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Dossier : 2003-1407(IT)G

ENTRE :

BARBARA ANNE HARRIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 10 juin 2005 à St. Catharines (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge G. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Charles M. Camirand

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

       Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 sont accueillis sans dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations compte tenu du fait que Mme Harris n’est pas tenue de payer les pénalités établies en application du paragraphe 163(2) de la Loi et que, selon le paragraphe 50(1) de la Loi, elle n’a pas le droit de déduire la perte relative à Bresea Resources Ltd. ou le montant de 15 000 $ payé à L.M. Supply International. Les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998 et 1999 sont rejetés sans dépens.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d’août 2005.

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juin 2006.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2005CCI501

Date : 20050810

Dossier : 2003-1407(IT)G

ENTRE :

BARBARA ANNE HARRIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelante, Barbara Anne Harris, se représentait elle‑même dans les appels interjetés à l’égard des années d’imposition 1995, 1996, 1997, 1998 et 1999. Les appels interjetés pour les années 1998 et 1999 ont été abandonnés lors de l’audience et sont rejetés. Les appels relatifs aux années 1995, 1996 et 1997 concernent l’imposition de pénalités par le ministre du Revenu national en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), et l’appel relatif à 1997 concerne aussi le refus par le ministre d’admettre la déduction de certaines pertes.

 

I.       Question préjudicielle – préclusion pour même question en litige

[2]     Au début de l’audience, l’avocat de l’intimée a allégué que Mme Harris était précluse d’invoquer qu’elle n’avait pas « sciemment omis » de déclarer un revenu de 85 029 $ parce que, au cours d’une procédure criminelle antérieure[1], elle avait plaidé coupable à une accusation de fraude fiscale à l’égard de ce montant. J’ai ajourné l’examen de cette question jusqu’à ce que tous les témoignages aient été entendus et j’ai conclu que l’allégation de la Couronne est sans fondement. Le plaidoyer de culpabilité découlait d’une représentation conjointe dans laquelle il était prévu que la Couronne intenterait des poursuites contre Mme Harris sous un seul des six chefs d’accusation figurant dans la dénonciation dont elle faisait l’objet, et que Mme Harris plaiderait coupable, et ce, étant donné que l’avocat de Mme Harris a estimé que les frais qui seraient engagés pour assurer sa défense seraient aussi élevés que l’amende qui serait probablement imposée. La Cour a donc condamné Mme Harris à payer une amende s’élevant au montant convenu de 25 917,97 $, laquelle représentait 100 % de l’impôt qu’elle devait payer pour l’année visée. Dans tous les cas, et particulièrement dans les cas où le plaidoyer de culpabilité découle d’une représentation conjointe[2] présentée à une cour criminelle (par opposition à un verdict de culpabilité sur le fond), il ne faut pas permettre à la Couronne d’utiliser au détriment de Mme Harris, dans une procédure civile ultérieure, le fait qu’elle a respecté les modalités de la transaction pénale.

 

II.      Questions de fond - 1995, 1996 et 1997

 

1.       Déduction d’une perte – 1997 seulement

 

[3]     En ce qui concerne l’année d’imposition 1997 seulement, Mme Harris a interjeté appel à l’égard du refus par le ministre de certaines pertes relatives à des actions de Bresea Resources Ltd. et au montant de 15 000 $ « investi » dans une entreprise. Pour avoir le droit de déduire ces montants, Mme Harris doit observer les dispositions du paragraphe 50(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu dont voici le libellé :

 

50.(1) Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d'une société en faillitePour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

 

a) un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;

 

b) une action du capital-actions d'une société (autre qu'une action reçue par un contribuable en contrepartie de la disposition d'un bien à usage personnel) appartient au contribuable à la fin d'une année d'imposition et :

 

(i) soit la société est devenue au cours de l'année un failli au sens du paragraphe 128(3),

 

(ii) soit elle est une personne morale visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations, insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été rendue au cours de l'année,

 

(iii) soit les conditions suivantes sont réunies à la fin de l'année :

 

(A) la société est insolvable,

 

(B) ni la société ni une société qu'elle contrôle n'exploite d'entreprise,

 

(C) la juste valeur marchande de l'action est nulle,

 

(D) il est raisonnable de s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne commence pas à exploiter une entreprise,

 

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l'action à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action. [Je souligne.]

 

[4]     Comme Mme Harris a admis ne pas avoir fait un choix dans sa déclaration de revenus pour 1997 comme l’exige le paragraphe 50(1) de la Loi, la Cour ne peut pas faire droit à son appel en ce qui concerne ces deux déductions. Même si cela ne change rien au résultat découlant de l’application du paragraphe 50(1), la conduite de Mme Harris à l’égard de ces pertes est révélatrice en ce qui concerne la question des pénalités : dans le cas de Bresea Resources Ltd. (une des entreprises du groupe d’entreprises de Bre-X), Mme Harris faisait partie des nombreux investisseurs infortunés qui se sont fait avoir. Le seul élément de preuve présenté montrant qu’elle aurait peut‑être pu éviter de perdre cette déduction particulière était une note de service de BMO Nesbitt Burns découverte au cours de l’enquête et dont, de toute façon, Mme Harris ne pouvait pas être au courant pendant la période visée. Quant aux 15 000 $, le montant a été prêté à Michael Schor, une personne avec qui Mme Harris jouait au bridge et en qui elle avait placé sa confiance, ce qu’elle regrette maintenant et n’aurait probablement jamais dû faire. Faisant affaire sous le nom de L.M. Supply International, M. Schor a trompé Mme Harris en lui promettant qu’elle pouvait « tripler » son argent en investissant dans une entreprise d’exportation qui s’est révélée plus une fantaisie qu’une réalité. La seule chose dont je suis certaine c’est que l’argent de Mme Harris s'est envolé il y a belle lurette. Les deux incidents révèlent un certain manque de discernement en matière financière et une tendance à prendre des décisions qui seraient considérées insensées par un observateur objectif.

 

2.       Pénalités pour faute lourde

 

[5]     En ce qui concerne l’imposition de pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les dispositions pertinentes sont les suivantes :

 

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale […]

 

Selon l’avocat de l’intimée, Mme Harris a « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde […] fait […] une omission dans [sa] déclaration […] » lorsqu’elle a omis de déclarer des gains en capital imposables en 1995, en 1996 et en 1997, ce qui la rend passible des pénalités prévues par la Loi.

 

[6]     Pendant ces années‑là, Mme Harris occupait un poste d’administration au sein du conseil scolaire local, et elle gagnait environ 50 000 $ par an. En 1995 et en 1996, elle effectuait des opérations boursières par l’intermédiaire d’un courtier chez Nesbitt Burns; et au début de 1997, un autre bandit enjôleur connu seulement sous le nom de « Arvind » a persuadé Mme Harris de transférer l’argent qui était géré par Nesbitt Burns dans un compte en ligne. Après avoir soutiré à Mme Harris une sorte de frais d’adhésion, Arvind a immédiatement disparu et l’a laissée s’occuper de ses propres opérations sur l’ordinateur. Entre 1995 et 1997, Mme Harris a versé 2 000 $ dans le compte de Nesbitt Burns et elle a retiré environ 88 000 $CAN et 50 000 $US. Elle a admis ne pas avoir déclaré les gains en capital relatifs à ces opérations, mais elle a nié avoir sciemment fait cette omission pour éviter de payer de l’impôt.

 

[7]     Il incombe au ministre de prouver que les actions de Mme Harris équivalaient à une faute lourde selon le paragraphe 163(2). Il s’agit‑là d’un lourd fardeau de la preuve, et, comme il est question d’une disposition pénale, s’il y a quelque doute que ce soit, la question doit être tranchée en faveur du contribuable. Dans la décision Farm Business Consultants Inc. v. The Queen[3], le juge Bowman, plus tard juge en chef, a examiné la jurisprudence relative à l’imposition des pénalités et a conclu ce qui suit :

 

Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). […] Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité.

 

[8]     Si j’applique cette méthode en l’espèce, il m’est impossible de conclure que la conduite de  Mme Harris équivalait à une faute lourde et qu’elle est passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2). Mme Harris a dit qu’elle s’était conduite de façon [TRADUCTION] « très stupide » et elle regrette profondément de ne pas avoir porté attention aux obligations qu’elle avait en vertu de la Loi, ainsi que les répercussions désastreuses que cela a entraînées pour elle. En plus d’avoir à payer la totalité de son obligation fiscale, Mme Harris a perdu tous les gains qu’elle avait réalisés sur le marché boursier. J’accepte son témoignage selon lequel, même si elle effectue des opérations sur le marché boursier sous une forme ou sous une autre depuis 1984, ce serait exagérer que de dire qu’elle possède des connaissances « approfondies » en matière d’investissement, comme l’a supposé le ministre. Le fait d’exercer une activité de façon continue n’entraîne pas nécessairement une meilleure compréhension de l’activité. En 1993, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Mme Harris de façon à inclure un petit montant de gains en capital non déclarés (qui n’est pas lié à ces appels) et les pénalités ordinaires applicables, et Mme Harris a payé la nouvelle cotisation. La leçon que Mme Harris a tirée de cela n’était pas qu’elle devait faire le suivi de ses gains en capital et les déclarer en temps opportun, mais plutôt que, si elle ne déclarait pas les montants dus, le ministre s’en chargerait pour elle et, en temps voulu, lui enverrait une facture qu’elle devrait alors payer.

 

[9]     Mme Harris établissait elle‑même ses déclarations de revenus. Pour établir ses déclarations, elle n’incluait que les montants pour lesquels elle avait reçu un « feuillet », c’est‑à‑dire le formulaire produit par l’ADRC, ce qui a été confirmé par un examen des déclarations de revenus présentées en preuve. Par exemple, son revenu d’emploi de 1995 a été déclaré en fonction du montant figurant dans le T4[4] du conseil scolaire; certains des gains en capital réalisés en 1996 provenaient d’un T5[5] dans lequel il était indiqué que « GT Global Fund Inc. » était le payeur. Dans son témoignage, M. Higgins a admis qu’à l’étape de l’enquête, il avait la fausse impression que Mme Harris avait reçu des T5008 de Nesbitt Burns à l’égard des gains non déclarés qu’elle a réalisés sur le marché boursier. En fait, ces renseignements (de même que certaines pertes qu’elle aurait eu le droit de déduire) figuraient dans les relevés mensuels que, la plupart du temps, Mme Harris ne lisait tout simplement pas.

 

[10]    Même si je n’accepte absolument pas le fait que Mme Harris soit aussi indifférente à l’égard des obligations qu’elle a selon la Loi, cela m’amène à conclure que, pendant la période en question, Mme Harris manquait de discernement en matière fiscale et de finesse en matière d’organisation, ce qui la rendait incapable de tramer intentionnellement une stratégie et l’utiliser pour éviter de déclarer ses gains en capital imposables. Même si, en général, elle savait que le succès qu’elle remportait sur le marché boursier lui permettrait, à un moment donné, de réaliser des gains en capital et qu’il y aurait de l’impôt à payer, elle ne s’est pas demandé quand ou comment elle devrait s’acquitter d’une telle obligation. Le ministre ne m’a pas convaincue que la conduite de Mme Harris correspond de façon raisonnable à une seule hypothèse : Mme Harris a sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, omis de déclarer des gains en capital imposables. Selon moi, ses actions sont également compatibles avec la conclusion selon laquelle Mme Harris a agi de façon irréfléchie, négligente et peut‑être même pas très intelligente, mais une telle conduite ne me permet pas d’imposer les pénalités prévues au paragraphe 163(2). Donc, je décide que Mme Harris profitera des doutes que je peux avoir. Les appels interjetés à l’égard des années d’imposition 1995, 1996 et 1997 sont accueillis sans dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations compte tenu du fait que Mme Harris n’est pas tenue de payer les pénalités établies en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi et qu’elle n’a pas le droit de déduire, selon le paragraphe 50(1), les pertes relatives à Bresea Resources Ltd. ou au montant de 15 000 $ payé à L.M. Supply International. Les appels interjetés à l’égard des années d’imposition 1998 et 1999 sont rejetés sans dépens.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d’août 2005.

 

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juin 2006.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI501

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2003-1407(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Barbara Anne Harris c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   St. Catharines (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 10 juin 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge G. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 10 août 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Charles M. Camirand

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Étude :                           

                                                         

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑Procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Pièce R-4.

 

[2] Voir aussi William Van Rooy v. The Minister of National Revenue, 88 DTC 6323 (C.A.F.); Kevin T. Hagon v. Her Majesty the Queen, 99 DTC 336 (C.C.I.).

[3] 95 DTC 200, p. 205; confirmée par la Cour d’appel fédérale, 96 DTC 6085.

[4] Pièce R-1, onglet 2.

 

[5] Pièce R-1, onglet 3.

 

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