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Dossier : 2001-2258(IT)G

ENTRE :

GURPAL SINGH MANN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 28 octobre 2004 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable T. O'Connor

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Paul K. Lail

Avocat de l'intimée :

Me Michael Taylor

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, suivant l'avis no 05128, est admis avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et qu'il établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de décembre 2004.

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI741

Date : 20041223

Dossier : 2001-2258(IT)G

ENTRE :

GURPAL SINGH MANN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor

[1]      Dans le cadre du présent appel, il faut décider si l'appelant, un des sept administrateurs d'une société désignée AC Vinyl Windows Manufacturing Ltd. (la « société » ), est responsable de l'omission, par la société, de verser l'impôt sur le revenu fédéral retenu à la source.

[2]      Les faits essentiels sont énoncés dans les paragraphes suivants de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ) :

          [TRADUCTION]

4.          Dans l'avis de cotisation no 05128 daté du 14 octobre 1999, le ministre a réclamé à l'appelant l'impôt sur le revenu fédéral retenu à la source mais non versé par la société, soit 19 553,63 $ (le « montant en litige » ), ainsi que les pénalités et intérêts afférents.

5.          L'appelant a déposé un avis d'opposition le 24 décembre 1999.

6.          Au moyen d'un avis daté du 22 mars 2001, le ministre a confirmé la cotisation.

7.          Lorsqu'il a établi cette cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses suivantes :

a)          la société a été constituée le 6 juin 1995;

b)          la société était un fabricant de fenêtres en plastique vinylique;

c)          le 14 juin 1995, l'appelant a signé un consentement à agir en qualité d'administrateur;

d)          le 14 juin 1995, l'appelant et six autres administrateurs se sont vu attribuer 120 actions ordinaires chacun;

e)          l'appelant a investi de l'argent dans la société;

f)           à toutes les dates importantes, l'appelant était un administrateur de la société;

g)          l'appelant était un employé de la société;

[...]

i)           le 12 janvier 1998, le ministre a établi trois cotisations pour omission de verser les retenues à la source à l'égard de la société pour des montants retenus au cours de l'année d'imposition 1997;

j)           la société a mis fin à ses activités en février 1998;

k)          l'appelant a démissionné de ses fonctions d'administrateur de la société autour du 4 mars 1998;

l)           le 30 juillet 1998, le ministre a établi une quatrième cotisation pour omission de verser les retenues à la source à l'égard de la société pour des montants retenus au cours de l'année d'imposition 1997;

m)         la société était tenue de déduire ou de retenir des sommes à la source puis de les verser conformément au paragraphe 153(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications (la Loi);

n)          lorsqu'elle a versé un salaire à ses employés au cours de l'année d'imposition 1997, la société a effectué les retenues à la source sur ces salaires;

o)          lorsqu'elle a versé un salaire à ses employés au cours de l'année d'imposition 1997, la société a omis de verser au receveur général le montant en litige, dont les détails figurent à l'annexe A de la réponse, et omis de payer les pénalités ainsi que les intérêts afférents;

p)          un certificat de 29 892,32 $ représentant la dette de la société au titre de l'impôt sur le revenu fédéral, des pénalités et des intérêts a été enregistré à la Cour fédérale du Canada le 30 juin 1999 en vertu du paragraphe 223(2) de la Loi;

q)          un bref d'exécution correspondant au certificat a été délivré et il y a eu défaut d'exécution totale le 16 août 1999;

[...]

B.          QUESTIONS QUI DOIVENT ÊTRE TRANCHÉES

8.          Il faut déterminer si l'appelant est responsable en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'omission, par la société, de verser le montant en litige au receveur général, de même que les pénalités et intérêts afférents, comme l'exige l'article 153 de la Loi.

[3]      L'appelant conteste l'alinéa 7h) de la réponse, indiquant qu'il connaissait les difficultés financières de la société, et l'alinéa 7 r) de la réponse, indiquant qu'il n'a pas agi avec le degré voulu de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement de la société au regard du versement.

[4]      L'appelant a raconté, par l'entremise d'un interprète en langue pendjabi, que lui-même et six autres personnes, tous de descendance indienne, avaient constitué la société en juin 1995 dans le but d'exercer des activités d'assemblage de portes et de fenêtres en plastique vinylique. Deux des sept personnes, soit Tarnjit Singh Bagri (qui est devenu président) et Amzad Ali Saheb (qui est devenu secrétaire), ont été acceptées par le groupe à titre de dirigeants de l'entreprise. Tel qu'il a été mentionné plus haut, l'appelant était à la fois administrateur et employé. Comme employé, il touchait 10 $ l'heure.

[5]      L'appelant a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

a) les deux dirigeants susmentionnés souhaitaient que les sept personnes participent à l'entreprise et ont donc convaincu les cinq autres d'être administrateurs et actionnaires de la société;

b) l'appelant avait apporté une mise de fonds initiale de 35 000 $ et reçu 120 actions de la société. Il a par la suite, à différentes occasions, contribué 5 000 $, 3 000 $ et 1 000 $. Ces sommes ont été supposément utilisées pour exploiter l'entreprise. Lorsqu'une cinquième demande de fonds a été faite, l'appelant a refusé et déclaré qu'il ne voulait plus faire partie de la société. Tous les administrateurs ont été appelés à contribuer de façon semblable, mais il n'est pas clair s'ils ont accepté de le faire ou non;

c) l'appelant a terminé sa scolarité après sa 10e année en Inde et est arrivé au Canada en 1972;

d) l'appelant éprouve des difficultés à parler, à comprendre et à écrire l'anglais;

e) l'appelant ne savait pas quels étaient le rôle et les responsabilités d'un administrateur;

f) l'appelant s'est fié aux deux dirigeants pour la gestion et l'exploitation de l'entreprise, croyant qu'ils possédaient l'expérience et les compétences linguistiques nécessaires à cette fin;

g) l'appelant a participé à la production seulement et non à la gestion;

h) l'appelant a subi une blessure au genou dans un accident survenu le 28 août 1997 et sa participation à la société après cette date s'est trouvée réduite considérablement;

i) il n'était pas au courant des dettes de la société, particulièrement en ce qui concerne les sommes retenues par la société mais non versées. Il s'est reporté à une lettre de Me Alan K. Seabrook, avocat, datée du 19 mars 1998 et adressée à tous les sept administrateurs (onglet 7 de la pièce R-1), document qui l'a porté à penser que quelqu'un s'était occupé des dettes de la société. Cette lettre est rédigée comme suit :

          [TRADUCTION]

Le 19 mars 1998

Monsieur Tarnjit S. Bagri et Monsieur Jarnail S. Thandi

a/s de Kennedy & Company

Barristers & Solicitors

304-9808 King George Highway

Surrey (Colombie-Britannique)

V3T 2V6

Monsieur Amzad A. Saheb

9351, 128e rue

Surrey (Colombie-Britannique)

V3V 5N3

Monsieur Jaswinder S. Kajla

9755, 130e rue

Surrey (Colombie-Britannique)

V3T 3L2

Monsieur Piara Dardi

10749, 141e rue

Surrey (Colombie-Britannique)

V3T 4R5

Monsieur Sarbjit S. Randhawa

6767, 130e rue

Surrey (Colombie-Britannique)

V3W 4J2

Monsieur Gurpal S. Mann

5305, rue Prince Albert

Vancouver (Colombie-Britannique)

V5W 3C7

Notre dossier : 4529

Objet : Vente des biens d'A.C. VINYL WINDOWS MANUFACTURING

LTD. à AERIE VIEW WINDOWS INC.

____________________________________________________________

Messieurs,

Pour faire suite à la correspondance et aux discussions antérieures, je voudrais confirmer que la vente mentionnée en rubrique a été conclue le 27 février 1998. Je confirme également que, suivant les instructions des administrateurs et dirigeants de la société, je me suis occupé des questions suivantes en votre nom :

      1.        J'ai obtenu le paiement d'une somme de 110 000,00 $, soit le produit net de la vente des biens. J'ai aussi obtenu la somme de 20 427,70 $ représentant le principal du dépôt à terme détenu par la Banque Toronto-Dominion à titre de garantie plus les intérêts cumulés jusqu'au 4 mars 1998.

      2.        J'ai payé la somme de 31 325,17 $ à Gordon Bromley Holdings Ltd., ce qui représente les arriérés de loyer et le paiement du loyer jusqu'au 15 mars 1998.

      3.        J'ai versé la somme de 69 049,84 $ à la Banque Toronto-Dominion, ce qui représente le solde des prêts contractés par la société auprès de cette institution. À titre d'information, j'ai été avisé que le solde du prêt d'exploitation s'établissait à 30 146,66 $ au 3 mars 1998 plus des intérêts cumulés de 153,18 $. Le solde du prêt à la petite entreprise se chiffrait à 38 750,00 $.

      4.        Le 4 mars 1998, j'ai versé la somme de 11 910,82 $ à Revenu Canada - Impôt. Cette somme correspondait à votre calcul des retenues à la source exigibles, totalisant 10 166,35 $, et à la taxe sur les produits et services perçue mais non versée totalisant 1 744,47 $. Par suite de ce versement, j'ai été informé qu'une autre tranche de 1 151,36 $ était exigible au titre des retenues à la source, ce qui inclut certaines pénalités et un remboursement de 815,00 $ pour lequel un chèque avait été fait le 8 janvier 1997, mais le chèque avait été refusé.

      5.        Je me suis versé la somme de 671,40 $ représentant le paiement de mes honoraires alors en souffrance.

      6.        Le 10 mars 1998, j'ai versé la somme de 3 586,69 $ à Pamela Clarkson, ce qui représentait son salaire impayé jusqu'au 28 février 1998, soit 1 320,74 $, plus une indemnité de congé annuel de 1 330,27 $ et une indemnité de départ de 935,68 $.

Conformément aux instructions de M. Dardi, j'ai remis la somme de 7 538,77 $ à MM. Chandok et Hayre, et je joins une copie de ma lettre où j'explique comment cette somme doit être appliquée.

J'ai appliqué le solde des fonds que je détenais en fidéicommis au règlement de mes honoraires indiqués sur la facture ci-jointe à titre d'information.

J'ai également joint des copies des comptes de B.C. Hydro qui sont apparemment en souffrance et qui m'ont été acheminés.

J'espère que vous trouverez les documents ci-joints conformes à vos exigences et je vous remercie d'avoir fait appel à mes services. N'hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez des questions ou si je peux vous être utile de nouveau.

Veuillez agréer, Messieurs, mes meilleures salutations.

ALAN K. SEABROOK

AKS :skd

PJ

(j) chaque fois que l'appelant a posé des questions aux deux dirigeants (tout d'abord MM. Bagri et Saheb puis, plus tard, MM. Bagri et Thandi), ces derniers lui ont répondu qu'il n'avait aucune inquiétude à se faire.

[6]      Voici des extraits des observations des avocats :

[TRADUCTION]

Avocat de l'appelant :

[...] le point central à trancher [...] consiste à décider si l'appelant a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances semblables pour prévenir l'omission de la personne morale de verser les retenues à la source.

Si la Cour répond à cette question par l'affirmative, alors l'appelant n'encourt aucune responsabilité personnelle à l'égard des retenues à la source exigibles de la société en cause ici. L'arrêt déterminant en ce qui concerne l'application du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu a été rendu par le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Soper c. La Reine. Le juge Robertson y a précisé que la norme de prudence est partiellement objective et partiellement subjective, puis a établi plusieurs principes à prendre en considération lorsqu'on applique cette disposition.

Premièrement, les administrateurs ne doivent pas être assimilés à des fiduciaires. Deuxièmement, l'administrateur n'a pas besoin de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, un degré de soin et de compétence supérieur à ce qu'on peut attendre d'une personne ayant ses connaissances et son expérience.Troisièmement, l'administrateur n'est pas obligé de consacrer son attention en permanence aux affaires de la société, et il n'est pas tenu non plus d'assister à toutes les réunions du conseil. Quatrièmement, et je crois que c'est important, en l'absence de motifs d'avoir des soupçons, l'administrateur peut se fier aux dirigeants de la société pour s'acquitter, avec intégrité, des fonctions qui leur ont été déléguées.

Aussi [...], nous soutenons que l'application de cette analyse à la présente affaire amène la conclusion que, dans les circonstances où il s'est retrouvé, l'appelant a satisfait aux exigences énoncées au paragraphe 227.1(3).

            Le juge Robertson a expliqué dans l'affaire Soper qu'il était parfois utile de se demander si une personne était un administrateur interne participant activement à la gestion quotidienne de l'entreprise ou un administrateur externe, et les preuves montrent clairement que l'appelant ici était un administrateur externe qui, de fait, participait peu à la gestion permanente de la société.

            Dans la présente affaire, en raison de l'existence d'une norme partiellement objective et partiellement subjective, nous devons analyser la situation particulière de l'appelant de même que son niveau de scolarité et sa connaissance des affaires. Ici, l'appelant n'avait pas fait d'études avancées en administration et n'avait en fait aucune formation dans ce domaine. Il ne possédait qu'un diplôme de 10e année obtenu en Inde, et l'on voit bien que sa connaissance de l'anglais n'est pas solide, alors que l'anglais est la principale langue des affaires dans la province.

            Le deuxième élément que la Cour doit prendre en considération est le fait que les administrateurs internes ont délibérément dissimulé de l'information à l'appelant. Ce dernier a raconté aujourd'hui que lorsque lui-même et ses collègues qui étaient aussi administrateurs externes ont cherché à s'informer auprès des administrateurs internes, ceux-ci ont entravé ses efforts en vue d'obtenir des renseignements. Nous soutenons en toute déférence qu'une personne dans la situation de l'appelant n'aurait pu rien faire de plus pour exercer des pressions sur les administrateurs internes afin d'en obtenir davantage d'information.

Un autre élément est propre à la situation de l'appelant, soit qu'il a subi une blessure l'empêchant de travailler et, donc, de se rendre au travail, de sorte qu'il s'est trouvé encore plus à l'écart qu'un administrateur externe ordinaire. Finalement, il y a lieu de tenir compte du fait que les lettres de Me Seabrook et d'autres lettres connexes de Revenu Canada même pouvaient laisser croire que toutes les retenues à la source en souffrance avaient été versées. Je fais valoir en toute déférence que, lorsqu'on examine les lettres de Me Seabrook, on peut certainement en conclure que le versement des retenues à la source exigibles avait été fait. Il est certain que pour une personne qui n'est pas vraiment un expert, ce serait là une conclusion raisonnable à tirer des lettres de Me Seabrook.

Je voudrais souligner encore une fois que l'appelant se trouvait dans une position notablement désavantagée en raison de sa méconnaissance de l'anglais, et que le juge Robertson a établi comme principe dans l'arrêt Soper qu'un administrateur externe peut se fier sur autrui dans la mesure où rien n'indique manifestement que les personnes sur lesquelles il s'appuie ne s'acquittent pas de leurs responsabilités.

Compte tenu de la situation propre à l'appelant, j'affirme avec égards qu'il n'y avait aucune raison pour l'appelant, dans la situation désavantagée dans laquelle il se trouvait, de croire qu'il y avait quoi que ce soit d'inquiétant ou d'irrégulier dans l'exploitation de la société. Il n'a eu cette information qu'une fois qu'il était trop tard pour prendre des mesures correctives quelconques.

Pour ces raisons, M. le juge, je soutiens en toute déférence que l'appel devrait être admis.

[...]

Avocat de l'intimée :

[...] l'intimée fait valoir que l'appelant n'a pas satisfait à la norme de soin et de diligence requise d'un administrateur [...] et nous affirmons que l'appelant ne répond pas à cette norme pour deux raisons importantes :

Premièrement, l'appelant n'a rien fait pour prévenir l'omission, par la société, de verser les retenues à la source en 1997.

Deuxièmement, il n'a rien fait pour se renseigner sur son rôle et ses responsabilités à titre d'administrateur [...]

[...]

[7]      L'avocat de l'intimée analyse certains principes généraux énoncés dans l'arrêt Soper et poursuit :

[TRADUCTION]

La Cour décrit un administrateur externe comme une personne qui ressemble davantage à un investisseur. Il ne participe pas à la gestion et se fie aux dirigeants de l'entreprise pour qu'ils assurent la poursuite de ses activités et veillent à sa bonne santé financière et [...] un administrateur externe est généralement assujetti à une norme de soin moins stricte. Toutefois, la Cour souligne qu'un administrateur externe assume néanmoins des fonctions importantes. Un administrateur externe ne peut se contenter d'un rôle entièrement passif, et la Cour a précisé qu'il vient un temps où même un administrateur externe a l'obligation expresse de prendre des mesures pour prévenir un manquement de la société à son obligation de versement [...] La Cour s'exprime ainsi : « Je ne veux pas donner à entendre qu'un administrateur peut adopter une attitude entièrement passive, mais seulement que, à moins qu'il n'existe des motifs d'avoir des soupçons, il est permis de compter sur les personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société pour payer des dettes comme les créances de Sa Majesté. » Elle conclut ensuite en disant : « La question qui subsiste, toutefois, est de savoir à quel moment l'obligation expresse d'agir prend naissance. »

            Dans le paragraphe suivant, le juge Robertson déclare ce qui suit : « À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. »

Il s'exprime alors comme suit : « La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières. » C'est dans cette situation que, selon la Cour, l'administrateur a l'obligation légale de prendre des mesures.

Il est important, je crois, de souligner que le critère énoncé par la Cour d'appel n'oblige pas l'administrateur à savoir pertinemment que la société omet d'effectuer ses versements ou qu'elle omettra de le faire. Le seul fait de savoir qu'il pourrait y avoir ou qu'il y aurait raisonnablement un problème suffit à imposer une obligation légale d'agir.

[...]

[8]      L'avocat cite les arrêts de la Cour d'appel fédérale dans les affaires Cadrin, Hanson et Smith de même que d'autres arrêts et conclut comme suit :

[TRADUCTION]

L'intimée soutient que, d'après la jurisprudence, [...] et les principes juridiques que la Cour devrait appliquer en l'espèce, la personne raisonnablement prudente qui ne possède pas l'expérience ni les connaissances nécessaires pour comprendre ses obligations prendrait des mesures pour s'informer de ses obligations légales de manière à pouvoir s'en acquitter [...]

L'intimée fait valoir que, si la Cour applique ces critères dans la présente affaire, il s'ensuit que l'appelant ne satisfait pas au critère de la diligence raisonnable. Même s'il était un administrateur externe, nous sommes d'avis tout d'abord que le fait de se fier à des tiers - comme l'a affirmé la Cour dans l'arrêt Soper, un administrateur externe a le droit de se fier aux personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société, mais nous prétendons qu'il ne peut le faire que dans la mesure où il est raisonnable de se fier à ces personnes [...]

Dans la présente affaire, même s'il est possible que l'appelant n'ait pas connu tous les détails complexes du versement des retenues salariales, il est clair qu'il comprenait certains des aspects fondamentaux de l'entreprise. Il comprenait que la société avait un compte bancaire. Il comprenait que la société devait facturer ses clients pour avoir de l'argent. Il comprenait que la société avait des fournisseurs et des employés à payer. Il comprenait que la société avait effectué des retenues à la source sur la paye. Sa propre paye faisait l'objet de telles retenues. Et je crois qu'on peut aussi conclure d'après son témoignage, bien que ses propos n'aient pas été clairs à ce sujet, qu'il comprenait que la société dressait des états financiers ou était tenue de le faire et qu'il y avait des déclarations fiscales quelconques à établir. Il a mentionné plusieurs fois qu'il présumait que MM. Bagri et Saheb s'occupaient des déclarations de revenus.

Je reconnais que l'appelant ne savait peut-être pas que la société devait verser les retenues à la source, même s'il savait clairement que la société avait l'obligation de déduire des montants sur la paye. Il a reconnu que sa propre paye faisait l'objet de retenues, et il le comprenait. Nous faisons valoir que la Cour devrait se demander s'il était raisonnable de se fier à MM. Bagri et Saheb à cet égard. Les seules raisons que l'appelant pouvait donner pour justifier qu'il se soit fié à eux tiennent au fait qu'ils parlaient l'anglais, premièrement, et qu'ils avait prétendu avoir de l'expérience en affaires. Il n'a rien fait, cependant, pour s'assurer qu'ils possédaient vraiment une telle expérience. D'après les éléments de preuve, la Cour ne pourrait conclure que MM. Bagri et Saheb étaient plus qualifiés que l'appelant, hormis leur connaissance de l'anglais, pour diriger une entreprise. À notre avis, l'appelant n'a pas fait preuve de diligence raisonnable en se fiant simplement à MM. Bagri et Saheb.

Fait encore plus important, même s'il avait été prudent de se fier à ces deux hommes au début, il n'était certainement plus prudent de le faire une fois qu'ils ont demandé à l'appelant et aux autres une plus grande contribution financière, en disant que l'entreprise avait besoin de fonds, soit parce qu'elle était en démarrage, soit parce que les clients n'avaient pas payé et que les liquidités manquaient. À ce point-là, c'est exactement la situation que la Cour d'appel a décrite dans l'affaire Soper [....]

À ce moment-là, l'appelant avait une obligation expresse d'agir, de prendre des mesures pour s'assurer que les retenues fiscales étaient versées. Même s'il ne s'est pas rendu compte que ces versements n'étaient pas faits, nous affirmons qu'une personne raisonnablement prudente se trouvant dans la même situation, qui comprend comme l'appelant les divers aspects de l'entreprise, aurait dû se rendre compte qu'il pouvait y avoir un problème avec les remises fiscales s'il y en avait avec le règlement des fournisseurs, par exemple. Il aurait dû se rendre compte qu'il pouvait y avoir un problème et aurait dû agir [...]

[...]

Il est clair également, à la lumière de la preuve, que l'appelant ne s'est jamais interrogé sur la situation relative aux retenues fiscales, même s'il était clair ou qu'il aurait dû être clair à ses yeux que la société éprouvait des difficultés financières. Et ces éléments ne permettent pas de satisfaire aux critères énoncés par la Cour d'appel.

[...]

Nous soutenons que le témoignage de l'appelant dénote une absence totale de diligence. Il n'a rien fait lorsqu'il est devenu administrateur pour savoir ce que ce titre signifiait, puis n'y a plus jamais pensé. Il n'a rien fait dans le cours des affaires pour s'assurer que les versements fiscaux étaient faits, que les retenues à la source étaient versées, même lorsqu'on l'a informé à maintes reprises que la société manquait de fonds. Il n'a pris aucune des mesures jugées raisonnables par la Cour dans l'arrêt Cadrinpour ce qui est de veiller à la viabilité de l'entreprise avant de continuer à y investir ou de s'assurer que les gens sur lesquels il s'appuyait étaient fiables et compétents, ou de rester généralement au courant des événements.

[...]

Mon dernier point porte sur la question de Me Seabrook, parce que l'appelant fait valoir qu'il était raisonnable de se fier au fait que Me Seabrook avait versé tous les montants nécessaires pour la société alors qu'à notre avis, le fait de se fier à Me Seabrook, l'avocat, ne constitue pas de la diligence raisonnable.

Premièrement, Me Seabrook n'était même pas l'avocat de l'appelant et, selon la preuve, l'appelant n'a jamais parlé du versement des retenues fiscales avec Me Seabrook. Il n'est même pas clair qu'il ait lu les lettres qu'il avait reçues et consciemment décidé qu'il était convaincu que les versements avaient été faits.

Deuxièmement, il n'a rien fait pour s'assurer que Me Seabrook avait versé les bons montants. Il aurait même été possible que l'avocat ait versé des montants erronés. En fait, c'est exactement ce qui s'est passé, non pas parce que Me Seabrook avait des renseignements inexacts, mais parce que la cotisation a été établie après les versements en question. Si vous vous rappelez bien des preuves, Me Seabrook a effectué les versements à Revenu Canada en mars 1998. La société avait reçu un avis de cotisation en janvier, mais un autre avait été établi en juillet 1998. Me Seabrook ne pouvait être au courant de ces cotisations.

Il était clair cependant que les retenues fiscales omises par Société dépassait le montant dont avait connaissance Me Seabrook. L'appelant n'a pris aucune mesure pour s'assurer que l'information dont l'avocat disposait était exacte.

Finalement, et c'est très important, toutes les mesures prises par Me Seabrook étaient de nature corrective. Bien que ce fait puisse faire pencher la balance en faveur du contribuable dans certains cas, en l'espèce, nous sommes d'avis qu'en l'absence de toute diligence quelle qu'elle soit visant à prévenir l'omission de versement, dans une situation où l'appelant a essentiellement quitté l'entreprise en septembre 1997, n'a jamais pensé à l'entreprise par la suite, ne croyait pas à ce moment-là qu'il pouvait y avoir un problème lorsqu'on lui a demandé à nouveau de l'argent, n'a pas réfléchi en décembre lorsque M. Bagri lui a dit que l'entreprise n'était pas en activité parce qu'ils étaient en désaccord, les deux administrateurs, n'a pas pensé alors qu'il pouvait y avoir un problème, a mis ça de côté; à notre avis, il s'agit d'un manque de diligence raisonnable.

L'appelant ne devrait pas avoir le droit de se fier au fait que l'avocat de quelqu'un d'autre a versé le montant qu'il croyait exigible à l'époque pour prouver sa propre diligence. Selon nous, l'appelant n'a fait preuve d'aucune diligence dans la présente affaire.

Encore une fois, bien que les règles de droit n'obligent pas un administrateur à réussir à prévenir l'omission, par une entreprise, de verser les retenues à la source, l'administrateur est tenu de prendre des mesures et d'avoir fait une tentative quelconque et, à tout le moins, il y aurait un point où un administrateur raisonnablement prudent dirait « Ça fait quatre fois que je dois réinvestir, je ne mets pas un sou de plus jusqu'à ce qu'on me montre des registres financiers. » L'appelant n'a pas pris ces mesures. Lorsqu'il a posé des questions, il n'a pas approfondi. Il a continué de se fier aux autres administrateurs. Nous faisons valoir qu'une personne raisonnablement prudente n'aurait pas agi ainsi, comme l'appelant l'a fait.

[...]

[...] Selon l'intimée, l'appel devrait être rejeté.

Analyse

[9]      Il y a lieu de souligner que le présent appel tourne autour de la responsabilité du fait d'autrui et, à mon avis, s'il subsiste un doute sérieux quelconque, aucune responsabilité ne devrait être imputée. Dans le présent appel, l'appelant était clairement un administrateur externe (ce qui a été admis) et, par conséquent, le fardeau à relever pour imposer une responsabilité à un tel administrateur est considérablement plus lourd que dans le cas d'un administrateur interne. En l'espèce, l'appelant était handicapé par son incapacité à comprendre, à écrire et à parler l'anglais, ce qui, à mon sens, est un facteur très important pour trancher le présent appel. En outre, l'accident subi par l'appelant a réduit sa capacité de participer à la société. Il a aussi reconnu qu'il a posé des questions avec les autres administrateurs externes et qu'il s'était fié aux garanties que lui avaient données les dirigeants de la société. Je crois également que la lettre de l'avocat, Me Seabrook, qui est adressée aux sept administrateurs, dont l'appelant, doit avoir donné à l'appelant une garantie raisonnable que quelqu'un s'occupait des dettes de la société. Pour ces motifs et pour les autres raisons énoncées dans les observations de l'avocat de l'appelant, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l'appelant a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables pour prévenir l'omission, par la société, d'effectuer les versements. Par conséquent, l'appel est admis avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et qu'il établisse une nouvelle cotisation compte tenu de ce fait.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de décembre 2004.

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI741

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2258(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Gurpal Singh Mann et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

28 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable T. O'Connor

DATE DU JUGEMENT :

23 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Paul K. Lail

Avocat de l'intimée :

Me Michael Taylor

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Paul K. Lail

Cabinet :

Fritz Lail Shirreff and Vickers

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour l'intimée :

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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