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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier: 2002-2257(IT)G

ENTRE :

IMPERIAL OIL LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

_______________________________________________________________

Requête entendue conjointement avec la requête dans l'affaire

Inco Limited (2002-2695(IT)G),

le 1er novembre 2002, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Al Meghji

Avocats de l'intimée :

Me Luther P. Chambers, c.r.

Me Rhonda Nahorniak

Me Boyd Aitken

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          Sur requête par l'intimée de radier l'appel ou, subsidiairement, de suspendre l'appel;

          Et après avoir entendu les déclarations des parties;

          Il est ordonné que la requête soit rejetée avec dépens.


Signé à Toronto, Canada, ce 14e jour de février 2003.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2005.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier: 2002-2695(IT)G

ENTRE :

INCO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

_______________________________________________________________

Requête entendue conjointement avec la requête dans l'affaire

Imperial Oil Limited (2002-2257(IT)G),

le 1er novembre 2002 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Al Meghji

Avocats de l'intimée :

Me Luther P. Chambers, c.r.

Me Rhonda Nahorniak

Me Boyd Aitken

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          Sur requête par l'intimée de radier l'appel ou, subsidiairement, de suspendre l'appel;

          Et après avoir entendu les déclarations des parties;

          Il est ordonné que la requête soit rejetée avec dépens.


Signé à Toronto, Canada, ce 14e jour de février 2003.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2005.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence: 2003CCI46

Date: 20030214

Dossier: 2002-2257(IT)G

ENTRE :

IMPERIAL OIL LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

Dossier: 2002-2695(IT)G

ENTRE :

INCO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      Bien que les appels de ces deux sociétés ne soient pas connexes, les requêtes de la Couronne visant à radier ces appels ou, subsidiairement, à les suspendre ont été entendues conjointement, avec le consentement des parties, car la question soulevée est la même dans les deux affaires : Peut-on produire une déclaration de revenus, obtenir une cotisation initiale (dite parfois cotisation « rapide » ) fondée principalement sur cette déclaration, déposer un avis d'opposition à la cotisation, attendre quatre-vingt-dix jours, puis, si le ministre n'a pas répondu par une ratification ou une nouvelle cotisation, déposer un appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt?

[2]      La Couronne affirme qu'on ne le peut pas. Les appelantes affirment que la Loi de l'impôt sur le revenu les y autorise spécifiquement.

[3]      L'ordonnance demandée est la suivante : (Je reprends ici la requête visant Inco. La formulation est identique dans la requête visant Imperial Oil, sauf que les années citées au paragraphe 3 des motifs dans cette dernière sont 1998 et 1999.)

[TRADUCTION]

LA REQUÊTE VISE

a)          la radiation de l'avis d'appel de l'appelante conformément à l'alinéa 58(3)a) ou, subsidiairement, conformément à l'alinéa 58(3)b) des Règles de procédure générale ou, subsidiairement,

b)          la radiation de l'avis d'appel de l'appelante conformément à l'article 53 des Règles de procédure générale ou, subsidiairement, conformément à la compétence inhérente de la Cour à contrôler le déroulement de l'instance ou, subsidiairement encore,

c)          la suspension de l'appel de l'appelante, conformément à sa compétence inhérente à contrôler le déroulement de l'instance, jusqu'à ce que l'Agence des douanes et du revenu du Canada ait complété sa vérification des années d'imposition 1997 à 2000 de l'appelante et ait décidé s'il y a ou non lieu d'établir une nouvelle cotisation pour ces années d'imposition de l'appelante, dans le délai prévu au paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4]      Les motifs sont énoncés comme suit dans l'avis de requête :


[TRADUCTION]

1.          que la Cour n'a pas la compétence d'attribution en ce qui concerne l'appel de l'appelante, au sens de l'alinéa 58(3)a) des Règles de procédure générale ou, subsidiairement,

2.          qu'une condition préalable à l'introduction d'un appel valide auprès de la Cour canadienne de l'impôt, à savoir la déposition d'un avis d'opposition valide au sens du paragraphe 165(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, n'a pas été remplie, au sens de l'alinéa 58(3)b) des Règles de procédure générale ou, subsidiairement encore,

3.          que la déposition de l'avis d'appel est prématurée et serait donc préjudiciable à l'instruction équitable des questions qui y sont soulevées, ainsi que d'autres questions qui pourraient survenir à l'issue de la vérification par l'Agence des douanes et du revenu du Canada des années d'imposition 1997 à 2000 de l'appelante, au sens de l'alinéa 53a) des Règles de procédure générale ou, subsidiairement encore,

4.          que l'avis d'appel est vexatoire et constitue un recours abusif à la Cour, au sens des alinéas 53b) et 53c) des Règles de procédure générale.

[5]      J'exposerai d'abord brièvement les faits de l'affaire Inco. Inco est une grande société minière multinationale. Le 30 juin 2001, elle a produit sa déclaration de revenus pour 2000, dans laquelle elle a évalué son revenu imposable à 272 824 201 $ et son impôt exigible sous la Partie I à 61 057 594 $. Elle a produit une déclaration modifiée (première déclaration modifiée) pour 2000, révisant à la baisse son revenu et son impôt de la Partie I à 238 309 131 $ et à 51 006 806 $, respectivement. Dans la déclaration originale, elle avait omis de déduire le montant de 34 515 070 $ à titre de déduction de la Partie VI.1.

[6]      Le 17 juillet 2001, l'ADRC a établi la cotisation de l'appelante sur la base de la première déclaration modifiée. Cette cotisation a été produite par informatique, processus mécanique et largement automatisé qui utilise les informations fournies dans la déclaration. Il est très rare qu'une vérification soit effectuée au stade de la cotisation initiale. Les informations contenues dans la déclaration sont entrées dans le processeur central de l'ADRC et un avis de cotisation est établi. Les logiciels lui permettent de détecter et de corriger certains types d'erreurs (ou ce que l'ordinateur est programmé pour percevoir comme étant une erreur); c'est ce qui s'est produit dans le cas de la cotisation d'Inco pour 2000, où l'ordinateur a ajusté à la baisse le solde d'ouverture d'Inco par des pertes autres qu'en capital d'environ 74 000 000 $. L'ordinateur a également commis une erreur en réduisant la déduction de la Partie VI.1 de 34 515 070 $ à 34 065 070 $. Tout cela a donné lieu à la modification par l'ordinateur du revenu imposable et de l'impôt dû.

[7]      Le 14 août 2001, Inco a avisé l'ADRC d'une erreur et en a demandé la correction. Je me fonde pour cela sur une déclaration de l'intimée dans son argumentation écrite selon laquelle : [TRADUCTION] « Le 14 août 2001, l'appelante a notifié l'ADRC d'une erreur commise par l'appelante et a demandé que cette erreur soit corrigée » et le 22 août 2001, l'ADRC a, une fois de plus sans vérification, donné effet à la requête de l'appelante concernant l'année d'imposition 2000. La réponse à l'avis d'appel, sur lequel se fonde cette déclaration, mentionne dans son paragraphe 5 [TRADUCTION] « ladite erreur ayant réduit la déduction fiscale de laPartie VI.1 » (à savoir, l'erreur commise par l'ordinateur du ministre). L'affidavit de Carme K. Lau ne traite pas de ce point spécifique. Je soupçonne que la déclaration se trouvant dans la réponse est plus proche de la vérité, mais cela n'a pas vraiment d'importance en l'espèce.

[8]      Le 25 octobre 2001, ou aux alentours de cette date, l'appelante a produit une autre déclaration modifiée dans laquelle elle réduisait sa déduction précédente pour pertes autres qu'en capital de 223 751 949 $ à 108 551 162 $, selon l'affidavit de M. Lau, en raison de ses propres pertes en capital. Les « propres pertes en capital » de l'appelante signifient sans doute les siennes plutôt que celles d'une filiale, 321821 B.C. Ltd., qui a été liquidée au sein d'Inco en 1996.

[9]      Dans cette seconde déclaration modifiée pour 2000, l'appelante a déclaré un revenu imposable de 238 309 134 $ et un impôt exigible sous la Partie I de 51 006 807 $.

[10]     Le 8 janvier 2002, l'ADRC a établi une nouvelle cotisation sur la base des montants précis déclarés dans la deuxième déclaration modifiée.

[11]     Le 8 avril 2002, ou aux alentours de cette date, Inco a déposé auprès de l'ADRC un avis d'opposition à la seconde nouvelle cotisation, dans lequel elle a pour la première fois demandé une déduction pour pertes de change sur des obligations libellées en monnaie étrangère. Elle a également demandé une déduction de 346 859 296 $ pour pertes autres qu'en capital dont 194 092 604 $ devaient être issus des propres pertes autres qu'en capital de l'appelante pour la société 321821 B.C. Ltd.

[12]     Le 8 juillet 2002, les avocats d'Inco ont déposé un avis d'appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt, après que 90 jours se sont écoulés depuis le 8 avril 2002, date à laquelle l'avis d'opposition avait été déposé, sans que l'ADRC ne réponde avec une ratification ou une nouvelle cotisation.

[13]     Les faits de l'affaire Imperial Oil sont légèrement moins compliqués, mais la question est la même. Imperial Oil est une grande société pétrolière et gazière multinationale. Elle a produit sa déclaration de revenus pour 1999 le 28 juin 2000 et déclaré un revenu imposable de 72 971 888 $ et un impôt sous la Partie I de 13 600 775 $.

[14]     Le 21 novembre 2001, l'ADRC a établi la cotisation d'Imperial Oil sur la base des informations figurant dans la déclaration. Il lui a fallu pour cela quelque 16 mois en raison d'une variété de problèmes informatiques. Comme dans le cas d'Inco, la cotisation a été générée par informatique, sans aucune intervention humaine.

[15]     Le 5 décembre 2001, il appert que l'ADRC a établi une nouvelle cotisation en annulant les pénalités pour production tardive et intérêts.

[16]     Le 4 mars 2002, l'appelante a déposé un avis d'opposition concernant la nouvelle cotisation du 5 décembre 2001 pour 1999, dans laquelle elle a pour la première fois demandé une déduction pour pertes de change sur des obligations libellées en devises étrangères, ainsi que la déduction intégrale de ses frais de listes de clients.

[17]     Le 10 juin 2002, l'appelante a déposé un avis d'appel relatif à la nouvelle cotisation du 5 décembre 2001, après que 90 jours se sont écoulés depuis le 4 mars 2002, date à laquelle l'avis d'opposition avait été déposé, sans que l'ADRC ne réponde avec une ratification ou une nouvelle cotisation.

[18]     Dans les deux cas, l'intimée a déposé des réponses aux avis d'appel (dans l'affaire Imperial Oil, une réponse modifiée) dans lesquelles elle a nié la majorité des allégations contenues dans les avis d'appel et a répondu sur le fond aux assertions soulevées dans ces avis. Les réponses contiennent également des objections au droit des appelantes à s'opposer et à faire appel des nouvelles cotisations de la façon dont elles l'ont fait.

[19]     Avant de traiter des autres questions soulevées dans les requêtes, il est opportun de mentionner l'article 8 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) qui dispose :

            La requête qui vise à contester, pour cause d'irrégularité, une instance ou une mesure prise, un document donné ou une directive rendue dans le cadre de celle-ci, ne peut être présentée, sauf avec l'autorisation de la Cour :

(a)         après l'expiration d'un délai raisonnable après que l'auteur de la requête a pris ou aurait raisonnablement dû prendre connaissance de l'irrégularité, ou

(b)         si l'auteur de la requête a pris une autre mesure dans le cadre de l'instance après avoir pris connaissance de l'irrégularité.

[20]     La règle de la « nouvelle démarche » fait partie des règles de pratique et de procédure au Canada et au Royaume-Uni depuis de longues années. La jurisprudence abonde sur ce qui constitue une nouvelle démarche, mais la règle se fonde sur l'idée que, si une partie répond à un acte de procédure, cela implique la renonciation à une irrégularité qui eût autrement pu être attaquée. Pour deux raisons, je ne pense pas que la règle de la nouvelle démarche empêche l'intimée de présenter ces requêtes. Premièrement, il est évident qu'en déposant les réponses aux avis d'appel, l'intimée ne renonce pas à ses objections concernant la déposition des avis d'opposition et d'appel. Les réponses indiquent clairement l'objection de la Couronne. Deuxièmement, une attaque élargie sur le droit d'appel des appelantes, contenant des allégations selon lesquelles cette cour n'est pas compétente, que les appels sont non fondés, vexatoires et constituent un recours abusif, ne représente pas simplement une contestation pour cause d'irrégularité.

[21]     Passons maintenant à l'étude du bien-fondé des requêtes. Dans les deux cas, de hauts fonctionnaires de l'ADRC ont déposé de longs affidavits. Les déclarations qu'elles contiennent sont pour l'essentiel reprises dans les plaidoyers écrits de l'intimée ; je ne les reprendrai donc pas en détail dans ces motifs. Les affidavits et les plaidoyers écrits de l'intimée constituent une explication détaillée du processus de l'autocotisation, des complexités du processus de vérification et des pratiques auxquelles recourent les contribuables pour se protéger contre les erreurs qui peuvent se glisser dans leurs déclarations (comme la production d'avis d'opposition de protection ou la production de déclarations modifiées).

[22]     Je ne mets pas en doute l'affirmation selon laquelle les vérifications représentent un aspect extrêmement important de l'application faite par l'ADRC de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le contexte du système d'autocotisation, qui fait partie intégrante de notre système fiscal canadien. Je ne doute pas non plus du fait que le processus de vérification est complexe et long dans le cas de grandes sociétés comme Inco ou Imperial Oil. L'on peut supposer que le système détaillé dans les documents soumis dans le cadre de ces deux requêtes fonctionne bien, tout comme les procédures d'opposition et d'appel, compte tenu de leur longue existence. Il serait difficile de soulever une quelconque objection à l'exposé factuel que l'on peut lire dans les documents soumis au nom de l'intimée. En effet, dans son avis d'opposition aux requêtes, l'avocat des appelantes ne remet pas en question la description du processus.

[23]     Le problème se résume donc comme suit : la vérification des comptes d'Inco et d'Imperial Oil prendra un temps et des ressources humaines considérables. L'intimée indique que les points soulevés par les appelantes dans leurs oppositions et appels n'ont pas été étudiés au niveau de la vérification et que leur tentative d'accélérer le processus en en appelant à la Cour non seulement met du sable dans l'engrenage méthodique et mesuré du processus de la vérification, mais catapulte également l'intimée devant la Cour avec un empressement mal à propos.

[24]     Bien que cela puisse être incommode pour l'ADRC, ce n'est pas pour autant une raison de priver le contribuable - qu'il s'agisse d'une grande multinationale ou de l'un des plus humbles sujets fidèles de Sa Majesté - des droits que lui confère la Loi de l'impôt sur le revenu.

[25]     Ces droits sont simples et directs : tout contribuable qui s'oppose à une cotisation peut déposer un avis d'opposition dans un délai de 90 jours de celle-ci et, si le ministre du Revenu national ne répond pas dans un délai de 90 jours du dépôt de l'avis d'opposition par une ratification ou une nouvelle cotisation, le contribuable peut saisir la Cour canadienne de l'impôt d'un appel.

[26]     Il existe certaines limites à ce droit d'appel, dont les suivantes :

(a)       On ne peut ni s'opposer à une cotisation portant qu'aucun impôt n'est payable ni faire appel d'une telle cotisation.

(b)      Le paragraphe 165(1.1) impose certaines restrictions détaillées et spécifiques au droit de s'opposer à une cotisation, notamment lorsque cette opposition concerne un point qui a déjà été décidé par la Cour et que la nouvelle cotisation met en application cette décision.

(c)      En vertu du paragraphe 165(1.11), les grandes sociétés doivent donner une description spécifique de chaque question à trancher. En vertu du paragraphe 165(1.13), une opposition à une nouvelle cotisation ne peut être soulevée que si le paragraphe 165(1.11) a été respecté. Dans le cas contraire, le droit d'appel à la Cour est suspendu en vertu du paragraphe 169(2.1).

(d)      Le paragraphe 169(2) impose des restrictions au droit d'appel similaires à celles figurant au paragraphe 165(1.11).

(e)       Si le contribuable n'a pas fait opposition ou appel d'une détermination des pertes antérieure pour une année donnée, il ne peut plus s'opposer à une cotisation pour une autre année dans laquelle il a déclaré une perte différente de celle fixée dans la détermination des pertes antérieure.

[27]     Ce ne sont là que quelques-unes des restrictions au droit d'opposition et d'appel. Elles découlent toutes de la formulation spécifique de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il n'existe pas de restrictions explicites :

(a)       lorsque le contribuable s'oppose à une cotisation fondée sur sa propre déclaration de revenus;

(b)      lorsque le contribuable s'oppose à une cotisation qui ne résulte pas d'un redressement effectué par le ministre qui est préjudiciable à la position adoptée par le contribuable.

[28]     La Couronne affirme que ces restrictions sont implicites. Il faudrait des raisons éminemment impérieuses pour décider que les droits du contribuable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu peuvent être implicitement limités lorsque ces droits lui sont explicitement conférés et des restrictions sont exprimées explicitement.

[29]     Par respect pour le savant avocat de l'intimée, je traiterai de chacun des arguments qu'il présente. Ceux-ci sont identiques dans les deux requêtes.

[30]     Le premier argument est qu'une cotisation qui dérive des calculs mêmes du contribuable et qui est acceptée par le ministre (ce que l'intimée décrit comme une « cotisation telle que produite » ), plutôt que des calculs du ministre, ne peut faire l'objet ni d'une opposition en vertu du paragraphe 165(1) ni d'un appel en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette assertion est fondée sur la thèse selon laquelle « le sens ordinaire » ou « l'interprétation littérale » de la législation doit être rejeté en faveur d'une méthode « contextuelle et fondée sur l'objet visé » . L'avocat s'appuie en outre sur le principe selon lequel, si la signification d'une disposition est confuse et s'il en existe deux interprétations possibles, dont l'une conduit à une absurdité et l'autre non, la seconde doit être choisie. Ceci se fonde sur le principe bien connu énoncé dans l'affaire Corporation of the City of Victoria v. Bishop of Vancouver Island, [1921] 2 A.C. 384. Toutefois, le Comité judiciaire du Conseil privé a ajouté un corollaire à ce principe selon lequel, si les termes d'une loi sont clairs, il faut leur donner effet, même si cela peut conduire à une absurdité.

[31]     Je ne peux accepter la position de l'intimée sur ce point pour deux raisons :

(a)       les termes sont clairs; et

(b)      l'interprétation du terme de « cotisation » pour signifier la détermination et la fixation (Pure Spring Co. Ltd. v. M.N.R., 2 DTC 844, à la page 851) de la dette du contribuable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, que ce processus survienne et que l'avis soit établi immédiatement après la production de la déclaration sans vérification ou après une vérification complète, ne conduit nullement à une absurdité.

[32]     Ni le bon sens ni l'interprétation de la loi ne sauraient justifier la thèse selon laquelle seules peuvent faire l'objet d'une opposition ou d'un appel les cotisations fondées sur une vérification par le ministre du Revenu national ou une cotisation dans laquelle le ministre est arrivé à une conclusion qui contredit la déclaration du contribuable. Si le législateur avait voulu limiter le type de cotisation qui peut faire l'objet d'une opposition ou d'un appel, il aurait été parfaitement capable de l'exprimer. Il serait inopportun de lire la loi de telle façon à lui donner une signification tendue que les termes simples ne portent pas raisonnablement.

[33]     Il n'est pas nécessaire de traiter des raisons pour lesquelles les appelantes ont fait opposition ou appel des cotisations fondées sur leurs propres déclarations, ni de déterminer si ces raisons sont bonnes ou mauvaises. On peut supposer que ces sociétés ont mieux à faire de leur temps et de leur argent que de demander à leurs avocats de déposer des appels mal fondés et inutiles. Néanmoins, l'avocat des appelantes m'a informé que la raison pour laquelle les appels avaient été déposés était la protection des droits des appelantes dans le contexte d'un avant-projet de loi mentionné dans un communiqué du ministère des Finances (1999-067) du 23 juillet 1999 qui contient la déclaration suivante :

Le ministre des Finances, Paul Martin, a rendu public aujourd'hui un projet de modification concernant le traitement fiscal de certaines dépenses relatives à des ressources.

Les modifications proposées portent sur deux questions connexes. Premièrement, elles feraient en sorte que la reclassification de certains frais d'aménagement au Canada (FAC), qui donnent droit à une déduction annuelle de 30 %, à titre de frais d'exploration au Canada (FEC), qui sont entièrement déductibles dans l'année où ils sont engagés, ne donne pas lieu à des allègements fiscaux inattendus. Deuxièmement, les modifications auraient pour effet d'empêcher la reclassification, à titre de FAC ou de FEC, de dépenses que les contribuables oeuvrant dans le secteur des ressources ont toujours considérées comme se rapportant à des biens amortissables, dont le coût donne droit à la déduction pour amortissement (DPA), compte tenu des limites fixées par la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le fait de permettre maintenant la reclassification de ces dépenses se traduirait par un avantage inattendu pour les contribuables puisque le taux de déduction des FEC - 100 % - est supérieur à celui des FAC et de la DPA. Pour ce qui est de la reclassification de biens amortissables, un avantage inattendu supplémentaire se produirait du fait que les déductions au titre des FEC et des FAC, contrairement aux déductions au titre de la DPA, ne donnent pas lieu à la réduction de la déduction relative à des ressources qui est offerte aux contribuables oeuvrant dans ce secteur.

Les modifications proposées visent à clarifier la politique qui sous-tend la législation fiscale. Toutes les dispositions nécessaires seront prises pour que ne soit pas compromis le droit des parties à des causes en instance de présenter des arguments fondés sur la législation fiscale en vigueur. Toutefois, les modifications sont de nature à faire obstacle à d'autres tentatives visant à tirer profit de cette lacune apparente de la loi.

L'avant-projet de loi et de règlement et les notes explicatives qui figurent en annexe donnent le détail des modifications proposées.

[34]     Il est évident que les appelantes croyaient que leurs droits seraient mieux protégés si elles étaient des « parties à des causes en instance... » . Je n'ai pas à contester leur jugement. En outre, aucune justification n'est nécessaire.

[35]     Les contribuables peuvent avoir de nombreuses raisons de s'opposer à une cotisation fondée sur leur propre déclaration. Ils peuvent souhaiter laisser l'année en instance au cas où la loi changerait à la suite d'une décision judiciaire ou d'une modification législative attendue. Il n'est pas nécessaire d'explorer leurs raisons d'agir ainsi. Il suffit que la Loi de l'impôt sur le revenu leur donne le droit de s'opposer à une cotisation ou d'interjeter appel d'une cotisation, quelle que soit la base de la cotisation ou les raisons de leur objection.

[36]     La seconde assertion est que le droit de s'opposer et de faire appel d'une « cotisation telle que produite » est en contradiction avec le droit du ministre d'effectuer une vérification. Je ne m'étendrai pas sur cet argument autrement que pour observer qu'il s'agit d'une fausse conclusion. Le ministre est libre d'effectuer une vérification du contribuable pendant que l'appel est en instance. S'il choisit d'établir une nouvelle cotisation ou d'établir une cotisation supplémentaire dans cette même période, le contribuable peut déposer un avis d'opposition et recommencer le processus ou il peut amender l'avis d'appel existant en y renvoyant à la nouvelle cotisation. L'argument de la Couronne selon lequel les appelantes ne peuvent soulever dans leur opposition ou leur appel de points qui sont en contradiction avec les positions qu'elles ont adoptées dans leur propre déclaration de revenus aurait autant de force si elles s'opposaient à des cotisations établies après une vérification qu'il en a si les appelantes s'opposent à des « cotisations telles que produites » .

[37]     Le troisième argument est que cette cour n'est pas compétente pour entendre les appels interjetés à l'encontre de « cotisations telles que produites » . Il ne convient pas d'utiliser dans ce contexte le terme de compétence. Il est évident que cette cour a la compétence exclusive pour entendre des appels relatifs aux cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[38]     L'avocat de l'intimée affirme qu'un contribuable ne peut aucunement se protéger contre les erreurs qui se seraient glissées dans ses propres déclarations de revenus, sauf peut-être en comptant sur l'indulgence du ministre à accepter des déclarations modifiées et à établir une nouvelle cotisation de façon à permettre au contribuable de s'opposer si le ministre refuse de donner effet à la déclaration modifiée. Il n'existe aucun mécanisme obligeant le ministre à accepter une déclaration modifiée ou à y répondre s'il choisit de ne pas le faire. Je ne partage pas la foi de l'avocat en la magnanimité du ministre à satisfaire volontairement les demandes du contribuable de modifier ses déclarations de revenus. Le droit légal du contribuable à forcer le ministre à établir une nouvelle cotisation repose dans le processus d'opposition et d'appel.

[39]     La position de la Couronne dans ces requêtes semble démontrer une croyance selon laquelle la Loi de l'impôt sur le revenu et toutes les procédures de déclaration, de vérification et de cotisation qu'elle prévoit existent pour de simples raisons de commodité du gouvernement et que tout ce qui dérange ses procédures régulières est implicitement interdit. Je ne vois pas les choses ainsi. Je ne suis pas non plus prêt à accepter les prévisions menaçantes du chaos fiscal qui résulterait si je rejette ces requêtes et autorise Inco et Imperial Oil à déposer des avis d'opposition et d'appel à l'encontre des cotisations fondées sur leurs propres déclarations de revenus. Les inquiétudes qu'avance l'intimée quant à l'effondrement du système d'autocotisation et de vérification sont, à mon avis, hyperboliques.

[40]     Me Chambers prétend que cette cour a compétence inhérente pour contrôler ses propres recours. Je suis d'accord. Cela coule de source.

[41]     L'argument suivant consiste à dire que, si l'on autorise le contribuable à faire opposition ou appel d'une cotisation fondée sur sa propre déclaration, le ministre est privé de l'avantage de l'inversion de la charge de la preuve.

[42]     Je m'abstiendrai de commenter la logique quelque peu étrange qui sous-tend cette assertion remarquable et me contenterai d'observer qu'en procédant de la manière dont ils ont choisi, les appelantes ont assumé un fardeau bien plus lourd qu'elles n'en auraient eu si elles avaient uniquement cherché à contrer des allégations plaidées. Elles doivent désormais établir chaque élément constitutif de leur recevabilité. L'inversion de la charge de la preuve créée par le plaidoyer d'allégations n'existe pas principalement au profit de la Couronne. Si les allégations sur lesquelles se fondent les cotisations sont plaidées de façon honnête, détaillée et exacte par l'intimée, l'appelante en profite grandement puisque cela définit précisément les faits dont l'appelante doit faire la preuve.

[43]     Toutefois, pour que l'on ne suggère pas que je n'ai pas entièrement rendu justice à l'assertion de la Couronne, je reprendrai ici la totalité de l'argument écrit sur ce point.

[44]     L'intimée affirme ce qui suit aux paragraphes 96 à 104 de son plaidoyer écrit dans l'affaire Inco :

[TRADUCTION]

96.        Le système d'autocotisation au Canada exige nécessairement que la cotisation du ministre soit initialement fondée sur les seuls faits transmis au ministre par le contribuable. Les faits pertinents à la cotisation sont particulièrement connus du contribuable. De façon pratique, la connaissance qu'a le ministre des affaires du contribuable est extrêmement limitée et, normalement, dépend presque entièrement de la coopération du contribuable.

97.        Cette disparité entre les informations dont disposent le contribuable et le ministre se manifeste dans la règle procédurale exceptionnelle selon laquelle, si la Couronne prétend que le ministre a adopté une hypothèse dans le processus de cotisation, alors cette hypothèse est présumée vraie et il incombe au contribuable de prouver le contraire devant la Cour.

98.        Cela inverse en réalité la charge de la preuve. Il s'agit là d'une forme d'inférence négative déduite par les tribunaux dans l'intérêt public lorsque les faits sont particulièrement connus du contribuable - et non du ministre. Afin de connaître les preuves à réfuter, le ministre doit avoir l'occasion de vérifier les faits allégués par le contribuable. Le contentieux fiscal est unique en cette disparité qui existe entre les informations dont dispose chaque partie en l'absence d'une vérification par le ministre. La méthode la plus efficace qui permet de confirmer ces informations est le processus de vérification décrit dans la Loi et non le processus d'interrogatoire préalable.

99.        Le fait d'autoriser l'appelante à faire appel d'une cotisation telle que produite auprès de la Cour canadienne de l'impôt avant la conclusion d'une vérification empêcherait le ministre de pouvoir plaider des hypothèses de fait et de profiter de l'inversion de la charge de la preuve. Cela aurait en réalité pour effet d'obliger le ministre à prouver ce qu'il y a d'inexact dans ce qui est en fait la cotisation même du contribuable. En d'autres termes, le ministre serait en réalité tenu de prouver ce dont il ne sait pas si c'est exact ou non. L'intimée soutient que cela renverserait le processus d'appel tel qu'il existe au Canada depuis la Seconde Guerre mondiale au moins.

100.      De plus, conformément aux principes d'autocotisation, le ministre se fie à l'affirmation se trouvant dans la déclaration de revenus de l'appelante selon laquelle le revenu imposable et l'impôt dû ont été correctement calculés et déclarés. Ainsi, si l'appelante était autorisée à aller de l'avant avec son appel, il en résulterait qu'en se fiant à cette affirmation, le ministre avait agi à son détriment. L'intimée soutient qu'il s'agit là d'un cas classique de préclusion juridique et de préjudice que la Cour ne saurait admettre.

101.      Afin de s'assurer d'une instruction équitable, la Cour devrait alors au minimum autoriser l'intimée à effectuer ce qui serait en réalité une vérification des allégations soulevées par l'appelante dans son avis d'appel, par le biais du processus judiciaire. L'intimée soutient que cela serait au préjudice du ministre, puisque cela le priverait de son droit statutaire d'effectuer des vérifications de la manière la plus efficace qui soit, dans les délais qui lui sont accordés par le législateur. En outre, cela pourrait également conduire à ce qu'une telle vérification isolée soit moins rigoureuse qu'elle ne l'aurait été si elle avait été effectuée dans le contexte de l'ensemble des activités de l'appelante. La détermination des allégations spécifiques soulevées par l'appelante dans son avis d'appel ne dépend pas uniquement des faits que l'appelante choisit de mettre en valeur, mais doit être faite par référence à l'ensemble des opérations commerciales de l'appelante.

                        Voir : Arguments de l'intimée, p. 14, par. 40 et 41.

102.      Enfin et surtout, l'intimée soutient que le ministre et le Trésor risquent d'être directement compromis par l'applicabilité potentielle de la doctrine de la chose jugée, si l'appelante était autorisée à interjeter appel.

103.      Puisqu'il est fait appel du montant d'impôt établi, il existe un réel danger qu'à l'avenir d'autres tribunaux décident que toute question relative au calcul de l'impôt dû pour une année d'imposition donnée est « connexe » à l'impôt exigible et ne peut donc être plaidée plus d'une fois. Dans ce cas, le processus engagé par les appelantes nuirait au ministre en l'empêchant d'établir une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition en question après une décision de la Cour.

                  Voir :            Chevron Canada Resources Ltd. c. La Reine, C.A.F., le 28 septembre 1998, A-206-97, page 20, par. 36 (98 DTC 6570, page 6578, par. 36)

104.      L'intimée soutient que le débat quant à l'application au cas présent de la doctrine de la chose jugée, si le ministre devait établir une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2000 après que la Cour a prononcé une décision concernant l'appel de l'appelante, ne réduirait aucunement ce danger réel, risque que l'intimée ne devrait pas avoir à assumer.

[45]     Je ne juge pas ces arguments persuasifs. Les contribuables sont prêts à assumer la charge de la preuve de leur recevabilité. Le souci de la Couronne de se voir priver d'un quelconque avantage procédural perçu en ne pouvant plaider des « allégations » n'est pas une raison suffisante pour radier l'appel d'un contribuable. La charge de la preuve est une charge réelle qui existe en droit. Cela ressort nettement de la décision du juge Rand dans l'affaire Johnston v. Minister of National Revenue, 3 DTC 1182, à la page 1183.

[46]     L'idée selon laquelle l'établissement d'une nouvelle cotisation serait rendue impossible par la doctrine de la chose jugée est à peine une possibilité théorique. Dans le cas extrêmement improbable où ce problème devrait surgir à l'avenir, il pourrait être résolu. On ne radie pas un appel sur la base d'une éventualité hypothétique et entièrement conjecturale.

[47]     Le procureur général du Canada peut traiter des appels alors même que l'ADRC procède à une vérification. L'existence d'un appel en instance ne freine ni ne limite en aucune manière les pouvoirs du ministre en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[48]     Une fois conclu que les appelantes ont le droit de faire appel de cotisations fondées sur leurs propres déclarations de revenus, il s'ensuit inévitablement que ces appels ne sont ni mal fondés ni vexatoires et ne constituent nullement un recours abusif à la Cour. Ils soulèvent des questions qui sont de la compétence de la Cour et les appelantes ont le droit de demander à la Cour de les trancher.

[49]     Les requêtes visant la radiation des appels sont donc rejetées.

[50]     La mesure subsidiaire demandée est une ordonnance de suspension des appels jusqu'à ce que le ministre achève sa vérification des années d'imposition 1997 à 2000 d'Inco et ait décidé s'il y a ou non lieu d'établir une nouvelle cotisation pour ces années. Les années concernées dans l'affaire Imperial Oil sont 1998 et 1999. L'intimée demande que ces appels soient laissés en suspens pendant que le ministre complète ses vérifications pour plusieurs années, qui ne font pas toutes l'objet des appels. Le fait de suspendre une procédure est une mesure discrétionnaire extraordinaire qui doit être fondée sur des raisons impérieuses. Aucune n'a été présentée. La fonction de cette cour est de servir l'intérêt de la justice, non la commodité du ministre du Revenu national. Les deux ne coïncident pas nécessairement.

[51]     Les requêtes sont rejetées avec dépens.

Signé à Toronto, Canada, ce 14e jour de février 2003.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2005.

Mario Lagacé, réviseur

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