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Dossier : 2003-1183(EI)

ENTRE :

AMARJIT KAUR MAHIL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 juillet 2003 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Représentante de l'appelante :

Gurcharan Dhillon

Avocat de l'intimé :

Me Bruce Senkpiel

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 23e jour d'octobre 2003.

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2004.

Liette Girard, traductrice


Référence : 2003CCI746

Date : 20031023

Dossier : 2003-1183(EI)

ENTRE :

AMARJIT KAUR MAHIL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe

[1]      L'appelante,Amarjit Kaur Mahil, interjette appel à l'encontre d'une décision datée du 10 mars 2003 rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) dans laquelle ce dernier a décidé que l'emploi qu'elle occupait auprès de Shamsher Mahil et Meena Mahil, faisant affaire sous le nom de Mahil Farms, ( « Farms » ) durant les périodes du 8 juillet au 24 août 2002, du 5 juin au 25 août 2000 et du 3 mai au 26 juin 1999 n'était pas assurable parce que les parties étaient liées et que le ministre n'était pas convaincu que les contrats d'emploi auraient été à peu près semblables si l'employeur et l'employée n'avaient pas eu de lien de dépendance. La décision du ministre a été rendue en vertu du paragraphe 93(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et est fondée sur l'alinéa 5(2)i) de ladite Loi.

[2]      Amarjit Kaur Mahil ( « Amarjit Mahil » ) a témoigné grâce aux services de Sarb Sandhu, un interprète punjabi-anglais, anglais-punjabi. Amarjit Mahil était représentée par une représentante, Mme Gurcharan Dhillon, qui a informé la Cour qu'elle n'était pas liée à un prochain témoin ayant le même nom de famille. Amarjit Mahil a déclaré qu'elle résidait à Clearbrook, en Colombie-Britannique, et qu'elle était une ouvrière de pépinière. Elle a été adoptée par Shamsher Mahil et Meena Mahil et, même si elle a travaillé à leur ferme durant les périodes pertinentes, elle résidait en ville et non dans la maison des Mahil qui était située près de la ville d'Abbotsford. Lorsqu'elle travaillait à la ferme, elle répandait de la sciure de bois et de l'engrais, plantait de nouveaux plants de bleuets, vérifiait les rangées et effectuait toutes les autres tâches nécessaires sous la direction de ses parents et conformément à leurs instructions. Elle a commencé à travailler sur la ferme à l'été 1999 et y a également travaillé en 2000 et en 2002. Cependant, elle n'y a pas travaillé en 2001 parce qu'elle a pu obtenir plus de travail qu'à l'habitude à la pépinière. Chez Farms, il n'y avait pas d'heures fixes, et la journée de travail commençait à 6 h et se terminait à 21 h, habituellement six jours par semaine, mais il était parfois nécessaire de travailler sept jours par semaine. En 1999, Amarjit Mahil a travaillé pour Farms ainsi que dans une conserverie en plus de suivre des cours de English Language Services for Adults (ELSA) (services de langue anglaise pour adultes) (communément appelés cours d'anglais langue seconde ou cours d'ALS). Si elle travaillait pour deux employeurs le même jour, elle n'assistait pas à son cours d'ALS. Entre le 15 février et le 22 mars 1999, les cours d'ALS avaient lieu entre 9 h et midi. Le 23 mars 1999, elle a commencé à suivre des cours d'ALS de soir et à travailler pour Farms le 3 mai. Amarjit Mahil a identifié une lettre, pièce A-1, envoyée par le coordonnateur d'ELSA le 3 mars 2003, à la Division des appels du bureau de Vancouver de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) au sujet des cours de l'appelante durant les différentes périodes entre le 15 février 1999 et le 31 janvier 2001. Le programme ELSA n'était pas en activité entre le 11 juin et le 19 septembre 1999. L'appelante a déclaré qu'elle n'avait pas suivi de cours d'ALS en 2002. Elle a indiqué que d'autres travailleurs non liés chez Farms étaient également payés par chèque, et une liasse de photocopies de chèques oblitérés, émis par Shamsher Mahil et Meena K. Mahil, a été déposée sous la cote A-2. Shamsher Mahil conservait des livres comptables, y compris des feuilles de paie (pièce A-3), qui étaient utilisées pour enregistrer les heures de travail accomplies par les différents travailleurs. L'appelante ne gardait pas de dossier distinct pour ses heures de travail, mais elle était convaincue que les dossiers de Farms étaient précis. Elle a déclaré que même si certains des chèques étaient émis à l'ordre de Mahil Amarjit Kaur, plutôt qu'à l'ordre d'Amarjit Kaur Mahil, elle était la personne à l'intention de qui ces chèques étaient émis en paiement des services rendus. L'appelante a déclaré qu'elle est arrivée au Canada en 1998 et qu'elle ne pouvait traiter avec les institutions financières en raison de sa mauvaise connaissance de l'anglais. En conséquence, elle a ouvert un compte conjoint avec sa mère, Meena K. Mahil, et son frère en a ouvert un avec Shamsher Mahil. De plus, son horaire était tel que la banque était souvent fermée au moment où elle finissait de travailler et, comme elle ne possédait pas de véhicule à moteur, elle dépendait d'autres personnes pour son transport. Elle déposait tous ses chèques dans le compte conjoint, qu'ils soient liés ou non au travail accompli à la conserverie, à la pépinière ou pour Farms. L'appelante a déclaré qu'elle recevait le salaire horaire minimum (fixé par la loi provinciale) et qu'elle ne le recevait qu'à la fin de la saison. En 2002, son dernier jour de travail a été le 24 août, et elle a été payée deux ou trois semaines plus tard au moyen de deux ou trois chèques. En 2002, elle a également travaillé à la pépinière.

[3]      Avant de commencer le contre-interrogatoire d'Amarjit Mahil, l'avocat de l'intimé, avec le consentement de la représentante de l'appelante, a déposé un recueil de documents, pièce R-1, divisés en onglets de 1 à 26, inclusivement. L'avocat a indiqué que le recueil pouvait contenir certains documents déposés en preuve durant le témoignage principal de l'appelante (la référence à un numéro d'onglet, sans plus, indiquera que le ou les documents se trouvent dans la pièce R-1).

[4]      Amarjit Mahil a décrit Farms comme une propriété où l'on produisait des fraises, des framboises et des bleuets. Durant les périodes où ses parents étaient absents en raison de leur emploi respectif, l'appelante était responsable de la ferme. La soeur de son père avait trois enfants qui travaillaient à la ferme, et son frère effectuait certaines tâches de temps à autre, mais ils pouvaient ne pas être inscrits dans le livre de paie. L'appelante a identifié le questionnaire, onglet 1, qu'elle a rempli et elle a confirmé ses réponses. À l'onglet 3, l'appelante a identifié le relevé d'emploi (RE) ayant été émis à son endroit par Yarrow Nursery Ltd. (la « pépinière » ) à l'égard de son emploi en 2002 au cours duquel elle a travaillé 444 heures assurables et gagné un total de 4 541,40 $. Elle a été payée par chèque, émis toutes les deux semaines. Farms a remis à l'appelante un RE, onglet 4, en relation avec son emploi du 8 juillet au 24 août 2002, attestant qu'elle avait travaillé 370 heures assurables et qu'elle avait reçu le montant de 3 078,40 $. Sa « Demande de prestations de chômage » , onglet 5 (généralement appelée assurance-emploi ou prestations d'assurance-emploi) était datée du 11 septembre 2002. L'appelante a reconnu que Farms lui avait remis quatre chèques, onglet 6, en 2002 : no 0292, 13 juillet 2002 au montant de 339,40 $; no 0293, 27 juillet 2002 au montant de 889,36 $; no 0294, 10 août 2002 au montant de 850,63 $; et no 0295, 24 août 2002, au montant de 811,90 $. Amarjit Mahil a reconnu que malgré les dates qui y sont indiquées, les chèques ne lui ont été émis par Farms qu'après que son emploi a pris fin le 24 août 2002. Une copie de son relevé bancaire, onglet 9, révélait un dépôt, le 19 septembre 2002, de 2 891,29 $, un montant égal au total des quatre chèques contenus à l'onglet 6. L'appelante a admis qu'elle n'avait pas déposé ses chèques de paie avant 25 jours suivant la fin de son emploi et qu'elle avait demandé des prestations d'assurance-emploi le 11 septembre 2002. Elle a déclaré que cette méthode de réception d'un paiement n'était pas inhabituelle puisqu'elle avait travaillé en 2000 pour des employeurs non liés, soit pour une conserverie, mais qu'elle n'avait reçu son salaire qu'en 2001. Pour ce qui est de son paiement tardif de Farms en 2002, l'appelante a reconnu qu'elle avait informé l'agent des décisions que son père, Shamsher Mahil, avait été trop occupé pour rédiger les chèques et qu'elle ne s'en était pas préoccupée puisqu'elle était habituée d'attendre le paiement final de son salaire. Dans l'intervalle, qu'elle travaillait pour Farms ou à la conserverie, elle avait suffisamment de fonds pour assumer le coût de la vie. En 2002, elle avait un dépôt à terme, onglet 10, de 10 000 $ qu'elle détenait conjointement avec sa mère, Meena Mahil, et qui avait été acheté avec l'argent transféré de leur compte bancaire conjoint. L'appelante a déclaré qu'elle n'avait pas travaillé pour ses parents chez Farms en 2001, parce que son emploi à la conserverie se poursuivait et que ses parents avaient embauché d'autres travailleurs. En 2002, elle a travaillé suffisamment d'heures assurables à la conserverie pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi, mais elle a déclaré qu'elle préférait occuper un emploi aussi longtemps que possible au cours de chaque année. Deux RE, onglets 13 et 14, ont été émis à l'égard de l'appelante par Universal Packers Inc. ( « Packers » ) en ce qui concerne son emploi occupé durant deux périodes distinctes en 2000. Elle a travaillé du 15 juin au 1er septembre et du 5 septembre au 28 septembre. Un autre RE, onglet 15, a été remis à l'appelante par Farms pour la période du 5 juin au 25 août 2000. L'appelante a rempli une demande de prestations d'assurance-emploi, onglet 16, le 14 septembre 2000. À l'onglet 17, l'appelante a identifié des photocopies de six chèques qui lui ont été remis par Farms et portant plusieurs dates en 2000 et elle a reconnu que les quatre premiers chèques en séquence avaient été déposés par elle le 28 août 2000 et que les deux derniers chèques, datés du 12 août 2000 et du 26 août 2000, respectivement, n'avaient été déposés que le 15 septembre 2000. En 1999, l'appelante a travaillé pour Packers du 17 juin au 16 septembre et elle a reçu un RE, onglet 19, relatif à cet emploi et indiquant qu'elle avait travaillé 679 heures assurables et qu'elle avait gagné le montant de 5 248,41 $. Elle a reçu un autre RE, onglet 20, de Farms, couvrant son emploi du 3 mai au 26 juin 1999, période au cours de laquelle elle a travaillé 377 heures assurables et a reçu le montant de 2 803,40 $. La demande de prestations d'assurance-emploi de l'appelante, onglet 21, était datée du 29 septembre 1999. Les chèques, onglet 22, qui lui ont été remis par Farms à l'été 1999 étaient datés du 18 mai, du 29 mai et du 12 juin. Les chèques de mai ont été déposés par l'appelante le 21 juin 1999, et le chèque du 12 juin n'a été déposé que le 24 juin. Quand on lui a demandé pourquoi elle n'avait pas déposé tous les chèques si elle les avait reçus en même temps, l'appelante a répondu qu'il était possible qu'elle ait égaré un chèque ou qu'elle l'ait simplement oublié. Elle a déclaré qu'elle avait informé un agent de l'ADRC que Packers ne l'avait payée qu'en 2001, pour des services rendus en 2000, et qu'elle ne s'était pas inquiétée de ce retard de paiement. Pour ce qui est de ses cours d'ALS, comme il est souligné à l'onglet 25 (une copie de la pièce A-1), l'appelante a déclaré que si les cours se terminaient à midi, elle travaillait à la ferme le même jour. Un résumé des RE et des cours d'ALS se trouve à l'onglet 26 et indique, au moyen d'un astérisque (*), certaines périodes de chevauchement.

[5]      Lors de son réinterrogatoire, Amarjit Mahil a déclaré que, même si son père était en bout de ligne responsable de la ferme, elle devait superviser d'autres travailleurs et leur donner des instructions sur la méthode appropriée de cueillette des baies. Elle devait s'assurer que les travailleurs occasionnels, habituellement des étudiants, suivaient les procédures de cueillette appropriées et, si une personne se présentait à la ferme pour acheter une petite quantité de baies, elle s'occupait de la transaction, mais elle ne participait pas à l'expédition du produit aux conserveries ou à d'autres entreprises commerciales.

[6]      Meena Mahil a témoigné en utilisant les services de Sarb Sandhu, interprète. Elle vit à Abbotsford, elle travaille dans une pépinière et elle est la mère adoptive de l'appelante qui est arrivée d'Inde en 1998 pour vivre sur la ferme de 10 acres exploitée conjointement par Meena Mahil et son époux, Shamsher Mahil. En 1999, en 2000 et en 2002, Amarjit Mahil a travaillé pour Farms et elle recevait le salaire horaire minimum applicable. Shamsher Mahil conservait les feuilles de temps, et l'appelante recevait son salaire à la fin de la saison de croissance. Les chèques envoyés à Amarjit Mahil étaient préparés par le comptable de Farms ou leur fils car ni elle ni son époux ne pouvaient écrire l'anglais. Cependant, tous les chèques étaient signés par Shamsher Mahil. Meena Mahil a déclaré que les chèques de paie remis à l'appelante étaient datés toutes les deux semaines même s'ils avaient été rédigés le jour même. Les dates indiquées sur les chèques étaient fondées sur les feuilles du livre de paie et les feuilles de temps de la période précédente. La pratique de payer à l'appelante tout son salaire à la fin de la saison était suivie parce que son époux était trop occupé pour s'en occuper plus tôt. Meena Mahil a déclaré que tous les travailleurs recevaient le salaire minimum et n'étaient payés qu'à la fin de la saison à l'exception des travailleurs occasionnels, habituellement des cueilleurs qui travaillaient pendant une courte période, peut-être une ou deux journées, qui étaient payés en espèces à leur départ. Les travailleurs qui sont inscrits dans le livre de paie ont un emploi permanent et l'occupent jusqu'à la fin de la saison. Meena Mahil a déclaré qu'en 1999, en 2000 et en 2002, Farms employait certains travailleurs non liés ainsi que les filles de la soeur de Shamsher Mahil. Un travailleur non lié, Darsham Sandhu ( « M. Sandhu » ), a travaillé pour Farms en 1999 et n'a reçu son salaire qu'après la saison, même si les chèques étaient préparés, que les dates étaient indiquées et qu'ils avaient été émis aux deux semaines afin d'être conformes à la pratique commerciale ordinaire de payer les travailleurs régulièrement pour une période précédente particulière (les photocopies desdits chèques sont incluses dans la pièce A-2). Les chèques remis à M. Sandhu ont été déposés dans son compte le 17 septembre 1999. Meena Mahil a reconnu qu'aucun travailleur non lié n'était inscrit dans le livre de paie en 2000 et/ou en 2002, même si certains travailleurs travaillaient pendant de courtes périodes et recevaient un paiement en espèces. D'autres travailleurs non liés fournissaient leurs services à Farms à différents moments durant la saison pendant ces années, mais ils étaient payés par chèque et n'étaient pas inscrits dans le livre de paie de Farms.

[7]      Bagga Singh Dhillon a indiqué dans son témoignage qu'il vit à Abbotsford et qu'il possède une ferme sur laquelle il emploie plusieurs travailleurs qu'il supervise régulièrement. M. Dhillon a déclaré qu'en 2000 et en 2002, il visitait Farms deux ou trois fois par semaine et qu'il achetait parfois de petites quantités de bleuets d'Amarjit Mahil. Au cours de la saison 2002, M. Dhillon estime qu'il a acheté 200 livres de bleuets de Farms et il a souvent vu l'appelante travailler dans les champs. M. Dhillon a déclaré que, dans le cadre de sa longue expérience comme agriculteur dans la région d'Abbotsford, bien que la saison de croissance des bleuets soit terminée à la fin du mois d'août, différentes variétés croissent sur d'autres fermes de la région dont la date de maturité se situe à la fin de septembre. En 2002, la saison de la cueillette des bleuets ordinaires s'est terminée vers la fin du mois d'août, et le type de bleuets qu'il a achetés de l'appelante chez Farms appartenait à cette variété normale. M. Dhillon a déclaré qu'il employait douze travailleurs sur sa ferme et qu'il leur versait des paiements anticipés, sur demande, mais que la pratique commerciale habituelle veut que l'on prépare les documents et que l'on émette les chèques en règlement final du salaire non payé uniquement après la fin de la saison agricole. M. Dhillon a déclaré qu'il est agriculteur depuis 25 ans, qu'il est habitué de travailler de longues heures, commençant à 6 h et terminant aussi tard que 22 h, et qu'il a également éprouvé des difficultés à se rendre à sa banque en temps opportun ce qui, à l'occasion, faisait en sorte que certains chèques qui étaient libellés à son nom par certaines conserveries soient refusés, lorsqu'ils étaient présentés tardivement, parce que ces entreprises avaient fait faillite dans l'intervalle.

[8]      En contre-interrogatoire, Bagga Singh Bhillon a déclaré qu'il était habituel au sein de la collectivité agricole de préparer toute la documentation nécessaire et de rapprocher les salaires gagnés et les paiements anticipés versés aux travailleurs uniquement à la fin de la saison et, par la suite, d'envoyer les chèques finaux en règlement complet pour les salaires non payés.

[9]      Mme Dhillon, la représentante d'Amarjit Mahil, a soutenu que la preuve révélait que l'appelante avait reçu tout son salaire, au taux horaire minimum applicable, à la fin de la saison. Par la suite, Mme Dhillon a soutenu que l'appelante avait le droit de faire ce qu'elle voulait de son argent, y compris déposer tous les chèques, notamment ceux des autres employeurs, dans un compte conjoint qu'elle possédait avec sa mère Meena Mahil. Mme Dhillon a fait valoir qu'aucun fondement ne permettait de conclure que l'appelante pouvait accumuler suffisamment d'heures assurables au cours d'une année donnée uniquement en tenant compte de son emploi pour Farms.

[10]     L'avocat de l'intimé a reconnu que l'hypothèse du ministre, contenue au sous-paragraphe 8g) de la Réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ), relative à la saison des récoltes de certaines baies, avait été réfutée par la preuve déposée par l'appelante. L'avocat a demandé à l'appelante pourquoi elle ne recevait que le salaire minimum, comme les autres travailleurs, alors que la preuve a révélé qu'elle avait exercé des fonctions de supervision pour Farms. L'avocat a mentionné la preuve se rapportant à l'emploi de l'appelante pour Farms en 1999, ayant commencé le 3 mai et s'étant poursuivi jusqu'au 26 juin, même si elle avait commencé à travailler pour Universal Packers le 17 juin 1999. En 2000, l'appelante a travaillé pour Universal Packers entre le 15 juin et le 1er septembre 2000, alors qu'elle travaillait également pour Farms du 5 juin au 25 août 2000, ce qui indique que pendant une période importante, elle occupait deux emplois en plus de suivre des cours d'ALS durant l'une de ces périodes.

[11]     En vertu de l'alinéa 251(6)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR » ), la définition de « personnes liées » au sens du paragraphe 251(2) de la LIR comprend les personnes qui « sont unies par les liens de l'adoption si l'une a été adoptée, en droit ou de fait, comme enfant de l'autre ou comme enfant d'une personne ainsi unie à l'autre par les liens du sang » . En conséquence, l'adoption de l'appelante par Shamsher Mahil et Meena Mahil, que ce soit en droit, comme le reconnaît la loi canadienne, ou de fait, conformément à la coutume indienne, la place toujours dans la catégorie des personnes liées en vertu des dispositions de la LIR qui ont été adoptées par la Loi sur l'assurance-emploi pour les besoins de la détermination de la question de savoir si des personnes ont un lien de dépendance.

[12]     La question en litige est celle de savoir si l'appelante occupait un emploi exclu non assurable auprès de Farms durant les périodes pertinentes.

[13]     La disposition pertinente de la Loi est l'alinéa 5(3)b) qui est ainsi rédigé :

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

[...]

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[14]     Dans l'affaire Légaré c. Canada (ministre du Revenue national), [1999] A.C.F. no 878, une décision de la Cour d'appel fédérale, le juge d'appel Marceau, s'exprimant pour la Cour, a déclaré ce qui suit à la page 2 de l'arrêt :

La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[15]     Le ministre s'est fondé sur certaines hypothèses qu'il souhaitait appliquer à toutes les périodes pertinentes ainsi que sur d'autres hypothèses se rapportant précisément à la saison de croissance en 1999, en 2000 ou en 2002. Les hypothèses établies aux sous-paragraphes 8a) à 8f) de la réponse sont les suivantes :

          [Traduction]

a)          Mahil Farms est une société de personnes exploitée par Shamsher et Meena Mahil;

b)          l'appelante est liée à Shamsher et à Meena Mahil puisqu'elle est leur fille adoptive;

c)          l'appelante vivait à la ferme durant les périodes;

d)          les fonctions de l'appelante durant les périodes comprenaient la cueillette des baies, la fertilisation, la supervision des autres travailleurs et, en 2002, année où l'appelante a obtenu son permis de conduire, elle raccompagnait occasionnellement d'autres travailleurs chez eux;

e)          Mahil Farms produisait des fraises, des framboises et des bleuets;

f)           la culture la plus importante de Mahil Farm est celle des bleuets;

[16]     Au sous-paragraphe 8g) de la réponse, les dates de début et de fin des récoltes pour les différentes cultures de baies supposées par le ministre étaient conformes à l'information présentée sous forme de tableau.

[17]     Les hypothèses contenues aux sous-paragraphes 8h) à 8m), inclusivement, sont les suivantes :

          [Traduction]

h)          Mahil Farms a des employés liés et non liés;

i)           Mahil Farms recourait aux services de Shamsher et Meena Mahil, de leur fils, de l'appelante, des trois enfants de la soeur de Shamsher et de trois ou quatre autres travailleurs;

j)           l'appelante était la seule travailleuse inscrite dans le livre de paie de Mahil Farms durant les périodes;

k)          l'appelante a été inscrite dans le livre de paie durant les périodes en raison de son lien de dépendance avec Mahil Farms;

l)           l'appelante a reçu ses chèques de paie après la fin de son emploi durant chacune des périodes, et les chèques étaient antidatés pour correspondre au livre de paie;

m)         en juin 2002 l'appelante a retiré un montant de 10 000 $ de son compte bancaire personnel et l'a déposé dans un dépôt à terme créé au nom de l'appelante et de celui de sa mère;

[18]     Les hypothèses se rapportant à l'année 2002 sont établies aux sous-paragraphes 8n) à 8q) de la façon suivante :

          [Traduction]

n)          en 2002, l'appelante avait besoin de 630 heures d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi;

o)          en 2002, l'appelante a reçu un relevé d'emploi de Yarrow Nursery Ltd. couvrant la période d'emploi du 25 mars au 14 juin, soit 444 heures assurables;

p)          en 2002, l'appelante a reçu un relevé d'emploi de Mahil Farms indiquant une période d'emploi du 8 juillet au 24 août 2002, soit 370 heures assurables;

q)          en 2002, l'appelante a été licenciée le 24 août 2002;

[19]     Les hypothèses relatives à l'année 2000 sont contenues dans les sous-paragraphes 8r) à 8u) de la réponse :

          [Traduction]

r)           en 2000, l'appelante a reçu un relevé d'emploi de Universal Packers Inc. couvrant une période d'emploi du 15 juin au 1er septembre, soit 324 heures assurables, et du 5 septembre 2000 au 28 septembre, soit 84,75 heures assurables;

s)          en 2000, l'appelante a reçu un relevé d'emploi de Mahil Farms indiquant une période d'emploi du 5 juin au 25 août 2002, soit 466,50 heures assurables;

t)           l'appelante a été licenciée par Mahil Farms le 25 août 2000;

u)          l'appelante a suivi des cours d'ALS du lundi au vendredi de 9 h à 12 h du 20 septembre 1999 au 16 juin 2000;

[20]     Les hypothèses se rapportant à l'année 1999, aux sous-paragraphes 8v) à 8z) sont les suivantes :

          [Traduction]

v)          en 1999, l'appelante a reçu un relevé d'emploi de Universal Packers Inc. couvrant une période d'emploi du 17 juin au 16 septembre, soit 679 heures assurables, et du 5 septembre 2000 au 28 septembre, soit 84,75 heures assurables;

w)         en 1999, l'appelante a reçu un relevé d'emploi de Mahil Farms indiquant une période d'emploi du 3 mai au 26 juin 1999, soit 377 heures assurables;

x)          l'appelante a été licenciée par Mahil Farms le 26 juin 1999;

y)          pendant toutes les périodes, l'appelante n'a pas travaillé les heures indiquées sur les relevés d'emploi émis par Mahil Farms;

z)          l'appelante et Mahil Farms ont conclu un arrangement permettant de rendre l'appelante admissible à des prestations d'assurance-emploi auxquelles elle n'aurait pas eu droit par ailleurs;

[21]     Si l'on examine d'abord les hypothèses de fait devant s'appliquer à l'ensemble des périodes pertinentes, la preuve a révélé que l'appelante ne vivait pas sur la ferme familiale des Mahil, comme l'a supposé le ministre au sous-paragraphe 8c) de la réponse. L'appelante supervisait d'autres travailleurs, en particulier les cueilleurs occasionnels qui ne travaillaient que quelques heures ou quelques jours, et était responsable de la ferme lorsque ses parents occupaient leur propre emploi. Les dates de fin de récolte des bleuets, la culture principale de Farms a été estimée, au sous-paragraphe 8g) de la réponse, au 20 septembre en 2002, au 10 octobre en 2000 et au 27 septembre en 1999. L'avocat de l'intimé a reconnu que la preuve déposée par l'appelante avait réfuté cette hypothèse puisqu'elle a établi que les bleuets cultivés par Farms ne constituaient pas une variété dont le cycle de maturation était tardif et avaient été totalement récoltés au plus tard à la fin du mois d'août. L'hypothèse du ministre au sous-paragraphe 8k), selon laquelle l'appelante était inscrite au livre de paie en raison de son lien de dépendance avec Farms, n'est pas appuyée par la preuve. Les autres hypothèses de ce groupe, les sous-paragraphes 8a) à 8m), demeurent intactes.

2002

[22]     Les hypothèses de fait contenues aux sous-paragraphes 8n) à 8q) de la réponse visaient clairement à appuyer la proposition selon laquelle l'appelante devait être inscrite dans le livre de paie de Farms pour accumuler suffisamment d'heures assurables afin d'être admissible à des prestations d'assurance-emploi. Cependant, l'appelante a accumulé un total de 814 heures assurables cette année-là, soit 444 heures assurables grâce à son emploi auprès de la pépinière entre le 25 mars et le 14 juin, et 370 heures auprès de Farms. L'appelante n'a pas travaillé pour Farms en 2001 parce que son emploi pour la pépinière a été prolongé au cours de la saison. Le motif du licenciement de l'appelante par Farms le 24 août 2002 était que la saison des bleuets était terminée et qu'elle ne s'est pas prolongée au 20 septembre, comme l'a supposé le ministre.

2000

[23]     Au cours de cette année-là, l'appelante a été licenciée par Farms le 25 août 2000, ce qui coïncide avec la fin de la saison des bleuets. L'appelante a également travaillé pour Packers du 15 juin au 1er septembre et du 5 septembre au 28 septembre, accumulant ainsi 324 et 84,75 heures assurables, respectivement. Elle a également travaillé 466,50 heures pour Farms pour un total de 875,25 heures assurables, une quantité que je suppose être plus que suffisante pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi après la perte de son emploi pour Universal Packers le 28 septembre 2000 (seules 630 heures d'emploi assurable étaient requises en 2002 pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi). Le ministre a tiré la conclusion selon laquelle l'appelante ne pouvait avoir travaillé pour Farms et Packers durant cette période de chevauchement du 15 juin au 25 août 2000. De plus, le ministre s'est fondé sur le fait que l'appelante suivait des cours d'ALS le matin du 20 septembre 1999 au 16 juin 2000. Il y aurait eu un conflit d'horaires uniquement durant la période du 5 juin au 15 juin, époque à laquelle l'appelante travaillait pour Farms et du 5 septembre au 20 septembre, époque à laquelle elle travaillait pour Packers. Cependant, du 5 septembre au 28 septembre 2000, l'appelante n'a travaillé que 84,75 heures pour Packers. Dans son témoignage, elle a déclaré que lorsqu'elle travaillait à deux emplois le même jour, elle suivait un cours d'ALS le soir au lieu de suivre celui qui se donnait entre 9 h et midi.

1999

[24]     En 1999, selon les hypothèses de fait sur lesquelles s'est fondé le ministre, l'appelante a travaillé au total 763,75 heures assurables, durant deux périodes distinctes, pour Packers. L'une des périodes était du 17 juin au 16 septembre, pour un total de 679 heures assurables. Cependant, la deuxième période, du 5 septembre au 28 septembre, pour un total de 84,75 heures assurables, s'appliquait à l'année 2000, comme on l'a mentionné auparavant, et non à l'année 1999. De plus, l'appelante a travaillé 377 heures assurables pour Farms pour un total de 1 056 heures. Au cours de l'année 1999, le ministre a supposé, au sous-paragraphe 8y), que l'appelante n'avait pas travaillé les heures indiquées dans les dossiers de Farms. De toute évidence, la position du ministre est établie dans l'hypothèse suivante, 8z), où l'on suppose qu'Amarjit Mahil et ses parents, faisant affaire sous le nom de Mahil Farms, ont conclu un arrangement permettant de rendre l'appelante admissible à des prestations d'assurance-emploi auxquelles elle n'aurait pas eu droit par ailleurs. Cependant, cette théorie de la conspiration subit un coup fatal lorsque l'on tient compte du fait qu'Amarjit Mahil n'a travaillé pour Farms que du 3 mai au 26 juin 1999, pour un total de 377 heures assurables, puis qu'elle est partie travailler exclusivement pour Packers par la suite. Durant la période du 17 juin au 26 juin, l'appelante occupait deux emplois, mais après avoir quitté Farms le 26 juin 1999, elle n'est pas revenue y travailler du reste de l'année 1999. Selon la théorie du ministre, la seule raison pour laquelle Farms a employé l'appelante était de lui permettre d'accumuler suffisamment d'heures assurables pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi à la fin de la saison et, en outre, que les prétendues heures de travail sont fausses puisque l'appelante n'a pas travaillé pour Farms, comme l'indique les RE pertinents. Si c'est le cas, alors pourquoi l'appelante aurait quitté un emploi peinard afin de travailler plus de 679 heures pour Packers durant les trois mois suivants? Chaque emploi obtenu par l'appelante durant les périodes pertinentes aux présents appels était saisonnier et occupé sur une ferme, dans une pépinière ou dans une conserverie. Il est certain qu'il y a des périodes précises pour cueillir ou mettre en conserve des fruits au cours d'une saison de croissance complète. Si l'on souhaite conclure un faux arrangement pour accumuler une quantité globale d'heures assurables afin d'être admissible à des prestations d'assurance-emploi, il faut alors s'attendre à ce que ce stratagème soit utilisé à la fin d'une saison, lorsque la quantité des heures manquantes serait connue, plutôt qu'au début de la première partie de la saison. Je fais remarquer encore une fois qu'Amarjit Mahil n'a pas travaillé pour Farms en 2001 parce que son emploi auprès de la pépinière s'est poursuivi tout au long de la saison et qu'elle n'avait pas besoin de trouver un autre travail.

[25]     Les témoignages d'Amarjit Mahil, de Meena Mahil et de Bagga Singh Dhillon me convainquent que le travail a été effectué pour Farms durant les périodes précises en litige. Il ressort de l'examen de l'ensemble de la preuve que le ministre s'est fondé sur des faits non pertinents, comme le conflit d'horaire important présumé découlant du fait qu'elle suivait des cours d'ALS, et qu'il a tiré des conclusions erronées quant à la raison de l'emploi de l'appelante auprès de Farms que l'on a supposé avoir été entrepris uniquement pour lui permettre d'être admissible à des prestations d'assurance-emploi auxquelles elle n'aurait pas eu droit par ailleurs. Dans l'affaire Adolfo Elia c. M.R.N. [1998] A.C.F. no 316, une décision de la Cour d'appel fédérale datée du 3 mars 1998, à la page 2 de la traduction certifiée conforme, le juge d'appel Pratte déclare ce qui suit :

[...] Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

[26]     Le ministre a supposé, à tort, que l'appelante vivait dans la même résidence que ses parents durant les périodes en litige. Habituellement, ce fait ne serait pas particulièrement important, mais il avance la théorie du ministre selon laquelle la relation de travail était indûment régie par des liens familiaux étroits plutôt que d'être conforme aux indices d'emploi relatifs aux employeurs et aux employés non liés. Le ministre a tiré la conclusion erronée à partir des dates de récolte des bleuets cultivés par Farms puisqu'il a inféré que l'appelante a été licenciée en 2000 et en 2002, alors qu'il y avait toujours des récoltes à faire, puisqu'elle avait accumulé suffisamment d'heures assurables pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi.

[27]     Pour les raisons exprimées dans les paragraphes précédents, je conclus que la décision du ministre ne peut être maintenue et que je dois intervenir. En conséquence, je dois analyser la preuve afin de décider si l'appelante occupait un emploi assurable durant les périodes pertinentes ou si son emploi était exclu. Il convient à ce moment-ci de citer de nouveau la disposition pertinente de la Loi, l'alinéa 5(3)b), qui prévoit ce qui suit :

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

[...]

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

Rémunération

[28]     Selon le témoignage de Meena Mahil, tous les travailleurs recevaient le salaire minimum applicable. Selon une réponse fournie par l'appelante à la question 19 du questionnaire, onglet 1, le salaire minimum a changé (je prends connaissance d'office de l'augmentation du salaire minimum) entre 1999 et 2002. L'appelante, comme les autres travailleurs de Farms et comme de nombreux autres travailleurs de l'industrie de la récolte des baies de la région d'Abbotsford, a reçu sa paie à la fin de la saison. Le témoignage d'un agriculteur de longue date, Bagga Singh Dhillon, a montré qu'il n'était pas inhabituel pour les travailleurs d'être payés à la fin de la saison conformément à un règlement définitif des comptes, en prenant en considération toutes les avances pouvant avoir été faites sur demande durant la saison. L'appelante supervisait parfois les autres travailleurs, mais la principale composante de l'entreprise, soit la vente à des conserveries ou à d'autres entreprises, était dirigée par Shamsher Mahil et Meena Mahil. En 2002, après avoir obtenu son permis de conduire, l'appelante raccompagnaient « à l'occasion » d'autres travailleurs. Elle supervisait les autres cueilleurs durant les saisons respectives des récoltes des différentes baies. Dans cette industrie, il est juste de conclure que le salaire communément versé aux travailleurs agricoles est le salaire minimum en vigueur établi conformément à la loi provinciale sur les normes de travail. La fonction de supervision remplie par l'appelante durant ses différentes périodes d'emploi relativement courtes auprès de Farms n'était pas suffisamment différente, que ce soit en temps ou en degré de difficulté, du travail accompli par les autres travailleurs pour justifier un salaire plus élevé. L'appelante et Farms étaient libres de s'entendre à cet égard. De toute évidence, le travail de supervision effectué par l'appelante était plus facile, d'un point de vue physique, que le travail continu dans les champs.

Conditions

[29]     Les heures de travail étaient raisonnables compte tenu de la nature de l'industrie et de la durée de la saison de croissance. Il y a des époques dans les saisons et, durant les temps d'arrêt, l'appelante trouvait un emploi auprès d'autres entreprises. Les heures de travail de l'appelante étaient enregistrées par son père, Shamsher Mahil, et elle était satisfaite de cet arrangement. De temps à autre, l'appelante devait jongler avec son temps pour respecter son horaire chargé, ce qui nécessitait parfois qu'elle travaille à deux endroits et qu'elle suive un cours d'ALS, soit conformément à l'horaire habituel ou à un autre moment qui convenait mieux. Les feuilles de temps, pièce A-3, utilisées pour enregistrer ses heures durant la saison 1999, indiquent qu'elle a travaillé un maximum de 10 heures pendant quelques jours, la moyenne étant de 7,5 à 9 heures, et, à l'inverse, un minimum de 3 à 6 heures les autres jours. Habituellement, l'appelante travaillait six jours par semaine et, à une ou deux reprises, elle a travaillé sept jours consécutifs. Rien dans la preuve n'indique que les habitudes de travail de l'appelante s'écartaient de la norme chez Farms ou dans l'industrie locale.

Durée

[30]     Comme il est mentionné ci-dessus dans les présents motifs, l'appelante a été licenciée, en 2000 et en 2002, à la fin de la saison des bleuets. En 1999, elle a travaillé pour Farms du 3 mai au 26 juin, mais elle avait commencé à travailler pour Packers le 17 juin, où elle est demeurée jusqu'au 16 septembre. En 2002, elle a travaillé pour la pépinière jusqu'au 14 juin, puis elle a travaillé pour Farms entre le 8 juillet et le 24 août, soit la fin de la saison des bleuets. Je ne trouve rien d'inconvenant en ce qui concerne la durée du travail, compte tenu de la nature de l'entreprise exploitée par Farms. Les autres employeurs d'Amarjit Mahil de 1999 à 2002, inclusivement, exploitaient également des entreprises saisonnières, et son travail pour ces dernières dépendait du besoin de travailleurs à différents moments de la saison globale.

Nature et importance du travail accompli

[31]     Il appert que le travail que l'appelante aurait effectué a été accompli. Bagga Singh Dhillon a déclaré qu'il l'a vue sur la ferme à de nombreuses occasions et qu'il a acheté des baies auprès d'elle. Je n'ai pas de raison de rejeter le témoignage de l'appelante et celui de sa mère, Meena Mahil, en ce qui concerne la nature du travail ou la façon dont il était accompli. Le travail devait être fait, et il est préférable de disposer des services de personnes expérimentées prêtes à travailler pendant certaines périodes de pointe plutôt que d'embaucher des cueilleurs occasionnels intéressés à travailler suffisamment longtemps pour gagner ce que Meena Mahil a appelé dans son témoignage de l' « argent de poche » .

[32]     La preuve se rapportant à la relation de travail entre la société de personnes commerciale de Sharmsher Mahil et de Meena Mahil et l'appelante, ainsi que les autres travailleurs, a révélé certaines divergences, anomalies et violations possibles au règlement provincial sur les normes du travail, particulièrement en ce qui concerne l'enregistrement des heures de travail et la datation des chèques pour laisser paraître que les travailleurs étaient payés aux deux semaines alors qu'ils ne recevaient leur salaire qu'à la fin de la saison. Cependant, cette méthode de paiement versé aux travailleurs semble normale dans l'industrie, du moins dans la région d'Abbotsford. Si les travailleurs sont satisfaits d'attendre que les baies soient vendues par l'agriculteur, il peut alors y avoir d'autres conséquences, mais cela n'a pas d'autre effet sur la relation employeur-employé au point de faire en sorte que le travailleur occupe un emploi exclu et non assurable. À première vue, il est quelque peu inhabituel de voir un travailleur déposer un chèque de paie dans un compte conjoint avec l'employeur. Cependant, l'explication est raisonnable puisque Amarjit Mahil est arrivée au Canada en 1998 et qu'elle ne pouvait ni parler ni écrire l'anglais suffisamment bien pour détenir son propre compte bancaire et, par la suite, son horaire de travail était tel qu'il lui était souvent difficile de se rendre à sa banque. Le certificat de placement garanti (CPG), onglet 10, a été enregistré aux deux noms d'Amarjit Mahil et de Meena Mahil, avec un droit de survie.

[33]     Dans le cas de l'affaire Barbara Docherty c. M.R.N., 2000-1466(EI), datée du 6 octobre 2000, j'ai formulé les commentaires suivants :

Le modèle à utiliser pour établir une comparaison avec les relations de travail entre parties sans lien de dépendance ne nécessite pas une concordance parfaite. Cette affirmation se trouve confirmée par le libellé de la loi, qui utilise les termes un « contrat de travail à peu près semblable » . Chaque fois que les parties sont liées entre elles au sens de la disposition législative pertinente, la relation de travail comportera nécessairement des particularités, surtout si le conjoint est le seul employé ou s'il fait partie d'un effectif restreint. Cependant, le but n'est pas d'empêcher les personnes qui satisfont aux critères établis de participer au régime national d'assurance-emploi. Les en exclure sans raison valable est une mesure inéquitable, qui va à l'encontre de l'esprit de la loi.

[34]     À mon avis, de nombreux employeurs s'occasionnent des problèmes inutiles, ainsi qu'à leurs employés de façon plus importante, en ne conservant pas des registres convenables et en ne respectant pas les normes de travail applicables lorsqu'ils refusent de payer rapidement les travailleurs conformément à ces exigences. Cette violation est donc multipliée lorsque la documentation est préparée plus tard de façon à laisser paraître que tout a été effectué correctement durant la période d'emploi. Les travailleurs agricoles se trouvent à l'autre extrémité de l'échelle économique. Il n'est pas surprenant de constater qu'ils accepteraient la plupart des pratiques commerciales qui leur sont pour l'essentiel imposées par leurs employeurs. En effet, les employeurs de l'industrie utilisent leur bassin de travailleurs comme d'une banque. Sans le fardeau imposé par une marge de crédit ou un découvert en banque, ces employeurs n'ont pas à payer d'intérêts et peuvent éviter les appels téléphoniques redoutés de gestionnaires de comptes de prêt nerveux. Cependant, je n'ai pas à me pencher sur ces écarts par rapport aux normes du travail au sein de l'industrie agricole pour les besoins des présents motifs. Cela étant dit, chaque fois qu'il y aura des éléments de preuve indiquant un écart par rapport à ce que le ministre considère la norme pour ce qui est de la rémunération, des conditions de travail et de la fréquence de la paie, des questions seront posées. Ensuite, durant ce processus subséquent, si certaines hypothèses formulées ne reposent pas sur les faits et que des conclusions erronées en sont tirées, il faudra un long procès pour régler la situation. La preuve déposée par l'appelante m'a convaincu que son emploi, dans chaque cas, était véritable et qu'elle a été totalement payée pour ses services. Elle est une personne travaillante qui pouvait gagner sa vie en consacrant beaucoup d'heures à la saison habituelle de croissance et à la mise en conserve. Même au salaire minimum, ce type d'effort peut produire un revenu raisonnable en cinq ou six mois.

[35]     J'ai examiné les différents facteurs, comme l'exige la disposition pertinente de la Loi, et je conclus que l'appelante et Farms auraient conclu entre eux des contrats de travail à peu près semblables s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[36]     L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée, et je conclus ceci :

-         l'appelante occupait un emploi assurable auprès de Shamsher Mahil et de Meena Mahil, faisant affaire sous le nom de Mahil Farms, durant les périodes suivantes :

a)        Du 8 juillet au 24 août 2002;

b)       Du 5 juin au 25 août 2000;

c)        Du 3 mai au 26 juin 1999.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 23e jour d'octobre 2003.

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2004.

Liette Girard, traductrice

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