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Dossier : 2001-1012(EI)

ENTRE :

ANDRÉE BELLERIVE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Daniel Filion (2001-1100(EI)) le 1er décembre 2003 à Trois-Rivières (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Gilbert Nadon

Avocate de l'intimé :

Me Mélanie Bélec

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 27e avril 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2004CCI279

Date : 20040427

Dossier : 2001-1012(EI)

ENTRE :

ANDRÉE BELLERIVE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossier : 2001-1100(EI)

DANIEL FILION,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Trois-Rivières (Québec), le 1er décembre 2003.

[2]      Il s'agit de déterminer si l'emploi occupé par l'appelante Andrée Bellerive, auprès de Daniel Filion, le payeur, du 18 septembre au 6 octobre 2000, était assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[3]      Le 6 mars 2001, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a informé l'appelante de sa décision selon laquelle cet emploi n'était pas assurable parce qu'il était d'avis, après avoir examiné les conditions et modalités de l'emploi, qu'un contrat de travail à peu près semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre elle et le payeur durant la période en litige.

[4]      En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes :

a)          Le payeur exploitait un casse-croûte sous la raison sociale de « Gestion D.P. 2002 Enr. » à Radisson, sur le territoire de la Baie James. (admis)

b)          Le payeur, conjoint de fait de l'appelante, était le seul propriétaire du casse-croûte. (nié)

c)          Le payeur exploitait son commerce de la mi-avril à la mi-octobre de chaque année. (admis)

d)          Depuis la saison 1997, le payeur embauchait l'appelante comme gérante du casse-croûte; elle y travaillait en vertu d'un contrat de louage de services. (admis)

e)          Le 8 juillet 2000, le payeur a cessé l'exploitation de son casse-croûte car il avait en main une promesse d'achat du commerce. (admis)

f)           Le 8 juillet 2000, l'appelante a cessé son travail auprès du payeur et a fait une demande de prestations d'assurance-emploi. (admis)

g)          Le 14 juillet 2000, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante indiquant qu'elle avait travaillé du 30 avril au 8 juillet 2000 et accumulé 500 heures assurables. (admis)

h)          Le 21 août 2000, l'appelante a fait une demande de prestations d'assurance-emploi. (admis)

i)           Le 14 septembre 2000, le DHRC informait l'appelante qu'ils ne pouvaient lui payer des prestations puisqu'elle avait besoin de 910 heures d'emploi assurable pour y avoir droit. (admis)

j)           En réalité, l'appelante n'avait besoin que de 525 heures pour se qualifier. (admis)

k)          Le 16 septembre 2000, l'appelante est retournée seule à Radisson et elle a travaillé au casse-croûte du payeur pour effectuer un grand ménage avant la vente probable du commerce. (admis)

l)           L'appelante a lavé les murs, les miroirs, les bancs, les différents poêles, la hotte, le réfrigérateur et les congélateurs du commerce. (admis)

m)         Le casse-croûte était formé de 3 modules d'habitation dont l'un servait exclusivement au rangement. (admis)

n)          L'appelante a travaillé seule au commerce et dormi dans le casse-croûte car la maison mobile avait été ramenée à Shawinigan-Sud. (admis)

o)          L'appelante prétend avoir travaillé pendant 3 semaines, à raison de 50 heures par semaine, pour effectuer le ménage du casse-croûte alors qu'elle était seule sur place et que ses heures de travail n'étaient pas comptabilisées. (admis)

p)          Durant la période en litige, l'appelante a reçu 500 $ par semaine, plus le 4 % de vacances du payeur alors que ce dernier n'exploitait plus son commerce depuis le 8 juillet et que son entreprise était déficitaire avant sa fermeture. (admis)

q)          Le nombre d'heures prétendu est exagéré compte tenu des tâches effectuées. (nié)

[5]      On remarquera que toutes les présomptions faites par le Ministre ont été admises, sauf celles énoncés aux alinéas b) et q).

[6]      La preuve a démontré que l'appelante, Andrée Bellerive, travaillait comme gérante au casse-croûte de monsieur Daniel Filion, le payeur. Le casse-croûte a cessé ses opérations le 8 juillet 2000. Par contre, du 18 septembre au 6 octobre 2000, le payeur a embauché l'appelante pour faire le ménage du casse-croûte pour une vente éventuelle.

[7]      L'appelante et le payeur demeuraient à la même adresse civique. Le payeur, Daniel Filion, donnait l'adresse de sa résidence au casier postal 55, Radisson, alors que l'appelante donnait directement l'adresse du 80 Iberville, Radisson. Ce fait particulier a été retenu par le Ministre, mais de l'avis de cette Cour, il n'est pas, en soi, très déterminant.

[8]      L'appelante a vigoureusement nié qu'elle était la conjointe de monsieur Filion, le payeur. Aussi, à l'audition, quatre témoins ont témoigné pour l'appelante concernant cette allégation du Ministre énoncée à l'alinéa 5 b) de la Réponse à l'avis d'appel. Pour sa part, l'appelante a témoigné qu'elle n'a jamais été la conjointe du payeur. Elle a déclaré que le payeur avait sa chambre et elle la sienne. Elle a, en outre, déclaré qu'elle était homosexuelle, qu'elle détenait sa propre police d'assurance-maladie et qu'elle payait sa nourriture. Elle a affirmé qu'elle ne poursuivait aucune activité avec le payeur, qu'ils ne faisaient jamais de voyages ensemble. Elle a nié qu'elle voyageait en Floride avec le payeur, mais a admis que ce dernier s'y rendait seul.

[9]      Dans son témoignage, le payeur Daniel Filion a confirmé le fait que lui et l'appelante n'étaient pas conjoints. Il a affirmé qu'il savait que celle-ci était homosexuelle. Pour sa part, il a déclaré qu'il faisait ses affaires, et elle, les siennes.

[10]     La Cour a entendu, par ailleurs, le témoignage de Cathy Roberge, une « bar maid » et ancienne coiffeuse, à qui l'appelante aurait confié qu'elle était homosexuelle et qu'elle n'était pas la conjointe du payeur.

[11]     Pour sa part, un ami du payeur, Réal Lafrenière, a déclaré qu'il connaissait très bien monsieur Filion et qu'effectivement il n'était pas le conjoint de l'appelante. Il a affirmé qu'ils ne sortaient pas ensemble et que monsieur Filion lui rendait visite mais toujours seul, sans l'appelante. Il a ajouté que l'appelante sortait avec ses amies de femmes.

[12]     Par contre, l'avocate du Ministre a déclaré que selon le rapport sur un appel (pièce I-7), deux anciennes employées du payeur, Nancy Bluteau et Stéphanie Fortin ont toutes deux émis l'opinion que l'appelante et le payeur étaient conjoints et qu'ils demeuraient à la même adresse. Madame Bluteau a ajouté qu'ils voyageaient ensemble dans le sud à chaque année.

[13]     Pour sa part, toujours selon ledit rapport sur un appel, madame Céline Leclerc, une employée de la municipalité de Radisson, a affirmé que l'appelante et le payeur agissaient comme des conjoints et qu'ils s'affichaient comme tels.

[14]     Il convient de signaler que la preuve présentée par l'appelante, surtout celle de l'appelante elle-même et du payeur, constitue une preuve directe et que le procureur de l'appelante a raison de faire valoir que sa valeur probante dépasse celle présentée par le Ministre.

[15]     Compte tenu de la preuve présentée à cet égard, cette Cour doit conclure que, selon la prépondérance de la preuve, l'appelante et le payeur ne sont pas conjoints, donc, ne sont pas liés au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[16]     Mais cette Cour conclut également que même s'ils étaient liés, l'examen fait par le Ministre des circonstances énumérées sous l'alinéa 5(3)b) de la Loi, notamment, la rémunération versée à l'appelante, les modalités de l'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, aurait dû l'amener à conclure qu'un contrat de travail avec des conditions à peu près semblables aurait pu être conclu entre des parties non liées.

[17]     L'appelante était rémunérée à raison de 10 $ l'heure pour 50 heures de travail par semaine. Elle recevait le même salaire qu'auparavant comme gérante au casse-croûte. Il est vrai que les opérations du casse-croûte avaient cessé en juillet 2000. Le payeur avait reçu une offre d'achat verbale des autochtones et le chiffre d'affaires était à la baisse, déficitaire selon le Ministre. Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a déterminé que l'appelante avait un emploi assurable jusqu'au 8 juillet 2000, mais parce que ses fonctions étaient différentes, pour la période en litige, son emploi a été considéré non assurable par le DRHC. Ses fonctions étaient différentes puisque les besoins du payeur étaient différents, c'est-à-dire, celui de nettoyer le casse-croûte pour le rendre acceptable au nouveau propriétaire. Le salaire consenti à l'appelante pour ce nouveau travail, dans ses nouvelles fonctions, était le même que celle-ci recevait auparavant, c'est-à-dire 10 $ l'heure. En outre, elle continuait à travailler 50 heures par semaine comme auparavant, en qualité de gérante du casse-croûte.

[18]     En janvier 1998, l'appelante a signé une caution sur un prêt du payeur. L'appelante a dit avoir consenti à la condition que le prêt soit assuré. Le Ministre s'est appuyé sur ce fait, en partie, pour motiver sa décision. Cependant, la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Nicole Guindon-Lalonde c. Canada (Ministre du revenu national - M.R.N.) [1995] A.C.F. no 1348 n'a pas retenu cet argument en infirmant la décision du juge Tremblay de cette Cour, [1995] A.C.I. no 72 basée, en partie, sur ce fait pour déterminer que « Il serait difficile de conclure qu'il s'agit là d'une situation normale d'une employée. Il s'agit plutôt d'une participation dans une aventure commerciale. » Donc, la Cour d'appel fédérale a rejeté cet argument. La preuve orale présentée par l'appelante a révélé que le payeur se rendait au casse-croûte, à Radisson, une fois par semaine ou quatre ou cinq fois, au total, pendant la durée de cet emploi. Le payeur a révélé qu'il faisait confiance à l'appelante. Il lui avait dit quoi faire et elle connaissait son travail. Dans ses tâches, elle travaillait 50 heures par semaine.

[19]     Dans son rapport sur un appel, l'agent des appels fait valoir que l'appelante ne travaillait pas en fonction des besoins de l'entreprise mais plutôt en fonction de ses prestations d'assurance-emploi. Elle ajoute que l'appelante serait retournée au casse-croûte en septembre pour faire du ménage, pendant trois semaines parce qu'elle venait d'apprendre qu'il lui manquait des heures pour se qualifier aux prestations d'assurance-emploi. La preuve de l'appelante a révélé, cependant, qu'elle ignorait le contenu de la lettre du DRHC portant la date du 14 septembre 2000 qui l'informait qu'elle avait besoin de 910 heures d'emploi assurable pour avoir droit aux prestations. Elle n'en avait que 500. D'ailleurs, on peut se demander quelle importance cela aurait pu avoir dans sa démarche puisque les 150 heures qu'elle réclamait, considérant la teneur de la lettre du 14 septembre 2000 du DRHC, ne lui auraient rien valu.

[20]     En se penchant sur le critère de la nature et de l'importance du travail accompli, celui-ci était directement lié au besoin de l'employeur, soit de mettre le casse-croûte dans une condition acceptable à l'acheteur.

[21]     Examinée sous l'angle du critère de la nature et de l'importance du travail accompli, la preuve a révélé que les tâches exécutées par l'appelante, pendant la période en litige, étaient assumées par le payeur au cours des années précédentes et que celles-ci lui prenaient un mois pour les compléter. Aussi, avait-il embauché l'appelante pour un mois parce qu'il jugeait, par expérience, que cette période était nécessaire, mais l'appelante a complété la tâche dans trois semaines. Le Ministre a soutenu, sans autre preuve, que la rémunération était excessive ainsi que la période réclamée par l'appelante pour accomplir ces tâches, directement liées au besoin de l'employeur de rendre le casse-croûte dans une condition acceptable à l'acheteur.

[22]     À mon avis, l'appelante a démontré, par la prépondérance de la preuve, que la conclusion du Ministre était mal fondée.

[23]     Dans des conditions similaires, pendant une période de travail précédente, le Ministre a déterminé que l'emploi de l'appelante était assurable, parce qu'il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services. L'appelante était à l'emploi du payeur depuis 1997 et travaillait à son casse-croûte en qualité de gérante. Mais, pour la période en litige, le DRHC a déterminé que l'emploi de l'appelante n'était pas assurable pour le motif que ses fonctions étaient différentes. En d'autres mots, la mission du payeur étant différente, le travail de l'appelante qui visait à rencontrer les exigences de cette nouvelle mission, devenait non assurable. À mon avis, cette conclusion, pour les motifs invoqués, est erronée.

[24]     À mon avis, il a été démontré que l'emploi de l'appelante était assurable parce qu'il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services.

[25]     Il est inutile de répéter tous les faits qui ont amené le DRHC, dans une requête précédente de l'appelante, à conclure en l'existence d'un contrat de louage de services. Il est vrai que le Ministre n'est pas lié par une décision du DRHC, mais de l'avis de cette Cour, lorsque les faits sont analysés à la lumière des critères énoncés dans la jurisprudence, cette Cour doit conclure que la décision prise par le Ministre était mal fondée.

[26]     La décision du Ministre, examinée à la lumière du principe énoncé dans la jurisprudence, en particulier, dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, porte à la conclusion que les faits retenus par le Ministre n'ont pas été appréciés correctement, en tenant compte du contexte où ils sont survenus. En conséquence, la conclusion dont le Ministre était « convaincu » ne paraît pas raisonnable. Aux paragraphes 3 et 4 de cet arrêt, le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale, statuait comme suit :

Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris.    Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.    L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.    Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.    La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.    La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.    Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[27]     Au terme de cette analyse, selon la consigne statuée par le juge Marceau, cette Cour est d'avis que les faits retenus ou supposés par le Ministre n'ont pas été appréciés correctement; en conséquence, il faut juger que la conclusion dont le Ministre était « convaincu » ne paraît plus raisonnable.

[40]     En conséquence, les appels sont accueillis et les décisions rendues par le Ministre sont annulées.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 27e jour d'avril 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2004CCI279

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-1012(EI) et 2001-1100(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Andrée Bellerive et M.R.N. et

Daniel Filion et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 1er décembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 avril 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelants :

Me Gilbert Nadon

Pour l'intimé :

Me Mélanie Bélec

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelants :

Nom :

Me Gilbert Nadon

Étude :

Ouellet, Nadon et Associés

Montréal (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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