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Dossier : 2003-633(EI)

ENTRE :

MESSAGERIE VDL INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 24 novembre 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Richard Benoît

Avocate de l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

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JUGEMENT

          Les appels, en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi concernant une décision du ministre du Revenu national en date du 28 mars 2002, pour les années 2000 et 2001, sont rejetés et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2003.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2003CCI883

Date : 20031208

Dossier : 2003-633(EI)

ENTRE :

MESSAGERIE VDL INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Dussault

[1]      L'appelante a été cotisée pour des cotisations d'assurance-emploi impayées pour les années 2000 et 2001 à l'égard des travailleurs suivants : Jules Bourdon, Patrick Breault, Gilles Contré, Jacques Dauphin, Roland Dubreuil, Johanne Ducharme, Jacques Lapierre et Gérard Martineau ( « travailleurs » ).

[2]      Les détails des cotisations sont les suivants :

Année

Cotisation

AE

Pénalité

Intérêt

Total

2000

1 380,38 $

88,03 $

149 $

1 617,41 $

2001

4 643,37 $

414,38 $

43 $

5 101,25 $

[3]      Suite à l'opposition de l'appelante, la cotisation pour l'année 2000 a été confirmée et la cotisation pour l'année 2001 a été réduite en supprimant les cotisations ainsi que les pénalités et les intérêts concernant Gérard Martineau lequel n'a pas été considéré lié à l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services contrairement à tous les autres travailleurs mentionnés.

[4]      En cotisant l'appelante le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) s'est fondé sur les présomptions de fait que l'on retrouve aux alinéas a) à p) du paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel ( « Réponse » ). Ces alinéas se lisent, comme suit :

a)          L'appelante exploite, depuis 1993, une entreprise de transport de courrier.

b)          Monsieur Luc Desmarais est l'unique actionnaire de l'appelante.

c)          Le principal client de l'appelante est Postes Canada.

d)          L'appelante couvre le territoire de Lanaudière.

e)          En 2000 et 2001, l'appelante a eu un chiffre d'affaires d'environ 200 000 $.

f)           L'appelante possède comme actif 5 camions en location/achat.

g)          L'appelante possède 4 routes différentes pour Postes Canada; elle doit ramasser le courrier au bureau de poste de Joliette et le livrer dans différents bureaux de poste de la région et, à la fin de la journée, cueillir le courrier dans ces bureaux de poste et l'amener à Joliette.

h)          Pour effectuer les livraisons et cueillettes de courrier, l'appelante embauche des chauffeurs (les travailleurs), généralement des retraités.

i)           Les travailleurs utilisent un des camions de l'appelante pour livrer le courrier; ils conservent le camion en dehors des heures ouvrables, incluant les fins de semaines (sauf dans le cas de monsieur Patrick Breault qui ramenait le camion à la fin de sa journée).

j)           Les travailleurs devaient se rendre au bureau de poste vers 6 h pour ramasser le courrier et ensuite le livrer aux différents bureaux; ils devaient refaire le chemin inverse à partir de 16 h et ramener le courrier recueilli au bureau de poste de Joliette.

k)          L'horaire de travail des travailleurs pouvait varier d'une semaine à l'autre mais ils faisaient généralement 30 heures par semaine; l'horaire était « coupé » car ils faisaient généralement 3 heures en avant-midi et 3 heures en fin de journée.

l)           Les travailleurs utilisaient un camion de l'appelante qui en payait l'essence et tous les frais d'entretien et réparations.

m)         Les travailleurs pouvaient se faire remplacer en obtenant préalablement la permission de l'appelante; monsieur Luc Desmarais faisait souvent lui-même les remplacements.

n)          L'appelante, et non les travailleurs, était responsable, auprès de Postes Canada, de la livraison du courrier.

o)          Tous les travailleurs recevaient entre 300 $ et 350 $ par semaine; ils étaient rémunérés par chèques, une fois par mois.

p)          En 2001, monsieur Gérard Martineau a rendu des services à sa propre entreprise (Distribution Mel-Pat inc.) et non à l'appelante.

[5]      Tous les faits énoncés à ces alinéas sont admis à l'exception de celui énoncé à l'alinéa c), puisque l'appelante prétend que Postes Canada n'est pas son principal client. Toutefois, aucune preuve n'a été apportée à cet égard.

[6]      Messieurs Jacques Dauphin, Gérard Martineau et Luc Desmarais ont témoigné brièvement pour l'appelante.

[7]      Monsieur Dauphin a affirmé que son travail était de livrer le courrier six heures par jour et que ses heures de travail de 5 h 15 à 8 h 15 et de 16 h 15 à 19 h 15 étaient déterminées par Postes Canada et l'appelante.

[8]      Monsieur Martineau a affirmé que l'appelante l'engageait pour faire de la livraison de courrier pour Postes Canada, qu'il fournissait son temps et que l'appelante lui fournissait tout ce qui était nécessaire pour effectuer son travail.

[9]      Monsieur Luc Desmarais est l'unique actionnaire de l'appelante. Il a affirmé que celle-ci, sur les conseils de son comptable, signait généralement un contrat de sous-traitance avec des travailleurs autonomes. À titre d'exemple, le contrat avec monsieur Jacques Dauphin a été soumis en preuve (pièce A-1).

[10]     Ce contrat, dont la partie pré-imprimée est reproduite en caractères réguliers et la partie complétée à la main est reproduite en caractères italiques, se lit ainsi :

CONTRAT ENTRE

1ère partie         MESSAGERIE V.D.L. INC., entreprise incorporée selon la partie 1A de la Loi des compagnies de Québec dont le siège social est au : 688 Pl. Roussin JOLIETTE, ci après nommée la compagnie

et

2ième partie       Nom : Jacques Dauphin

Adresse :

N.A.S. :

Ci après nommé « Sous-Traitant »

Les deux parties conviennent ce qui suit :

1.     Le sous traitant aura l'entière responsabilité de : La livraison de Poste Canada pour la route de Rawdon.

2.     À cette fin la compagnie fournira les services suivants : Temps, Disponibilité, Fuel, Vérification des camions Ford F-450 Modèle 1994.

3.     Les salaires à payer pour des aides occasionnels et pour les frais de représentations occasionnels auprès des clients seront la responsabilité du sous-traitant.

4.     La présente convention est résiliable en tout temps par l'une ou l'autre des parties après un avis de 5 jours. Renouvelable au début de chaque mois.

5.     Le sous-traitant recevra une somme de $ 330,00 dollars par semaine pour l'accomplissement des tâches décrites au #1.

6.     Le sous-taitant prends l'entière responsabilité de son travail ainsi que des bénéfices s'y rapportant. Cette entente libère automatiquement la compagnie de toute responsabilité d'employeur tel que les vacances, les contributions aux différents programmes de déductions à la source pour le Régime de Rentes du Québec, l'Assurance-Chômage, le R.A.M.Q., la Santé et Sécurité au Travail du Québec, etc.

Signé à Joliette

ce 7 janvier 1997.

Luc Desmarais

Jacques Dauphin

Président de la Compagnie

Sous-Traitant

[11]     Or, d'une part, le paragraphe 1 contrevient au paragraphe 17.1 du contrat signé par l'appelante avec Postes Canada et aux termes duquel elle a seule l'entière responsabilité de l'exécution du service si elle engage des sous-traitants (pièce I-3). Encore faut-il qu'ils soient de véritables sous-traitants.

[12]     D'autre part, quant au paragraphe 3, il n'a aucunement été démontré que les travailleurs engageaient qui que ce soit pour effectuer leur travail, sauf des remplaçants autorisés par l'appelante et payés par celle-ci. De même, il n'y a aucune preuve que les travailleurs aient eu à payer des frais de représentation à l'égard de quiconque et encore moins qu'ils puissent avoir des clients. Ils distribuent des sacs de courrier dont ils ont pris livraison au bureau de poste de Joliette dans des bureaux de poste locaux et ramènent au bureau de poste de Joliette les sacs de courrier dont ils ont pris livraison aux bureaux de poste locaux.

[13]     La preuve révèle que les travailleurs sont rémunérés à l'heure selon le temps nécessaire pour couvrir une route de livraison. Le temps requis est vérifié au départ par monsieur Luc Desmarais et le travailleur durant une période d'une semaine. Les horaires sont établis selon les exigences de Postes Canada et l'appelante fournit et paye absolument tout ce qui est nécessaire à l'accomplissement de ses tâches par le travailleur.

[14]     Dans son avis d'appel, l'appelante conteste les cotisations au seul motif que les travailleurs sont des sous-traitants autonomes exploitant leur propre entreprise et non des employés. Toutefois, lors de l'audition l'appelante a également contesté les cotisations en soutenant qu'elles étaient trop élevées (pièce I-1).

[15]     D'abord, l'appelante soutient qu'il ne devrait avoir aucun montant cotisé à l'égard de monsieur Gérard Martineau pour l'année 2001, puisque l'appelante a contracté avec une société par actions qu'il a constituée. Ce fait est reconnu par l'intimé et selon la Réponse, la cotisation pour l'année 2001 aurait été réduite à cet égard.

[16]     Le deuxième point soulevé en rapport avec le montant de la cotisation concerne le montant utilisé pour calculer les cotisations impayées par l'appelante pour l'année 2001 à l'égard de monsieur Jacques Dauphin (pièce I-1). Selon monsieur Luc Desmarais, la cotisation aurait été établie en utilisant un montant de gains de 35 190 $ alors que 55 p. 100 de ce montant aurait été payé à la conjointe de monsieur Dauphin en sous-traitance pour faire la distribution du courrier sur une route rurale.

[17]     D'une part, comme je l'ai dit, ce point n'est aucunement soulevé dans l'Avis d'appel. D'autre part, aucun document, comme par exemple la déclaration de revenu de monsieur Dauphin ou de sa conjointe ou encore une preuve de paiement de la part de l'appelante, n'a été soumis en preuve pour appuyer cette prétention.

[18]     Quant à la question de savoir si les travailleurs étaient véritablement des travailleurs autonomes exploitant chacun sa propre entreprise plutôt que des employés de l'appelante, l'avocate de l'intimé a fait valoir que les principes applicables ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans sa décision dans l'affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, [2001] A.C.S. no 61 (Q.L.), ( « Sagaz » ). Dans cette décision la Cour suprême du Canada se réfère à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. ( « Wiebe Door » ), [1986] 3 C.F. 553, dans lequel le juge MacGuigan y dégageait les quatre éléments suivants : (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la possibilité de profit; et (4) le risque de perte, tout en soulignant que le critère de contrôle en lui-même n'était pas toujours concluant. Ces éléments avaient été appliqués par Lord Wright dans l'arrêt Montréal c. Montréal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.).

[19]     Comme le fait remarquer le juge Major au paragraphe 44 de la décision dans l'affaire Sagaz (précitée), dans Wiebe Door (précitée), le juge MacGuigan reconnaissait que la meilleure synthèse du problème avait été faite par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, Ltd. c. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), lorsqu'il disait aux pages 737 et 738:

          [TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne travaillant à son compte ? » Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. [Je souligne.]

[20]     Dans l'arrêt Wiebe Door (précité), le juge MacGuigan reconnaissait également une certaine utilité au critère dit « d'organisation » ou « d'intégration » pourvu qu'il soit appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire pourvu qu'il soit envisagé du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . L'analyse de cet élément devrait normalement permettre de répondre à la question de savoir à qui appartient l'entreprise.

[21]     De même, dans l'affaire Sagaz (précitée), au paragraphe 46, le juge Major partage l'opinion exprimée par le juge MacGuigan dans Wiebe Door (précitée), lorsque celui-ci affirmait à la page 563, en citant l'auteur P.S. Atiyah (Vicarious Liability in the Law of Torts. London: Butterworths, 1967 p. 38) « qu'il faut déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » .

[22]     Une partie de la citation tirée de l'ouvrage de Atiyah est reprise par le juge Major dans le même paragraphe. Il s'agit de ce qui suit :

[TRADUCTION] Nous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

[23]     En dépit du contrat signé entre l'appelante et les travailleurs, j'estime que ceux-ci n'exploitaient pas chacun leur propre entreprise. Ils étaient des salariés de l'appelante qui établissait leur horaire de livraison du courrier dans les différents bureaux de poste et qui les payait en fonction du nombre d'heures nécessaire à l'accomplissement de cette tâche, nombre d'heures vérifiées au départ pour une route donnée par monsieur Luc Desmarais en compagnie du travailleur.

[24]     L'appelante fournissait le camion qu'ils utilisaient dans l'exécution de cette tâche. L'appelante payait également l'essence et les dépenses d'entretien ou de réparation du camion. Face à Postes Canada, l'appelante demeurait seule responsable de la livraison du courrier et avait donc le pouvoir de contrôler l'exécution de la tâche des travailleurs.

[25]     Les travailleurs recevaient donc une rémunération fixe sans possibilité de profit. Ils n'avaient pas de risques de pertes et n'avaient aucune dépense ni aucun frais de représentation à payer dans l'accomplissement de leur tâche.

[26]     Finalement, je crois que l'on peut affirmer que la tâche des travailleurs était exécutée rigoureusement dans le cadre du service postal géré par Postes Canada selon l'horaire pré-établi, service que l'appelante avait pour mission d'exécuter et dont elle conservait l'entière responsabilité selon les termes de la convention signée avec Postes Canada.

[27]     En conséquence de ce qui précède, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2003.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


RÉFÉRENCE :

2003CCI883

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-633(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Messagerie VDL Inc. et M.N.R.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 24 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 8 décembre 2003

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Richard Benoît

Avocate de l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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