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Dossier : 2003-2882(EI)

ENTRE :

LES GRAPHIQUES BUSCOM INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 mars 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Représentant pour l'appelante :

Jean-Marc Fillion

Avocate de l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 16e jour de juillet 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2004CCI482

Date : 20040716

Dossier : 2003-2882(EI)

ENTRE :

LES GRAPHIQUES BUSCOM INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 26 mars 2004.

[2]      Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité des emplois occupés par monsieur Denis Fillion et monsieur Alexandre Laporte, les travailleurs, lorsqu'à l'emploi de l'appelante pour la période allant du 1er janvier 2002 au 22 mai 2003. Le 1er août 2003, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a informé l'appelante de ses décisions selon lesquelles les travailleurs occupaient un emploi assurable. En rendant ses décisions, le Ministre s'est appuyé sur les faits présumés suivants :

a)          L'appelante exploite une entreprise de vente d'ordinateurs et de logiciels. (admis)

b)          Le principal produit vendu par l'appelante est le logiciel AUTOCAD. (admis)

c)          L'appelante personnalise le logiciel aux besoins du client, dispense la formation aux utilisateurs du logiciel et en assure son intégration. (admis)

d)          Les principaux clients de l'appelante sont des entreprises manufacturières ou d'ingénierie. (admis)

e)          Les bureaux de l'appelante sont ouverts du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 17 h 00. (admis)

f)           Les travailleurs sont membres du conseil d'administration de l'appelante. (nié)

g)          M. Denis Fillion est vice-président aux opérations et à la technique. (admis)

h)          M. Alexandre Laporte est vice-président aux ventes et au marketing. (admis)

i)           Le conseil d'administration se réunit à tous les lundis. (admis)

j)           En tant qu'administrateurs, les travailleurs sont appelés à prendre des décisions concernant les opérations de l'appelante. (admis)

k)          Les principales tâches de M. Denis Fillion sont de s'occuper de l'infrastructure de l'entreprise, du choix de la gamme des produits, de l'évaluation des produits, de la direction technologique, des ressources techniques et de l'embauche du personnel touchant sa division. (admis)

l)           M. Alexandre Laporte s'occupe de tout ce qui touche à l'aspect extérieur de l'entreprise, il s'occupe de la mise en marché, de la publicité et de la vente des produits, des relations avec les fournisseurs et de l'embauche du personnel de sa division. (admis)

m)         Les travailleurs travaillent à la place d'affaires de l'entreprise de l'appelante. (admis)

n)          Ils travaillent généralement durant les heures d'ouverture de l'appelante. (nié)

o)          L'appelante fournit aux travailleurs tout l'équipement nécessaire. (admis)

p)          Ils n'encourent aucune dépense dans le cadre normal de leur travail, toutes leurs dépenses sont assumées par l'appelante. (admis)

q)          Tous comme les autres employés de l'appelante, les travailleurs bénéficient d'une assurance-maladie et d'une assurance-salaire. (nié)

r)           En tant qu'administrateurs de l'appelante, ils bénéficient en plus d'une assurance-invalidité et d'une assurance-vie. (nié)

s)          Les travailleurs ont droit à trois semaines de vacances annuelles, un standard dans l'entreprise. (admis)

t)           Chacun des travailleurs a droit à une semaine supplémentaire de vacances durant la période des Fêtes. (admis)

u)          Les travailleurs, comme tous les autres employés de l'appelante, ont droit à six jours de congé de maladie payés par année. (nié)

v)          En 2002, la rémunération annuelle de M. Denis Fillion a été de 98 353 $ et celle de M. Alexandre Laporte de 107 824 $. (admis)

w)         La rémunération de chacun des travailleurs avait été déterminée selon des comparables dans l'industrie. (admis)

x)          L'appelante avait le pouvoir de contrôler le travail des travailleurs. (nié)

y)          Les tâches des travailleurs sont intégrées aux activités de l'appelante. (admis)

[3]      L'appelante a admis tous les faits présumés du Ministre sauf ceux énoncés aux alinéas f), n), q), r), u) et x).

[4]      L'appelante a répliqué à la Réponse à l'avis d'appel préparée par le Ministre dans un document produit à l'audition sous la cote A-1.

[5]      Cette preuve, produite par l'appelante à l'audition, est reproduite presque intégralement ci-dessous :

[...]

3-          Pour l'allégué 5, nous l'admettons sauf pour les sous-alinéas f, n, p, r, u et x;

            Nous ajoutons ce qui suit aux sous-alinéas suivants :

f)           Les travailleurs sont aussi actionnaires de l'entreprise et sont soumis à une convention unanime entre actionnaires.

            Cette situation est arrivée en 1993 lors d'un gel successoral qui avait pour but de;

a)          Planifier la succession à la direction de l'entreprise;

b)          Leur permettre de bénéficier de leurs efforts individuels dans le succès de l'entreprise;

c)          Leur léguer en héritage une entreprise fonctionnelle qu'ils auraient contribué à construire.

n)          Ils excèdent souvent et régulièrement les heures normales d'ouverture de l'entreprise. Ils arrivent généralement les premiers et sont les derniers à quitter. Ils travaillent fréquemment les soirs et fin de semaine. Lorsqu'ils vont en voyage ou prennent des vacances, ils demeurent en contact avec le bureau au moyen de leurs téléphones cellulaires et de leurs ordinateurs portatifs. Ils s'assurent qu'au moins un des deux est présent au bureau enfin [sic] d'assurer une présence de l'administration. Ceci se fait sans compensation pécuniaire ou congés supplémentaires. Ils se comportent ainsi comme tout propriétaire d'entreprise.

q, r)       Ces deux allégués doivent être considérés ensemble et confirment leurs statuts particuliers. L'alinéa r) en particulier permettra de satisfaire aux exigences de la convention unanime entre actionnaires.

u)          Ce sont des conditions de base pour tous. Il ne fait cependant aucun doute dans l'esprit du conseil d'administration que cette condition serait appliquée différemment pour les administrateurs.

x)          La façon d'exécuter le travail n'est pas contrôlée. L'exécution du travail doit se faire selon des normes qui respectent les lois et la bonne gouvernance de l'entreprise.

            Le président ne possède par les connaissances techniques requises pour vérifier la façon d'exécuter le travail.

[...]

5-          Allégué 7. Nous le rejetons. Un transfert de responsabilités pour la gestion et l'orientation de la compagnie a été effectué envers Denis Fillion et Alexandre Laporte basé sur la confiance, des liens affectifs, une vision commune et leur compétence démontrée. Denis Fillion et Alexandre Laporte sont aussi soumis à une entente entre actionnaires qui est beaucoup plus contraignante que l'entente habituelle avec les autres employés. De plus Denis Fillion est ingénieur et sa venue dans l'entreprise a été faite à l'origine dans le but d'assurer une succession éventuelle.

[...]

8-          Denis Fillion et Alexandre Laporte exercent ensemble le contrôle effectif de la compagnie. Ils n'ont pas le contrat de travail habituel signé par les autres employés. Ils sont actionnaires en raison de leur lien de dépendance. Nous expliquons plus loin le cheminement qui a mené à la situation actuelle.

[...]

CONTRÔLE :

Le payeur ne peut contrôler leur travail par le fait de leur présence sur les lieux de travail. Dans leur département respectif, ils sont les seuls qui peuvent décider du comment et pourquoi de leurs décisions. Ils sont en possession des connaissances technologiques et commerciales sur les produits et services rendus aux clients.

Le fait qu'ils soient soumis à une entente entre actionnaires qui force la prise de décisions majeures à l'unanimité ne change en rien leur contrôle effectif. Jean-Marc Fillion, l'actionnaire qui détient le contrôle légal est soumis aux même règles. Par contre, le contrôle absolu qu'ils ont dans leur domaine respectif enlève toute possibilité d'agir à l'actionnaire de contrôle.

Au surplus, ils ont une clause pénale très restrictive en ce qui concerne la compétition. Cette clause ne se retrouve pas dans les autres contrats.

Il semble que la jurisprudence soit beaucoup plus contraignante dans l'application de ces clauses de non-compétition dans le cas d'actionnaires.

PROPRIÉTÉ DES OUTILS :

Il est vrai que les ordinateurs et équipements de bureau sont la propriété de BusCom dont ils sont actionnaires. Par contre, les vrais outils de travail, comme les connaissances technologiques et contacts d'affaires sont bien sous leur contrôle effectif. Ceci a été rendu possible par leurs liens de dépendance. Aucun autre employé ne possède ce niveau de contrôle.

RISQUES DE PERTES FINANCIÈRES / POSSIBILITÉ DE GAINS FINANCIERS :

Leur rémunération salariale n'est qu'un volet des compensations financières. Leur participation au capital action de la compagnie fait que le gain peut être grandement amélioré ou diminué selon que la compagnie fait des gains ou pertes.

De plus, la convention unanime entre actionnaires les force à investir des sommes supplémentaires si nécessaire, endosser des marges de crédit ou emprunts lorsque requis.

Considérant que la compagnie a une marge de crédit de 250,000 $, leurs pertes pourraient être très significatives.

INTÉGRATION

Leurs fonctions sont parfaitement intégrées aux activités de BusCom. Leur statut d'actionnaires permet le niveau de contrôle effectif qu'ils ont sur leurs tâches.

[6]      En outre, l'appelante soutient que l'agent des appels, en recommandant sa décision au Ministre a omis de considérer les faits suivants :

En 1993, les actionnaires JM Fillion, Monique Choquette et Denis Fillion ont fait un gel successoral.

Les buts de ce gel successoral étaient de 3 ordres, listés par ordre d'importance :

1-          Assurer la succession à la direction de l'entreprise. Chacun des nouveaux actionnaires devait se tailler une place dans la hiérarchie et l'exécution des tâches.

Cela faisait partie de leur formation en vue d'assurer une nouvelle direction lors du retrait de la vie active du président fondateur, JM Fillion.

Plus de 10 ans se sont écoulés et D Fillion et A Laporte ont développé un leadership et des connaissances reconnues de tous. On peut maintenant affirmer que les transferts d'autorité ont été effectués avec succès. Le président actuel ne prend aucune décision dans le cours normal des opérations. Il agit surtout à titre de mentor et accomplit des actions administratives courantes à temps partiel.

2-          Assurer une participation aux profits de l'entreprise. En effet, lors du gel successoral, la valeur de l'entreprise a été fixée à 800,000 $.

Cette somme a été payée au cours des ans aux actionnaires existants lors du gel successoral, JM Fillion, Monique Choquette et D. Fillion.

La compagnie possédait un avoir des actionnaires de 1,887,000 au 31 décembre 2002. Cette valeur n'est valable que si elle demeure opérationnelle ou est vendue à un acquéreur qui opère la compagnie.

La part de chacun des actionnaires se situe donc à :

JM Fillion          622,000 $

D Fillion            434,000 $

A Laporte         340,000 $

H Fillion            245,000 $

P Fillion             245,000 $

Étant donné que l'actionnaire de contrôle JM Fillion ne gère plus la compagnie au jour le jour et que tout repose sur les décisions de D Fillion et Alexandre Laporte, nous pouvons immédiatement voir leurs pertes financières s'ils s'avisaient de quitter la compagnie.

Vu l'impossibilité pour JM Fillion de reprendre le contrôle effectif, celle-ci serait sans doute liquidée à une valeur inférieure.

[7]      En outre, l'appelante a ajouté que :

Les Graphiques BusCom Inc. est une PME familiale au sens propre du terme. Chacun des membres actionnaires y joue un rôle vital de par ses liens de dépendance. Si un des membres de la direction quitte, l'impact serait trop grand pour assurer la continuité.

L'actionnaire de contrôle actuel, JM Fillion ne désire pas reprendre du service à plein temps et recommencer à former une relève. Les héritiers de fait de l'entreprise sont en contrôle et leur avenir est entre leurs mains.

[8]      Le Ministre a conclu que les emplois des travailleurs étaient assurables parce qu'ils rencontraient les exigences du contrat de louage de services. Il a examiné les circonstances entourant ces emplois pour déterminer que l'examen des faits lui permettait de conclure que les critères énoncés dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, c'est-à-dire, ceux du contrôle, de la propriété des outils, des chances de gain et risques de perte et de l'intégration, avaient été rencontrés, en l'espèce.

[9]      Le Ministre a conclu, en outre, que le travailleur Denis Fillion et l'appelante étaient des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les motifs exprimés au paragraphe 6 de sa Réponse à l'avis d'appel.

[10]     Cependant il a déterminé qu'après son analyse selon l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi, ils étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux car il était convaincu qu'il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que le travailleur Denis Fillion et l'appelante auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[11]     Cette Cour dans l'arrêt 2679965 Canada Inc. (f.a.s. Produits de Piscine Vogue) c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2003] A.C.I. no 476, avait à décider un litige sur des faits à peu près identiques à ceux sous analyse. Voici le résumé des présomptions de fait décrites au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel dans cet arrêt :

a)          l'appelante a été constituée en société le 7 janvier 1991;

b)          l'appelante faisait affaires sous le nom de Produits de Piscines Vogue;

c)          l'appelante était un manufacturier et un distributeur de piscines et d'accessoires;

d)          l'actionnaire unique de l'appelante était la société Gestion Lebuis et Associés Inc.;

e)          les actionnaires de la société Gestion Lebuis et Associés Inc. étaient

            Guy Lebuis                    60% des actions votantes

            Gilles Lebuis                  20% des actions votantes

            Paul Guay                      20% des actions votantes

f)           Guy Lebuis est le père de Gilles Lebuis;

g)          Paul Guay n'est pas lié à Gilles ou à Guy Lebuis;

h)          l'appelante a un chiffre d'affaires d'environ 28 millions par année et employait entre 75 et 130 employés selon la saison;

i)           le président de l'appelante Guy Lebuis était à chaque jour présent dans les bureaux de l'appelante;

j)           l'appelante avait un conseil d'administration qui se réunissait régulièrement et qui prenait les décisions importantes;

k)          le travailleur Gilles Lebuis était le vice-président marketing de l'appelante;

l)           les tâches du travailleur Lebuis consistaient à s'occuper de la recherche et du développement, du marketing et des ventes;

m)         le travailleur Paul Guay était le vice-président finance de l'appelante;

n)          les tâches du travailleur Paul Guy consistaient à s'occuper des ressources humaines, des opérations, de la comptabilité, des finances et des aspects légaux de l'appelante;

o)          les travailleurs avaient un horaire de travail du lundi au vendredi de 8h00 à 17h00 pour Gilles Lebuis et de 8h00 à 20h00 pour Paul Guay;

p)          les travailleurs travaillaient à l'année longue pour le payeur;

q)          les travailleurs recevaient une rémunération annuelle fixe de 90 000 $;

r)           les travailleurs avaient une automobile fournie par l'appelante;

s)          les travailleurs étaient couverts par une assurance collective comme tous les employés;

t)           toutes les dépenses des travailleurs reliées à leurs tâches étaient assumées par l'appelante;

u)          les travailleurs n'avaient aucun risque de perte ou chance de profit autre que leurs salaires;

v)          les travailleurs travaillaient dans les locaux de l'appelante;

w)         tout l'équipement dont se servaient les travailleurs appartenait à l'appelante;

x)          les services rendus par les travailleurs faisaient partie intégrante des activités de l'appelante.

[12]     Par ailleurs, cette Cour a retenu et désire reproduire les faits pertinents suivants de cet arrêt :

            L'alinéa 5e) a été nié parce que les actions détenues étaient à 2 p. 100 des actions votantes et à 18 p. 100 des actions participantes. En ce qui concerne l'énoncé de l'alinéa 5i) que le président de l'appelante venait chaque jour dans les bureaux de l'appelante, monsieur Gilles Lebuis a expliqué que son père, en 2001, avait 68 ans. Il venait au bureau mais quelques heures et ne s'occupait plus de la gestion quotidienne de l'entreprise. Il n'était plus l'âme dirigeante de l'entreprise.

            Monsieur Gilles Lebuis relate qu'en 2001, les décisions étaient prises par lui et Paul Guay. Ils agissaient comme des partenaires. Ils étaient égaux.

[...]

            En ce qui concerne les alinéas 5o) et 5v), les intervenants travaillaient dans les locaux de l'appelante, mais ils travaillaient aussi chez eux le soir. Lors de leurs vacances, ils restaient en contact avec les activités de l'entreprise.

            En ce qui concerne l'énoncé de l'assurance collective semblable pour tous les travailleurs, selon l'alinéa 5s), la couverture assurance-vie était différente à leur égard. De plus, chacun des partenaires avait pris sur la vie de l'autre une assurance de deux millions de dollars. S'ils voyageaient au même moment, ils prenaient des avions différents.

[...]

            Monsieur Lebuis, en 2001. était le vice-président de la mise en marché, recherche et développement et relations publiques. Il relate qu'il arrive au bureau vers 8 h et quitte vers 18 h 30. Il a les heures irrégulières d'un entrepreneur. C'est lui qui décide de ses heures. Il arrive le premier et part le dernier.

            Le salaire de 90 000 $, c'est lui et monsieur Guay qui en avait décidé ainsi. Ce salaire datait de 1996. Il avait été fondé sur la capacité de payer de l'entreprise ou sa performance et les besoins financiers des deux partenaires.

[...]

            Monsieur Paul Guay est comptable agréé et le vice-président des finances. En ce qui concerne ses heures de travail, il dit qu'il quitte rarement le bureau avant 20 h. Il ne se rapporte à personne. Lui et monsieur Gille Lebuis travaillent ensemble. En septembre 2002, les deux ont décidé de se payer un salaire de 150 000 $.

            Monsieur Jean-Pierre Houle, agent des appels, a témoigné. Il a expliqué que dans cette affaire, il y avait un cas d'une personne avec un lien de dépendance avec le payeur et que l'autre n'avait pas de lien de dépendance. Il a donc jugé que les conditions de travail de monsieur Lebuis étaient semblables à celles d'un autre employé sans lien de dépendance avec l'appelante, ces conditions étant celles de monsieur Guay, qui, selon le témoin, n'avait pas de lien de dépendance avec le payeur. En ce qui concerne le fait que les deux intervenants déterminaient eux-mêmes leur salaire et leurs conditions de travail, il n'y voyait rien d'étonnant puisque ces mêmes personnes déterminaient les salaires et les conditions de travail des employés en général. Dans son rapport, il avait décrit comme un fait que la gestion de l'appelante se faisait conjointement par les deux personnes.

Analyse et conclusion

            Le fondement de la décision de l'agent des appels s'appuyait sur le fait que un des travailleurs n'avait pas de lien de dépendance, ce qui lui permettait d'établir un comparable. Il lui était donc facile de déterminer que les conditions de travail de l'autre travailleur étaient semblables à celles d'une personne qui n'aurait pas eu un lien de dépendance.

[...]

            Dans la décision Fournier c. M.R.N., [1991] A.C.I. no 7, le juge Dussault indique que lorsque les parties agissent de concert, qu'elles ont des intérêts économiques similaires ou encore qu'elles agissent selon une volonté commune, il est généralement admis qu'elles ont un lien de dépendance.

            Dans la présente instance, les deux travailleurs en cause sont aussi les deux décideurs de l'appelante. La preuve a clairement révélé qu'ils agissent de concert avec l'appelante et que ce sont eux qui la dirigent. Il paraît évident qu'il y a un lien de dépendance entre l'appelante et le travailleur dirigeant, monsieur Guay.

            Il ne s'agit donc pas dans cette affaire de déterminer s'il y a un lien de subordination entre l'appelante et les deux travailleurs dirigeants, tel que l'exigerait l'application de l'alinéa 5(1)a) de la Loi mais de savoir si ces emplois sont des emplois exclus, tel que prévu à l'alinéa 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

            La décision du Ministre a été fondée sur la prémisse qu'il n'y avait pas de lien de dépendance entre l'appelante et monsieur Guay. Cette prémisse est erronée. Il m'est donc permis de revoir cette décision. Prenons la modalité du salaire. Un salaire qui reste identique de 1996 à 2001 et qui, par la suite en 2002, est augmenté de 60 000 $ par année ne suit pas les règles habituelles du marché du travail. Les heures de travail, l'implication et l'autonomie des travailleurs ne sont pas non plus celles d'employés sans lien de dépendance avec l'employeur.

            Je conclus, en me fondant sur la rétribution versée et sur la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que les travailleurs et l'appelante n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait eu ce lien de dépendance.

[13]     L'arrêt 2679965 Canada Inc. (f.a.s. Produits de Piscine Vogue), précité, et la cause sous étude ont tellement de similitudes qu'il m'est permis d'en appliquer le principe.

[14]     Mais, pour poursuivre l'analyse sous l'angle envisagé par le Ministre, c'est-à-dire, sous l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, il convient de rappeler que les tribunaux ont déterminé l'assurabilité des emplois en ayant recours aux critères établis dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., précité.

[15]     Après son analyse, le Ministre a conclu, comme il l'a fait, en jugeant que l'appelante avait le pouvoir de contrôler le travail des travailleurs par sa présence au lieu de l'entreprise, à sa présence aux diverses réunions mensuelles et annuelles et au rendement obtenu par le travailleur à la fin de l'année. De plus, l'entente entre actionnaires prévoit que les décisions majeures doivent être prises à l'unanimité.

[16]     Le Ministre a aussi conclu que les outils étaient fournis par l'appelante. Il a aussi déterminé que les travailleurs, étant rémunérés à salaire fixe, n'avaient aucune chance de gain et n'encouraient aucun risque de perte dans le cours normal de leur emploi.

[17]     Finalement, le Ministre a déterminé que les fonctions respectives des travailleurs étaient parfaitement intégrées aux activités de l'appelante.

[18]     Cependant, dans sa réplique à la Réponse à l'avis d'appel, reproduite ci-haut, l'appelante expose un tout autre ordre d'idée quant à l'analyse des emplois sous les critères énumérés. De l'avis de cette Cour, l'analyse des emplois, présentée par l'appelante, sous les critères du contrôle de la propriété des outils, des chances de profit et des risques de perte, est très convaincante.

[19]     Il convient de considérer dans cet exercice certains passages de l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 où la Cour Suprême du Canada s'est penchée sur l'importance relative de ces critères dans une analyse comme celle devant la Cour. Aux paragraphes 46 et 47 de cet arrêt, le juge Major s'exprimait en ces termes :

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l'arrêt Stevenson Jordan, [...], qu'il peut être impossible d'établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [TRADUCTION] "devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d'apporter une réponse toujours claire et acceptable" (p. 416). Je partage en outre l'opinion du juge MacGuigan lorsqu'il affirme -- en citant Atiyah, [...], dans l'arrêt Wiebe Door, p. 563 -- qu'il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

[...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. [...]

            Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, [...], est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

[20]     En regard de ce qui précède, cette Cour est d'avis que l'analyse des emplois des travailleurs sous les critères énoncés dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., précité, ne porte pas à la conclusion qu'il s'agissait de contrats de louage de services puisque le seul critère qui porte à cette conclusion est celui de l'intégration.

[21]     Cette Cour est d'avis que cette conclusion est justifiée en raison de la preuve non réfutée de l'appelante produite dans la pièce sous la cote A-1. En outre, cette conclusion est supportée par l'arrêt 2679965 Canada Inc. (f.a.s. Produits de Piscine Vogue) et l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., précités.

[22]     Donc, cette Cour doit conclure que les travailleurs n'occupaient pas un emploi assurable pendant la période en litige puisque leur emploi n'était pas exercé aux termes d'un contrat de louage de services, au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[23]     En conséquence, l'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 16e jour de juillet 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2004CCI482

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2882(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Les Graphiques BusCom Inc. et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 26 mars 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Jean-Marc Fillion (représentant)

Pour l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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