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Dossier : 2003-4461(EI)

ENTRE :

CAMILLE MONGER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Melita F. Bursey-Monger (2003-4459(EI)) le 3 juin 2004, à Sept-Îles (Québec).

Devant : L'honorable juge B. Paris

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Daniel Jouis

Avocate de l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

JUGEMENT

          L'appel est accueilli en partie et la décision du ministre est modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre 2004.

« B. Paris »

Juge Paris


Référence : 2004CCI677

Date : 20041029

Dossier : 2003-4461(EI)

ENTRE :

CAMILLE MONGER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]      L'appelant interjette appel de la décision rendue par le ministre du Revenu national selon laquelle l'emploi qu'il a occupé chez Scierie Mécatina Inc. (le « payeur » ) du 22 novembre 1999 au 26 février 2000, du 27 novembre 2000 au 3 mars 2001 et du 25 février 2002 au 1er juin 2002 n'était pas un emploi assurable suivant l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) parce qu'il avait un lien de dépendance avec le payeur. L'appelant, son frère, Marcel, et sa soeur, Mélanie, étaient les seuls actionnaires du payeur.

[2]      Lorsqu'un employeur et un travailleur ont entre eux un lien de dépendance, le ministre doit, aux termes de l'alinéa 5(3)b) de la Loi, tenir compte de toutes les circonstances de l'emploi et décider s'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. En l'espèce, le ministre a décidé qu'il n'était pas raisonnable de conclure que le payeur et l'appelant auraient conclu un contrat à peu près semblable.

[3]      La seule question que la Cour doit trancher en l'espèce est de savoir si la conclusion du ministre était raisonnable. À cette fin, je dois « vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, [...] décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable » [1].

[4]      Si j'estime que cette conclusion n'était pas raisonnable, je dois réexaminer toutes les circonstances de l'emploi afin de rendre la décision que le ministre devait rendre en application de l'alinéa 5(3)b).

[5]      L'appel a été entendu sur preuve commune avec l'appel de Melita F. Bursey-Monger.

[6]      Les faits sur lesquels le ministre s'est appuyé sont exposés au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel. Je me propose de reproduire les énoncés de fait et d'examiner la preuve se rapportant à chacun d'eux.

a)          Le payeur exploite une scierie, fait de la coupe de bois et s'occupe d'entretien de sentiers de motoneiges;

[7]      Ce fait n'a pas été contesté. La preuve a démontré qu'à l'automne 1998 le payeur a obtenu du ministère des Transports du Québec deux contrats pour l'entretien d'un total d'environ 400 kilomètres de sentiers de motoneige reliant plusieurs petits villages dans la région de Tête-à-la-Baleine où habitait l'appelant. Les deux contrats ont été exécutés simultanément pendant trois hivers. Le payeur a soumissionné relativement au même travail pour la période subséquente commençant en 2001, mais sa soumission n'a pas été prise en considération à cause d'une erreur concernant le dépôt qui devait l'accompagner.

[8]      L'appelant exploitait deux scieries, l'une située à environ 7 kilomètres et l'autre à une quinzaine de kilomètres du village (Tête-à-la-Baleine). Cette dernière n'était accessible que par motoneige en hiver ou par quatre-quatre en été, et le transport du bois destiné à cette scierie et du bois qu'elle produisait ne pouvait se faire qu'en hiver.

b)          le payeur possède 2 moulins à scie, l'un fonctionnant au diesel et l'autre fonctionnant à l'électricité, 2 motoneiges « Alpin » , 8 motoneiges « white track » des grattes et des traîneaux pour le transport des billots;

[9]      Ce fait n'a pas été contesté.

c)          à l'automne 1998, le payeur obtenait 2 contrats d'une durée de 3 ans, pour les hivers 1999, 2000 et 2001, du Ministère des Transports du Québec pour l'entretien de sentiers de motoneiges;

[10]     Ce fait n'a pas été contesté.

d)          chaque contrat couvrait 4 sentiers de motoneiges et s'étendait de Kegaska à Vieux Fort;

[11]     Ce fait n'a pas été contesté. La preuve a démontré que le payeur employait 8 travailleurs pour entretenir les sentiers de motoneige. Ces personnes travaillaient généralement 14 semaines pour le payeur chaque hiver. Marcel Monger, le frère de l'appelant, faisait partie de ces travailleurs. Il était chargé de la supervision de l'entretien des sentiers de motoneige.

e)          la place d'affaires du payeur était située dans la résidence personnelle de Jules et Nicole Monger, parents des 3 actionnaires du payeur, à Tête-à-la-Baleine;

[12]     Ce fait n'a pas été contesté.

f)           durant les périodes où il était inscrit au journal des salaires du payeur, l'appelant rendait de nombreux services sans tenir compte des heures travaillées;

[13]     L'appelant a dit qu'il travaillait 10 heures par jour en moyenne pour le payeur pendant les périodes d'emploi en cause.

g)          l'appelant faisait de la coupe de bois en hiver, le sortait à l'aide de motoneiges et le traînait jusqu'à la scierie, il faisait de l'entretien mécanique des motoneiges et plusieurs petites tâches connexes;

[14]     L'appelant a dit que, pour ce qui est de ses périodes d'emploi en 1999-2000 et en 2000-2001, il a commencé à travailler pour le payeur en novembre, effectuant la mise au point et la réparation des motoneiges et de l'équipement servant à l'entretien des sentiers. Il a aussi coupé les poteaux utilisés pour marquer les sentiers. Après l'ouverture des sentiers, il n'a effectué qu'à l'occasion des travaux d'entretien, et a plutôt consacré son temps à la coupe du bois et à son transport à la scierie. Il a dit aussi qu'il s'occupait de la préparation mécanique de la scierie, si cela s'imposait, ainsi que des réparations qui devaient y être effectuées. Deux autres travailleurs s'occupaient apparemment de faire fonctionner la scierie. L'appelant a également indiqué qu'il transportait le bois de la scierie jusqu'au quai du village afin qu'il soit expédié aux clients.

h)          en 2002, il n'y a pas eu de coupe de bois et l'appelant aurait effectué des réparations à la scierie;

[15]     Le payeur n'ayant pas obtenu le contrat d'entretien des sentiers en 2001, l'appelant a travaillé seulement à la scierie à compter de février 2002. Dans son témoignage, il a indiqué qu'il a fait fonctionner la scierie utilisant le bois accumulé au cours des deux hivers précédents, effectué certains travaux de mécanique à la scierie, transporté des commandes de bois et nettoyé la scierie à la fin de la période. Dans une entrevue avec Annie Leclerc, l'agente de Développement des ressources humaines Canada qui a effectué l'examen initial de sa demande de prestations d'assurance-emploi, l'appelant a dit que le travail qu'il a fait pour le payeur en 2002 consistait en « des réparations au moulin, il y avait un moteur à changer, de l'amélioration sur la bâtisse [...] il n'y a pas eu de coupe de bois; il y avait juste un peu de bois à traiter et réparer des choses au moulin » [2].

i)           l'appelant n'avait aucun horaire de travail à respecter et ses heures n'étaient pas comptabilisées par le payeur;

[16]     La preuve n'indiquait pas que le payeur imposait un horaire fixe à l'appelant ou que les heures de travail de ce dernier étaient consignées quelque part. Il semble que l'appelant savait ce qu'il avait à faire et le faisait et qu'il travaillait 50 heures par semaine en moyenne.

j)           l'appelant rendait des services au payeur, sans rémunération, en dehors des périodes où il était inscrit au journal des salaires;

[17]     L'appelant a dit à Mme Leclerc qu'il aidait de temps à autre le payeur en transportant du bois en dehors de sa période d'emploi. Cette question n'a pas été abordée à l'audience, et rien ne permet de croire que l'appelant a fait beaucoup de travail pour le payeur sans être rémunéré.

k)          selon le journal des salaires du payeur, pour la période se terminant en 2000, l'appelant a prétendument terminé 5 semaines avant les autres employés travaillant à la scierie et, pour celle se terminant en 2001, il a prétendument terminé 6 semaines avant eux; alors que l'appelant, à chaque année, termine le dernier à la scierie pour procéder au nettoyage du moulin;

[18]     Il ressort de la preuve que, dans le cas des périodes d'emploi se terminant en 2000 et en 2001, l'appelant a cessé de travailler pour le payeur avant les deux autres travailleurs de la scierie. L'appelant a indiqué que son travail consistait alors à couper du bois afin d'approvisionner la scierie et que son emploi prenait fin lorsque cela était terminé. Les autres travailleurs ont continué à scier le bois pendant plusieurs semaines. L'appelant s'est occupé du nettoyage de la scierie uniquement en 2002.

l)           durant les périodes en litige, l'appelant recevait une rémunération hebdomadaire fixe de 700 $ par semaine pour prétendument 50 heures de travail, soit 14,50 $ de l'heure et ce sans égard aux heures réellement travaillées;

[19]     Les sommes reçues par l'appelant n'ont pas été contestées. Comme il est indiqué ci-dessus, l'appelant a dit qu'il travaillait 50 heures par semaine pour ce salaire.

m)         pour chacune des périodes en litige l'appelant, était inscrit au journal des salaires du payeur pour une période fixe de 14 semaines par année et pour 50 heures par semaine sans pouvoir justifier les heures réellement travaillées;

[20]     Il est admis que l'appelant était inscrit au journal des salaires du payeur pour les périodes et les heures indiquées, mais il dit que cela reflétait fidèlement les heures travaillées.

n)          l'appelant travaillait toujours le nombre d'heures nécessaires pour devenir admissible aux prestations de chômage;

[21]     La preuve a démontré qu'il en a été ainsi pour chaque période d'emploi. Il semble également que presque tous les travailleurs du payeur étaient embauchés pour 14 semaines (le nombre de semaines nécessaire pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi) parce les travailleurs de la région n'acceptaient pas de travailler si ce nombre de semaines de travail n'était pas garanti.

o)          les périodes d'emploi de l'appelant et le nombre d'heures prétendument travaillées ne coïncident pas avec les besoins de l'entreprise du payeur mais avec les besoins de l'appelant de se qualifier aux prestations d'assurance-emploi.

[22]     Il ressort de la preuve que l'entreprise du payeur était saisonnière - elle était exploitée presque exclusivement en hiver - et que ses activités étaient celles décrites dans la preuve examinée ci-dessus. La preuve a démontré également que la période d'emploi de l'appelant était comprise dans la période d'exploitation d'hiver en 1999-2000 et en 2000-2001. Les activités du payeur ont considérablement changé en 2002 à cause de la perte du contrat d'entretien des sentiers de motoneige et de l'absence d'activités forestières.

Analyse

[23]     Selon l'avocat de l'appelant, le ministre n'a pas pris en compte les aspects pertinents de l'emploi de l'appelant auprès du payeur, notamment le travail qu'il a fait en coupant des balises pour les sentiers de motoneige pendant les deux premières périodes d'emploi et le fait que son emploi a pris fin dans ces deux cas parce que son travail de coupe et de transport du bois pour la scierie était terminé. La durée de son emploi dépendait du travail à faire et pas simplement du nombre de semaines nécessaire pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi. L'avocat a dit aussi que rien n'indiquait que l'appelant avait fait beaucoup de travail pour le payeur sans rémunération à l'extérieur de ses périodes d'emploi.

[24]     Je conviens que les facteurs invoqués par l'avocat de l'appelant n'ont pas été pris en compte, comme ils devaient l'être, par le ministre lorsqu'il a rendu sa décision et qu'en conséquence la décision finalement prise concernant les deux premières périodes d'emploi en question est déraisonnable.

[25]     Lorsqu'on décide si des personnes n'ayant entre elles aucun lien de dépendance auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable à celui passé en l'espèce entre l'appelant et le payeur, il faut accorder une grande importance à la question de savoir si l'emploi répond à un réel besoin économique du payeur. En l'espèce, le ministre a tenu pour acquis précisément que l'emploi de l'appelant ne coïncidait pas avec les besoins du payeur. Or, à la lumière de l'ensemble de la preuve et des circonstances entourant l'emploi occupé par l'appelant du 22 novembre 1999 au 26 février 2000 et du 27 novembre 2000 au 3 mars 2001, il appert en fait que cet emploi coïncidait avec les activités normales de l'entreprise du payeur et répondait aux besoins de ce dernier. L'emploi de l'appelant n'était pas, du seul fait qu'il a duré 14 semaines dans chacune des périodes en cause, différent de celui de tous les employés qui n'avaient pas de lien de dépendance avec le payeur. En outre, le taux de rémunération de l'appelant, ses heures de travail et la nature de son travail étaient à peu près semblables à ceux des travailleurs sans lien de dépendance avec le payeur employés pendant environ les mêmes périodes.

[26]     En ce qui concerne la période d'emploi du 25 février 2002 au 1er juin 2002 cependant, je ne suis pas convaincu qu'il a été démontré que l'emploi de l'appelant coïncidait avec les besoins du payeur de la même façon que son emploi dans les périodes précédentes. Le payeur a dû réduire sensiblement ses activités pendant la saison 2001-2002 à cause de la perte du contrat d'entretien des sentiers de motoneige, et à la scierie il n'y avait pas vraiment beaucoup de travail. Le payeur n'a embauché aucun employé avec lequel il n'avait pas de lien de dépendance pendant cette saison et, selon le témoignage de l'appelant lui-même, il n'y avait qu'une petite quantité de bois à scier. À mon avis, l'appelant n'a pas réussi à réfuter la présomption du ministre selon laquelle son travail pendant cette période avait principalement pour but de lui donner droit aux prestations d'assurance-emploi. Pour ces motifs, je suis d'avis qu'était raisonnable la conclusion du ministre selon laquelle le payeur n'aurait pas embauché une personne avec laquelle il n'avait pas de lien de dépendance pour faire le même travail que l'appelant aux mêmes conditions pendant cette période.

[27]     L'appel est accueilli en partie, et l'affaire est renvoyée au ministre pour qu'il rende une nouvelle décision en tenant compte du fait que l'emploi occupé par l'appelant auprès du payeur du 22 novembre 1999 au 26 février 2000 et du 27 novembre 2000 au 3 mars 2001 était un emploi assurable selon la Loi sur l'assurance-emploi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre 2004.

« B. Paris »

Juge Paris


RÉFÉRENCE :

2004CCI677

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4461(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Camille Monger et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sept-Îles (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 3 juin 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

le 29 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Daniel Jouis

Pour l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Daniel Jouis

Étude :

Jouis Tremblay Lapierre

Sept-Îles (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Selon le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.), paragraphe 4.

[2] Pièce I-1, à la page 9.

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