis au courant de l’existence du centre commercial au printemps 1993, par l’entremise de la banque. Derek Lee a par la suite communiqué avec lui et lui a remis un exemplaire de la brochure de vente de Prospero. Initialement, l’affaire n’intéressait pas particulièrement Robert Macdonald, étant donné qu’il traitait déjà avec la banque à l’égard d’autres opérations et qu’il ne croyait pas pouvoir [traduction] « imposer » un prix aussi faible pour l’immeuble [transcription, page 530]. Toutefois, Derek Lee et Tony Letvinchuk ont réussi à le convaincre que l’affaire était intéressante.

 

[19]    Robert Macdonald a témoigné; son agenda [cahier conjoint de documents, volume 6, onglet 208] indique qu’il s’est rendu au centre commercial au mois de mai 1993. Le centre commercial a été décrit comme étant à ce moment‑là [traduction] « délabré » et comme n’étant pas [traduction] « attrayant à première vue ». Il fallait le moderniser et un grand nombre de locataires avaient conclu des baux mensuels. Toutefois, Robert Macdonald ne croyait pas que la situation financière et l’aspect matériel du centre commercial constituaient un désavantage et, compte tenu de son expérience en affaires et de ses discussions avec Tony Letvinchuk, il estimait que le centre commercial avait beaucoup de potentiel.

 

[20]    Robert Macdonald a témoigné que l’achat de cet immeuble l’intéressait uniquement si la famille Lee prenait part à l’affaire, parce qu’il croyait qu’il serait bon que le gérant, Prospero, ait un intérêt à titre de propriétaire dans le centre commercial. Il n’avait alors pas discuté de l’achat avec d’autres associés possibles.

 

[21]    Robert Macdonald a témoigné qu’il envisageait de voir s’il pouvait acquérir le centre commercial à un prix de base fondé sur [traduction] « le coût de l’immeuble lui‑même et sur les flux de trésorerie ». Voici ce qu’il a déclaré : [traduction] « Si nous pouvions l’obtenir pour 10 [millions de dollars], […] nous consacrerions des fonds afin d’effectuer des améliorations, de recruter de nouveaux locataires et d’augmenter le revenu, et ensuite, en temps et lieu, il est à espérer que nous revendrions le centre commercial à profit » [transcription, page 557]. Il a déclaré ne pas avoir eu de discussions à ce moment‑là au sujet de l’impôt ou des pertes fiscales avec Derek Lee ou avec Tony Letvinchuk.

 

[22]    C’est lors de ces discussions que Derek Lee et Robert Macdonald, avec l’aide de Tony Letvinchuk, ont préparé un plan d’entreprise (le « plan d’entreprise ») pour le centre commercial. Le plan d’entreprise comportait les étapes suivantes :

 

a) l’achat du centre commercial au prix de 10 000 000 $ (soit un prix correspondant à un taux de capitalisation de 11,5 p. 100);

 

b)  l’amélioration matérielle et la modernisation du centre commercial, de façon qu’il ait meilleure apparence pour un acheteur éventuel;

 

c)  la conclusion de baux, au centre commercial, et la stabilisation des locataires afin de rendre le centre commercial plus attrayant pour l’acheteur éventuel sur le plan économique;

 

d)  l’augmentation de la valeur du centre commercial au moyen d’améliorations effectuées sur les plans matériel et financier;

 

e)   l’obtention d’un bénéfice d’exploitation net annuel d’environ 1 400 000 $ tiré du centre commercial;

 

f)   la réalisation d’un profit par la revente du centre commercial au prix de 14 000 000 $ (compte tenu d’un taux de capitalisation de 10 p. 100) le plus tôt possible et au moment le plus opportun.

 

[23]    Avant de rencontrer les représentants de la banque, le 5 août 1993, Robert Macdonald s’est préparé en prenant connaissance de la brochure de vente et il a également poursuivi les discussions avec Tony Letvinchuk. Ces discussions étaient axées sur la détermination d’un prix d’achat éventuel ainsi que sur le coût des améliorations. Au sujet du centre commercial, Tony Letvinchuk a préparé des notes [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 41] indiquant un prix d’achat possible de dix millions de dollars, le montant nécessaire aux fins du financement, le montant nécessaire pour les améliorations ainsi que le flux de trésorerie auquel on pouvait s’attendre [traduction] « dès le départ ». Les notes mentionnaient également qu’il était important de recruter Tim-BR Mart comme locataire. Barrie Sali était président de Tim-BR Mart, une chaîne de magasins spécialisés dans le bois et la quincaillerie. Compte tenu du taux d’inoccupation du centre commercial, Robert Macdonald espérait que Barrie Sali deviendrait un associé et installerait Tim-BR Mart à cet endroit.

 

[24]    Le 5 août 1993, Robert Macdonald et Derek Lee ont rencontré les représentants de la banque, Bill Kennedy, Peter Brennan et Jim Dysart. Bill Kennedy et Peter Brennan travaillaient dans la section des prêts spéciaux et Jim Dysart était responsable des biens immeubles que la banque possédait en Amérique du Nord. Robert Macdonald a décrit la réunion comme étant une [traduction] « séance de négociation » du prix d’achat et des conditions de financement du centre commercial.

 

[25]    Initialement, Robert Macdonald a proposé un prix d’environ neuf millions de dollars et Bill Kennedy a riposté avec un prix de onze millions. En fin de compte, les parties se sont entendues sur un prix de dix millions de dollars. La banque a offert de consentir un prêt hypothécaire représentant 75 p. 100 du prix de vente, mais Robert Macdonald cherchait à obtenir un degré plus élevé de financement par endettement. Les parties ont négocié un prêt hypothécaire de 8,6 millions de dollars, à condition que Robert Macdonald et Robert Lee donnent des garanties personnelles à l’égard du montant de financement en sus de 75 p. 100 du prix d’achat[1]. Elles ont également discuté d’un financement additionnel pour les dépenses en immobilisations destinées à améliorer le centre commercial, du taux du prêt hypothécaire, ainsi que d’autres conditions du prêt hypothécaire. Lors de cette réunion, il n’a jamais été question des pertes fiscales ou des avantages fiscaux.

 

[26]    Robert Macdonald savait qu’un problème risquait de se poser étant donné que la banque détenait l’hypothèque, mais qu’elle n’avait pas encore le titre légal de propriété. Voici ce qu’il a déclaré : [traduction] « Nous savions à peu près où nous voulions en venir […] c’est-à-dire que nous voulions être propriétaires de l’immeuble, de façon à pouvoir mettre en œuvre [le] plan d’entreprise » [transcription, page 568]. Il importe de noter que les conditions établies lors de cette réunion correspondent fondamentalement aux conditions essentielles de l’entente à laquelle les appelants et la banque sont en fin de compte arrivés.

 

[27]    Au cours des jours qui ont suivi cette réunion, Robert Macdonald a rencontré les appelants Maria Wong et John Zaytsoff pour discuter de l’organisation de l’achat éventuel du centre commercial. À ce moment‑là, Maria Wong était vice‑présidente, Finances, chez Macdonald Development Corporation et elle était chargée de coordonner les avis juridiques et comptables qui étaient donnés au sujet de l’organisation. John Zaytsoff, qui était comptable agréé et associé au cabinet comptable KPMG, était le comptable externe de Macdonald Development Corporation. M. Zaytsoff s’occupait de financement d’entreprises, d’immeubles et de questions fiscales et son rôle était de créer des structures d’investissement afin de répondre aux objectifs commerciaux et aux besoins fiscaux de ses clients.

 

[28]    Robert Macdonald consultait normalement John Zaytsoff [traduction] lorsqu’« une affaire était dans le sac ». Dans ce cas-ci, M. Zaytsoff a fait savoir que l’opération concernant le centre commercial pouvait être organisée au moyen d’une société de personnes. Il a témoigné que chaque affaire sur laquelle il travaillait avec Robert Macdonald était différente, mais qu’une société de personnes était un moyen d’acquisition communément utilisé dans les opérations relatives à des biens que M. Macdonald concluait. Le fait que le centre commercial représentait la créance hypothécaire de la banque devait également entrer en ligne de compte aux fins de l’organisation de l’opération. Après que John Zaytsoff eut déclaré que c’était la première fois qu’il avait aidé Robert Macdonald à acheter une créance hypothécaire, on lui a posé la question suivante, au cours de l’interrogatoire principal :

 

[traduction]

Q.        Quels étaient les défis à relever sur le plan de l’organisation?

 

A.        Lorsque vous parlez de défis, eh bien, il s’agissait d’une créance hypothécaire de la banque, je croyais comprendre que la banque avait un mandat de vente à l’égard de l’immeuble. Je croyais également comprendre que la banque avait […] un prêt non productif et qu’elle voulait le radier de ses livres […] et notre client voulait acheter un immeuble, ils voulaient en accroître la valeur en le rénovant et en renforçant les baux. Et […] tels étaient les défis et […] les faits dont il fallait tenir compte en créant une structure aux fins de l’acquisition de l’immeuble [transcription, page 985].

 

[29]    Après la réunion tenue avec John Zaytsoff, Maria Wong a préparé un projet de lettre d’intention adressée à Bill Kennedy, de la banque [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 42], et elle a envoyé par télécopieur une copie de la lettre, datée du 9 août 1993, à John Zaytsoff pour qu’il l’examine. La troisième page de cette lettre indique la structure de l’opération; il y est dit ce qui suit :

 

[traduction]

Nous croyons comprendre que la BNC transfère presque toute la créance hypothécaire (99,999 p. 100) qu’elle possède sur le centre commercial First Hill à une société de personnes de la Colombie‑Britannique, qui vient d’être créée aux fins de la matérialisation de cette créance, et que nous allons acheter la part détenue par la BNC dans cette société de personnes. Nous croyons en outre comprendre que la société de personnes acquerra la propriété effective du centre commercial au plus tard à la date de conclusion. Le droit légal de propriété sera détenu par une société fictive et les actions de cette société seront transférées en notre faveur.

 

[30]    Cette lettre avait été préparée par Maria Wong, mais elle a été complétée conformément aux conseils de John Zaytsoff. Lors de l’interrogatoire principal, on a demandé à John Zaytsoff pour quelles raisons cette structure avait été proposée. M. Zaytsoff a donné la réponse suivante :

 

[traduction]

[…] pour un certain nombre de raisons. Premièrement, la société de personnes est le moyen le plus efficace de posséder un immeuble dans le cas où il y a un certain nombre d’associés ou un certain nombre d’intéressés qui ont divers antécédents et diverses exigences. Chaque personne a plus de latitude […] lorsqu’il s’agit d’organiser ses propres affaires de façon à ne pas intervenir dans celles des autres, au point de vue tant de la planification successorale ou fiscale que du financement.

      C’est tout simplement la structure la plus souple à utiliser aux fins de l’acquisition d’un immeuble, en particulier lorsqu’il y a d’autres associés et en particulier lorsque l’objectif est d’acheter l’immeuble, de le remettre à neuf et de le revendre à bref délai.

[…]

    La banque avait une créance, et c’était tout ce qu’elle avait. Mon client voulait acheter un immeuble. À notre avis, étant donné que la créance faisait l’objet de procédures de forclusion et advenant le cas où la banque allait transférer la créance à une société de personnes et ensuite procéder à la saisie en forclusion et faire en sorte que la société de personnes procède à la saisie, l’acquisition de l’immeuble par la société de personnes, par opposition à la vente de l’immeuble par la banque ou à la saisie de l’immeuble suivie de sa vente, était un moyen beaucoup plus efficace. C’était donc là un autre objectif, une autre raison [transcription, pages 988 et 989].

 

[31]    À peu près à ce moment-là, Maria Wong a préparé un autre exposé des étapes envisagées à l’égard des opérations (l’« exposé des étapes ») [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 43], qu’elle a envoyé par télécopieur à Bill Kennedy. Dans ce document, les cinq étapes suivantes étaient prévues :

 

[traduction]

1.   La Banque Nationale (la « BNC ») transfère la créance hypothécaire à une société en nom collectif nouvellement créée, la société North Hills, moyennant une participation de 99,999 p. 100. La BNC constitue une nouvelle société qui détiendra le 0,001 p. 100 restant. Conformément au paragraphe 18(13) de la LIR, la BNC se verra refuser la perte subie lors du transfert et cette perte sera ajoutée au prix de base rajusté de la créance hypothécaire. Le prix de base rajusté en résultant de la créance hypothécaire sera constitué du principal, plus les intérêts de la créance hypothécaire. La société de personnes North Hills sera formée afin d’acquérir la créance hypothécaire à problèmes, de remédier à la situation et de réaliser un produit maximal à cet égard.

 

2.   La société de personnes North Hills procède ensuite à la saisie hypothécaire et acquiert le titre de propriété du centre commercial. Le prix de base du centre commercial est constitué du principal, plus les intérêts hypothécaires et les frais de saisie en forclusion.

 

3.   La BNC vend 99,999 p. 100 de la participation qu’elle a dans la société de personnes North Hills à Macdonald Development Corporation (« MDC ») et à Prospero International Realty Inc. (« Prospero »), à un prix négocié qui peut comprendre le versement d’argent comptant, une première hypothèque ou une autre garantie. La BNC réalise une perte au moment de la vente de sa participation dans North Hills.

 

4.   Conformément au paragraphe 10(1) de la LIR, la société de personnes North Hills réduit la valeur du centre commercial à sa JVM à la fin de son premier exercice et attribue la perte à ses associés.

 

5.      La société de personnes North Hills s’occupera de la mise en œuvre de son plan d’entreprise.

 

La seconde page de l’exposé des étapes, intitulée [traduction] « Sommaire de la structure fiscale du centre commercial North Hills », renfermait un diagramme indiquant les étapes proposées.

 

[32]    Lors du contre-interrogatoire, Maria Wong a affirmé avec véhémence que l’exposé des étapes n’indiquait pas les motifs pour lesquels ces étapes devaient être suivies mais se limitait à les énumérer. Mme Wong a déclaré que ce document visait à brosser un tableau complet de la structure de l’opération au profit de la banque et que chaque opération était uniquement proposée afin d’assurer l’acquisition du centre commercial.

 

[33]    Le 19 août 1993, un projet de lettre d’intention [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 45A] a été remis à Bill Kennedy pour qu’il l’examine avant la réunion qui devait avoir lieu plus tard ce jour‑là avec Robert Macdonald. Les conditions énoncées dans cette lettre d’intention étaient conformes à celles dont il avait été question à la réunion initiale, le 5 août 1993. Robert Macdonald a témoigné que la réunion du 19 août 1993 visait à permettre de déterminer si la banque était disposée à mettre en œuvre la structure proposée dans la lettre d’intention du 19 août 1993 et dans l’exposé des étapes. Robert Macdonald ne se rappelait pas que l’on eût discuté en détail de la structure proposée, mais il a déclaré qu’on avait surtout parlé de la question de savoir si les étapes proposées permettaient d’atteindre le [traduction] « but » visé, acquérir le centre commercial, tout en créant certains avantages fiscaux [transcription, page 627].

 

[34]    Par suite de cette réunion, la banque et Robert Macdonald sont arrivés à un accord préliminaire quant aux conditions de vente du centre commercial à un groupe composé de Robert Macdonald, de Prospero et, peut‑être, de Barrie Sali. Une lettre d’intention a été envoyée au cabinet d’avocats de la banque, Fraser & Beatty, le 24 août 1993 [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 46], accompagnée d’un montant de 50 000 $ à titre d’arrhes. La date de clôture mentionnée dans cette lettre d’intention était le 15 novembre 1993, ce qui indiquait l’intention de la banque de conclure l’opération le plus tôt possible.

 

[35]    Au mois de septembre 1993, Barrie Sali a refusé de participer à l’acquisition du centre commercial. Robert Macdonald s’est mis à chercher d’autres investisseurs, et notamment les autres appelants. Étant donné qu’il avait engagé d’importants capitaux dans d’autres projets, M. Macdonald cherchait activement d’autres investisseurs pour répondre aux besoins en capitaux du projet. Pendant tout le mois de septembre et d’octobre 1993, Robert Macdonald en était encore à dresser une liste d’associés éventuels qui fourniraient les capitaux nécessaires. Lors de l’interrogatoire principal, on a demandé à Robert Macdonald si le fait que la banque formait la société de personnes l’inquiétait, étant donné que la liste des associés éventuels changeait au cours de la période précédant la création de la société de personnes. M. Macdonald a répondu que cela faisait simplement partie de la procédure de conclusion et que tout se déroulait conformément au plan.

 

[36]    Le 5 novembre 1993, la société en commandite Northills Shopping Centre (la « Société) a été constituée. Northills Shopping Centre Ltd. (« NSCL ») était l’associé commandité et la banque était le commanditaire initial conformément au contrat de société [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 73].

 

[37]     La date initiale de clôture mentionnée dans la lettre d’intention du 24 août 1993 a été reportée. Robert Macdonald a déclaré que cela n’était pas rare lorsqu’il acquérait des immeubles.

 

[38]    Le 19 novembre 1993, plusieurs appelants ont été invités à une réunion d’affaires pour examiner le plan d’entreprise, la structure de l’opération et les questions fiscales se rapportant à l’acquisition du centre commercial. La réunion devait durer deux heures. On a en bonne partie passé la première demi‑heure à parler de choses et d’autres. Les discussions concernant le plan d’entreprise ont duré environ une heure. On a passé le reste du temps à parler de la structure et des conséquences fiscales en découlant. Pour cette réunion, Maria Wong avait préparé un sommaire d’acquisition [cahier conjoint de documents, volume 4, onglet 154] indiquant les conséquences fiscales découlant de la structure, et notamment les pertes possibles qui seraient attribuées à chaque investisseur en fonction des capitaux qu’il avait engagés dans la Société.

 

[39]    De plus, le 19 novembre 1993, la banque a formellement autorisé la vente du centre commercial à un groupe dirigé par Robert Lee et Robert Macdonald.

 

[40]    Le 23 novembre 1993, la banque et la Société ont conclu un contrat de cession (le « contrat de cession ») [cahier conjoint de documents, volume 3, onglet 90] prévoyant que la banque céderait à la Société son droit sur la créance et sur les procédures de forclusion, en échange de 10 000 parts de commanditaire. Le même jour, la banque a de fait cédé son droit et acquis les 10 000 parts de commanditaire.

 

[41]    Le 9 décembre 1993, la banque a offert de fournir un financement d’un montant s’élevant en tout à 9 715 000 $.

 

[42]    Le 23 décembre 1993, les conditions de l’offre de financement de la banque ont été acceptées par la Société et par NSCL. Ce jour‑là également, Robert Macdonald, Derek Lee, Tony Letvinchuk, Maria Wong et d’autres se sont réunis pour parler du centre commercial et de la mise en œuvre du plan d’entreprise. Cette réunion a eu lieu afin d’assurer une mise en œuvre efficace du plan d’entreprise.

 

[43]    Le 29 décembre 1993, les appelants sont devenus associés commandités de la Société. Ils ont acheté en tout 2 000 parts d’associés commandités de la Société, d’une valeur totale de 2 000 000 $. Le même jour, NSCL, la Société et la banque ont conclu le contrat de prêt et le contrat de garantie [exposé conjoint des faits, paragraphes 25 et 26].

 

[44]    Selon le contrat de prêt, la banque s’engageait à prêter un montant de 8 600 000 $ (la « facilité A ») à NSLC et à la Société afin de leur permettre de racheter les parts de commanditaire de la Société qu’elle détenait, un montant de 850 000 $ (la « facilité B ») afin de financer les améliorations futures apportées aux immobilisations, au centre commercial, et un montant de 265 000 $ (la « facilité C ») afin de financer les améliorations futures apportées au centre commercial quant aux locataires et à diverses fins.

 

[45]    Le 29 décembre 1993 également, la Société a acquis le centre commercial conformément à une ordonnance prévoyant :

 

a)  la substitution de NSCL à titre de requérante dans les procédures de forclusion;

b)  la cession de la créance en faveur de NSCL;

c) l’octroi d’une ordonnance définitive de forclusion qui mettait fin aux droits des propriétaires et des titulaires de charges antérieurs du centre commercial;

d)  la libération de Deloitte & Touche Inc. à titre de séquestre‑gérant.

 

[46]    Le 30 décembre 1993, des garanties et des ajournements de réclamations ont été donnés à la banque par Robert Macdonald, Macdonald Development Corporation et Robert Lee. Le même jour, les associés commandités ont convenu d’être liés par les conditions du contrat de prêt et du contrat de garantie [exposé conjoint des faits, paragraphe 25].

 

[47]    Le 31 décembre 1993, les associés commandités étaient propriétaires à 100 p. 100 du centre commercial, directement ou par l’entremise de NSCL.

 

[48]    Le 31 décembre 1993, à la fin de son exercice, la Société a réduit la valeur du centre commercial à sa juste valeur marchande. Elle a ensuite attribué aux associés commandités une perte autre qu’en capital de 5 820 875 $ conformément aux dispositions de la Loi.

 

IV.     ANALYSE

 

[49]    L’intimée soutient que la Cour doit chercher l’objet principal de chaque opération de la série d’opérations d’une façon indépendante en vue de déterminer s’il s’agit d’une opération d’évitement. L’intimée affirme en outre que l’examen ne peut pas être axé sur la réalité économique, à savoir l’acquisition finale du centre commercial par les appelants. Elle se fonde sur l’arrêt Singleton c. Canada, 2001 CSC 61, 2001 DTC 5533 pour appuyer la thèse selon laquelle il serait erroné de considérer la chose comme une seule opération simultanée.

 

[50]    L’intimée se fonde sur le libellé du paragraphe 245(3) et sur les remarques faites par la Cour suprême au paragraphe 34 de l’arrêt Sa Majesté la Reine c. Hypothèques Trustco Canada, 2005 CSC 54, 2005 DTC 5523 (« Trustco Canada »). Selon l’intimée, la détermination de l’objet principal d’une opération est un critère objectif qui doit être axé sur les circonstances et faits pertinents au moment où les opérations ont été effectuées plutôt que sur les déclarations d’intention du contribuable.

 

[51]    Selon la position prise par l’intimée, que l’on ait fait en sorte que la banque crée une société de personnes avec une filiale qui venait d’être constituée en personne morale et qu’elle transfère ensuite la créance à cette société de personnes, cela exige une explication. De l’avis de l’intimée, l’explication à donner est que les opérations ont principalement été effectuées aux fins du transfert des pertes et de l’obtention de l’avantage fiscal y afférent.

 

[52]    Les appelants soutiennent que la qualification exacte des relations et des opérations en question est que les parties ont conclu une entente de principe sans qu’il ait été question d’avantages fiscaux à la réunion du 5 août 1993. Cette entente comportait un objet commercial : l’acquisition du centre commercial en vue d’augmenter le bénéfice net d’exploitation et la revente ultérieure du centre à profit. Cette approche avait été employée lors d’acquisitions antérieures. Les appelants affirment que, cet objet commercial ayant été établi avant toute planification fiscale, les pertes ont résulté d’une série particulière d’opérations qui étaient liées d’une façon inextricable au transfert du centre commercial et qui avaient donc un objet commercial. Les appelants font valoir que, cela étant, [traduction] « chaque opération et la série d’opérations dans son ensemble visaient principalement à permettre au vendeur du centre commercial (la banque), à l’acheteur (la Société dont les appelants étaient membres) et à chacun des appelants de procéder à l’acquisition du centre commercial » [exposé préliminaire des appelants, paragraphe 7].

 

[53]    Selon l’intimée, la position prise par les appelants consistait à considérer l’acquisition comme une seule opération simultanée. Par conséquent, pour que la RGAÉ s’applique, il faut conclure que chaque opération d’une série est une opération d’évitement. Toutefois, l’intimée a soutenu que cette position va à l’encontre des remarques de la Cour suprême et du libellé du paragraphe 245(3). Je suis d’accord pour dire que le fait d’exiger que chaque opération d’une série soit une opération d’évitement irait à l’encontre du libellé de la Loi et des prononcés de la Cour suprême, mais je ne souscris pas à l’argument de l’intimée lorsqu’elle affirme que la position prise par les appelants impose une telle condition.

 

[54]    L’approche qui fait autorité en ce qui concerne la RGAÉ est énoncée au paragraphe 66 de l’arrêt Trustco Canada, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a établi les trois conditions nécessaires pour l’application de la RGAÉ :

 

L’approche à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

 

1.     Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :

 

(1)     il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));

 

(2)     l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable – l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

(3)     il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

 

2.    Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.

 

[…]

 

La Cour suprême a appliqué la même approche dans l’arrêt Mathew c. Canada, 2005 CSC 55, 2005 DTC 5538 (répertorié sous « Kaulius »).

 

[55]    Compte tenu des concessions que les appelants ont faites, mon analyse portera uniquement sur la deuxième condition : à savoir si la série d’opérations, ou une opération de cette série, était une opération d’évitement. Pour ce faire, il faut examiner la question suivante et y répondre : est‑il raisonnable de considérer que ces opérations ont principalement été effectuées pour un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal? Il s’agit essentiellement d’une question de fait.

 

[56]    Au cours des années d’imposition en question, les passages pertinents du paragraphe 245(3) de la Loi étaient rédigés comme suit :

 


(3)   Opération d’évitement – L’opération d’évitement s’entend :

 

a)     soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b)    soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

[57]    Dans l’arrêt Trustco Canada, aux paragraphes 27 à 35, la Cour suprême a énoncé des lignes directrices permettant de déterminer si une opération est une opération d’évitement; elle a souligné, aux paragraphes 30 à 33, l’importance sous-jacente du droit que possède le contribuable d’organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d’impôt. Ces paragraphes sont rédigés comme suit :

 

5.4.2. Principalement effectuée pour des objets véritables

 

[27]   Selon le par. 245(3), la RGAÉ ne s'applique pas à une opération "dont [...] il est raisonnable de considérer [qu'elle] est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable". Dans le cas où une opération a à la fois un objet fiscal et un objet non fiscal, il faut décider s'il était raisonnable de conclure que l'objet non fiscal était le principal objet. Dans l'affirmative, la RGAÉ ne permet pas de supprimer l'avantage fiscal.

 

[28]   Bien que l'examen parte du principe que les objets fiscal et non fiscal sont identifiables, il se peut que ces objets soient inextricablement liés dans le cas d'une opération particulière. Il n'est pas utile de qualifier d'exigeant ou de peu exigeant le critère préliminaire prescrit par le par. 245(3). Le libellé de la disposition prévoit simplement une évaluation objective de l'importance relative des motivations auxquelles obéissait l'opération.

 

[29]   Là encore, l'examen porte sur les faits. Le contribuable ne peut se soustraire à l'application de la RGAÉ en déclarant simplement que l'opération a été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Le juge de la Cour de l'impôt doit soupeser la preuve pour décider s'il est raisonnable de conclure que l'opération n'a pas été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Cette décision fait appel au caractère raisonnable, ce qui indique qu'il faut envisager objectivement la possibilité que les événements se prêtent à diverses interprétations.

 

[30]   Les tribunaux doivent examiner les rapports entre les parties et les opérations véritablement intervenues entre elles. Les faits des opérations sont cruciaux pour décider s'il y a eu opération d'évitement. Il est utile de se demander ce qui n'est pas suffisant pour établir l'existence d'une opération d'évitement au sens du par. 245(3). Les notes explicatives précisent ceci, à la p. 495:

 

Le paragraphe 245(3) ne permet pas de "requalifier" une opération afin de déterminer s'il s'agit ou non d'une opération d'évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d'évitement parce qu'une autre opération, qui aurait pu permettre d'obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés.

 

[31]   D'après les notes explicatives, le législateur a reconnu le principe du duc de Westminster selon lequel "la planification fiscale - c'est-à-dire le fait d'organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d'impôts - est une dimension légitime et admise du droit fiscal canadien" (p. 495). Bien qu'il ait eu l'intention de prévenir l'évitement fiscal abusif en édictant la RGAÉ, le législateur a néanmoins voulu maintenir la prévisibilité, la certitude et l'équité en droit fiscal canadien. Il veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s'agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l'impôt sur le revenu cherche à promouvoir.

 

[32]   Le paragraphe 245(3) ne fait que soustraire à l'application de la RGAÉ les opérations dont il est raisonnable de considérer qu'elles ont été principalement effectuées pour un objet non fiscal. Le législateur n'a pas voulu que le par. 245(3) serve simplement de critère d'objet commercial en vertu duquel les opérations dépourvues de véritable objet commercial indépendant seraient jugées invalides.

 

[33]   L'expression "objet non fiscal" a une portée plus large que l'expression "objet commercial". Par exemple, les opérations dont il est raisonnable de considérer qu'elles ont été principalement effectuées à des fins familiales ou à des fins de placement échapperaient à l'application de la RGAÉ selon le par. 245(3). Le paragraphe 245(3) n'est pas censé protéger uniquement les opérations qui ont un objet commercial véritable. Le législateur voulait que de nombreux régimes dépourvus d'objet commercial subsistent. Les régimes enregistrés d'épargne-retraite (REER) en sont un exemple. Le législateur a reconnu que de nombreuses dispositions de la Loi confèrent des avantages fiscaux légitimes malgré l'absence d'objet commercial véritable. C'est ce qui ressort du libellé général de l'art. 245, par opposition à celui dans lesquels aurait été rédigé un critère général anti-évitement assorti d'exceptions applicables à des régimes particuliers, telles les opérations de REER.

 

[34]   Si au moins une opération qui fait partie d'une série d'opérations constitue une "opération d'évitement", la RGAÉ permet alors de supprimer l'avantage fiscal qui découle de la série. C'est ce qui ressort du libellé du par. 245(3). À l'inverse, si chaque opération de la série a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux, la RGAÉ ne permet pas de supprimer un avantage fiscal.

 

[35]   Comme nous le verrons en détail plus loin, même si l'examen fondé sur le par. 245(3) permet de constater l'existence d'une opération d'évitement, la RGAÉ ne permet pas de supprimer l'avantage fiscal dont il est raisonnable de considérer qu'il ne découle pas d'un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). [Je souligne.]

 

[58]    Ces passages montrent que, dans chaque cas, les faits sont cruciaux lorsqu’il s’agit de décider s’il y a opération d’évitement et ils reprennent les remarques faites par le juge Rothstein au paragraphe 46 de l’arrêt OSFC Holdings Ltd. c. Sa Majesté la Reine, 2001 CAF 260, 2001 DTC 5471 (« OSFC Holdings ») :

 

Le membre de phrase « il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour » au paragraphe 245(3) indique que le critère de l’objet principal est un critère objectif. Par conséquent, l’accent sera mis sur les faits et les circonstances pertinentes et non sur les déclarations d’intention. Il est également évident que l’objet principal doit être déterminé au moment où les opérations en question ont été effectuées. Il ne s’agit pas d’une évaluation rétrospective, qui tiendrait compte de faits et de circonstances survenus après que les opérations ont été effectuées.

 

[59]    Pour répondre à la question de savoir « s’il est raisonnable de considérer que l’objet est principalement un objet non fiscal », la Cour suprême a fait remarquer que la décision devrait résulter d’un examen des faits de sa part, faisant entrer en ligne de compte le caractère raisonnable, ce qui indique « qu’il faut envisager objectivement la possibilité que les événements se prêtent à diverses interprétations » [Trustco Canada, paragraphe 29]. Cela indique que la Cour suprême s’est écartée des critères plus précis que la Cour d’appel fédérale avait utilisés dans l’arrêt OSFC Holdings, précité, et donne implicitement à entendre que les tribunaux auront plus de latitude à l’égard d’une telle décision.

 

[60]    Dans l’arrêt Trustco Canada, la Cour suprême a reconnu que « l’examen [part] du principe que les objets fiscal et non fiscal sont identifiables » et qu’« il se peut que ces objets soient inextricablement liés dans le cas d’une opération particulière ». Voici ce qu’elle a dit au paragraphe 28 :

 

Il n'est pas utile de qualifier d'exigeant ou de peu exigeant le critère préliminaire prescrit par le par. 245(3). Le libellé de la disposition prévoit simplement une évaluation objective de l'importance relative des motivations auxquelles obéissait l'opération.                                       [Je souligne.]

 

Cela établit le critère que la Cour canadienne de l’impôt doit employer. La Cour suprême a ensuite donné des précisions au sujet de ce critère en disant ceci au paragraphe 30 :

 

Les tribunaux doivent examiner les rapports entre les parties et les opérations véritablement intervenues entre elles. Les faits des opérations sont cruciaux pour décider s’il y a eu opération d’évitement.         [Je souligne.]

 

Le passage susmentionné indique que ce sont les faits et circonstances entourant les « opérations » qui sont cruciaux pour décider objectivement si une opération particulière est une opération d’évitement. La Cour suprême n’indique pas que les faits d’une « opération » particulière, indépendamment des autres opérations d’une série, devraient être considérés isolément lorsqu’on décide s’il y a opération d’évitement. Je ne crois pas que la Cour suprême ait voulu qu’on sépare une partie d’une série d’opérations et qu’on l’examine à la loupe pour déterminer l’objet principal indépendamment des autres activités effectuées dans cette série, et à l’exclusion de ces activités. La chose réduirait inutilement la portée du critère, dans une mesure telle que cela irait à l’encontre de la réalité économique; de plus, de telles exclusions altéreraient en fait ce qui est au cœur même du critère établi par la Cour suprême, à savoir le « caractère raisonnable ». Comme l’a dit la Cour suprême, cela comprend « une évaluation objective de l’importance relative des motivations auxquelles obéissait l’opération ». La prémisse commerciale sous‑jacente est que les contribuables doivent être libres d’organiser leurs affaires de façon à minimiser l’impôt. Dans des cas tels que celui‑ci, il est extrêmement important que les tribunaux demeurent conscients des faits individuels de chaque appel en déterminant ce qui constitue l’objet principal des opérations contestées.

 

[61]    Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que le paragraphe 245(3) exige que la Cour détermine l’objet de chaque opération d’une série en vue d’établir si l’objet non fiscal était l’objet principal. Si l’objet non fiscal était l’objet principal pour chaque opération de la série, on ne peut pas appliquer la RGAÉ pour refuser l’avantage fiscal. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il faut évaluer chaque opération d’une façon indépendante sans tenir compte de l’objet général de la série. Cela contrecarrerait clairement l’objet du paragraphe 245(3). Étant donné que l’alinéa 245(3)b) prévoit expressément qu’une série d’opérations peut entraîner un avantage fiscal, la Cour peut à juste titre tenir compte de l’objet général de la série et il ne conviendrait pas d’examiner chaque opération d’une série indépendamment de l’objet général.

 

[62]    Il n’y a rien dans le paragraphe 245(3) même, ou dans l’arrêt Trustco Canada, qui exige que les opérations soient évaluées d’une façon indépendante. L’intimée a invoqué l’arrêt Singleton, précité, à l’appui de la thèse selon laquelle il faut évaluer les opérations d’une façon indépendante. Toutefois, l’affaire Singleton ne mettait pas en jeu l’application de la RGAÉ et n’étaye pas une telle interprétation du paragraphe 245(3).

 

[63]    On ne saurait chercher à déterminer les motivations qui sous‑tendent la conclusion d’une opération particulière faisant partie d’une série d’opérations sans tenir compte de l’objet général de la série. L’objet général de la série ne sera pas déterminant, mais il reste que c’est l’un des faits pertinents dont la Cour doit tenir compte en décidant s’il y a évitement parce que la Cour doit décider si l’objet général était l’objet principal de chaque opération. Par conséquent, une opération peut initialement se présenter comme étant une opération que le contribuable a effectuée uniquement en vue d’obtenir un avantage fiscal, mais son objet principal peut néanmoins être non fiscal lorsqu’il est évalué par rapport à l’ensemble de la série si les faits indiquent que le but dominant est de conclure un marché raisonnable au point de vue commercial, et ce, d’une façon efficace sur le plan fiscal.

 

[64]    Depuis que la Cour suprême s’est prononcée dans les affaires Trustco Canada et Kaulius, la Cour canadienne de l’impôt a examiné, dans plusieurs décisions, l’application du critère prévu au paragraphe 245(3).

 

[65]    La décision Univar Canada Ltd. v. Her Majesty the Queen, 2005 DTC 1478 (« Univar ») a été la première dans laquelle la Cour a examiné la RGAÉ après le prononcé du jugement dans l’arrêt Trustco Canada. Le juge Bell a tenu compte du fait que l’intimée se fondait d’une façon indue sur l’expression « stratégie fiscale », figurant dans une partie de la preuve documentaire. Le juge a dit ce qui suit au paragraphe 61 :

 

           Dans ses présentations orales et écrites, l’avocat de l’intimée a fait ressortir l’importance du contenu d’une multitude de documents, acceptant très peu, voire aucun des éléments de preuve verbale présentés devant la Cour. Il a notamment brandi de manière excessive l’expression « stratégie fiscale » qui revient fréquemment dans ces documents pour argumenter que le but primordial de l’opération était la réduction, l’évitement ou le report du paiement d’un impôt. [...]

 

[66]    Au paragraphe 65, le juge Bell a rejeté la tentative que l’avocat de l’intimée avait faite pour requalifier les opérations afin d’étayer l’existence d’une opération d’évitement :

 

           En ce qui concerne l’importance excessive accordée à l’utilisation de l’expression « stratégie fiscale », toutes les opérations commerciales, si elles sont adéquatement analysées, planifiées et exécutées, comportent un examen approfondi de l’incidence fiscale de chacun de leurs aspects. Il est tout simplement impossible, dans notre monde des affaires moderne si complexe, de ne pas mettre un très grand soin à régler cette facette des opérations commerciales.

 

[67]    Dans la décision Evans v. The Queen, 2005 DTC 1762 (« Evans »), le juge en chef Bowman a conclu que la motivation de la série d’opérations consistait à mettre les fonds de la société en commandite entre les mains de M. Evans, la méthode ou la structure choisie à l’égard des opérations permettant à ce dernier de le faire en payant le moins possible d’impôts. Aux paragraphes 22 et 23, le juge dit ce qui suit :

 

[22]    Je considère comme une question de fait que la motivation principale de la série d’opérations qui nous occupe ici consistait, pour M. Evans, à toucher les fonds de la société en commandite. La méthode choisie était conçue de façon à lui permettre de le faire en payant le moins possible d’impôts. J’aimerais souligner l’importance des termes utilisés dans les notes explicatives que la Cour suprême du Canada a adoptés au paragraphe 30 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada :

 

Le paragraphe 245(3) ne permet pas de « requalifier » une opération afin de déterminer s’il s’agit ou non d’une opération d’évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d’évitement parce qu’une autre opération, qui aurait pu permettre d’obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés.

 

[23]      À mon avis, c’est ce que fait la Couronne dans le présent litige. Je me reporte également aux termes du paragraphe 31 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada :

 

[...] Bien qu’il ait eu l’intention de prévenir l’évitement fiscal abusif en édictant la RGAÉ, le législateur a néanmoins voulu maintenir la prévisibilité, la certitude et l’équité en droit fiscal canadien. Il veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s’agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l’impôt sur le revenu cherche à promouvoir.

 

[68]    Dans la décision Desmarais v. Her Majesty the Queen, [2006] 3 C.T.C. 2304, 2006 DTC 2376 (« Desmarais »), le juge Archambault a conclu, après avoir cité les paragraphes 28 et 29 de l’arrêt Trustco Canada, qu’une opération d’évitement avait eu lieu. Le juge Archambault a dit ce qui suit au paragraphe 23 :

 

Ici, je n'ai aucune hésitation à conclure que plusieurs des opérations effectuées par monsieur Desmarais l'ont été principalement pour des objets véritables autres que fiscaux, […] Par contre, l'opération par laquelle monsieur Desmarais n'a transféré que 41 de ses actions de Comsercom, représentant 9,78 % des actions de cette société, ne peut pas être considérée comme ayant été effectuée principalement pour des objets véritables autres que des objets fiscaux. À mon avis, ce transfert a été effectué principalement pour permettre la réalisation d'un avantage fiscal, celui de distribuer sans impôt à monsieur Desmarais une somme de 123 000 $ provenant de Gestion. Cette conclusion s'impose d'autant plus que l'objectif de monsieur Desmarais de réunir toutes ses actions dans le même panier n'a pas été atteint par cette opération. [...]                                     [Je souligne; renvois omis]

 

[69]    Dans les affaires Evans et Desmarais, il y avait eu dépouillement du surplus; toutefois, les faits de chaque affaire étaient considérablement différents. Les conclusions tirées dans les décisions Evans et Desmarais étaient différentes, mais les deux décisions se rapportaient à l’objet général de la série d’opérations. Dans l’affaire Evans, la « méthode » et le but de chaque opération étaient conformes à l’objet général. Dans l’affaire Desmarais, le juge Archambault a examiné chaque opération individuellement, mais il a également comparé l’objet de chaque opération individuelle à l’objet général. La « méthode » que le contribuable avait choisie dans l’affaire Desmarais n’était pas conforme à l’objet général, qui était de réunir toutes les actions dans le même panier, et l’objet de cette opération ne se rapportait donc pas principalement à des motifs non fiscaux. Le fait qu’il y avait incohérence entre l’objet commercial général et l’objet de l’opération individuelle est fort pertinent lorsqu’il s’agit d’expliquer les conclusions différentes qui ont été tirées dans ces deux décisions. Étant donné que la décision fondée sur le paragraphe 245(3) découle de l’examen des faits, les différentes conclusions sont fondées sur les faits individuels de chaque affaire, même si le critère de l’arrêt Trustco Canada a été appliqué dans les deux cas.

 

[70]    La décision MIL Investments v. Her Majesty the Queen, 2006 DTC 3307 (« MIL ») portait sur l’application de la RGAÉ aux conventions fiscales internationales. En examinant la question de savoir s’il y avait eu opération d’évitement, le juge Bell a dit ce qui suit au paragraphe 53 :

 


À mon avis, même si les actions de DFR étaient peut-être déjà exonérées d’impôt en vertu de la Convention fiscale, un des éléments déterminants des opérations était la volonté de l’appelante de s’assurer que la vente de ses actions serait effectuée d’une façon avantageuse sur le plan fiscal. Je conclus que le « comment » est subordonné au « pourquoi » de la vente. [Je souligne.]

 

[71]    Au paragraphe 57, le juge Bell a dit ce qui suit :

 

Compte tenu de ce qui précède, étant donné que la vente par l’appelante était fondée sur un objet commercial véritable, il était loisible à celle-ci de consulter un spécialiste fiscal au sujet de la meilleure façon de structurer l’opération.

 

[72]    Dans l’arrêt Trustco Canada, précité, la Cour suprême a dit que le législateur ne voulait pas que le paragraphe 245(3) serve simplement de critère d’objet commercial, mais plutôt que cette disposition vise à protéger, contre l’application de la RGAÉ, les opérations dont il est raisonnable de considérer qu’elles ont été principalement effectuées à des fins familiales ou à des fins de placement. La Cour suprême a mentionné les régimes enregistrés d’épargne‑retraite (les « REER ») comme exemple de régime conférant un avantage fiscal légitime malgré l’absence d’objet commercial véritable. Le choix des REER est intéressant parce que l’objet principal, sinon le seul, lorsqu’une personne place des fonds dans un REER plutôt que dans un autre genre de placement, est dans bien des cas l’obtention d’un avantage fiscal. Le fait que cet exemple a été employé dans l’examen du critère à appliquer en vertu du paragraphe 245(3) indique que la détermination de l’objet principal doit faire entrer l’objet général en ligne de compte.

 

[73]    Il est peu probable que les avantages fiscaux obtenus au moyen d’un placement dans un REER soient considérés comme abusifs en vertu de l’article 245, mais l’exemple montre qu’il est possible que l’objet principal d’une opération soit obscurci s’il n’est pas tenu compte de la série dans son ensemble, comme le montre l’analogie suivante : si l’on examinait au microscope chaque cellule du corps humain, l’objet de la cellule pourrait invariablement différer de l’objet principal général du corps humain fonctionnant dans son ensemble ou en tant que somme de toutes ses parties constituantes. Si l’on s’engageait dans ce niveau d’introspection, l’objet véritable de cette seule cellule serait masqué dans la structure générale complexe puisque, par essence, cette cellule doit être étroitement liée et intégrée au fonctionnement de l’ensemble.

 

[74]    Un scénario similaire peut être transposé à un environnement commercial où il existe une possibilité que la RGAÉ s’applique. Si chaque étape d’une série d’opérations est analysée isolément, et indépendamment de l’objet général de toute la série d’étapes, on ne tient pas compte de la possibilité que chaque étape, quoiqu’ayant une fonction distincte, doive nécessairement demeurer dépendante du but de toutes les étapes considérées en tant qu’unité. Bien sûr, après une telle analyse, le résultat particulier dépendra des conclusions de fait propres à chaque appel.

 

[75]    Le même résultat est apparent dans le contexte commercial. Si un fiscaliste donne des conseils et si les parties tiennent compte de ces considérations fiscales en organisant les opérations, une opération par ailleurs légitime serait considérée comme une opération d’évitement et, s’il en résultait un avantage fiscal, elle serait donc assujettie à l’analyse fondée sur l’abus prévue à l’article 245. Il en serait ainsi même si les opérations constituaient simplement la méthode permettant d’atteindre l’objet commercial légitime. Dans l’arrêt Trustco Canada, précité, la Cour suprême a insisté sur le fait que le législateur voulait maintenir la prévisibilité, la certitude et l’équité en droit fiscal canadien. On ne peut pas y arriver si chaque marché ou si chaque arrangement commercial, qui est conclu par suite des conseils fiscaux qui ont été donnés, est assujetti à l’analyse relative à l’abus prévue à l’article 245. L’examen visant à permettre de décider si une opération est une opération d’évitement ne met pas en jeu un critère basé sur les résultats. Il faut maintenir la capacité des contribuables d’organiser leurs affaires d’une façon efficace sur le plan fiscal. Une opération ne peut pas être requalifiée comme étant une opération d’évitement simplement parce qu’un conseil fiscal est demandé et qu’il y est donné suite, un avantage fiscal associé à cette opération ou à la série d’opérations étant ensuite obtenu.

 

[76]    Dans l’arrêt Trustco Canada, précité, la Cour suprême a également dit que le principe du duc de Westminster est maintenu. Le principe a été établi dans l’arrêt clé IRC v. Duke of Westminster, [1935] All E.R. 259, où lord Tomlin a dit ce qui suit :

 

[traduction]

[...] Tout homme a le droit, s’il le peut, d’organiser ses affaires de façon que son assujettissement aux impôts prescrits par les lois soit moindre qu’il ne le serait autrement. S’il réussit à les organiser de façon à obtenir ce résultat, il ne peut pas être contraint à payer plus d’impôt, et ce, même si le Commissioner of Inland Revenue ou les autres contribuables n’apprécient peut‑être pas son ingéniosité. [...]

 

La Cour suprême a fait remarquer que le fait d’organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d’impôts est une dimension légitime et admise du droit fiscal canadien. La RGAÉ atténue peut‑être ce principe dans la mesure où une opération est principalement effectuée aux fins de l’obtention d’un avantage fiscal, mais les contribuables doivent être en mesure d’organiser leurs affaires d’une façon efficace sur le plan fiscal.

 

[77]    En résumé, l’analyse à effectuer pour décider si une opération est une opération d’évitement en vertu du paragraphe 245(3) donne lieu à un examen factuel visant à permettre de déterminer l’objet principal de l’opération. Cet examen n’est pas une analyse basée sur les résultats qui est axée sur l’avantage fiscal, mais il s’agit plutôt d’une analyse de l’objet principal de chaque opération individuelle. L’examen part de l’hypothèse selon laquelle des objets tant fiscaux que non fiscaux peuvent être identifiés et liés les uns aux autres. Lorsqu’on détermine l’objet principal de l’opération individuelle, l’objet général de la série d’opérations est pertinent mais non déterminant. Le critère que la Cour doit employer est une évaluation objective de l’importance relative des motivations sous‑tendant l’opération, dans le cadre de laquelle on soupèse la preuve en vue de savoir s’il est raisonnable de conclure que l’opération n’a pas été principalement effectuée pour un objet non fiscal.

 

V.      Application aux faits

 

[78]    Les appelants ont soutenu que, dans les décisions antérieures, les tribunaux ont utilisé certains critères pour procéder à une évaluation objective de l’objet principal des opérations. Ils affirment qu’en l’espèce, il faut appliquer les critères suivants :

 

            [traduction]

a)       Au départ, les parties ont-elles élaboré un plan d’entreprise ou se sont‑elles livrées à de la planification fiscale?

b)       Le produit des opérations faisait-il partie intégrante de l’entreprise de l’appelant et, le cas échéant, l’appelant a‑t‑il acquis un bien dans le cours normal de son entreprise?

c)       Quelle était la qualité de la diligence raisonnable exercée par les parties à l’égard des avantages commerciaux des opérations et dans quelle mesure y a‑t‑il eu diligence raisonnable?

d)    Dans quelle mesure la preuve documentaire se rapporte‑t‑elle aux avantages commerciaux et dans quelle mesure se rapporte‑t‑elle aux avantages fiscaux?

e)     La preuve subjective que les témoins ont présentée au sujet du présumé objet commercial est‑elle compatible avec le « fondement objectif » des documents?

f)      L’appelant a‑t‑il cité tous les témoins clés pour expliquer l’objet des opérations ou s’est‑il abstenu de citer des témoins clés?

g)     Quelle est la preuve subjective de la partie ou des parties avec lesquelles les opérations pertinentes ont été conclues? Ces parties négociaient‑elles un marché d’affaires ou commercialisaient‑elles des avantages fiscaux?

h)     La preuve de ce qui s’est passé une fois les opérations conclues étaye‑t‑elle l’objet commercial déclaré?

i)   Quel a été le résultat final si l’on compare la valeur des avantages commerciaux à celle des avantages fiscaux? Y avait‑il une « disparité importante » entre les avantages fiscaux et le rendement commercial?

[Observations des appelants, paragraphe 10]

 

[79]    L’examen permettant de déterminer l’objet principal est un examen factuel, et les critères susmentionnés fournissent une structure utile aux fins de l’analyse des faits et circonstances ici en cause. La liste n’est pas exhaustive et aucun facteur n’est à lui seul déterminant. Il est loisible à la Cour d’employer les critères qui conviennent eu égard aux circonstances de chaque cas afin d’évaluer objectivement l’objet principal des opérations, et ces critères peuvent varier d’un cas à l’autre. De plus, la Cour doit quand même évaluer chaque opération individuelle d’une série afin d’établir l’objet de chaque opération.

 

a)      Au départ, les appelants ont-ils élaboré un plan d’entreprise ou se sont‑ils livrés à de la planification fiscale?

 

[80]    Les appelants ont conclu un marché avec la banque compte tenu d’un plan d’entreprise élaboré en vue d’acquérir l’immeuble, de l’améliorer, de stabiliser les baux et de vendre l’immeuble à profit. C’est Derek Lee qui a communiqué avec Robert Macdonald en vue de l’informer de l’occasion d’acquérir le centre commercial. La famille Lee et Prospero connaissaient fort bien le centre commercial et ses antécédents. Robert Macdonald était d’avis que cela pouvait être un bon placement, mais il n’était prêt à entamer des négociations avec la banque que si la famille Lee participait au projet.

 

[81]    Avant de rencontrer les représentants de la banque, Robert Macdonald a inspecté l’immeuble en vue d’évaluer son potentiel. Il a ensuite rencontré le gérant de Prospero, Tony Letvinchuk, pour obtenir un bref sommaire. Robert Macdonald considérait l’acquisition comme une occasion d’affaires éventuelle, si l’on pouvait effectuer des améliorations et si l’on réussissait à avoir des locataires stables. Il croyait qu’il serait ensuite possible de vendre le centre commercial à profit dans un délai relativement bref. Les considérations fiscales ne sont jamais entrées en ligne de compte dans la décision de négocier avec la banque aux fins de l’acquisition du centre commercial.

 

[82]    Lorsque Robert Macdonald et Derek Lee ont rencontré les représentants de la banque, le 5 août 1993, les discussions ont surtout porté sur le prix d’achat du centre commercial. Après s’être entendues sur un prix de dix millions de dollars, les parties ont discuté de la possibilité d’être financées par la banque. Il n’a pas été question des considérations fiscales ni de l’organisation éventuelle du projet d’acquisition.

 

[83]    Selon le témoignage du représentant de la banque, celle-ci n’a pas communiqué avec Robert Macdonald en vue de vendre des pertes fiscales. La banque avait plutôt un prêt non productif qu’elle voulait radier de ses livres le plus tôt possible. La banque voulait vendre le centre commercial le plus vite possible, au meilleur prix possible.

 

[84]    Aucun accord formel ayant force obligatoire n’a été conclu lors de la réunion du 5 août 1993, mais les parties sont arrivées à s’entendre sur les conditions essentielles de l’acquisition. Le prix de dix millions de dollars dont il a été question au mois d’août est celui que la banque a reçu lors de la conclusion de l’opération. Aucun montant additionnel ou montant éventuel n’était inclus dans le prix d’achat en échange du transfert des pertes. L’accent a été mis sur l’acquisition du centre commercial conformément au plan d’entreprise initial.

 

[85]    Ce n’est qu’après que l’on fut parvenu à cette entente que Robert Macdonald a consulté Maria Wong et John Zaytsoff afin d’obtenir des conseils au sujet de l’organisation de l’acquisition. À ce moment‑là, Robert Macdonald estimait que [traduction] « l’affaire était dans le sac ».

 

[86]    L’approche initiale adoptée par les appelants à l’égard de l’acquisition du centre commercial possédait toutes les marques d’un marché commercial sans que personne, lors des séances initiales de négociation, se soit arrêté aux pertes fiscales.

 

b)       Le produit des opérations faisait-il partie intégrante de l’entreprise des appelants et les appelants ont‑ils acquis un bien dans le cours normal de leur entreprise?

 

[87]    Les appelants n’étaient pas des étrangers; ils faisaient partie d’un étroit réseau d’affaires misant sur la réputation et le succès. Tous avaient déjà participé avec certains autres appelants à de nombreuses opérations relatives à des immeubles à usage commercial dans le cadre desquelles le plan d’entreprise fondamental créé par Robert Macdonald avait été utilisé.

 

[88]    Selon l’approche qu’il avait adoptée en affaires, Robert Macdonald acquérait des immeubles offrant un bon potentiel, il les améliorait sur les plans matériel et financier en y ajoutant de la valeur et il les revendait à profit. De toute évidence, chaque occasion d’investissement était différente, mais l’élément commun était le bon potentiel offert par les immeubles. L’acquisition du centre commercial était adaptée à l’approche des appelants en affaires et compatible avec les investissements immobiliers qu’ils avaient déjà effectués.

 

[89]    L’achat de créances et le recours à une société de personnes avaient été utilisés dans des opérations antérieures. Avant l’acquisition du centre commercial, Robert Macdonald avait acquis des créances d’institutions financières et avait saisi en forclusion les immeubles qui y étaient assujettis, au lieu d’acquérir directement ces immeubles. Dès le début des négociations, les appelants avaient l’intention de posséder le centre commercial dans le cadre d’une société de personnes.

 

c)       Quelle était la qualité de la diligence raisonnable exercée par les appelants à l’égard des avantages commerciaux de l’opération et dans quelle mesure y a‑t‑il eu diligence raisonnable?

[90]    La famille Lee s’occupait du centre commercial au début des années 1990 lorsqu’elle en était propriétaire. Elle connaissait donc bien non seulement le centre commercial lui‑même, mais aussi le marché, à Kamloops. Le fait que Robert Macdonald était prêt à acquérir le centre commercial uniquement si la famille Lee participait à l’affaire donne une idée de l’importance qu’il accordait à la connaissance qu’avait la famille Lee de cet immeuble. Toutefois, M. Macdonald a procédé d’une façon indépendante à sa propre enquête. Il a visité le centre commercial et d’autres centres commerciaux locaux dans la région de Kamloops. À peu près à ce moment‑là, il a discuté du potentiel qu’offrait l’immeuble avec l’équipe de gestion de Prospero, composée de Tony Letvinchuk et de Derek Lee.

 

[91]    Robert Macdonald a également eu recours à Robert Forest, qui était un gérant de centre commercial chevronné, pour examiner et évaluer le centre commercial au début du mois de novembre 1993. M. Forest a fait part de ses conclusions à Robert Macdonald et à Maria Wong le 26 novembre 1993 [cahier conjoint de documents, volume 3, onglet 119].

 

[92]    Robert Macdonald a indiqué que, personnellement, il estimait qu’un bon plan d’entreprise devait être simple et que, s’il ne pouvait pas le comprendre, il ne valait pas la peine d’y donner suite [transcription, page 700]. Les nombreuses affaires qui avaient été conclues entre ces appelants par le passé n’avaient jamais inclus la production de prévisions du marché, de rapports et de plans d’entreprise écrits détaillés, et ce, même si d’importantes sommes étaient investies. Robert Macdonald et les autres appelants sont tous des investisseurs immobiliers et des entrepreneurs chevronnés qui avaient déjà brassé des affaires ensemble. Compte tenu de leur situation, on n’avait pas l’habitude de préparer des rapports détaillés et des plans d’entreprise écrits. Les appelants se sentaient rassurés, comme le montre la preuve qu’ils ont soumise, si Robert Macdonald et la famille Lee favorisaient l’acquisition d’un immeuble : ils étaient alors prêts à y prendre part à titre d’investisseurs sur la seule foi de leur recommandation. La façon dont les appelants avaient abordé la question des acquisitions antérieures ne variait pas énormément des circonstances qui nous occupent, sauf quant à la structure précise qu’ils avaient employée pour procéder à l’acquisition. L’approche était compatible avec leurs antécédents et la pratique passée en matière de placements.

 

d)       Dans quelle mesure la preuve documentaire se rapporte‑t‑elle aux avantages commerciaux et dans quelle mesure se rapporte‑t‑elle aux avantages fiscaux?

 

[93]    Comme on peut s’y attendre, cette acquisition a donné lieu à un grand nombre de documents se rapportant pour certains aux avantages commerciaux prévus et pour d’autres, aux conséquences fiscales de l’acquisition. L’un des documents cruciaux était l’exposé des étapes, produit par Maria Wong. Ce document est intitulé [traduction] « Sommaire de la structure fiscale », mais il faut l’évaluer dans le contexte du plan d’entreprise. De fait, à la fin du paragraphe se rapportant à la première étape, il est déclaré ce qui suit : [traduction] « La Société North Hills sera formée afin d’acquérir la créance hypothécaire à problèmes, de remédier à la situation et de réaliser un produit maximal à cet égard. » Le paragraphe final, à la cinquième étape, indique que la Société assurera la mise en œuvre du plan d’entreprise. La présence de tels documents n’indique pas nécessairement que l’objet non fiscal n’était pas l’objet principal de l’une quelconque des opérations. L’exposé des étapes traite simplement de la structure et des conséquences fiscales. Si on l’évalue dans l’ensemble du contexte du marché commercial, on ne peut pas dire que ce document est déterminant quant à l’objet des opérations en question. Lorsque je consulte les documents dans leur ensemble, auxquels vient s’ajouter l’abondante preuve orale qui m’a été soumise, la preuve documentaire tend à indiquer des avantages commerciaux.

 

[94]    Il importe de noter que rien, dans les documents, n’indique que le prix d’achat de 10 000 000 $ se rapportait en partie à des pertes fiscales, que la disponibilité de pertes fiscales a influé sur le prix d’achat, ou que la banque a reçu des montants additionnels pour des pertes fiscales.

 

e)       La preuve subjective que les témoins ont présentée au sujet du présumé objet commercial est‑elle compatible avec le « fondement objectif » des documents?

 

[95]    La preuve subjective soumise par tous les appelants est compatible avec l’objet commercial déclaré par la banque, à savoir vendre et transférer le centre commercial, ainsi qu’avec l’objet commercial déclaré par les appelants, à savoir acquérir, exploiter et vendre éventuellement le centre commercial. En outre, la preuve présentée par Tony Letvinchuk et par Bill Kennedy, des témoins qui, en leurs qualités de tiers, n’avaient aucun intérêt dans l’affaire, est compatible avec l’objet commercial de la banque et avec celui des appelants; or, dans l’ensemble, cette preuve n’a pas été contestée.

 

[96]    Les témoignages de Robert Glass, de John Cassils, de Jack Poole et de Timothy Wallace indiquent qu’ils n’étaient pas au courant des avantages fiscaux découlant de l’acquisition du centre commercial lorsqu’ils se sont engagés à investir des capitaux. Ce n’est qu’après la réunion du 19 novembre 1993 que ces appelants ont pris connaissance des avantages fiscaux. Les témoignages de tous les appelants indiquent que les avantages fiscaux n’ont eu aucun rôle dans leur décision de participer au placement [voir l’annexe B].

 

f)       Les appelants ont‑ils cité tous les témoins clés pour expliquer l’objet des opérations ou se sont-ils abstenus de citer des témoins clés?

 

[97]    Tous les témoins clés ont été cités; ils ont expliqué l’historique et l’objet des opérations. La preuve de chacun des appelants corrobore le témoignage de Robert Macdonald, à savoir que l’obtention de pertes fiscales ne constituait pas l’objet principal de leur entreprise commerciale et qu’en fait, lorsque le marché a été conclu, il n’avait jamais été question de ces pertes. La preuve fournie par Tony Letvinchuk et par Bill Kennedy le confirme également.

 

g)       Quelle est la preuve subjective de la partie avec laquelle les opérations pertinentes ont été conclues? Cette partie négociait‑elle un marché d’affaires ou commercialisait‑elle des avantages fiscaux?

 

[98]    Le centre commercial était une entreprise commerciale viable au cours de la période où il était exploité par la banque et par son séquestre‑gérant. Bill Kennedy a témoigné que la banque voulait vendre le centre commercial d’une façon raisonnable sur le plan commercial afin de radier de ses livres un actif non productif à intérêt non comptabilisé. Cela était conforme à la pratique régulière de la banque au cours de ses exercices 1993 à 1995.

 

[99]    Bill Kennedy a témoigné qu’il était important pour la banque que les appelants réussissent à mettre en œuvre leur plan d’entreprise parce que la banque détiendrait  la créance hypothécaire. Cela constituait un intérêt économique important dans le centre commercial. La banque s’est également engagée à prêter des montants additionnels aux appelants, de façon que des améliorations puissent être apportées au centre commercial conformément au plan d’entreprise.

 

[100]  Le 10 septembre 1993, Bill Kennedy a envoyé une note de service [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 49] dans laquelle il demandait conseil au vice‑président de la banque, Taxation, Richard Barriault, à l’égard de la structure proposée aux fins de l’acquisition du centre commercial. Dans la note de service, M. Kennedy déclare ce qui suit : [traduction] « Nous avons négocié la vente de l’immeuble avec un groupe établi à Vancouver pour la somme de 10 000 000 $, et nous aimerions procéder à la vente ». Dans sa note de service, M. Kennedy ajoute que le projet de vente a été structuré de façon à tirer parti des pertes fiscales, correspondant à la différence entre le prix de vente et la valeur comptable initiale et que, pour que la structure fiscale fonctionne, on demandait à la banque de faire certaines choses, par exemple de faire partie d’une société de personnes et de renoncer aux pertes dont elle bénéficiait aux termes de la créance hypothécaire. Le 15 septembre 1993, Richard Barriault a répondu à la note de service [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 51] en disant ce qui suit :

 

[traduction] Compte tenu de la valeur de la perte fiscale pour l’acheteur, vous pourriez songer à augmenter le prix de vente ou à demander que le remboursement d’impôt serve à réduire le solde du prêt.

Autrement, nous ne voyons pas pourquoi l’opération proposée ne pourrait pas être conclue.

 

[101]  La note de service de Bill Kennedy et la réponse de Richard Barriault sont importantes pour au moins deux raisons. En premier lieu, Bill Kennedy a indiqué ce qui suit : [traduction] « Nous avons négocié » la vente du centre commercial. Cela confirme que la banque avait principalement l’intention de vendre le centre commercial et non de commercialiser les pertes fiscales. En second lieu, Bill Kennedy a rejeté la suggestion de Richard Barriault, d’essayer d’obtenir un meilleur prix reflétant les pertes fiscales, parce qu’il ne voulait pas nuire à la vente négociée avec Robert Macdonald. Par conséquent, le prix de vente n’a pas changé. Il ressort de ces actions que la conclusion de la vente du centre commercial était primordiale pour la banque. La question des pertes fiscales était secondaire, quant au marché négocié.

 

[102]  Bill Kennedy a consulté d’autres représentants de la banque au sujet de la structure de l’acquisition du centre commercial. Dans le cadre de ces consultations, Bill Kennedy a produit des notes du conseil (des notes de service internes de la banque qui sont utilisées pour tous les prêts) dans lesquelles il était question de l’offre. Une note du conseil produite le 15 novembre 1993 [cahier conjoint de documents, volume 2, onglet 58], renfermait l’avertissement suivant à la première page :

 

[traduction] VEUILLEZ NOTER QUE LA PERTE DE 5 546 $ NE PEUT PAS ÊTRE UTILISÉE PAR LA BANQUE À DES FINS FISCALES.

 

[103]  Bill Kennedy a indiqué que les notes du conseil visaient à divulguer complètement les conséquences fiscales de la structure. La note susmentionnée disait également que [traduction] l’« attrait de l’affaire réside clairement dans les pertes fiscales et, compte tenu de la possibilité restreinte de commercialiser le centre, nous croyons que cette offre devrait être retenue ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait fait cette déclaration, Bill Kennedy a répondu :

 

[traduction] [...] si je me rappelle bien, je signalais simplement à tous mes supérieurs que, lorsque la structure serait mise en place et que nous vendrions cet actif au prix commercial de dix millions de dollars, nous n’allions pas pouvoir utiliser les pertes fiscales. Je le répétais. Je voulais que tout le monde le sache, qu’il s’agisse de mon patron, du comité responsable du crédit, des gens qui s’occupaient des questions fiscales à la banque [transcription, page 867].

 

[104]  On a également demandé directement à Bill Kennedy si l’un des appelants lui avait fait savoir que l’affaire était clairement intéressante à cause des pertes fiscales. M. Kennedy ne se rappelait pas expressément la chose, mais du point de vue de la banque, le prix que les appelants payaient correspondait à la valeur marchande et c’était ce que la banque voulait. Bill Kennedy a indiqué qu’il était prêt à conclure un marché commercial parce que, lorsque le marché serait conclu, la banque aurait un prêt de 8,6 millions de dollars au lieu d’une créance hypothécaire non productive. Cela étant, les intérêts de la banque étaient étroitement liés à l’intérêt commercial des appelants, qui voulaient faire de l’argent avec l’immeuble.

 

[105]  La banque était prête à faciliter la structure parce qu’elle voulait radier l’actif de ses livres. En fin de compte, l’entente était conforme au mandat qu’avait la banque de vendre l’actif d’une façon raisonnable sur le plan commercial. La banque ne vendait pas des pertes fiscales, et la banque ne commercialisait pas des pertes fiscales.

 

h)       La preuve de ce qui s’est passé une fois l’opération conclue étaye‑t‑elle l’objet commercial déclaré?

 

[106]  Au mois de janvier 1994, la Société a commencé à mettre en œuvre son plan d’entreprise. Robert Forrest a été embauché à titre de conseiller en vue de faire rapport à Tony Letvinchuk et à Prospero. Richard Brown et associés ont été embauchés pour préparer un rapport de commercialisation.

 

[107]  La Société a également engagé des frais élevés pour rénover et mettre à neuf le centre commercial. Afin de financer les travaux, elle a investi une somme d’environ 500 000 $ provenant de ses propres fonds, un montant de 150 000 $ provenant de la facilité B, un montant de 50 000 $ provenant de la facilité C (la facilité B et la facilité C étant le financement additionnel consenti par la banque) et le revenu de location tiré du centre commercial, encore une fois conformément au plan d’entreprise établi.

 

[108]  Le centre commercial a été mis en vente le 2 mai 1994. Le prix demandé de 14 millions de dollars était conforme au plan d’entreprise et, même si Robert Macdonald a témoigné qu’il était prématuré de mettre l’immeuble en vente, cette mesure était encore une fois compatible avec le plan d’entreprise.

 

[109]  En 1994 et en 1995, la Société a embauché Prospero à titre d’agent de location et a conclu des baux avec les locataires existants et avec de nouveaux locataires, au centre commercial. Les nouveaux baux ont eu pour effet d’augmenter le bénéfice net d’exploitation du centre commercial et c’était là un autre facteur qui était compatible avec le plan d’entreprise. De fait, au 31 décembre 1995, le centre commercial avait réussi à obtenir un bénéfice net d’exploitation de plus de 1 400 000 $.

 

[110]  Jusqu’au mois de novembre 1996, la Société détenait le centre commercial dans ses stocks dans l’intention de le revendre à profit dès qu’elle aurait l’occasion de le faire. N’ayant toujours pas réussi à vendre l’immeuble le 14 novembre 1996, les associés commandités ont changé d’idée au sujet de la vente, étant donné que le centre commercial produisait d’importantes rentrées de fonds. Toute la preuve relative aux mesures prises par la Société après l’acquisition de l’immeuble était compatible avec le plan d’entreprise et avec l’objet commercial déclaré.

 

i)        Quel a été le résultat final si l’on compare la valeur des avantages commerciaux à celle des avantages fiscaux? Y avait‑il une « disparité importante » entre les avantages fiscaux et le rendement commercial?

 

[111]  Le revenu net moyen de la Société au cours des dix années qui se sont écoulées entre 1994 et 2003 dépassait 330 000 $ par année, ce qui représentait un rendement annuel de 16,5 p. 100 sur les capitaux que les appelants avaient engagés en achetant les parts de la société en nom collectif. Si l’on exclut les années 1994 et 1995 du calcul, le revenu net moyen est d’environ 393 275 $ l’an, ce qui représente un rendement de 19,5 p. 100. Au cours des années 1994 à 2004, les associés commandités ont reçu de la Société des montants s’élevant en tout à 2 750 000 $.

 

[112]  À la fin de l’exercice 1993, le 31 décembre, la Société a réduit la valeur du centre commercial de 15 824 569 $ à sa juste valeur marchande de 10 000 000 $. La Société a dûment réparti entre les associés commandités, dont la majorité était les appelants, une perte autre qu’en capital de 5 820 875 $ subie au cours de l’exercice clos le 31 décembre 1993.

 

[113]  Selon l’évaluation foncière de la Colombie‑Britannique, la valeur imposable du centre commercial est maintenant de 16,5 millions de dollars. Les pertes réalisées par les appelants constituent donc un report d’impôt par opposition à une économie d’impôt absolue. Si le centre commercial est vendu dans l’avenir, les appelants réaliseront probablement un gain imposable. La valeur de l’avantage fiscal est donc la valeur‑temps des économies d’impôt qui ont résulté de la réduction de la valeur du centre commercial.

 

[114]  En comparant la valeur des avantages commerciaux, y compris le bénéfice prévu qui sera réalisé au moment de la vente du centre commercial, avec l’avantage fiscal associé à l’organisation de l’opération, il est clair qu’il n’y a pas de disparité importante. En outre, les avantages commerciaux qui ont été obtenus et auxquels on peut s’attendre au moment de la vente permettent de conclure que l’objet principal des opérations était un objet non fiscal.

 

Preuve de l’objet des opérations individuelles

 

[115]  Au cours de l’argumentation, l’intimée ne souscrivait pas à l’application des critères susmentionnés; elle a affirmé avec insistance qu’il faut appliquer chaque facteur à chaque opération individuelle. Ainsi, pour ce qui est du premier facteur (Les parties ont‑elles au départ élaboré un plan d’entreprise ou se sont‑elles livrées à de la planification fiscale?), l’intimée a soutenu que la question devrait être la suivante : [traduction] « Les parties ont‑elles au départ envisagé ces trois opérations dans le cadre d’un plan d’entreprise ou dans celui d’une planification fiscale? » [Transcription, page 1431] L’argument de l’intimée est le même pour chacun des autres facteurs, à savoir qu’il faut évaluer l’opération individuelle plutôt que les opérations dans leur ensemble.

 

[116]  Tous les appelants ont témoigné au cours de l’audience, mais il n’y en a pas eu beaucoup qui ont pu témoigner au sujet de l’objet de l’organisation des opérations. De fait, la plupart des appelants ont témoigné qu’ils ne savaient pas pourquoi l’opération était organisée comme elle l’était. Un grand nombre d’appelants n’étaient pas, non plus, au courant des avantages fiscaux associés à la structure jusqu’au mois de novembre 1993, le marché étant alors par ailleurs consolidé. C’étaient Maria Wong et John Zaytsoff qui avaient créé et mis au point la structure d’acquisition du centre commercial, après que les conditions fondamentales eurent été négociées. Lorsqu’il a été contre‑interrogé, on a demandé à John Zaytsoff les raisons pour lesquelles chacune des opérations particulières de la structure était effectuée. M. Zaytsoff a affirmé avec insistance que cette structure particulière avait été adoptée en vue de faciliter l’objet commercial, qui consistait à acquérir, à détenir et, finalement, à vendre le centre commercial. M. Zaytsoff a mis l’accent sur le fait que l’un des [traduction] « résultats » des opérations était l’avantage fiscal, mais que ce n’était pas la [traduction] « raison » pour laquelle les opérations particulières avaient été effectuées. Objectivement, il est clair que l’un des objets de la conclusion de chacune des opérations en question était d’obtenir un avantage fiscal, mais je conclus qu’il ne s’agissait pas de l’objet principal de l’une quelconque des opérations, considérées ensemble ou isolément. La preuve montre fort bien qu’un bon plan d’entreprise a rapidement été élaboré, assorti d’objectifs viables sur le plan commercial et sans qu’il soit aucunement tenu compte des avantages fiscaux. Le plan d’entreprise a été conçu d’une manière qui était semblable aux autres acquisitions antérieures dans lesquelles un grand nombre des mêmes appelants étaient en cause. Les appelants ont en fin de compte reçu des conseils en matière de planification fiscale, comme ils le faisaient généralement. Le comptable a établi une série d’étapes pour accomplir le plan d’entreprise des appelants. Ces étapes mêlaient les objets fiscaux et les objets non fiscaux. Toutefois, si l’on séparait l’objet de chaque opération individuelle de la série de l’objet général de la série, on contrecarrerait à mon avis l’intention visée au paragraphe 245(3) et cela irait à l’encontre de la réalité commerciale sur le marché.

 

Les décisions Kaulius et OSFC Holdings peuvent donner lieu à une distinction eu égard à leurs faits

 

[117]  Les opérations contestées en l’espèce créent un avantage fiscal à cause de la structure des opérations et de l’application du paragraphe 18(13). Dans les affaires Kaulius et OSFC Holdings, précitées, des opérations similaires créant un avantage fiscal avaient été effectuées. Dans ces affaires, la Compagnie Standard Trust avait constitué une nouvelle compagnie et formé une société en nom collectif entre la nouvelle compagnie et elle‑même et elle s’était fondée sur le paragraphe 18(13) de la Loi pour transférer à la société de personnes diverses créances hypothécaires et divers immeubles dont le coût était élevé et la juste valeur marchande, faible. Cette société de personnes avait ensuite été acquise par diverses personnes sans lien de dépendance qui avaient déduit les pertes résultant de la réduction de la valeur des créances hypothécaires et des immeubles à la fin de son premier exercice. Dans les deux décisions, la Cour avait conclu que les opérations étaient des opérations d’évitement, au sens du paragraphe 245(3).

 

[118]  L’intimée soutient qu’en l’espèce, les opérations sont [traduction] « presque identiques » aux opérations à l’égard desquelles il a été conclu, dans les décisions OSFC Holdings et Kaulius, qu’il s’agissait d’opérations d’évitement. Je suis d’accord pour dire qu’il y a des similarités entre ces affaires et celle qui nous occupe; toutefois, l’examen effectué en vertu du paragraphe 245(3) est un examen factuel et chaque cas est un cas d’espèce. Il est possible de distinguer quant aux faits les affaires OSFC Holdings et Kaulius de celle qui nous occupe.

 

[119]  Premièrement, dans l’affaire OSFC Holdings (et dans l’affaire Kaulius), les opérations ont été conçues de façon que les immeubles et les pertes puissent être commercialisés dans le cadre d’une campagne intensive. La société de personnes servait à « maintenir des pertes non réalisées » et à vendre les pertes à des personnes sans lien de dépendance. En l’espèce, il n’y a pas eu commercialisation de pertes fiscales et la banque n’a pas pris part à l’élaboration de l’une quelconque des opérations. En fait, les appelants et la banque se sont entendus, en principe, sur les conditions d’acquisition du centre commercial avant qu’il soit question des pertes fiscales et avant d’organiser les opérations.

 

[120]  Deuxièmement, dans l’affaire OSFC Holdings, les contribuables étaient des promoteurs immobiliers et des avocats qui résidaient en Colombie‑Britannique. Ils avaient engagé des capitaux dans un portefeuille d’immeubles de troisième ordre, sur des marchés qu’ils ne connaissaient pas, dans d’autres provinces. En l’espèce, les appelants avaient énormément d’expérience lorsqu’il s’agissait d’engager avec succès des capitaux dans des immeubles à usage commercial, notamment des centres commerciaux situés en Colombie‑Britannique et partout au Canada et aux États‑Unis. De fait, non seulement les appelants avaient-ils déjà fait des placements similaires, mais, qui plus est, la famille Lee avait déjà été associée au centre commercial.

 

[121]  Troisièmement, rien n’indique que les associés dans l’affaire OSFC Holdings aient élaboré un plan d’entreprise réaliste en vue d’améliorer et de vendre les immeubles qu’ils avaient acquis, ou de s’en départir de quelque autre façon. Contrairement aux présents appels, il semblait y avoir peu d’éléments de preuve montrant que les associés s’y connaissaient en matière de redressement de sociétés en difficulté. En l’espèce, le plan d’entreprise a été établi bien avant que l’avantage fiscal possible ait été identifié et l’on avait eu recours à ce même plan avec succès par le passé lors de l’acquisition d’autres immeubles commerciaux.

 

[122]  Quatrièmement, dans l’affaire OSFC Holdings, les parties avaient négocié la valeur des pertes fiscales au montant de 5 000 000 $ et le contrat de vente stipulait qu’un montant de 5 000 000 $ sur le prix d’achat était assorti de la condition selon laquelle les contribuables pourraient déduire les pertes fiscales. Or, en l’espèce, rien ne montre que quelque partie du prix d’achat de 10 000 000 $ ait été attribuable aux pertes fiscales. De fait, la preuve tend à indiquer le contraire. Le prix a été négocié au départ et, malgré la suggestion d’un représentant de la banque d’ajuster le prix en vue de refléter la valeur des pertes fiscales, le prix est demeuré le même.

 

[123]  Telles sont les principales différences factuelles qui me permettent de distinguer les affaires OSFC Holdings et Kaulius de la présente espèce. En fin de compte, pour décider si une opération est une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3), il faut trancher chaque cas selon les faits qui lui sont propres.

 

VI.     Conclusions

 

[124]  Une évaluation objective de toutes les motivations sous‑tendant les opérations dans leur ensemble, et chaque opération individuelle, étaye la conclusion à laquelle je suis arrivée, à savoir que l’obtention de pertes fiscales n’était l’objet principal d’aucune des opérations. Chaque opération était légalement exécutoire; elle était valide et avait force obligatoire; et elle n’était ni conclue dans le vide ni artificielle. L’objet commercial visé par les appelants, à savoir acquérir le centre commercial en vue de mettre en œuvre le plan d’entreprise, était l’objet principal de chaque opération. Par conséquent, aucune des opérations n’était une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3).

 

[125]  Les opérations visaient l’obtention de certains objectifs commerciaux, qui ont été inclus à une date ultérieure avec l’organisation fiscale proposée par M. Zaytsoff. Les motivations sous‑tendant ces opérations étaient au départ l’acquisition, l’amélioration et la revente du centre commercial. Selon la preuve, les avantages fiscaux ont été connus après les réunions initiales avec la banque, au cours desquelles le prix d’achat de dix millions de dollars a été consolidé. Le marché conclu avec la banque portait la marque d’un marché commercial purement économique. Ce résultat aurait certes pu être obtenu par d’autres méthodes, mais si les appelants, après avoir conclu le marché avec la banque et élaboré le plan d’entreprise, n’avaient fait aucun cas du conseil fiscal du comptable et s’ils avaient choisi une méthode moins complexe pour acquérir l’immeuble, ils l’auraient fait à leurs risques et périls, en ne faisant aucun cas du conseil fiscal même qu’ils avaient sollicité auprès de M. Zaytsoff quant à l’organisation de l’affaire.

 

[126]  En résumé, je conclus que la preuve étaye la conclusion à laquelle je suis arrivée, à savoir que chaque opération a été principalement effectuée pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal. L’objet principal de chaque opération et de la série dans son ensemble était de procéder avec succès à l’acquisition du centre commercial. La preuve soumise par tous les appelants montre clairement que tel était leur objectif principal. Par conséquent, la RGAÉ ne s’applique pas à l’acquisition du centre commercial.

 

[127]  Les appels sont accueillis. Les parties pourront communiquer avec la Cour si elles n’arrivent pas à régler la question des dépens, quant aux observations à soumettre sur ce point.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2007.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de novembre 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

Annexe A

 

[traduction]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

Les parties aux présentes, par l’entremise de leurs avocats respectifs, s’entendent sur les faits qui suivent; toutefois, la présente entente est conclue pour les besoins des présents appels seulement et ne pourra pas être utilisée contre l’une ou l’autre partie à quelque autre moment, et les parties pourront ajouter des éléments de preuve supplémentaires concernant les questions en litige dans la mesure où ces éléments ne sont pas incompatibles avec la présente entente.

  1. Le centre commercial Northills (le « centre commercial ») est situé au 700, chemin Tranquille, à Kamloops (Colombie‑Britannique). Il est composé de locaux à usage locatif (y compris un magasin d’alcools autonome) d’une superficie nette d’environ 208 900 pieds carrés, d’un parc de stationnement et d’un terrain de 14,55 acres. Le centre commercial a initialement été construit en 1959 et il a été agrandi en 1981.
  2. La Banque Nationale du Canada (la « banque ») est une banque à charte canadienne, remplaçant la Banque Mercantile du Canada. Pendant toute la période pertinente, la banque n’était pas un assureur et elle exerçait des activités de prêts au Canada.
  3. Chacun des appelants est et, pendant toute la période pertinente, était résident du Canada pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »).
  4. En 1991, Prospero International Realty Inc. (« Prospero ») a été embauchée à titre de gérant du centre commercial. Prospero est une société constituée en Colombie‑Britannique; elle appartient à Robert Lee, qui est le dirigeant de l’appelante Robert Lee Ltd., ainsi qu’à sa famille (la « famille Lee »), et notamment à son fils, l’appelant Derek Lee.
  5. Au cours de la période allant de 1990 à 1992, le centre commercial accusait un déficit.
  6. Au mois de décembre 1992, la banque détenait certaines garanties (la « créance ») à l’égard du centre commercial. La créance était constituée d’un prêt, d’une débenture, d’une dette hypothécaire, d’un billet et d’autres dettes. Pendant toute la période pertinente, la créance n’était pas une immobilisation de la banque.
  7. Le 15 décembre 1992, la banque a déposé une requête (les « procédures de forclusion ») devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique contre les propriétaires et les autres titulaires de charges (les « autres ») en vue de procéder à la saisie en forclusion des droits que ceux‑ci possédaient sur le centre commercial.
  8. Dans le cadre des procédures de forclusion, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rendu, le 23 décembre 1992, une ordonnance nommant Deloitte & Touche Inc. séquestre‑gérant du centre commercial.
  9. Dans le cadre des procédures de forclusion, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rendu, le 3 février 1993, une ordonnance accordant à la banque l’autorisation exclusive de vendre le centre commercial, sous réserve de l’approbation de la cour, et fixant à 16 072 865 $ le montant dû à la banque au 3 février 1993. Par conséquent, le prix de base de la banque à l’égard de la créance était de 16 072 865 $.
  10. Le 9 février 1993, la banque et Prospero ont signé un mandat d’exclusivité en vue de vendre le centre commercial. Le prix de vente stipulé dans le contrat était de 12 500 000 $.
  11. Derek Lee était, chez Prospero, le principal responsable de la commercialisation du centre commercial. Prospero a préparé une brochure de vente, dont un exemplaire figure à l’onglet 38 du cahier conjoint de documents.
  12. Avant le mois d’août 1993, certains des appelants avaient été associés à d’autres appelants dans des entreprises immobilières.
  13. En 1993, Bill Kennedy et Peter Brennan étaient des employés de la banque, section des prêts spéciaux.
  14. Le 5 août 1993, deux des appelants, Robert Macdonald et Derek Lee, ont rencontré Bill Kennedy et Peter Brennan (la « réunion du mois d’août ») en vue de parler de l’intérêt de la banque dans le centre commercial.
  15. Pendant toute la période pertinente, la banque était représentée par le cabinet d’avocats Fraser & Beatty.
  16. Le 24 août 1993, Robert Macdonald a envoyé à l’avocat de la banque une lettre d’intention dont une copie figure à l’onglet 46 du cahier conjoint de documents.
  17. Le 5 novembre 1993, la société en commandite Northills Shopping Centre (la « Société ») a été dûment constituée d’une façon valide. Northills Shopping Centre Ltd. (« NSCL ») était l’associé commandité et la banque était le commanditaire initial de la Société conformément au contrat de société qui figure à l’onglet 73 du cahier conjoint de documents.
  18. Le 23 novembre 1993, la banque a acquis 10 000 parts de commanditaire dans la Société et cédé à la Société le droit qu’elle possédait sur la créance conformément au contrat de cession (le « contrat de cession »), qui figure à l’onglet 90 du cahier conjoint de documents.
  19. Pendant toute la période où la banque était un associé de la Société, la Société exerçait ses activités.
  20. Le 29 décembre 1993, chacun des appelants, ainsi que Brent Francis et Bridgewater Consulting Ltd. (collectivement appelés les « associés commandités »), ont formé une société en nom collectif de la Société comme suit :

Appelant

Nombre de parts

%

John MacKay

70

3,5

Derek Ross Lee

100

5

Robert Lee Ltd.

300

15

Robert Macdonald

500

25

Aebag Holdings Ltd.

90

4,5

Beach Avenue Holdings Company Ltd.

200

10

John Cassils

70

3,5

John Zaytsoff

40

3

Timothy Wallace

140

7

Maria Wong

80

4

Robert Glass

100

5

Brian McGavin

50

2,5

Contrat de souscription, dont une copie figure à l’onglet 78 du cahier conjoint de documents.

  1. En tout, les associés commandités ont acheté 2 000 parts d’associés commandités de la Société et versé un montant total de 2 000 000 $.
  2. Aucun des appelants n’était un commanditaire de la Société pour l’application de la Loi.

Le financement

  1. Dans une lettre (la « lettre de la banque ») datée du 9 décembre 1993 et envoyée à la Société, la banque a offert de financer la Société à l’égard du rachat des parts de commanditaire de la banque et de l’amélioration du centre commercial. La lettre de la banque figure à l’onglet 100 du cahier conjoint de documents.
  2. Le 23 décembre 1993, NSCL et la Société ont dûment accepté les conditions énoncées dans la lettre de la banque.
  3. Le 29 décembre 1993, NSCL, la Société et la banque ont conclu un contrat de prêt (le « contrat de prêt »), par lequel :

a)             la banque s’engageait à prêter un montant de 8 600 000 $, composé de deux tranches, de 725 000 $ et de 7 875 000 $ (la « facilité A »), à NSCL et à la Société aux fins du rachat de certaines parts de commanditaire de la Société détenues par la banque;

b)             la banque s’engageait à prêter jusqu’à 850 000 $ (la « facilité B ») aux fins du financement des améliorations futures apportées aux immobilisations, au centre commercial;

c)             la banque s’engageait à prêter jusqu’à 265 000 $ (la « facilité C ») aux fins du financement des améliorations futures apportées aux baux et à diverses autres fins, au centre commercial;

d)             la banque ne devait avancer les montants visés par la facilité B et par la facilité C que si NSCL et la Société remplissaient certaines conditions, et notamment si elles contribuaient un montant correspondant aux dépenses;

e)             NSCL s’engageait à accorder une hypothèque à vue (l’« hypothèque ») à la banque, d’un montant de 9 715 000 $;

f)               la date d’échéance était le 1er janvier 1999, avec option de renouvellement.

Le contrat de prêt figure à l’onglet 101 du cahier conjoint de documents.

  1. Par un contrat de garantie (le « contrat de garantie ») daté du 29 décembre 1993, que NSCL, la Société et la banque ont conclu, NSCL et la Société s’engageaient à accorder une hypothèque et une charge en faveur de la banque sur tous les biens et droits alors possédés et par la suite acquis par NSCL ou par la Société. Le contrat de garantie figure à l’onglet 102 du cahier conjoint de documents.
  2. Le 30 décembre 1993, les garanties et ajournements de réclamations suivants ont été donnés à la banque :

a)              par Macdonald Development Corporation et Robert Macdonald, une garantie d’au plus 509 333 $, qui était réduite d’un montant de 66,67 $ pour chaque 100 $ dépensé par la Société sur ses propres fonds pour les améliorations apportées aux immobilisations, aux baux ou à diverses fins, au centre commercial;

b)             par Robert Lee Ltd. et Robert Lee, une garantie d’au plus 254 667 $, qui était réduite d’un montant de 33,33 $ pour chaque 100 $ dépensé par la Société sur ses propres fonds pour les améliorations apportées aux immobilisations, aux baux ou à diverses fins, au centre commercial.

Les garanties et ajournements de réclamations figurent aux onglets 103 et 104 du cahier conjoint de documents.

Acquisition du centre commercial

  1. Dans le cadre des procédures de forclusion et conformément au contrat de cession, la banque a demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de rendre une ordonnance prévoyant :

a)       la substitution de NSCL à titre de requérante dans les procédures de forclusion;

b)       la cession de la créance en faveur de NSCL;

c)       l’octroi d’une ordonnance définitive de forclusion qui mettait fin aux droits des autres à l’égard du centre commercial;

d)       la libération de Deloitte & Touche Inc. à titre de séquestre‑gérant.

 

L’ordonnance (l’« ordonnance ») a été accordée le 29 décembre 1993; elle figure à l’onglet 95 du cahier conjoint de documents.

  1. Le 29 décembre 1993, la Société a acquis le centre commercial par suite des procédures de forclusion.
  2. Le 30 décembre 1993, l’ordonnance a été déposée au bureau d’enregistrement, à Kamloops (Colombie‑Britannique), le centre commercial étant enregistré au nom de NSCL. L’hypothèque a également été enregistrée.
  3. Le 30 décembre 1993, la Société a versé un montant de 8 600 000 $ à la banque (provenant de la facilité A) en vue de racheter 8 600 parts de commanditaire de la Société. Le 31 décembre 1993, la Société a versé un montant de 1 400 000 $ (provenant de l’achat par les associés commandités de 2 000 parts d’associés commandités) en vue de racheter les 1 400 autres parts de commanditaire de la Société détenues par la banque.
  4. L’acquisition par la banque des parts de commanditaire et le rachat de ces parts étaient des opérations légalement exécutoires, valides et ayant force obligatoire.
  5. Entre la date de création de la Société et le 31 décembre 1993, la banque avait un lien de dépendance avec la Société.
  6. Une fois que les associés commandités sont devenus associés de la Société, la Société s’est occupée d’une façon générale d’immeubles et de garanties immobilières à des fins lucratives, notamment en acquérant à sa juste valeur marchande de 10 000 000 $ la créance, dont la valeur nominale était de 16 000 000 $, à laquelle le centre commercial était assujetti et par la suite en réalisant la créance et en remettant à neuf, en gérant et en exploitant le centre commercial, notamment en ce qui concerne les baux, les permis ou la vente de tout ou partie du centre commercial.

NSCL

  1. Par une entente concernant les actions datée du 31 décembre 1993 conclue par la banque, Robert Macdonald et Robert Lee Ltd., la banque a vendu 333 des actions qu’elle détenait dans NSCL à Robert Lee Ltd. et 667 des actions qu’elle détenait dans NSCL à Robert Macdonald au prix de un dollar l’action. Cette entente figure à l’onglet 65 du cahier conjoint de documents.
  2. Le 31 décembre 1993, Robert Macdonald et Robert Lee ont été désignés à titre d’administrateurs de NSCL. Robert Macdonald, Robert Lee, Derek Lee et l’appelante Maria Wong ont été désignés à titre de dirigeants de NSCL.

Fin d’exercice de la Société

  1. En 1993, le bénéfice net d’exploitation du centre commercial s’élevait à 1 121 528 $.
  2. À la fin de l’exercice de la Société, le 31 décembre 1993, la Société a réduit la valeur du centre commercial de 15 824 569 $ à sa juste valeur marchande de 10 000 000 $. La déclaration de renseignements de la Société pour l’exercice clos le 31 décembre 1993, y compris ses états financiers, figure à l’onglet 1 du cahier conjoint de documents.
  3. La Société a dûment réparti entre les associés commandités, dont la majorité était les appelants, une perte autre qu’en capital de 5 820 875 $ qu’elle avait subie au cours de l’exercice clos le 31 décembre 1993.
  4. Les pertes (les « pertes ») déduites par chacun des appelants correspondaient comme suit aux nombres de parts détenues par chaque appelant dans la Société :

Appelant

Pertes

John Mackay

 203 682 $

Derek Ross Lee

 290 974   

Robert Lee Ltd.

 872 923   

Robert Macdonald

 1 454 872   

Aebag Holdings Ltd.

 261 877   

Beach Avenue Holdings Company Ltd.

 581 949   

John Cassils

 203 682   

John Zaytsoff

 116 389   

Timothy Wallace

 407 364   

Maria Wong

 232 781   

Robert Glass

 290 974   

Brian McGavin

 145 487 $

Activités de 1994 et activités subséquentes

  1. La Société a engagé des frais élevés en vue de rénover et de mettre à neuf le centre commercial ainsi que d’apporter des améliorations quant à l’ensemble des locataires.
  2. Le 2 mai 1994, la Société a chargé Prospero de vendre le centre commercial. Le prix demandé était de 14 millions de dollars.
  3. En 1994 et en 1995, la Société a conclu des baux avec les locataires existants et avec de nouveaux locataires, au centre commercial.
  4. Jusqu’au 14 novembre 1996 :

a)              le centre commercial faisait partie des stocks de la Société;

b)             les associés de la Société ont toujours considéré le centre commercial comme faisant partie des stocks et voulaient revendre le centre commercial à profit dès qu’ils auraient l’occasion de le faire.

Nouvelles cotisations

  1. Le ministre a délivré des avis de nouvelle cotisation à l’égard des appelants pour les années d’imposition suivantes :

Appelant

Date de la nouvelle cotisation ou de la cotisation

Années d’imposition

John Mackay

6 juin 1997

1993 et 1994

Derek Ross Lee

20 juin 1997

1993

27 juin 1997

1994 et 1995

Robert Lee Ltd.

24 juillet 1997

1993 et 1995

Robert Macdonald

13 juin 1997

1993, 1994 et 1995

21 juin 1999

1998

Aebag Holdings Ltd.

22 juillet 1997

1994 et 1995

Beach Avenue Holdings Company Ltd.

28 juillet 1997

1991, 1993 et 1994

John Cassils

6 juin 1997

1993

John Zaytsoff

27 juin 1997

1993

Timothy Wallace

26 mai 1997

1993

Maria Wong

13 juin 1997

1993, 1994 et 1995

21 juin 1999

1998

Robert Glass

27 juin 1997

1994

Brian McGavin

25 juillet 1997

1993

  1. En établissant ainsi de nouvelles cotisations à l’égard des appelants, de la façon mentionnée au paragraphe 46 (sic), le ministre a refusé les pertes et l’imputation des pertes autres qu’en capital résultant des pertes en se fondant sur l’application de l’article 245 de la Loi.
  2. Chacun des appelants a dûment déposé un avis d’opposition à l’égard de chacun des avis de cotisation ou avis de nouvelle cotisation mentionnés au paragraphe 46 (sic).

48.  Le ministre a délivré un avis de ratification à chacun des appelants à l’égard des années pour lesquelles chacun des appelants avait déposé l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 8 (sic).


 

Annexe B

 

RÉSUMÉ DES TÉMOIGNAGES DES TÉMOINS

Robert Macdonald

Robert Macdonald a engagé personnellement des capitaux dans la Société et il a joué le rôle principal lorsqu’il s’est agi de créer le plan d’entreprise et de négocier l’acquisition du centre commercial. Avant de lancer sa propre compagnie, Macdonald Development Corporation (« MDC »), Robert Macdonald avait travaillé pour un certain nombre de compagnies s’occupant de gestion d’immeubles et d’immeubles commerciaux. La compagnie MDC possède des hôtels, des immeubles à usage de bureaux, des magasins de détail et des immeubles à usages multiples partout en Amérique du Nord. Robert Macdonald a expliqué qu’il achetait des immeubles en misant sur la valeur : le type de propriété n’était pas aussi important que le prix auquel la propriété pouvait être acquise. M. Macdonald acquérait également des immeubles sur des marchés immobiliers déprimés lorsqu’il estimait que le marché allait éventuellement se redresser. Habituellement, MDC réunissait les capitaux nécessaires en créant des sociétés de personnes et en émettant des parts en faveur des investisseurs.

En 1993, Robert Macdonald a voyagé partout en Amérique du Nord pour chercher des occasions sur un marché immobilier déprimé. Il a d’abord entendu parler du centre commercial par l’entremise de la banque, mais c’était Derek Lee qui l’avait en fin de compte informé du fait que l’immeuble était en vente. Initialement, l’affaire n’intéressait pas particulièrement Robert Macdonald parce qu’il ne croyait pas pouvoir obtenir l’immeuble à bon prix étant donné qu’il traitait déjà avec la banque pour d’autres affaires. Toutefois, il est devenu convaincu qu’il s’agissait d’une acquisition viable. Après l’élaboration du plan d’entreprise et jusqu’à la conclusion du marché, Robert Macdonald était d’avis que l’objet de l’opération dans son ensemble était l’acquisition du centre commercial et la mise en œuvre du plan d’entreprise en vue de la réalisation d’un profit. Ce plan d’entreprise était le même que celui que M. Macdonald avait utilisé avec succès dans plus de 90 p. 100 de ses acquisitions antérieures [transcription, page 482]. L’organisation des opérations a été élaborée par John Zaytsoff après la création du plan d’entreprise. Robert Macdonald a reconnu que, bien qu’on l’eût informé que la structure entraînerait un avantage fiscal, à son avis, la structure constituait simplement une méthode raisonnable d’acquisition de l’immeuble. En outre, il s’attendait à ce que John Zaytsoff donne un avis professionnel au sujet de l’acquisition du centre commercial afin d’atteindre l’objectif du plan d’entreprise. Le fait que cet avis comprenait des considérations fiscales ne l’a pas surpris étant donné que John Zaytsoff fournissait des conseils au sujet de tous les marchés qu’il concluait.

Brian McGavin

Brian McGavin est un avocat comptant 22 années d’expérience dans l’immobilier. Il travaille pour MDC. M. McGavin a engagé personnellement des capitaux dans la Société et il a également engagé des capitaux par l’entremise de sa compagnie de portefeuille, Aebag Holdings Ltd.

M. McGavin a rencontré Robert Macdonald pendant qu’ils travaillaient tous deux pour Strand Development Corporation (« Strand »). Il a quitté Strand en 1990 lorsque Robert Macdonald lui a offert de travailler pour MDC. Le rôle de McGavin, chez MDC, était de réunir des capitaux en vue d’acquérir des immeubles. M. McGavin a témoigné qu’il touchait normalement un pourcentage des parts détenues dans les immeubles que MDC acquérait, en fonction des capitaux qu’il réussissait à réunir pour ce projet. Il faisait de l’argent uniquement si le projet portait fruit et si l’immeuble était vendu moyennant la réalisation d’un profit.

M. McGavin a témoigné avoir entendu parler de l’occasion d’engager des capitaux dans la Société et dans le centre commercial par l’entremise de Robert Macdonald. M. Macdonald a informé M. McGavin qu’il devrait engager personnellement des capitaux dans la Société, au lieu d’obtenir une part en réunissant des capitaux. Le placement l’intéressait parce qu’il connaissait la région de Kamloops et cet immeuble. Il croyait comprendre que le plan d’entreprise était semblable à celui qui avait été adopté pour d’autres investissements immobiliers chez MDC, c’est‑à‑dire acquérir un immeuble dont le prix était trop bas, effectuer des améliorations, attirer de bons locataires et augmenter le bénéfice net d’exploitation, puis vendre ensuite l’immeuble en réalisant un profit. M. McGavin a indiqué que les considérations fiscales n’avaient pas influé sur sa décision d’engager des capitaux dans la Société.

Timothy Wallace

Timothy Wallace est, chez MDC, un promoteur immobilier qui a engagé personnellement des capitaux dans la Société. Chez MDC, il était chargé principalement de réunir des capitaux et de négocier l’acquisition d’immeubles partout aux États‑Unis, ainsi que d’assurer la gestion continue des immeubles de MDC situés dans l’Est des États‑Unis. M. Wallace a indiqué qu’il avait engagé des capitaux dans plus de 20 projets avec Robert Macdonald et MDC. Il a entendu parler du centre commercial à l’automne 1993 au cours d’une brève conversation avec Robert Macdonald, lorsque M. Macdonald lui avait expliqué que le centre commercial semblait être une bonne affaire même si, à cet endroit, le marché était déprimé. À 50 $ le pied carré, le centre commercial pouvait être acheté pour dix millions de dollars. Si le bénéfice net d’exploitation pouvait être porté à 1,4 million de dollars, on prévoyait que le centre commercial pourrait alors être vendu au prix de 14 millions de dollars, ce qui correspondait à un taux de capitalisation de 10 p. 100. M. Wallace s’est alors engagé à investir des capitaux, étant donné que la chose était compatible avec l’approche adoptée à l’égard d’autres placements auxquels il avait participé antérieurement. M. Wallace a témoigné qu’il n’avait pas été question des pertes fiscales ou des avantages fiscaux associés à l’acquisition du centre commercial et qu’il s’agissait simplement d’un marché fondé sur une immobilisation corporelle.

Robert Glass

Robert Glass travaille pour MDC depuis 1992 à titre de gestionnaire immobilier supérieur. Il a engagé personnellement des capitaux dans la Société. Il avait engagé des capitaux dans des entreprises immobilières sous la forme de sociétés de personnes avant 1993 et il avait également participé à des marchés conclus avec des institutions financières. M. Glass a initialement entendu parler du centre commercial lors de discussions avec Robert Macdonald, à la fin du printemps 1993, lorsque M. Macdonald lui a fait part de l’occasion d’acquérir le centre commercial à un prix fortement réduit. Il avait l’impression qu’il s’agissait d’une occasion d’acquérir un immeuble à un coût inférieur à son coût de remplacement et de le vendre ensuite à profit. Il a indiqué que l’affaire était intéressante parce que l’immeuble pouvait être acquis pour dix millions de dollars et que seules des améliorations « esthétiques » étaient nécessaires.

M. Glass a visité le centre commercial avec Robert Macdonald au cours de l’été 1993 pour discuter des améliorations éventuelles. Au mois de septembre 1993, M. Glass a communiqué avec Robert Macdonald pour participer à l’affaire. Jusqu’alors, il n’avait pas été question des conséquences fiscales découlant de l’achat du centre commercial.

M. Glass a assisté à la réunion des investisseurs, au mois de novembre; il a relaté qu’au cours de la réunion, qui avait duré deux heures, John Zaytsoff avait passé une demi‑heure à discuter de l’organisation des opérations. M. Glass a alors été informé des conséquences fiscales possibles, mais il s’était déjà engagé à investir des capitaux et la connaissance des avantages fiscaux n’a pas influé sur sa décision.

Maria Wong

Mme Wong est vice‑présidente, Finances, chez MDC; elle a engagé personnellement des capitaux dans la Société. Chez MDC, elle était chargée principalement de travailler avec Robert Macdonald et avec le conseiller financier externe, John Zaytsoff, pour décider de la structure optimale aux fins de l’acquisition d’immeubles. Elle avait antérieurement engagé des capitaux dans des immeubles avec Robert Macdonald et MDC. Ces placements prenaient souvent la forme de coentreprises ou de sociétés en commandite. Avant 1993, un certain nombre d’opérations comportaient l’achat de créances d’institutions financières.

Mme Wong a expliqué que MDC achetait des immeubles partout en Amérique du Nord, chaque projet visant à permettre la réalisation d’un profit. Les avantages fiscaux n’étaient jamais entrés en ligne de compte dans la stratégie de placement de MDC en ce qui concerne les projets dans lesquels elle avait antérieurement engagé des capitaux.

Mme Wong a initialement entendu parler de l’occasion de placement, en ce qui concerne le centre commercial, le 9 août 1993, au retour de Robert Macdonald d’une réunion avec la banque, à Toronto. À ce moment‑là, elle a été informée que M. Macdonald avait conclu un marché en vue d’acquérir le centre commercial de la banque et qu’il voulait la rencontrer ainsi que John Zaytsoff pour discuter de l’organisation de l’affaire.

Lors de cette réunion, Mme Wong a expliqué à John Zaytsoff que la banque n’était pas propriétaire du centre commercial, mais qu’elle détenait la créance. Elle a également indiqué que la banque devait continuer à participer au projet en fournissant un montant de 8,6 millions de dollars pour financer l’acquisition.

Mme Wong a témoigné que c’était M. Zaytsoff qui avait créé la structure aux fins de l’acquisition, mais qu’il n’avait pas donné d’explications au sujet de l’organisation. Toutefois, Mme Wong comprenait les conséquences fiscales résultant de la structure. Malgré ces considérations fiscales, elle était d’avis que la structure se prêtait à la réalisation de l’objectif commercial, à savoir l’acquisition du centre commercial. Mme Wong a expliqué que tous les marchés étaient différents et qu’à son avis, l’organisation de ce marché n’avait rien d’inhabituel. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi la banque avait créé la Société, Mme Wong a témoigné qu’elle estimait cela commode étant donné que Robert Macdonald n’avait pas confirmé tous ceux qui seraient les associés.

Pendant toute la durée du contre‑interrogatoire, Mme Wong a déclaré avec insistance que les divers documents qu’elle avait préparés visaient à aider M. Kennedy et la banque et à faciliter la conclusion du marché. Elle a déclaré qu’il n’avait jamais été question avec les représentants de la banque d’un paiement versé à la banque pour les pertes fiscales.

John Zaytsoff

M. Zaytsoff est comptable agréé et associé fiscaliste du cabinet comptable KPMG. Il donnait des conseils externes à MDC au sujet de l’impôt et de l’organisation d’opérations. De plus, M. Zaytsoff avait engagé personnellement des capitaux dans la Société, comme il l’avait fait antérieurement pour un certain nombre d’autres projets auxquels MDC et le groupe Strand avaient participé. Il a déclaré être un investisseur prudent dans le domaine immobilier et soupeser les risques et avantages de chaque placement particulier. Il avait engagé des capitaux avec Robert Macdonald au moins cinq fois. M. Zaytsoff a indiqué que tous ces placements étaient faits par l’entremise de sociétés de personnes ou de coentreprises.

Mme Wong a parlé de l’immeuble à M. Zaytsoff au début du mois d’août 1993. Après la réunion, M. Zaytsoff croyait comprendre que l’immeuble était assujetti à des procédures de forclusion. Il croyait également comprendre que, pour conclure le marché, il fallait que des investisseurs participent au projet. M. Zaytsoff croyait comprendre qu’après l’acquisition, l’immeuble serait remis à neuf et rénové, qu’on assainirait la situation concernant les baux et que l’immeuble serait éventuellement vendu à profit.

M. Zaytsoff a indiqué que ce marché présentait pour lui certains défis sur le plan de l’organisation étant donné que c’était la première fois qu’il s’occupait de l’achat d’une créance hypothécaire. Il a recommandé l’utilisation d’une société de personnes parce qu’il était plus facile pour la Société de réaliser ses objectifs commerciaux si la banque créait une société de personnes et transférait la créance dans une société de personnes qu’elle contrôlait. Il a indiqué que cette méthode devait permettre à la banque de maintenir un contrôle sur l’immeuble tant qu’il ne serait pas transféré aux associés acheteurs.

M. Zaytsoff a reconnu que la structure proposée des opérations donnerait lieu à certains avantages fiscaux, mais il a affirmé avec insistance qu’il recommandait la structure afin de permettre l’acquisition de l’immeuble d’une manière compatible avec le plan d’entreprise. À son avis, les avantages fiscaux entraient fort peu en ligne de compte dans l’ensemble du projet.

M. Zaytsoff a témoigné qu’il n’avait pas été question avec la banque ou avec les représentants de la banque de l’établissement du prix des pertes fiscales. Le marché consistait à acquérir le centre commercial plutôt que les pertes. Les pertes étaient une conséquence découlant des opérations, mais elles ne constituaient pas l’objet de ces opérations.

En outre, M. Zaytsoff a mis en question la valeur des pertes fiscales pour les associés. Il a expliqué que la valeur de l’avantage fiscal pour chaque associé était le montant de son taux d’imposition personnel multiplié par sa part proportionnelle de la perte. À son avis, étant donné qu’on avait l’intention de revendre le centre commercial, l’avantage fiscal consistait à obtenir un report d’impôt et non une économie d’impôt permanente. Lors du contre‑interrogatoire, M. Zaytsoff a indiqué qu’il croyait comprendre que, si l’immeuble était finalement vendu au prix de 14 millions de dollars, le bénéfice de quatre millions de dollars serait imposable à titre de revenu pour les associés.

Derek Ross Lee

Derek Lee a pris part directement à l’acquisition du centre commercial. À l’heure actuelle, il est président de Prospero. L’entreprise de Prospero consiste à gérer de gros immeubles à usage commercial, comme des centres commerciaux, des immeubles à usage locatif et des immeubles à usage de bureaux, ainsi que des immeubles à usage industriel. L’approche adoptée par Prospero, en matière de placements, consistait à acheter des immeubles et à les conserver à long terme. Prospero cherchait des immeubles sur des marchés insuffisamment performants où les immeubles pouvaient être améliorés et vendus à profit.

La famille Lee avait une longue expérience du centre commercial, et ce, depuis la fin des années 1980. Derek Lee croyait qu’il y avait une possibilité que le centre commercial prenne de la valeur si des améliorations étaient effectuées. Avec cet objectif en tête, Derek Lee s’est mis à travailler avec Robert Macdonald à élaborer le plan d’entreprise.

Derek Lee a assisté à la réunion avec les représentants de la banque le 5 août 1993 pour discuter de l’acquisition de l’immeuble. Il a expliqué qu’ils avaient réussi à s’entendre sur certaines conditions, notamment le prix, la commission à verser à Prospero, le montant des arrhes, le financement et la fourniture de garanties personnelles. Derek Lee ne se rappelait pas qu’il ait été question d’organisation fiscale ou d’avantages fiscaux offerts par l’achat. Il a également indiqué qu’on avait toujours eu l’intention de créer une société de personnes en vue d’acheter l’immeuble, mais il a laissé Robert Macdonald et Maria Wong s’occuper de tous les détails de l’organisation et de la conclusion du marché.

En 1996, les associés ont réexaminé leur stratégie de détention de l’immeuble et il a été conclu qu’il était préférable de conserver l’immeuble parce qu’il ne pouvait être vendu que pour 11 millions de dollars, au lieu du prix prévu de 14 millions.

Robert Lee

Robert Lee a engagé des capitaux dans la Société par l’entremise de sa compagnie, Robert Lee Ltd. M. Lee compte plus de 47 années d’expérience dans le domaine immobilier. Il a engagé des capitaux dans d’autres centres commerciaux, en Colombie‑Britannique, dont certains appartiennent encore à sa famille. Sa stratégie de placement comporte la recherche d’immeubles qui ont une bonne valeur compte tenu des flux de trésorerie et du prix au pied carré. À sa connaissance, les conséquences fiscales n’étaient jamais entrées en ligne de compte dans les décisions qu’il prenait en matière de placements parce que les institutions financières tiennent compte de la valeur et des flux de trésorerie lorsqu’elles accordent un financement à l’emprunteur.

Robert Lee connaissait très bien le centre commercial, mais il avait attribué à son fils, Derek Lee, de nombreuses responsabilités en ce qui concerne la gestion et l’administration de l’immeuble. Robert Lee a été informé par son fils que celui‑ci, avec Robert Macdonald, négociait activement avec la banque en vue d’acheter le centre commercial. Il voulait avoir un intérêt dans le centre commercial à cause de sa valeur. En 1989, la famille Lee avait acheté le centre commercial pour la somme de 20 millions de dollars et elle l’avait conservé pendant une brève période avant de le revendre en faisant un léger profit. À ce moment‑là, le prix correspondait à environ 100 $ le pied carré. Plus tard, en 1993, lorsque le prix a baissé à dix millions de dollars, soit 50 $ le pied carré, M. Lee estimait que le centre avait beaucoup de valeur même s’il reconnaissait qu’il fallait y apporter des améliorations.

On a demandé à Robert Lee, ainsi qu’à Robert Macdonald, de fournir une garantie personnelle parce que la banque s’était engagée à fournir du financement additionnel pour les améliorations, en sus du montant nécessaire aux fins de l’acquisition de l’immeuble. Robert Lee et Robert Lee Ltd. ont fourni des garanties.

Robert Lee n’a pas participé aux négociations et il a laissé son fils s’occuper de presque tous les détails de l’opération.

John MacKay

John MacKay est président, administrateur et actionnaire du groupe Strand de compagnies (le « groupe Strand »), qui s’occupe généralement de placements immobiliers. L’approche adoptée par le groupe Strand consistait à acheter des immeubles lorsqu’il pouvait y ajouter ou créer de la valeur. Habituellement, on accomplissait la chose en améliorant les flux de trésorerie et en vendant ensuite l’immeuble dans un délai de trois à sept ans. M. MacKay a également fait remarquer que les incidences fiscales n’entraient pas en ligne de compte dans les décisions que le groupe Strand prenait en matière de placements. M. MacKay a fait remarquer que les sociétés de personnes étaient le moyen que le groupe Strand privilégiait en matière de placements immobiliers.

M. MacKay a rencontré Robert Macdonald pour la première fois en 1984 ou en 1985, lorsque celui-ci travaillait pour le groupe Strand à titre d’agent responsable des acquisitions. Robert Macdonald a finalement quitté le groupe Strand pour former sa propre compagnie, mais M. MacKay a indiqué qu’il avait fait plusieurs placements avec lui après son départ et que ces placements avaient été rentables.

M. MacKay a d’abord entendu parler du centre commercial en 1993 par Robert Macdonald. Il a expliqué que Robert Macdonald avait l’habitude de l’appeler, de lui donner des renseignements de base et de lui dire : [traduction] « J’ai une bonne affaire, voulez‑vous y engager des capitaux? » [Transcription, page 923]. Les détails étaient habituellement sommaires, mais au cours des huit ou neuf dernières années, M. MacKay a toujours engagé des capitaux dans les affaires que Robert Macdonald recommandait, en se fondant sur la réputation de celui‑ci.

M. MacKay croyait comprendre que le plan d’entreprise, pour le centre commercial, était basé sur son potentiel de redressement. Il a témoigné que les pertes fiscales n’étaient pas entrées en ligne de compte dans sa décision d’engager des capitaux et qu’il n’avait pas participé à l’organisation des opérations.

John Cassils

John Cassils comptait une trentaine d’années d’expérience en matière immobilière à titre d’ancien propriétaire du groupe Strand avec John MacKay. Il a engagé personnellement des capitaux dans la Société. M. Cassils a cessé d’exercer sa profession de médecin pour travailler à plein temps dans le domaine immobilier jusqu’à sa retraite, il y a quatre ou cinq ans. Dans le groupe Strand, M. Cassils s’occupait de l’acquisition des immeubles dans lesquels des capitaux étaient engagés, ce qui comportait l’étude des marchés immobiliers partout en Amérique du Nord.

Le centre commercial intéressait M. Cassils à cause des rendements prévus, qu’il considérait comme fort intéressants. M. Cassils a expliqué que les décisions qu’il prenait en matière de placements étaient souvent fondées sur la personne qui concluait le marché et non uniquement sur le marché lui‑même. M. Cassils a déclaré avoir énormément confiance en Robert Macdonald et avoir beaucoup de considération pour ses compétences, et ce, même s’il n’avait jamais antérieurement engagé de capitaux avec celui‑ci. M. Cassils avait déjà conclu des affaires avec nombre d’autres appelants et il en connaissait plusieurs sur le plan mondain. Il ne craignait pas de participer à la Société étant donné que les autres investisseurs, qu’il considérait comme [traduction] « des gens qui s’y connaissaient pas mal en matière immobilière », y participaient [transcription, page 433]. M. Cassils a expliqué n’avoir jamais été un investisseur ayant des objectifs fiscaux étant donné que ces types de placements sont [traduction] « rarement rentables ». Il estimait que les marchés conclus pour des raisons fiscales n’étaient normalement pas des placements solides.

John (Jack) Wilson Poole

John Poole a engagé des capitaux dans la Société par l’entremise de sa compagnie, Beach Avenue Holding Company Ltd. Depuis 1964, M. Poole a également été fort actif dans le domaine immobilier. Il a décidé de prendre part à l’acquisition du centre commercial à cause de l’étroite amitié qu’il entretenait avec Robert Lee. C’est Derek Lee qui lui a offert d’y prendre part. Le placement l’intéressait parce qu’il s’agissait d’une occasion d’acquérir un immeuble à revenu à un coût bien inférieur au coût de remplacement.

M. Poole s’est vu offrir une part de 10 p. 100, même s’il voulait effectuer un placement plus important étant donné qu’il estimait qu’une part de 10 p. 100 représentait un placement minime. Il a indiqué qu’il lui avait été facile de décider d’effectuer le placement parce que, quant à lui, il s’agissait d’un placement relativement peu important, parce que le coût était bien inférieur à la valeur de remplacement, et parce que le fait de connaître la plupart des associés le réconfortait dans une certaine mesure. La question des pertes fiscales ou des avantages fiscaux n’a jamais été soulevée.

Tony Letvinchuk

Tony Letvinchuk avait travaillé comme gestionnaire immobilier supérieur chez Prospero de 1981 à 1998. Il a entendu parler du centre commercial en 1989 lorsque York‑Hannover a signifié qu’elle voulait que Prospero gère l’immeuble. À compter de ce moment‑là et jusqu’à ce que la banque engage les procédures de forclusion, sa connaissance de l’immeuble a augmenté. En 1992, il en est officiellement devenu le gérant. En 1993, il a aidé Derek Lee à préparer l’immeuble en vue de le vendre et, au mois de juin 1993, il a rédigé un rapport qui a finalement été remis à Robert Macdonald pour l’aider à élaborer le plan d’entreprise et à négocier avec la banque.

M. Letvinchuk a refusé de prendre part à ce marché parce qu’il s’occupait déjà d’autres placements.

Bill Kennedy

Bill Kennedy est vice-président du groupe des prêts spéciaux, à la banque. Il est le seul employé de la banque à avoir participé à l’acquisition du centre commercial et à être encore employé par celle‑ci. Il a été assigné à comparaître à l’audience pour témoigner.

En 1993, M. Kennedy était chargé de s’occuper des projets immobiliers qui posaient des problèmes à la banque. Au cours des années 1990, la banque détenait un gros portefeuille immobilier. À ce moment‑là, une récession causait des difficultés sur le marché immobilier. M. Kennedy a témoigné que les prêts non productifs à intérêt non comptabilisé avaient des répercussions négatives pour la banque à cause du coût élevé que comportent de tels prêts en plus de la perte réelle qui en résulte. Le mandat du groupe des prêts spéciaux était de remédier à la situation, en ce qui concerne ces prêts à problèmes, le plus rapidement possible et d’une façon raisonnable sur le plan commercial. On réalisait habituellement la chose en vendant l’actif ou en faisant en sorte que le prêt devienne productif en vue de minimiser la perte.

L’hypothèque consentie à York‑Hannover, à l’égard du centre commercial, est devenue un prêt non productif au mois de novembre 1992. M. Kennedy a expliqué que la banque envisageait d’obtenir le contrôle de l’immeuble et d’élaborer ensuite une stratégie en vue d’en maximiser la valeur. Étant donné qu’il s’agissait d’un prêt important, des pressions étaient exercées pour que cet actif devienne productif et pour que sa valeur soit maximisée. En fin de compte, Prospero a obtenu un mandat exclusif de vente et s’est vu attribuer la tâche de trouver un acheteur.

Le prix de vente initial du centre commercial était de 12,5 millions de dollars, compte tenu d’une valeur estimative de 11,9 millions de dollars. La banque ne croyait pas pouvoir obtenir le prix demandé et elle a donc cherché à obtenir le meilleur prix possible. M. Kennedy croyait que Prospero était capable de vendre l’immeuble, mais la pénurie générale de liquidités sur le marché immobilier l’inquiétait. Lorsque l’immeuble a été mis en vente, M. Kennedy n’a pas eu de discussions avec Prospero ou avec Derek Lee au sujet des pertes fiscales. Il voulait simplement vendre l’immeuble le plus rapidement possible, au meilleur prix possible.

M. Kennedy ne se rappelait pas qu’il avait été question des pertes fiscales à la réunion initiale, le 5 août 1993. En fin de compte, lorsque la structure a été proposée aux fins de l’acquisition de l’immeuble, il considérait encore que les étapes proposées visaient à faciliter la vente conformément au plan d’entreprise initial élaboré par Robert Macdonald. M. Kennedy a déclaré qu’il ne recommanderait jamais une vente comportant une hypothèque consentie par le vendeur, comme il l’avait fait dans ce cas‑ci, lorsque seules les pertes fiscales intéressaient l’acheteur. La banque voulait vendre l’immeuble à des personnes qui s’y connaissaient en la matière, si elle devait leur accorder du financement, étant donné que la chose avait pour effet de rattacher directement l’intérêt futur de la banque à l’intérêt d’un acheteur, soit dans ce cas‑ci les appelants. M. Kennedy a déclaré que l’affaire était parfaitement adaptée au mandat de la banque de s’occuper des prêts à intérêt non comptabilisé.


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI94

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2001-2301(IT)G, 2001-2302(IT)G,

2001-2303(IT)G, 2001-2304(IT)G,

2001-2305(IT)G, 2001-2307(IT)G,

2001-2308(IT)G, 2001-2309(IT)G,

2001-2318(IT)G, 2001-2319(IT)G,

2001-2320(IT)G, 2001-2321(IT)G.

 

INTITULÉ :                                       John MacKay, Derek Ross Lee, Robert Macdonald, Robert Lee Ltd., Aebag Holdings Ltd., Beach Avenue Holdings Company Ltd., John Cassils, John Zaytsoff, Timothy Wallace, Maria Wong, Robert Glass, Brian McGavin

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Du 3 au 11 avril 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 février 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats des appelants :

Me Edwin G. Kroft et

Me Elizabeth Junkin

 

Avocats de l’intimée :

Me Robert Carvalho et

Me Ron Wilhelm

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

        Nom :                                         Edwin G. Kroft

                                                          Elizabeth Junkin

 

        Cabinet :                                     McCarthy Tetrault

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Robert Lee n’était pas présent à la réunion, mais son fils Derek Lee l’avait appelé au téléphone pour discuter de l’affaire.

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