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Dossier : 2003-1589(IT)I

ENTRE :

ROBERT JAMES MITCHELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 27 avril 2004 à Kitchener (Ontario)

Devant : L'honorable Gerald J. Rip

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me George G. Voisin

Avocate de l'intimée :

Me Tracey L. McCann

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est accueilli, sans dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour que celui-ci la
réexamine et établisse une nouvelle cotisation tenant compte du fait que l'appelant a subi une perte autre qu'en capital d'un montant de 27 102,50 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2004.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2004.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI484

Date : 20040630

Dossier : 2003-1589(IT)I

ENTRE :

ROBERT JAMES MITCHELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

[1]      Robert Mitchell a interjeté appel de la cotisation fiscale établie à son égard pour 1998 au motif qu'il a contracté une créance irrécouvrable de 27 102,50 $ en 1998. Il est devenu clair, au cours de l'audition de l'appel, qu'il n'a pas contracté une créance irrécouvrable, mais qu'il a peut-être subi une perte autre qu'en capital de 27 102,50 $. Son avis d'appel a été modifié en conséquence.

[2]      En 1998, M. Mitchell occupait un emploi de mécanicien de chantier, fournissait des services de gestion, possédait des immeubles à revenu et avait une participation de 50 p. 100 dans une ferme d'émeus.

[3]      En 1998, un certain Lou D'Alessandro, qu'il avait rencontré dans le cadre des activités d'un club Kinsmen, a téléphoné à M. Mitchell pour savoir s'il était intéressé à participer avec lui à une entreprise d'achat de marchandises sèches, c'est-à-dire des détergents, des dentifrices et des produits d'hygiène de fin de série. Ils achèteraient les produits à un certain M. Hunter et les revendraient immédiatement avec un profit à des magasins « Mom and Pop » . M. D'Alessandro a dit à M. Mitchell qu'il connaissait M. Hunter parce qu'il faisait d'[TRADUCTION] « autres affaires » avec lui.

[4]      M. D'Alessandro a fait valoir qu'il possédait de l'expérience dans une telle entreprise. M. Mitchell serait un investisseur passif. M. Mitchell a accepté la proposition. Le nom de « Jim and Lou's » a été donné à l'entreprise.

[5]      Des marchandises d'une valeur de 7 000 $ à 8 000 $ environ ont été commandées à M. Hunter, mais la commande [TRADUCTION] « n'a pas été reçue » . M. Hunter a remis l'argent qui lui avait été versé.

[6]      M. Hunter a de nouveau, par la suite, contacté MM. Mitchell et D'Alessandro pour leur faire savoir qu'il avait des surplus de détergents, de café et de dentifrices à vendre. En juin 1998, MM. Mitchell et D'Alessandro ont commandé ces marchandises et ont versé une somme de 64 205 $ à M. Hunter[1]. L'appelant a indiqué qu'une partie de cette somme provenait d'un compte de banque qu'il possédait relativement à une autre entreprise.

[7]      MM. Mitchell et D'Alessandro n'ont jamais reçu les marchandises commandées à M. Hunter. Lors d'une rencontre à Toronto, ce dernier leur a dit qu'il n'avait pas les marchandises et qu'ils allaient devoir attendre. MM. Mitchell et D'Alessandro se sont ensuite adressés à la Police de la communauté urbaine de Toronto et ont déposé une plainte de fraude contre M. Hunter.

[8]      M. Mitchell a produit une copie d'une lettre datée du 26 juin 1998 que lui et M. D'Alessandro ont envoyée à l'agent Thomas Henderson de la police de Toronto. La lettre décrivait leurs rapports avec M. Hunter et l'entreprise d'achat et de vente des produits. Ils prétendaient que M. Hunter leur avait escroqué 64 205 $[2].

[9]      Par suite de la plainte déposée auprès de la police de Toronto, M. Hunter a été accusé de fraude et, le 12 octobre 2001, la Cour supérieure de justice de l'Ontario a rendu une ordonnance de dédommagement enjoignant à M. Hunter de verser à M. Mitchell la somme de 27 102,50 $ sous la forme de 60 paiements mensuels de 500 $ à compter du 1er janvier 2001, le [TRADUCTION] « solde constituant un dédommagement distinct » . M. Mitchell n'a rien reçu de M. Hunter jusqu'à maintenant.

[10]     Lors de son contre-interrogatoire, M. Mitchell a reconnu que lui et M. D'Alessandro n'avaient pas conclu de contrat de société par écrit relativement à leur malheureuse entreprise avec M. Hunter. Il a néanmoins affirmé avec force que lui et M. D'Alessandro étaient bien associés.

[11]     M. Mitchell a produit avec sa déclaration de revenus pour 1998 un état des résultats des activités de Jim and Lou's pour cette année-là et a déduit une créance irrécouvrable de 11 010 $, déduction qui n'a pas été admise par le ministre du Revenu national. Pendant le processus d'appel, le montant de la « créance irrécouvrable » est devenu 27 102,50 $. Au procès, l'avocat de l'appelant a reconnu que ce montant ne correspondait pas à une créance irrécouvrable, mais à une perte - selon lui, une perte autre qu'en capital.

[12]     M. Mitchell a aussi inclus dans ses déclarations de revenus pour 1998 un état des résultats des activités de la ferme d'émeus, dans laquelle il avait une participation de 50 p. 100, et un autre concernant une entreprise à propriétaire unique appelée Mitchell Management. Il a déduit une créance irrécouvrable de 15 950 $ que cette entreprise aurait encourue en 1998. Une fonctionnaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, Gail Brooks, a confirmé que, jusqu'à la date du procès, elle et l'Agence croyaient que la créance irrécouvrable de 15 950 $ de Mitchell Management et celle de 11 010 $ de Jim and Lou's correspondaient à la créance irrécouvrable de 27 000 $ (environ) déduite par M. Mitchell.

[13]     Mme Brooks a indiqué dans son témoignage que M. Mitchell lui avait dit que la créance de 15 950 $ de Mitchell Management était en fait une créance irrécouvrable contractée par la ferme d'émeus. Elle a mentionné que le revenu de Mitchell Management était constitué de comptes débiteurs de la ferme d'émeus. M. Mitchell ne pouvait pas préciser si les créances irrécouvrables de la ferme d'émeus avaient été inscrites dans les livres de Mitchell Management. Il a dit qu'il [TRADUCTION] « n'avait pas organisé » les livres comptables; c'est son épouse qui s'occupe de la comptabilité. Quoi qu'il en soit, l'Agence a permis à M. Mitchell de déduire une créance irrécouvrable de 15 950 $.

[14]     M. Mitchell n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi il a déduit un montant de 11 010 $ représentant sa part de la « créance irrécouvrable » de Jim and Lou's alors qu'il savait qu'il avait perdu 27 102,50 $. Il a dit qu'il espérait à l'origine pouvoir en arriver à un règlement avec M. Hunter.

[15]     Comme il a été indiqué précédemment, Mme Brooks pensait, lorsqu'elle a examiné la déclaration de revenus de M. Mitchell, que celui-ci avait déduit une créance irrécouvrable. Elle a passé en revue les [TRADUCTION] « radiations » totalisant 11 010 $ qui ont été effectuées par l'appelant en 1998; ce dernier avait notamment radié un prêt de 7 209 $ consenti à une nouvelle entreprise le 28 mai 1998 et cinq prêts « Power Line » totalisant 3 801 $. Elle ne doutait pas que M. Mitchell avait perdu de l'argent dans son entreprise avec M. Hunter. Elle estimait cependant qu'elle ne disposait pas de documents lui permettant d'admettre la déduction de la perte.

[16]     Je suis moi aussi convaincu que M. Mitchell a subi une perte. Je suis convaincu également que l'entreprise créée par MM. Mitchell et D'Alessandro pour acheter des marchandises à M. Hunter à des fins de revente et de profit comportait un risque de caractère commercial et que toute perte subie dans le cadre de cette entreprise était une perte autre qu'en capital. Ces points ne sont pas réellement contestés en l'espèce.

[17]     Ce que la Couronne met en question, c'est si l'appelant a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a remis la somme de 27 102,50 $ à M. Hunter. L'avocate de l'intimée fait valoir qu'aucun chèque payé ou autre document bancaire ne confirme la somme d'argent réunie pour l'achat des marchandises de M. Hunter. Selon elle, si une somme a été retirée de l'un des autres comptes d'affaires de M. Mitchell, les documents le confirmant auraient dû être produits en preuve. La source des fonds utilisés demeure un mystère.

[18]     L'avocate de l'intimée a aussi rappelé que l'appelant n'a assigné aucun témoin corroborant ses prétentions qui aurait pu m'aider à déterminer si M. Mitchell a perdu une somme de 27 102,50 $ en 1998. Trois témoins auraient assisté à la remise de l'argent, selon elle. Même s'il ne convenait peut-être pas d'attendre de M. Mitchell qu'il assigne M. Hunter comme témoin, elle a indiqué que l'on n'a pas expliqué pourquoi M. Mitchell n'a pas assigné M. D'Alessandro à témoigner pour son compte. Selon elle, je devrais tirer une conclusion défavorable de ce fait compte tenu des circonstances de l'espèce.

[19]     L'avocate a prétendu également que, si M. Mitchell a perdu 27 102,50 $ (ou davantage, étant donné qu'une partie de son argent lui a été remise à un moment donné) dans son affaire avec M. Hunter à cause d'une fraude, il aurait été logique qu'il en fasse état dans sa déclaration de revenus pour l'année 1998. M. Mitchell possédait plusieurs entreprises et savait comment comptabiliser le revenu, les dépenses et les pertes qui en découlaient. C'est ce que démontre sa déclaration de revenus de 1998; il a en fait déduit d'autres dépenses engagées par ses entreprises pour l'année d'imposition 1998. Selon l'avocate, la somme de 11 005 $ qu'il a déduite - soit la moitié de la perte subie par Jim and Lou's - est incompatible avec la preuve présentée à la Cour et n'aide pas à établir les faits exacts de la présente affaire. M. Mitchell n'a pas fourni d'explications à cet égard, et les témoins qui, d'après lui, auraient pu donner des éclaircissements sur cette question n'ont pas été appelés à témoigner.

[20]     Me McCann a également fait valoir que l'ordonnance de dédommagement n'indique pas comment le montant de la perte a été calculé. Aucune copie de l'acte d'accusation déposé contre M. Hunter n'a été produite. La Cour ne dispose d'aucune transcription du processus de détermination de la peine qui étayerait les faits allégués par M. Mitchell. M. D'Alessandro n'a pas été assigné pour confirmer qu'aucune [TRADUCTION] « entente secondaire » pouvant expliquer le partage en parts égales de l'ordonnance de dédommagement n'a été conclue entre lui et M. Mitchell.

[21]     Enfin, l'avocate de l'intimée prétend que, même si seul M. Mitchell connaissait les faits en l'espèce et pouvait influer sur eux, la Cour ne disposait pas de renseignements suffisants et les affirmations de M. Mitchell n'ont pas du tout été corroborées. Ce dernier n'a pas prouvé, suivant la prépondérance des probabilités, qu'il a subi une perte de quelque montant que ce soit.

[22]     M. Mitchell a produit l'ordonnance de dédommagement enjoignant à M. Hunter de lui rembourser la somme de 27 102,50 $. Je ne suis pas d'accord avec l'avocate de l'intimée lorsqu'elle dit que cette ordonnance ne prouve pas suffisamment la perte subie par M. Mitchell. D'après ce que je comprends, une ordonnance de dédommagement est généralement rendue dans le cadre d'une ordonnance de sursis en vertu de l'article 738 du Code criminel. L'ordonnance de dédommagement est discrétionnaire et doit être rendue avec circonspection[3]. Le juge Labrosse a résumé la jurisprudence relative aux objectifs et aux facteurs qui devraient influencer le juge appelé à décider s'il y a lieu de prononcer une ordonnance de dédommagement : R. v. Devgan[4]. Le montant de l'ordonnance doit être facile à calculer.

[23]     Un tribunal peut délivrer une ordonnance de dédommagement si la preuve démontre avec une certitude raisonnable la valeur sur laquelle l'indemnité est basée[5]. Une ordonnance de dédommagement ne devrait pas être prononcée si une telle certitude n'existe pas. L'ordonnance rendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario qui enjoignait à M. Hunter de dédommager M. Mitchell n'a pas été portée en appel. Il n'y a aucune raison que je ne considère pas que cette ordonnance prouve que M. Mitchell a bien perdu la somme de 27 102,50 $. M. Mitchell était un témoin crédible, et j'accepte son témoignage selon lequel il a versé à M. Hunter la somme de 32 102,50 $[6] en paiement de sa part des marchandises qui n'ont jamais été livrées.

[24]     L'appel est accueilli. M. Mitchell n'a cependant pas droit aux dépens parce qu'il a prétendu avoir contracté une « créance irrécouvrable » de 27 102,50 $ lors de la vérification, à l'étape de l'opposition et dans son avis d'appel, ce qui a amené les agents du fisc à examiner sa déclaration de revenus comme s'il avait une créance irrécouvrable alors qu'une telle créance n'existait pas. Et, comme la somme avait été qualifiée de « créance irrécouvrable » dans l'avis d'appel, il a fallu, lors de l'audition de l'appel, consacrer inutilement du temps à une chose
qui n'existait pas, à savoir une créance irrécouvrable. Les allégations de l'appelant ont induit la Cour en erreur.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2004.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2004.

Jacques Deschênes, traducteur


RÉFÉRENCE :

2004CCI484

NUMÉRO DU DOSSIER

DE LA COUR :

2003-1589(IT)I

INTITULÉ :

Robert James Mitchell c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Kitchener (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 27 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable Gerald J. Rip

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 juin 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me George G. Voisin

Avocate de l'intimée :

Me Tracey L. McCann

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

George G. Voisin

Cabinet :

Voisin, Lubczuik

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Selon une lettre datée du 26 juin 1998, dont il sera question plus loin, MM. Mitchell et D'Alessandro se sont plaints à la Police de la communauté urbaine de Toronto d'avoir été escroqués par M. Hunter. Ils ont dit qu'ils avaient déposé des sommes de 14 310 $ et de 35 595 $ dans un compte à la succursale de la Banque Royale du Canada située à l'angle des rues Yonge et Eglington à Toronto relativement à deux des achats, et qu'un montant de 14 300 $ a été payé par chèque à M. Hunter relativement au troisième achat. Les paiements relatifs aux trois produits totalisent 64 205 $. M. Hunter a ensuite émis un chèque de 10 000 $, ce qui a réduit la prétendue perte subie par la société de personnes à 54 205 $. M. Mitchell prétend que sa part de la perte est de 27 102,50 $. La lettre du 26 juin 1998 n'a été produite en preuve que pour confirmer que M. Mitchell avait signalé à la police une fraude commise par M. Hunter. Je me suis cependant servi des montants payés relativement aux achats qui sont décrits dans la lettre pour mieux comprendre la méthode utilisée pour calculer la prétendue perte.

[2]           Voir la note 1 ci-dessus.

[3]           R. c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940, p. 960 à 963.

[4]           (1999), 44 O.R. (3d) 161 (C.A. Ont.), p. 168 et 169. Voir aussi R. c. Fitzgibbon, [1990] 1 R.C.S. 1005, p. 1012 à 1014.

[5]           R. v. Milner, [1986] B.C.J. 1383 (C.A. C.-B.), le juge Esson, paragr. 10.

[6]           Soit 27 102,50 $, plus 5 000 $ représentant la part de M. Mitchell des 10 000 $ remis par M. Hunter.

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