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Dossier : 2003-350(IT)I

ENTRE :

ALAIN LEGER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appels entendus le 12 mars 2004, à Ottawa (Ontario).

Devant : L'honorable Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me John Clow, c.r.

Avocate de l'intimée :

Me April Tate

JUGEMENT

Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1997 sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour qu'il les examine à nouveau et établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l'appelant peut déduire de ses revenus une perte au titre d'un placement d'entreprise supplémentaire de 85 069 $ pour 1994, conformément au paragraphe 39(1) de la Loi, et qu'il peut reporter cette perte aux autres années en cause, qu'elles soient antérieures ou ultérieures, conformément à l'alinéa 111(1)a) et au paragraphe 111(8) de la Loi, à la condition que l'appelant accepte de limiter la perte au titre d'un placement d'entreprise qu'il veut déduire de ses revenus à une somme maximale de 24 000 $ par année d'imposition comme l'exige l'article 18.13 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'octobre 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


Référence : 2004CCI669

Date : 20041005

Dossier : 2003-350(IT)I

ENTRE :

ALAIN LEGER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre

[1]      Il s'agit d'appels interjetés dans le cadre de la procédure informelle à l'égard de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1997 de l'appelant. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1994, l'appelant a déduit une perte au titre d'un placement d'entreprise de 262 678 $ en application de l'alinéa 39(1)c) de la Loi. Lorsqu'il a établi une nouvelle cotisation relative à l'appelant pour cette année-là, le ministre a refusé une somme de 69 879 $ sur la perte totale déduite au titre d'un placement d'entreprise et a de même refusé cette partie de la perte qui avait été reportée rétrospectivement ou prospectivement aux années d'imposition 1992, 1993, 1995 et 1997, conformément à l'alinéa 111(1)a) et au paragraphe 111(8) de la Loi. La perte déductible au titre d'un placement d'entreprise qui a été reportée prospectivement à l'année 1995 et qui a été refusée par le ministre s'élève à 30 736 $. L'avocat de l'appelant a signalé à l'audience que l'appelant a choisi, en application de l'article 18.13 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, de limiter l'appel à une perte de 24 000 $ pour cette année-là parce qu'il souhaite que tous ses appels soient entendus dans le cadre de la procédure informelle.

[2]      Lorsqu'il a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes, lesquelles se trouvent au paragraphe 7 de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ) :

[TRADUCTION]

a)          l'appelant a déduit de ses revenus une perte au titre d'un placement d'entreprise de 69 879 $ (plus 192 799 $ admis par le ministre) relativement à une créance qu'il a sur la société [520205 Ontario Inc.];

b)          l'appelant était actionnaire de la société;

c)          la société a déclaré faillite le 30 mai 1994;

d)          la société n'a produit aucun état financier pour l'exercice se terminant le 28 février 1994;

e)          sous réserve de la perte d'entreprise admise, l'appelant n'avait aucune autre créance sur la société en date du 28 février 1993 ou du 30 mai 1994;

f)           pour la période allant du 1er mars 1993 au 30 mai 1994, aucun livre ou registre comptable n'a été fourni au ministre afin d'étayer la perte au titre d'un placement d'entreprise.

Question en litige

[3]      Selon le paragraphe 8 de la réponse de l'intimée, la question en litige est celle de savoir si l'appelant avait une créance sur 520205 Ontario Inc. (la « société » ) en date du 30 mai 1994, soit la date de la faillite de la société. Le seul argument soulevé par l'intimée dans sa réponse consiste à affirmer que l'appelant n'a pas subi une perte au titre d'un placement d'entreprise de 69 879 $ dans son année d'imposition 1994 puisqu'il n'avait, aux termes de l'alinéa 39(1)c) de la Loi, aucune autre créance de ce montant sur la société au 28 février 1993 (date de la fin de l'exercice de la société) ou au 30 mai 1994 (date de la faillite de la société). L'appelant soutient non seulement qu'il avait une créance sur la société pour des sommes qu'il lui avait prêtées ou qu'il avait payées en son nom pendant l'exercice 1994 de la société, mais également que la créance supplémentaire qui devrait être accordée comme perte au titre d'un placement d'entreprise se chiffre à 85 069 $ et non à 69 879 $.

[4]      L'expert-comptable de l'appelant, Robert Ogle, un des associés du cabinet d'expertise comptable Welch & Co., a dressé la liste des sommes pour lesquelles une déduction est maintenant demandée. Cette liste, qui a été déposée comme pièce A-1, est reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]

ALAIN LEGER

PERTE DÉDUCTIBLE AU TITRE D'UN PLACEMENT D'ENTREPRISE

Solde d'ouverture du compte des actionnaires (28 février 1993)

30 300 $

Avances à la société :

       Avril 1993

    5 000 $

       Avril 1993

35 000

       Avril 1993

15 000

       Mai 1993

15 000

       Juin 1993

15 000

85 000

Honoraires d'avocat et frais de financement

   6 566

Dépenses payées personnellement par Alain Leger

   1 601

Fonds payés personnellement - salaires nets :

       Juin 1993

   7 483

       Septembre 1993

   8 265

       Février 1994

   5 398

21 146

Prélèvements

(20 000)

Compte débiteur ramené à zéro

     (365)

Correction - salaires

(5 129)

Retraits - 5 x 750

(3 750)

Perte au titre d'un placement d'entreprise révisée

115 369 $

[5]      La déduction pour la perte au titre d'un placement d'entreprise de 85 069 $ maintenant demandée correspond à la différence entre la « perte au titre d'un placement d'entreprise révisée » de 115 369 $ et le « solde d'ouverture du compte des actionnaires (28 février 1993) » , à savoir 30 300 $ selon la pièce A-1. Même si le ministre a accepté le solde d'ouverture du compte débiteur-créditeur des actionnaires au 28 février 1993 (30 300 $), l'intimée nie que les sommes supplémentaires ajoutées à ce compte dans la pièce A-1 constituent une créance de l'appelant sur la société.

Faits

[6]      La société exploitait une entreprise familiale qui faisait la vente en gros de produits électriques et d'éclairage sous la dénomination sociale de House of Lighting. En 1986, l'appelant a acheté de ses parents 50 pour cent des actions de la société, les autres 50 pour cent ayant été achetés par le frère de l'appelant, Guy Leger. Le prix total des ventes s'élevait à 250 000 $, dont l'appelant a payé la moitié, soit 125 000 $ (pièce A-2).

[7]      La société a déclaré faillite en mai 1994. Par conséquent, l'appelant a demandé une déduction pour perte au titre d'un placement d'entreprise pour 1994. Une partie de cette déduction a été refusée par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ).

[8]      Dans son témoignage, M. Ogle a dit avoir dressé en 1999 la liste déposée comme pièce A-1 et reproduite plus haut, soit lorsque l'agent des appels de l'ADRC lui a demandé, au stade de l'opposition, de fournir des explications au sujet de la perte au titre d'un placement d'entreprise antérieurement refusée.

[9]      M. Ogle a affirmé que la pièce A-1 se fonde sur certains documents qu'il a eu l'occasion d'examiner, comme des copies du livret de dépôt bancaire de l'appelant, de chèques payés par celui-ci et de documents concernant les prêts qui lui ont été consentis après février 1993. Il a également dit qu'en août 1995, à la demande du syndic de faillite (pièce A-13), son cabinet avait établi les états financiers de la société pour l'exercice se terminant le 28 février 1994. Son cabinet s'est alors fondé sur le grand livre de la société de même que sur le bilan préliminaire pour l'exercice 1994 dressé par le comptable de l'entreprise à l'époque, M. Kevin Muldoon, lequel a cessé de travailler pour la société après la faillite. Les états financiers n'ont finalement jamais été produits parce que le syndic de faillite ne voulait pas que M. Ogle les termine. Ce dernier ne les a donc pas examinés à ce stade. Par conséquent, la déclaration de revenus de la société pour l'exercice 1994 n'a pas été produite non plus. Cependant, M. Ogle a examiné ces états financiers au stade de l'opposition. Même s'il n'a pu vérifier les documents présentés à l'appui des états financiers, il a néanmoins conclu que ces derniers étaient suffisamment acceptables puisqu'ils se fondaient sur des renseignements consignés par M. Muldoon avant la faillite et confirmés par la suite par l'appelant.

[10]     Cela étant dit, et comme, selon l'appelant, la question en litige intéresse principalement les sommes énoncées dans la pièce A-1, je vais maintenant exposer les faits tels qu'ils m'ont été présentés relativement à chacun des postes énumérés par l'appelant dans la pièce susmentionnée.

Avances à la société : 85 000 $ (pièce A-1)

[11]     Dans son témoignage, l'appelant a déclaré avoir avancé à la société, par un virement de son compte personnel au compte de la société, une somme initiale de 5 000 $ en avril 1993 ainsi que deux sommes subséquentes de 15 000 $ en mai 1993 et en juin 1993. Ces sommes figurent sous la rubrique « avances à la société » de la pièce A-1. Les avances ont été mises en preuve par des copies des bordereaux de dépôts de la société. Un de ces bordereaux, établi par M. Kevin Muldoon, fait état d'une somme de 5 000 $ reçue de l'appelant le 8 avril 1993 (pièce A-4, page 1); deux autres bordereaux montrent des sommes de 15 000 $ en date du 22 mai 1993 (pièce A-4, page 3) et du 4 juin 1993 (pièce A-4, page 4). Ces avances ont été faites au moyen de chèques tirés sur le compte de l'appelant et établis à l'ordre de House of Lighting (voir la pièce A-5, pages 5, 6 et 11).

[12]     Les autres éléments figurant dans la pièce A-1 sous la rubrique « avances à la société » consistent en des sommes de 35 000 $ et de 15 000 $ totalisant 50 000 $, lesquelles ont été avancées à la société en avril 1993. L'appelant a mentionné que son frère, Maurice Leger, qui n'était pas un associé et ne travaillait pas pour la société, avait consenti à lui prêter une somme de 50 000 $ à partir de ses deux marges de crédit. L'appelant a endossé les chèques que son frère Maurice avait établis à son ordre et les déposés dans le compte de la société le 20 avril 1993, comme en fait foi un double d'une des pages du livret de dépôt de la société et d'un état de compte bancaire produits ensemble comme pièce A-15. Il n'existait aucun contrat de prêt écrit, mais il y avait une entente verbale par laquelle l'appelant s'engageait à rembourser rapidement à Maurice le capital et les intérêts que ce dernier serait appelé à verser au titre de ses marges de crédit. L'appelant a effectivement remboursé la totalité du prêt à son frère, avec intérêts, entre le 28 juillet 1993 au 11 août 1994. C'est ce qui ressort des chèques que l'appelant a faits à l'ordre de Maurice Leger (voir la pièce A-5, pages 4, 7, 8, 9 et 10) et de l'état montrant les frais d'intérêt engagés par Maurice Leger relativement à la somme de 50 000 $ empruntée sur sa marge de crédit, état qui montre le montant du capital remboursé par l'appelant pendant la période susmentionnée ainsi que le dernier versement d'intérêt de 2 866,99 $ (pièce A-6). Ce fait est également confirmé par un document qui paraît avoir été rédigé par l'épouse de l'appelant, Jill Leger, sur la foi des carnets de chèques et des bordereaux de dépôts de l'appelant (pièce A-11, page 2). L'existence du prêt est aussi confirmée par une lettre datée du 5 août 1998 qui est adressée à Robert Ogle et signée par Maurice Leger (pièce A-5, page 2). Cette lettre confirme en outre les témoignages de M. Ogle et de l'appelant voulant que le produit du prêt ait [TRADUCTION] « servi à la House of Lighting » .

Honoraires d'avocat et frais de financement : 6 566 $ (pièce A-1)

[13]     L'appelant a expliqué que ce poste intéressait les honoraires d'avocat et les frais d'intérêts qu'il a engagés à titre personnel relativement à une hypothèque qu'il a consentie aux fiduciaires de la fiducie familiale de Gilles Aubé (les « Aubé » ) pour obtenir des fonds supplémentaires à investir dans la société. En réalité, le 20 mai 1993, l'épouse de l'appelant, Jill Leger, a hypothéqué en faveur des Aubé, pour une somme de 50 000 $, un terrain dont elle était propriétaire (partie du lot 8, plan de renvoi 271, canton de Cornwall, désigné comme les parties 4 et 6, plan de renvoi 52R-4483). L'appelant a agi à titre de garant de cette charge (voir la rubrique « charge/hypothèque immobilière » , pièce A-5, dernière page). La charge a été enregistrée dans le répertoire géographique relatif au lot 8, plan 271, canton de Cornwall, le 21 mai 1993 (pièce R-1).

[14]     L'appelant a précisé que le prêt ne pouvait être obtenu des Aubé sans que Canada Trust donne au préalable une mainlevée partielle visant le lot afin que le terrain puisse être divisé et qu'une parcelle puisse servir à garantir la deuxième hypothèque devant être consentie aux Aubé. Canada Trust a accepté de donner une mainlevée partielle à la condition qu'il soit versé à titre de provision une somme de 20 000 $ au titre de son hypothèque plus des frais d'administration de 150 $ (pièce A-7, page 1). L'appelant a également dû payer relativement à l'opération hypothécaire des honoraires à son avocat de 1 531,32 $, moins un crédit de 87,55 $ pour la TPS (pièce A-7, page 3), des frais de courtage de 500 $ ainsi que des honoraires de 1 134,74 $ au cabinet d'avocats agissant pour le compte de Canada Trust (pièce A-7, page 2). L'appelant a ajouté que le produit net de l'hypothèque (déduction faite de tous les frais susmentionnés et des arriérés de taxe de 1993 s'élevant à 1 665,30 $) a été déposé dans le compte de la société. C'est ce que semble montrer le grand livre de la société établi par le comptable de l'entreprise et dans lequel figurent des crédits de 22 483,29 $ et de 3 187,55 $ au compte d'avance de l'actionnaire de l'appelant en date du 30 juin 1993 (pièce A-12, page 1).

[15]     L'appelant a affirmé que, selon les livres comptables de la société, le montant du prêt et le coût lié à celui-ci (6 566 $) ont été ajoutés au solde de son compte d'avance de l'actionnaire. Ce montant de 6 566 $, qui est à présent la seule somme à l'égard de laquelle une déduction est demandée relativement à ce prêt, consiste en les frais de mainlevée de 150 $, les frais de courtage de 500 $, les honoraires d'avocat (1 531,32 $, moins un crédit de 87,55 $, et 1 134,74 $) et les intérêts payés au titre de l'hypothèque détenue par les Aubé en 1993, tels qu'ils ont été ajustés suivant l'état des intérêts qui figure à la dernière page de la pièce A-7.

[16]     Il faut signaler que, selon le répertoire par lot (pièce R-1), la mainlevée partielle a été enregistrée par Canada Trust uniquement le 30 juin 1993, tandis que la charge des Aubé a été enregistrée le 21 mai 1993. Cela peut paraître étrange. Le service d'administration des prêts de Canada Trust a toutefois adressé une lettre datée du 21 mai 1993 à l'avocat d'alors de l'appelant. Cette lettre mentionne que, selon Canada Trust, [TRADUCTION] « les fonds devant être affectés au versement de la provision au titre de l'hypothèque [de Canada Trust] proviendront du fait que [l'appelant] consent une hypothèque générale (d'abord sur la partie 6 et ensuite sur la partie 4, subordonnée à l'hypothèque de premier rang [de Canada Trust] » (pièce A-7, page 1). L'hypothèque des Aubé a été garantie par la propriété composée des parties 4 et 6 suivant le plan de renvoi 52R-4483 susmentionné, comme le montre le répertoire par lot (pièce R-1).

[17]     Je crois donc comprendre que les frais de mainlevée, les frais de courtage et les honoraires d'avocat payés par l'appelant et mentionnés sous la rubrique « honoraires d'avocat et frais de financement » dans la pièce A-1 ont en réalité été versés pour obtenir un prêt hypothécaire des Aubé. Or, dans leur témoignage, l'appelant et son expert-comptable, M. Ogle, affirment maintenant que le produit net de ce prêt a été investi dans la société (comme il est mentionné plus haut, cela semble se refléter dans le grand livre de la société produit comme pièce A-12) avec l'intention d'ultérieurement gagner un revenu au moyen des profits de la société. Ils soutiennent que l'argent a été utilisé pour payer les frais d'exploitation permanents de la société.

Dépenses payées personnellement par Alain Leger : 1 601 $ (pièce A-1)

[18]     L'appelant a expliqué qu'il avait lui-même engagé ces dépenses pour enlever et remplacer un plafond électrique fourni par House of Lighting à un client. La société ne disposait pas des fonds suffisants pour payer cette dépense et le coût de ces travaux a été appliqué au compte d'avance de l'actionnaire de l'appelant. Dans son témoignage, ce dernier a déclaré que la somme en cause ne lui a jamais été remboursée. Cette somme est consignée dans le grand livre de la société sous la rubrique [TRADUCTION] « dû à l'actionnaire (A.L.) » (pièce A-12, page 3), mais l'appelant a précisé qu'il n'avait aucun autre document relatif à cette dépense.

Fonds payés personnellement - salaires nets : 21 146 $ (pièce A-1)

[19]     L'appelant a déclaré que ce poste englobe les salaires que la société doit à lui et à son épouse et qui ont été déposés de nouveau dans le compte de la société, sans que les chèques ne soient encaissés, pour permettre à cette dernière d'acquitter les dépenses permanentes. Une liste de tous les chèques établis à l'ordre de l'appelant et de son épouse entre le 10 février 1993 et le 30 décembre 1993, lesquels totalisent 34 883 $ (28 527 $ pour l'appelant et 6 356 $ pour son épouse), se trouve dans la pièce A-8. La liste énumère aussi les chèques qui ont été déposés de nouveau dans le compte de la société et le montant de chacun de ces chèques, lesquels totalisent 21 147,63 $. Cette liste a été dressée par M. Ogle à l'époque où il était en discussion avec l'agent des appels de l'ADRC, au stade de l'opposition. Elle diffère légèrement de celle établie par Earle Loftman, l'agent des appels, laquelle comprend tous les chèques émis de janvier 1993 à décembre 1993 à l'ordre de l'appelant et de son épouse, et qui totalisent 39 113 $ (pièce R-8). Des doubles de certains des chèques énumérés ont été déposés comme pièce A-9. M. Ogle a précisé qu'il avait vu tous les chèques lorsqu'il travaillait aux états financiers en 1995. Il a affirmé que les chèques déposés de nouveau avaient été crédités au compte d'avance de l'actionnaire de l'appelant (transcription de l'audience, page 180). Cependant, même si l'épouse de l'appelant, Jill Leger, a déclaré un revenu provenant d'un salaire dans sa déclaration de revenus de 1993 (pièce A-10), l'appelant n'a pas lui-même déclaré de revenu provenant d'un salaire versé par la société dans sa déclaration de revenus de 1993 (pièce A-3). M. Ogle a expliqué que les chèques de rémunération n'étaient pas déclarés par l'appelant parce qu'il avait décidé à la place de défalquer de son compte d'avance de l'actionnaire le montant des chèques qui étaient établis à son ordre. En d'autres termes, l'appelant considérait les chèques émis par la société comme un remboursement de dette et non comme un salaire (transcription de l'audience, page 187). Les chèques étaient donc émis puis appliqués en réduction de son compte d'avance de l'actionnaire (transcription de l'audience, page 183). Les sommes se rapportant au compte « prélèvements » inscrites par M. Muldoon lorsqu'il a consigné les chèques établis à l'ordre des deux actionnaires dans les livres comptables ont finalement été supprimées, en ce qui concerne l'appelant, pour être appliquées à son compte d'avance de l'actionnaire. Le montant de ce compte a donc été réduit d'une somme de 20 000 $ (voir la pièce A-1, « prélèvements » , et la pièce A-12, page 3). La même mesure a été prise à l'égard de trois autres postes - « compte débiteur ramené à zéro » , « correction - salaires » et « retraits - 5 x 750 » - mentionnés dans la pièce A-1. Les sommes figurant sous ces postes ont été retranchées du compte d'avance de l'actionnaire avant que les états financiers de 1994 ne soient terminés.

[20]     Toutefois, les sommes investies à nouveau par Jill Leger se sont traduites par une augmentation du solde du compte d'avance de l'actionnaire de l'appelant puisqu'elle a payé de l'impôt sur les chèques de rémunération qui ont été déposés de nouveau dans le compte de la société. L'appelant et M. Ogle ont expliqué qu'au lieu de laisser Mme Leger tenter d'encaisser ses chèques et de donner l'argent à son mari pour qu'il puisse l'investir à nouveau dans la société, ils ont estimé plus facile et plus sûr que Mme Leger se contente d'endosser les chèques pour qu'ils soient déposés de nouveau dans le compte de la société puisque la banque aurait pu ne pas les honorer s'ils avaient été présentés à l'encaissement.

[21]     Dans leur témoignage, Earle Loftman, l'agent des appels, et Sue Murray, la vérificatrice, qui travaillaient tous deux pour l'ADRC, ont affirmé qu'ils avaient refusé la perte au titre d'un placement d'entreprise en litige parce qu'ils ne disposaient pas à ce moment du grand livre général complet et des états financiers définitifs de l'exercice 1994 de la société. Ils ont tous deux affirmé qu'il y avait lieu de procéder à un examen pour vérifier les inscriptions sous-jacentes aux sommes figurant dans les états financiers. C'est la raison pour laquelle ils auraient préféré avoir analysé le grand livre général de la société, ce qui leur aurait permis de vérifier les mouvements des fonds et de déterminer si les sommes investies par l'appelant dans la société étaient bien dues par la société. En réalité, ils ont seulement vu des extraits du grand livre général. Ils ont pu constater que les sommes étaient investies dans la société par l'appelant, mais ils n'étaient pas en mesure de vérifier les inscriptions faites dans les autres comptes. Selon eux, les documents présentés ne suffisaient pas à étayer l'allégation de l'appelant voulant qu'il ait une créance sur la société. Il leur était impossible de vérifier ce que la société avait fait de l'argent et de déterminer si les sommes avaient été remboursées à l'appelant. Ils ont soutenu que le compte d'avance de l'actionnaire ne reflétait pas, à lui seul, toutes les activités au sein d'une entreprise qui sont liées aux opérations d'un actionnaire. Ils doivent examiner les inscriptions faites dans d'autres postes du grand livre général ayant un rapport avec le compte d'avance de l'actionnaire. C'est pourquoi ils ont refusé la perte; ils n'avaient pas eu l'occasion de voir les documents sous-jacents montrant comment chacune des opérations effectuées par la société avait été consignée.

Analyse

[22]     L'appelant souhaite déduire de son revenu pour l'année d'imposition 1994 85 069 $ de plus que la somme accordée par le ministre à titre de perte au titre d'un placement d'entreprise. Selon la thèse de l'intimée, l'appelant ne s'est pas acquitté de son obligation de prouver qu'il avait droit à cette déduction. Il faut se rappeler en l'espèce que la seule question soulevée par l'intimée dans sa réponse est celle de savoir si l'appelant avait une créance sur la société au 30 mai 1994. En effet, il ressort sans équivoque de la réponse que le ministre ne s'est pas appuyé sur d'autres faits pour établir la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, et la preuve présentée à l'instruction ne va pas au-delà de la question de l'existence d'une créance. Par conséquent, l'appelant a l'obligation d'établir, suivant la prépondérance des probabilités, qu'à la date de la faillite, il avait sur la société une créance correspondant à la somme qu'il veut déduire de ses revenus.

[23]     Dans ses observations écrites, l'avocate de l'intimée a fait valoir que l'appelant a omis de fournir des documents étayant sa demande de déduction. Selon elle, l'appelant avait l'obligation de tenir des registres et des livres de comptes pour la société. Elle a en outre affirmé que certains des documents présentés ont été établis par des personnes qui n'ont pas comparu devant la Cour pour rendre témoignage quant à la véracité de ces documents et à la façon dont ils ont été préparés. Elle a également soutenu que l'appelant, lorsqu'il a omis de produire une déclaration de revenus et des états financiers pour la société, a empêché l'ADRC de procéder à une vérification qui aurait permis d'évaluer avec exactitude le montant de la perte au titre d'un placement d'entreprise. L'intimée s'est aussi interrogée sur l'écart entre la somme (69 879 $) initialement déduite par l'appelant dans sa déclaration de revenus de 1994 et la nouvelle somme demandée (85 069 $). À son avis, il n'existe aucune explication plausible justifiant cette différence. Enfin, l'intimée a avancé que l'appelant n'a pas réussi à établir l'existence d'un lien entre les fonds empruntés et la société ou le fait qu'il a prêté de l'argent à celle-ci avec l'intention de donner naissance à une créance.

[24]     Je conviens avec l'avocat de l'appelant que les observations de l'intimée sont inexactes lorsqu'elle affirme que l'appelant a empêché l'ADRC de procéder à une vérification. La preuve a révélé que l'ADRC était en possession d'un nombre relativement grand de documents à ce stade. Même si les états financiers définitifs et le grand livre général complet de la société n'ont pas été fournis à la vérificatrice ni à l'agent des appels, d'autres documents l'ont été et ils ont eu l'occasion de les analyser. Il ne faut pas oublier que la société a déclaré faillite en mai 1994; il n'est pas étonnant que certains documents n'aient pas été en la possession de l'actionnaire de la société une fois le syndic de faillite désigné. Dans son témoignage, M. Ogle a mentionné que son cabinet avait reçu le mandat d'établir les états financiers pour l'exercice se terminant le 28 février 1994, ce qu'il a fait en août 1995. À la demande du syndic de faillite, les états n'ont pas été terminés. M. Ogle a subséquemment examiné les états financiers lorsqu'un avis d'opposition concernant les cotisations visées par le présent appel a été produit. Si je comprends bien, il s'est appuyé sur les renseignements donnés dans ces états financiers et sur le grand livre de la société, dont il avait possession à ce moment, pour préparer la pièce A-1 et discuter de la demande de l'appelant avec l'agent des appels.

[25]     Je suis également d'accord avec l'avocat de l'appelant lorsqu'il soutient que la preuve documentaire présentée à la Cour établit, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant et le comptable de l'entreprise ont traité l'argent investi dans la société comme s'il s'agissait d'un prêt, puisqu'il a été comptabilisé dans le compte d'avance de l'actionnaire auprès de la société avant la faillite déclarée en mai 1994. La preuve documentaire a été produite sans que l'intimée ne s'y oppose. Il est maintenant trop tard pour avancer que ceux qui ont établi ces documents auraient dû comparaître à l'audience pour témoigner quant à leur véracité. Je conviens en outre avec l'appelant que le point en litige dans la présente affaire est une question de fait. Il s'agit de savoir si la société devait à l'appelant une somme supplémentaire de 85 069 $ au 28 février 1994 (date de la fin de son exercice) ou au 30 mai 1994 (date à laquelle la société a déclaré faillite). Le fait qu'une somme moindre a initialement été demandée à`titre de déduction ne doit pas empêcher l'appelant de demander une déduction pour la perte qu'il a réellement subie. Contrairement à ce qu'a laissé entendre l'intimée, j'estime que ce fait n'est pas suffisamment important pour mettre en doute la crédibilité de l'appelant et de M. Ogle.

[26]     Les diverses sommes que l'appelant affirme avoir prêtées ou avancées à la société sont énumérées dans la pièce A-1 et l'appelant, dans son témoignage, a déclaré qu'il n'a jamais été remboursé.

[27]     Je suis persuadée que l'appelant a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a réellement avancé les sommes en cause à la société. Les chèques oblitérés, les bordereaux de dépôt, le livret de dépôt de la société, le grand livre relatif au compte d'avance de l'actionnaire, les sommes préliminaires établies par le comptable de l'entreprise, le fait que les états financiers n'étaient pas terminés, la lettre de Maurice Leger et tous les autres documents mis en preuve, conjugués au témoignage de l'appelant et de son expert-comptable, M. Ogle, sont suffisamment convaincants, à mon sens, pour montrer que l'appelant disposait des fonds nécessaires pour faire les avances à la société, qu'il a en réalité fait de telles avances et qu'il a traité ces avances comme des prêts, lesquels n'ont finalement jamais été remboursés.

[28]     Quant aux honoraires d'avocat et aux frais de financement, l'appelant a produit tant de la preuve documentaire que des témoignages de vive voix pour étayer les sommes réclamées à ce titre. Je suis également convaincue que l'appelant a payé ces dépenses pour le compte de la société avec l'intention d'être remboursé par cette dernière lorsqu'elle aurait retrouvé la santé financière. Le fait que l'hypothèque consentie aux Aubé était garantie par un terrain dont l'épouse de l'appelant était la propriétaire inscrite est, selon moi, dénué de pertinence puisque l'appelant veut déduire les dépenses qu'il a lui-même engagées afin de garantir cette hypothèque pour le compte de la société. En ce qui a trait aux dépenses que l'appelant a personnellement payées pour faire enlever le plafond électrique appartenant à la société, elles ont été consignées par M. Muldoon dans le compte d'avance de l'actionnaire de l'appelant. Je suis convaincue que ces dépenses ont été engagées par l'appelant pour le compte de la société et qu'il avait l'intention de se faire rembourser par celle-ci.

[29]     Enfin, en ce qui concerne les chèques déposés de nouveau, je suis persuadée que le comptable a régulièrement comptabilisé les sommes en cause. Les chèques émis à l'ordre de l'appelant ont été pris en considération pour réduire le compte d'avance de l'actionnaire puisque le montant de ces chèques n'était pas inclus dans sa déclaration de revenus. À vrai dire, comme le montre la pièce A-1, une somme totale d'environ 28 000 $ a été utilisée pour réduire le compte d'avance de l'actionnaire; cela correspond à la somme totale de tous les chèques émis à l'ordre de l'appelant (pièce A-8). Ces sommes ont été traitées comme s'il s'agissait du remboursement d'une créance. Cependant, les chèques déposés de nouveau par Jill Leger ont eu pour effet d'augmenter le solde du compte d'avance de l'actionnaire. Même si Jill Leger n'était pas actionnaire de la société, je crois comprendre, à la lumière de la preuve, qu'elle a remis son salaire à son mari pour qu'il puisse investir à nouveau cet argent dans la société. Je signale que l'intimée n'a pas soulevé de question à cet égard pendant l'instruction. De plus, la preuve donne à entendre que l'appelant et son épouse détenaient des comptes conjoints et que leurs fonds étaient mélangés. Il est donc raisonnable de conclure que Jill Leger a en réalité remis ses chèques à son mari pour qu'il prête ces fonds à la société.

[30]     Compte tenu de l'ensemble de la preuve, j'arrive à la conclusion que l'appelant a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la société lui devait une somme supplémentaire de 85 069 $ au 28 février 1994 et au 30 mai 1994. Cette question est la seule à avoir été soulevée dans le cadre de la poursuite. Quant aux autres conditions devant être réunies pour qu'une perte soit assimilable à une perte au titre d'un placement d'entreprise conformément à l'alinéa 39(1)c) de la Loi[1] - c'est-à-dire, l'exigence voulant que l'appelant ait acquis la créance en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien [sous-alinéa 40(2)g)(ii)], que la créance se soit révélée être une créance irrécouvrable au cours de l'année 1994 [l'année donnant lieu à une disposition pour un produit nul suivant le paragraphe 50(1)] et que la perte au titre d'un placement d'entreprise ait été assumée par l'appelant -, l'intimée, dans ses actes de procédure, n'a pas contesté le fait que ces conditions avaient été remplies et elle n'a pas réussi à me convaincre qu'elles ne l'ont pas été. Pour ces raisons, je conclus que l'appelant peut demander une déduction pour perte au titre d'un placement d'entreprise supplémentaire de 85 069 $.

[31]     Les appels sont donc accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre pour qu'il les examine à nouveau et établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l'appelant peut demander une déduction pour perte au titre d'un placement d'entreprise supplémentaire de 85 069 $ pour 1994 et qu'il peut reporter cette perte aux autres années en cause, qu'elles soient antérieures ou ultérieures, conformément à l'alinéa 111(1)a) et au paragraphe 111(8) de la Loi, à la condition que l'appelant accepte de limiter la perte au titre d'un placement d'entreprise qu'il réclame à une somme maximale de 24 000 $ par année d'imposition comme l'exige l'article 18.13 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'octobre 2004.

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2005.

Sara Tasset


RÉFÉRENCE :

2004CCI669

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-350(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Alain Leger c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

OBSERVATIONS ÉCRITES DE L'APPELANT :

OBSERVATIONS ÉCRITES DE L'INTIMÉE :

RÉPONSE ÉCRITE DE L'APPELANT :

Le 12 mars 2004

Le 15 avril 2004

Le 13 mai 2004

Le 27 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me John Clow, c.r.

Avocate de l'intimée :

Me April Tate

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me John Clow, c.r.

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Voir Wierbicki c. Canada, [1996] A.C.I. no 1303 (Q.L.).

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