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Référence : 2006CCI284

Date : 20060516

Dossier : 2005-4285(IT)I

ENTRE :

LOUIS MORRISSETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l'audience le 2 mai 2006 à Montréal (Québec).)

La juge Lamarre Proulx

[1]      Il s'agit d'appels pour les années d'imposition 2002 et 2003.

[2]      Les faits de cette affaire sont décrits au paragraphe 18 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)          l'appelant a travaillé pour le compte de la société BLC Valeurs mobilières inc., (ci-après « VMBL » ) pour la période s'échelonnant de janvier 2000 au mois d'octobre 2002, à titre de conseiller en placement;

b)          l'appelant, le 13 juin 2000, a signé une entente d'emploi avec VMBL;

c)          l'appelant était rémunéré exclusivement sous forme de commissions;

d)          VMBL a émis, entre autres, des feuillets de renseignement T4 au nom de l'appelant pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002 afin de rendre compte des commissions gagnées et des cases étaient remplies afin de montrer les sommes retenues à l'égard des cotisations d'employé pour le régime des rentes du Québec et des cotisations à l'assurance-emploi;

e)          l'appelant a réclamé des sommes à titre d' « autres dépenses d'emploi » , pour chacune des années d'imposition 2000, 2001 et 2002, de ces années d'imposition seule la déclaration de revenus 2002 étant disponible et à cette dernière était joint le formulaire T2200 intitulé « Déclaration des conditions de travail » ;

f)           le 15 octobre 2002, VMBL a signifié à l'appelant sa cessation d'emploi, selon les modalités suivantes :

i)           l'emploi prendra fin le 16 octobre 2002,

ii)          versement d'une somme de 20 000 $, à titre d'indemnités, plus une somme additionnelle de 5 000 $ dans six mois,

iii)          l'appelant s'engageait à ne pas divulguer les termes de l'entente,

iv)         l'appelant s'engageait à ne pas solliciter sa clientèle dont il gérait les fonds dans la dite société,

v)          l'acceptation de cette entente était confirmée par la signature de l'appelant et constituait une transaction totale, complète et finale de toutes réclamations ou plainte de quelque nature que ce soit;

g)          VMBL a émis un feuillet T4A au nom de l'appelant en montrant dans la case « autres revenus » une somme de 20 000 $, à l'égard de l'année d'imposition 2002;

h)          pour l'année d'imposition 2003, VMBL a confirmé au ministre que la somme de 5 000 $ constituait un revenu au même titre que celle de 20 000 $ versée en 2002;

i)           le ministre a considéré que les deux paiements de 20 000 $ et de 5 000 $ constituaient une rémunération reçue à titre de contrepartie totale ou partielle d'un engagement prévoyant que l'employé doit faire ou ne pas faire, avant ou après la cessation de l'emploi.

[3]      Le paragraphe 6(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) se lit comme suit :

6(3)       Paiements faits par l'employeur à l'employé-- La somme qu'une personne a reçue d'une autre personne :

a)          soit pendant une période où le bénéficiaire était un cadre du payeur ou un employé de ce dernier;

b)          soit au titre ou en paiement intégral ou partiel d'une obligation découlant d'une convention intervenue entre le payeur et le bénéficiaire immédiatement avant, pendant ou immédiatement après une période où ce bénéficiaire était un cadre du payeur ou un employé de ce dernier,

est réputée être, pour l'application de l'article 5, une rémunération des services que le bénéficiaire a rendus à titre de cadre ou pendant sa période d'emploi, sauf s'il est établi que, indépendamment de la date où a été conclue l'éventuelle convention en vertu de laquelle cette somme a été reçue ou de la forme ou des effets juridiques de cette convention, il n'est pas raisonnable de considérer cette somme comme ayant été reçue, selon le cas :

c)          à titre de contrepartie totale ou partielle de l'acceptation de la charge ou de la conclusion du contrat d'emploi;

d)          à titre de rémunération totale ou partielle des services rendus comme cadre ou conformément au contrat d'emploi;

e)          à titre de contrepartie totale ou partielle d'un engagement prévoyant ce que le cadre ou l'employé doit faire, ou ne peut faire, avant ou après la cessation de l'emploi.

[4]      La première question est de savoir si l'appelant était en relation d'emploi avec la société BLC Valeurs mobilières inc. (ci-après « VMBL » ) pour la période de janvier 2000 au mois d'octobre 2002, à titre de conseiller en placement.

[5]      La deuxième question est de savoir si un montant de 20 000 $, reçu dans l'année 2002, l'a été à titre de la rémunération des services au sens du paragraphe 6(3) de la Loi.

[6]      La troisième question est de savoir si un montant de 5 000 $, reçu dans l'année 2003, l'a été à titre de contrepartie d'un engagement prévoyant ce que l'employé doit faire ou ne peut faire après la cessation de l'emploi, au sens de l'alinéa 6(3)e) de la Loi.

Première question : l'appelant était-il un employé (position de l'intimée) ou un travailleur autonome (position de l'appelant)?

[7]      Dans la présente affaire, tous les documents produits décrivent une relation contractuelle d'emploi. Le 13 juin 2000, il y a une entente écrite d'emploi entre l'appelant et VMBL. Elle est signée par les deux parties (pièce A-1). En date du 15 octobre 2002, il y a une entente mettant fin à l'emploi (pièce A-2). L'appelant lui-même dans sa déclaration de revenu pour l'année 2002 déclare son revenu comme un revenu d'emploi au montant de 19 826,91 $.

[8]      Brièvement, en ce qui concerne les conditions de travail de l'appelant, il travaillait dans un bureau fourni par VMBL. Il était rémunéré par commissions. Sa performance était évaluée par un chef de bureau.

[9]      L'intention commune des parties est importante. Voir les décisions de la Cour d'appel fédérale dans Wolf c. Canada, 2002 4 C.F. 396 et Royal Winnipeg Ballet v. M.N.R., 2006 FCA 87. Cette intention se manifeste plus particulièrement par les ententes et les modalités de travail.

[10]     En conclusion, selon la prépondérance de la preuve, il s'agissait d'un contrat de travail et non d'un contrat d'entreprise.

Deuxième question : la nature du montant de 20 000 $

[11]     L'appelant considère ce paiement comme le paiement d'une vente de clientèle et indique ce montant dans sa déclaration de revenu pour l'année 2002 comme un gain en capital au montant de 9 704,12 $. L'appelant prétend que ce montant a été calculé en fonction de ses actifs sous gestion au moment de son départ.

[12]     Il est à noter qu'aucun document émanant de l'employeur n'identifie ce montant comme étant le paiement d'une vente de clientèle.

[13]     L'employeur émet un T4A-2002 et indique ce montant comme étant un autre revenu afférent au revenu d'emploi.

[14]     L'entente de cessation d'emploi du 15 octobre 2002 (pièce A-2), à sa clause 2, dit ceci relativement au montant de 20 000 $ :

2.          Nous vous verserons un montant de 20 000 $, moins les déductions applicables, à titre d'indemnité, ...

[15]     Monsieur Ruest, vice-président Finances de VMBL, a affirmé qu'il s'agissait d'une indemnité de départ calculée sur le montant de revenu de commissions pour l'année du départ. Ce montant tel que déclaré pour l'année 2002 était de 19 826,91 $. Selon le témoin, cette indemnité a été payée pour satisfaire aux différents montants que l'employeur doit payer au départ d'un employé. À cet égard, il faut lire la clause 7 de cette même entente :

7.          Votre acceptation de la présente confirmée par votre signature, constitue une transaction totale, complète et finale de toutes réclamations ou plaintes de quelque nature que ce soit que vous avez ou pourriez avoir contre Valeurs mobilières Banque Laurentienne, ses mandataires, fiduciaires ou autres représentants incluant toute réclamations en dommage, salaire, paie de vacances, rémunération incitative, avantages sociaux, préavis, indemnité de départ, ou tout autre bénéfice relié à votre emploi avec valeurs mobilières Banque Laurentienne et exclura tout recours judiciaire que vous pourriez avoir contre eux.

[16]     En conclusion, selon la prépondérance de la preuve, le montant de 20 000 $ est de la nature d'une indemnité de départ. Elle a été payée en conformité avec une convention passée pendant que le bénéficiaire était un employé de VMBL et il s'agit d'une somme qui peut raisonnablement être considérée à titre de rémunération des services rendus par l'appelant conformément au contrat d'emploi au sens du paragraphe 6(3) de la Loi.

Troisième question : le paiement du montant de 5 000 $

[17]     Qu'en est-il de ce montant? S'agit-il d'une contrepartie totale ou partielle d'un engagement prévoyant ce que l'employé doit faire ou ne peut faire avant ou après la cessation de l'emploi au sens du paragraphe 6(3) de la Loi ou s'agit-il d'un paiement en capital pour la vente d'un droit dans la clientèle?

[18]     Relativement à ce montant, la clause 2 de l'entente de cessation d'emploi se lit ainsi :

2.          Nous vous verserons ..., plus un montant additionnel de 5 000 $ dans six (6) mois, si VMBL a conservé au moins 75% de vos actifs sous gestion.

[19]     Une lettre de monsieur Yves Gauvreau en date du 11 novembre 2002 a comme objet « Rétention de la clientèle » . Cette lettre a été produite comme pièce A-7, elle se lit comme suit :

Pour faire suite à l'entente convenue lors de votre départ quant au sujet en rubrique, nous avons évalué vos actifs sous gestion à 8 103 829,37 $.

Par conséquent, au 16 avril 2003 soit 6 mois après la date de votre départ, Valeurs mobilières Banque Laurentienne devra avoir conservé 75% de la valeur de ces actifs, c'est-à-dire 6 077 872,02 $. Sans quoi, le montant de 5 000 $ prévu à l'entente, ne pourra vous être versé.

[20]     La pièce A-3 est un document émanant de VMBL. On y lit que la raison du paiement de 5 000 $ est « paiement final - Vente clientèle » .

[21]     Pour l'analyse de la nature de ce montant de 5 000 $, je me réfère à la décision de la Cour suprême du Canada dans Gifford c. Canada, [2004] 1 R.C.S. 411 et à une décision de la Cour d'appel du Québec dans Valeurs Mobilières Banque Laurentienne Inc. c. Fernand Lefrançois, 2004 IIJCan 10447 (QC C.Q.).

[22]     Dans ces affaires, il a été constaté que bien que les clients appartiennent à l'institution financière, les représentants peuvent vendre un certain droit de propriété qui serait un droit dans l'achalandage, tel qu'exprimé au jugement de la Cour suprême dans Gifford, précité. Je cite partie de l'article 20 de ce jugement :

20         M. Bentley avait à vendre un achalandage qui s'est développé au fil des ans par suite des transactions avec ses clients, ...

[23]     Monsieur Bentley était un employé de Midland Walwyn Capital Inc. Pour ce droit à l'achalandage, monsieur Gifford, également un employé de la même société, a accepté de payer 100 000 $.

[24]     Il en va de même dans la décision de la Cour du Québec à laquelle l'appelant s'est référé. Dans cette affaire, monsieur Lefrançois a accepté d'acquérir auprès de la VMBL la liste d'un monsieur Auclair pour la somme de 50 000 $. Cette entente avait été négociée entre messieurs Lefrançois et Auclair.

[25]     Comme on a vu dans les deux décisions citées ci-dessus, bien que les clients appartiennent à l'institution financière, un certain droit à l'achalandage est la propriété du conseiller en gestion et peut être sujet à vente.

[26]     Se retrouve-t-on dans la même situation ici?

[27]     Dans les ententes écrites entre VMBL et l'appelant, aucun montant n'est accordé pour la clause de non-sollicitation ou de non-concurrence. La contravention à cet engagement serait la réclamation de dommages-intérêts par VMBL. Toutefois, plusieurs pièces de la preuve écrite décrivent le montant de 5 000 $ comme étant un paiement relatif à la clientèle de l'appelant. Je suis donc d'avis que le montant de 5 000 $ a été payé par VMBL relativement à un certain droit de l'appelant dans sa clientèle.


[28]     En conclusion, l'appel est rejeté pour l'année 2002 et est accordé pour l'année 2003.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2006.

« Louise Lamarre Proulx »

Juge Lamarre Proulx


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI284

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-4285(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               LOUIS MORRISSETTE c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 1er mai 2006

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                    le 5 mai 2006

DÉCISION RENDUE

ORALEMENT :

le 2 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :

le 16 mai 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant:

l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée:

Me Mounes Ayadi

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                   Nom :                             

                   Étude :

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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